L’État et la justice

Séance du lundi 9 octobre 2000

par M. Jean-François Burgelin

 

 

Etre juge. Etre jugé. Voilà deux passions que les Français de notre époque ont découvertes.

Jamais, dans notre histoire, les Français n’ont été aussi nombreux à se vouloir juges. Ils se pressent, à tous les concours d’accès à la magistrature. Ils sont aussi nombreux à se vouloir, à titre bénévole, juges dans les tribunaux de commerce, en tout cas, jusqu’à présent, les conseils de prud’hommes, les tribunaux pour enfants, les tribunaux paritaires des baux ruraux, les cours d’assises…

En outre, les Français veulent être jugés. Ils sont là, en rangs serrés, à porter plainte, à citer, à assigner, à vouloir traîner leurs contemporains devant le juge. Partout, les contentieux s’accroissent. Chacun veut trouver un juge qui lui donne raison et indemnisation chaque fois qu’un malheur survient ou qu’un différend surgit.

Désormais on juge tout et tous : les fautes comme les erreurs, les plaies comme les bosses, les enfants, les vieillards, les entreprises, l’État, les maires, les préfets, les ministres, plus rien ni personne n’échappent à la vindicte procédurale de nos contemporains.

On peut s’en plaindre comme s’en féliciter. Dire que c’est une forme de progrès que faire trancher par le droit les aléas de l’existence. Dire que c’est une forme de décadence spirituelle que de ne pas accepter les interventions du destin qui, de toute façon, nous emportera un jour dans le tourbillon de la mort.

Au fond, peu importe notre jugement moral. Ce qui compte, c’est la réalité de notre époque. Et elle, elle se veut judiciaire, voire justicière.

Au besoin de justice des hommes, le souverain, qu’il soit roi ou peuple, a répondu en leur donnant des juges pour trancher leurs différends et punir les coupables.

En revanche, ce souverain, quel qu’il soit, a toujours rechigné à se soumettre lui-même à la décision du juge.

La monarchie absolue a combattu sans relâche la puissance que se donnaient les Parlements de l’Ancien Régime au détriment du pouvoir royal.

Et la République a chaussé les mêmes lunettes pour traiter les juges : la Constitution de 1958 a clairement réduit la justice à une notion ” d’autorité “, très en retrait par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif.

Mais, depuis quarante ans, la magistrature française a donné à sa fonction un nouvel éclat. Refusant la situation subordonnée qui était la sienne, l’autorité judiciaire occupe une place grandissante dans la vie politique, économique et sociale de la France.

Les causes de cette émergence sont multiples et il est difficile de déterminer celles qui ont été déterminantes.

Citons-en quelques-unes.

  1. L’amélioration du niveau économique général des Français qui ne se contentent plus du nécessaire. Ils veulent en outre la sécurité, le confort, la reconnaissance et ils sont prêts à plaider pour cela ;
  2. L’influence anglo-saxonne qui pénètre largement notre culture. A l’exemple des Américains dont les séries télévisées nous donnent chaque jour l’image de l’hyper-judiciarisation, les français entendent soutenir leurs droits à indemnisation en toute occasion ;
  3. La perte de crédibilité des ” valeurs ” traditionnelles a substitué la notion de dédommagement à toutes celles qui se référaient à des concepts métaphysiques, qu’ils eussent pour noms destin, fatalité, providence ou autres ;
  4. L’amélioration de la formation technique des juges. La scolarité suivie à l’E.N.M, la formation continue des juges, le recrutement de nombreux magistrats provenant de corps spécialisés de fonctionnaires (inspecteurs des impôts et du Trésor notamment) ont donné à la magistrature un ” tonus ” qu’elle n’avait pas auparavant ;
  5. La mise en lumière, par la magistrature, de nombreuses ” affaires ” mettant en cause des leaders économiques et politiques a fortement contribué à légitimer l’action de celle-là et à entamer la confiance faite en ceux-ci. La ” montée ” de la justice est symétrique de la ” descente ” des pouvoirs traditionnels.

Cette ” prise de pouvoir “, au sens strict du terme, paraît sans retour prévisible à brève échéance.

S’est ainsi créée une institution judiciaire porteuse de droit et de morale qui substitue ses propres concepts à ceux qui prévalaient naguère : la raison d’État, les hiérarchies, les nécessités diplomatiques, l’efficacité économique laissent progressivement la place à la vertu, aux droits de l’homme, à l’égalité des chances et à la transparence.

La sagesse veut que cette donnée nouvelle de notre vie sociale soit prise en compte par ceux qui nous gouvernent. Les Français veulent de la justice. Il faut leur en donner.
Il serait inexact de voir en ce constat une quelconque démagogie ou une faiblesse à l’égard des idées à la mode.

Il s’agit, en effet, d’une tendance profonde de l’ensemble de la société contemporaine qui se manifeste très fortement, bien au-delà de nos frontières. Il s’agit aussi d’une exigence relevant de nos engagements internationaux, notamment de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. En ratifiant cette convention, la France s’est engagée dans un processus qui va progressivement révolutionner nos traditions judiciaires, voire notre dualisme juridictionnel.

C’est là un point majeur de notre réflexion et il parait utile de s’y attarder quelque peu.
En effet, un grief volontiers adressé aux juges, pour contester leur emprise sur notre vie sociale, est leur manque de légitimité démocratique.

Les pouvoirs exécutif et législatif sont légitimés par l’élection, par le choix du peuple ou du Président de la République. Le juge, lui, n’est pas élu. C’est une personne qui a réussi un concours de recrutement à caractère administratif permettant de vérifier que ses connaissances juridiques sont satisfaisantes. Il est formé par une école, il prête un serment l’engageant à être ” digne et loyal ” et sa carrière est contrôlée par un Conseil supérieur de la magistrature indépendant.

Mais, il faut bien le reconnaître, il s’agit là de garanties techniques et morales mais sans fondements démocratiques très forts. C’est encore le processus de nomination du juge qui est la manifestation la plus claire de sa filiation avec le peuple souverain : il est nommé par décret du Président de la République, lui-même élu au suffrage universel. Mais c’est, malgré tout, un lien bien ténu entre le juge et le peuple pour autoriser le premier à sanctionner au nom du second.

Où trouver la légitimité du juge ?

Dans son indépendance, dans son appartenance à un corps de l’État que la Constitution a chargé de garantir la liberté individuelle ? Oui, bien sûr. Mais qui serait fondé à soutenir que ce sont des conditions de légitimité suffisantes ?

S’agissant de l’indépendance, on peut constater que celle-ci s’est accrue considérablement dans les rapports du juge avec le pouvoir exécutif. Il y a, à cet égard, un incontestable progrès par rapport à ce qui a pu être constaté de la Révolution aux débuts de la Vème République. Il s’agit d’un véritable bouleversement de nos moeurs judiciaires et l’on ne peut que s’en réjouir.

Il existe malheureusement d’autres entraves à la liberté d’esprit du juge : qu’on les nomme préjugés, idéologies, consignes corporatistes ou erreurs d’appréciation, peu importe. Ce qui demeure, c’est que l’indépendance des juges n’a pas encore convaincu nos contemporains.

S’agissant de l’appartenance au corps judiciaire, il s’agit incontestablement d’un gage plus sérieux de légitimité. Il existe, en effet, dans la culture judiciaire, une saine tradition de respect de la liberté individuelle, d’acceptation de la discussion contradictoire, d’écoute d’autrui qu’on trouve peu dans d’autres professions. Il faut sauver et développer cette culture-là, qui est heureuse. Elle n’est cependant pas suffisamment développée dans l’ensemble du corps judiciaire pour servir véritablement à fonder la légitimité du juge.

Il existe d’autres professions dont les membres sont indépendants et qui ont la garde de la liberté de l’esprit : on peut, à cet égard, penser aux professeurs d’université. Ils enseignent ce qu’ils veulent et sont dispensés de tout contrôle.

Leur légitimité n’est pas en cause car ils ne prétendent pas enseigner ” au nom du peuple français “. Leur message est d’ordre individuel et n’engage qu’eux-mêmes. Ils n’exercent pas un pouvoir régalien.

Que faire alors ?

Le démocrate, à cet instant, est quelque peu désemparé, car il sent bien qu’on est là aux confins du rêve et du pragmatique, de l’intuition et de la raison, du faisable et de l’impossible.

Le démocrate, en particulier, s’arrête au seuil de la seule proposition qui serait intellectuellement satisfaisante : l’élection des juges.

Pourquoi ce recul instinctif devant une proposition a priori bien normale ? Pourquoi ne pas tirer, sans arrière-pensée, la leçon des temps présents : les Français veulent plus de justice ; pour que cette justice soit légitime, il faut que ceux qui la rendent aient reçu l’onction du peuple souverain ; donc on doit procéder à l’élection des juges. Ce syllogisme paraît parfait et, de surcroît, il peut être constaté que l’élection des juges se pratique en certains États, aux États-Unis notamment. Alors pourquoi ne pas l’instaurer en France ?

Constatons simplement qu’en l’occurrence personne ne soutient sérieusement cette proposition, comme si la démocratie devait s’arrêter nécessairement à la porte du prétoire. Pourquoi la nomination des juges ne se fait-elle pas démocratiquement ?

Risquons une réponse : on rechigne devant cette solution parce que l’on craint la réponse populaire. On se retrouve un peu dans la même situation qu’à l’époque de l’abolition de la peine de mort. Ce problème n’a jamais été posé aux Français parce que tout laissait penser que, dans leur majorité, ils étaient anti-abolitionnistes.

Mutatis mutandis, on peut penser que l’élection des juges conduirait à l’opposé du but recherché. Au lieu d’une ” avancée démocratique “, il y a bien des raisons de penser que les juges élus se montreraient beaucoup plus sensibles que les magistrats actuels aux thèses répressives les plus radicales. Dans leur majorité, les Français veulent, certes, plus de justice, mais ils veulent aussi plus de sécurité. Cette perspective conduirait beaucoup (une majorité ?) d’entre eux vers des choix non souhaités par les partis traditionnels.

Exit l’élection des juges.

Nous revenons alors au point de départ.

Comment créer un pouvoir judiciaire qui ait une légitimité sans procéder à l’élection des juges ?

Notre constat d’impuissance nous conduit à tenter d’aborder le problème sous un angle tout à fait différent.

C’est à cette nouvelle perspective que nous allons consacrer l’essentiel de notre propos.
L’idée de base est celle de crédibilité.

Notre organisation juridictionnelle remonte, pour l’essentiel à Napoléon Ier, avec bien des racines antérieures, chacun le sait.

Or cette organisation qui a rendu deux siècles de loyaux services est à présent vieillie et, à bien des égards, obscure au point de lui faire perdre cet élément fondamental qui doit à présent se trouver dans toute structure judiciaire : la crédibilité.

A part les spécialistes, qui, au sein de la Nation, est capable de comprendre et, a fortiori, d’indiquer clairement, comment s’expliquent et fonctionnent la dualité des ordres juridictionnels, la dualité siège-parquet, le juge d’instruction, la juridiction commerciale, l’indépendance des juges administratifs et judiciaires ?

Notre système est tellement compliqué, enchevêtré et sophistiqué qu’il est devenu parfaitement obscur pour le citoyen de bonne volonté.

Cela n’avait qu’une importance relative tant que nous vivions en vase clos, sans beaucoup de communications avec le monde extérieur. Le citoyen qui entendait comprendre comment on jugeait les procès n’avait qu’à demander à son avocat qui se serait fait un devoir de le lui expliquer.

Mais nous n’en sommes plus là.

Le système judiciaire français ne peut plus, en effet, être perçu en lui-même, calfeutré dans les limites de l’hexagone.

La justice d’un pays, du nôtre en l’occurrence, doit acquérir une crédibilité internationale.

Pourquoi ?

D’abord, et avant tout, parce qu’elle est désormais contrôlée par des juridictions internationales, que ce soit la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg ou la Cour européenne des droits de l’homme.

Le droit communautaire, la Convention européenne des droits de l’homme s’imposent à nous avec une valeur normative supérieure à la loi nationale.

Il n’est pas admissible qu’un grand pays démocratique, fondateur des droits de l’homme, soit fréquemment condamné parce que nos procédures ou notre législation ne sont pas conformes au droit que, par des conventions internationales, nous avons admis être le nôtre. Il s’agit d’une question de dignité nationale.

Notre justice, d’autre part, doit inspirer confiance pour faciliter nos relations économiques. Les investisseurs étrangers s’intéresseront d’autant plus à notre économie qu’ils auront la conviction qu’en cas de litiges, ils pourront s’adresser à la justice française en toute sérénité, sans craindre qu’elle fasse preuve de chauvinisme, de xénophobie et de partialité. Plus simplement encore, il faut que notre justice soit, pour eux, simple dans son accès, ses structures, ses procédures et son effectivité.

Enfin, et ce n’est pas le point de vue le moins important, on ne saurait négliger le poids considérable que constitue la tradition juridique française. Dans les pays influencés par les codes napoléoniens, dans de nombreux pays émergents, le modèle français sert souvent de référence pour contrebalancer l’influence anglo-américaine. Encore faut-il que nous puissions montrer à ces pays un système juridictionnel clair, cohérent, compréhensible, ce qui est loin d’être le cas.

Il est curieux de relever que le pays de Descartes et de Montesquieu a tant de difficultés à construire un système juridictionnel clairement et distinctement séparé du pouvoir exécutif. Royauté, Empire et République se sont, en effet, accordés sur un objectif commun : borner autant que faire se peut le pouvoir des juges, le diviser, le réduire et cela tout en tenant un langage bien hypocrite sur la ” nécessaire indépendance de la justice “, invitée ” à suivre son cours “, sans réticence, ni entrave.

Comme chacun le sait, cette indépendance de la justice n’a été qu’un voeu pieux qui n’a jamais été sincèrement voulu par le monde politique toujours frileux et craintif à l’égard d’un corps judiciaire soupçonné de mauvaise intention à son égard.

Le XXIème siècle va contraindre la France à changer de cap et se doter d’un système juridictionnel bénéficiant de la confiance des Français, de nos partenaires étrangers et des institutions européennes.

C’est donc à une véritable révolution institutionnelle que nous sommes, volens nolens, invités.

Le Président de la République et le Gouvernement l’ont bien compris qui se sont lancés dans des projets de réforme judiciaire toujours en discussion : qu’il s’agisse du parquet, du Conseil supérieur de la magistrature, des tribunaux de commerce. Quelles que soient les difficultés de mise en oeuvre, chacun sent bien que des changements sont nécessaires et qu’ils interviendront, tôt ou tard.

Il n’est pas question, dans le cadre de ce propos, d’aller dans le détail des réformes à venir.

Ce qui sera plus simplement, mais on peut l’espérer, plus profondément abordé, c’est le fondement qui peut être trouvé à cette ambition réformatrice.

Ce fondement semble bien être la création d’un pouvoir judiciaire crédible, c’est-à-dire ayant de solides bases démocratique et intellectuelle.

Une base démocratique : il n’est de pouvoir, au sein d’un État, qui ne soit fondé sur délégation du souverain, c’est-à-dire du peuple. C’est l’onction populaire qui légitime l’exercice d’un pouvoir. Mais, comme nous le disions tout à l’heure, il n’est pas raisonnable d’envisager une élection directe des juges par le peuple, à l’instar de certains États américains ou cantons suisses.

Il faut donc recourir à la démocratie indirecte. Ce ne seraient pas les juges qui seraient élus, mais ce seraient ceux qui gouvernent les juges qui le seraient.

Dans cette perspective, le Conseil supérieur de la magistrature serait composé de personnalités élues au suffrage universel.

Au corporatisme judiciaire, cette réforme substitue, nécessairement, un danger de politisation de la magistrature.

C’est un risque évident, qu’on ne peut pallier complètement. Il pourra toutefois être posé de solides barrières à l’exercice des fonctions de membre du Conseil supérieur de la justice. Ne pourront être candidats à cet exercice que des personnalités qui, par leur âge, leur expérience professionnelle et leurs qualités morales auront donné de sérieux gages de compétence, d’indépendance d’esprit et de sérénité. Ce sera au réformateur d’y veiller attentivement.

En revanche, ce système fait échapper aux pouvoirs exécutif et législatif toute emprise sur la carrière des juges. La gestion du corps judiciaire ne sera plus, si peu que ce soit, le fait du Gouvernement mais celui d’une institution nouvelle de la République, démocratiquement élue.

Il ne paraît pas inutile, à cet instant de notre réflexion, de consacrer quelques instants au sort du parquet et des magistrats qui le composent.

L’opinion publique, les médias, voire une partie du monde politique ont des idées assez confuses sur cette institution particulière, insérée dans l’autorité judiciaire, mais ne bénéficiant pas du même statut que les juges. Dans le futur pouvoir judiciaire à édifier, quelle sera la place du parquet ?

A notre sens, ce problème ne peut être éclairé que par une distinction fondamentale à faire entre les mandants de ces deux catégories de magistrats.

Pour les juges du siège, ce mandant c’est ” le peuple français ” au nom de qui ils rendent leurs décisions.

Pour les procureurs, ce mandant c’est ” la loi ” dont ils sont chargés de demander l’application. C’est dire que leur suzerain ne devra plus être un membre du Gouvernement mais une personnalité extérieure à celui-ci, mais possédant également une légitimité démocratique qu’il conviendra de lui donner.

Dans l’État de demain, il existera donc trois véritables pouvoirs, démocratiquement constitués. Le pouvoir judiciaire, compte tenu de ce nouveau statut fondé sur l’onction populaire, aura une légitimité équivalente aux deux autres et sa place au sein de l’État sera indiscutable et indiscutée.

Mais, nous l’avons vu, la crédibilité d’un pouvoir judiciaire n’est pas seulement fondée sur la démocratie de sa gestion, elle est, pour au moins autant, due à la solidité de sa base intellectuelle. Ou, autrement dit, de sa qualité professionnelle.

La justice aura la confiance des citoyens, d’une part, quand son indépendance à l’égard des autres pouvoirs sera assurée mais, d’autre part, quand l’aptitude des juges à l’exercice de leurs fonctions sera garantie.

C’est un sujet difficile, car, au fond, mis à part quelques stéréotypes du juge donnés par la littérature et, surtout, à notre époque, par la télévision, on ne sait pas très bien ce que c’est qu’un ” bon ” juge.

Pour nos voisins britanniques, il s’agit à l’évidence d’une personne ayant une bonne expérience des affaires et ayant fait preuve, dans une première partie de sa carrière, consacrée en général au barreau, de qualités de bon sens, de pragmatisme, de moralité personnelle et de savoir juridique.

En France, l’image du juge est beaucoup plus brouillée. L’âge du recrutement est souvent très jeune : on ne saurait donc exiger ” d’expérience ” chez un débutant de 25 ans. Par ailleurs, les lieux de formation pour les jeunes magistrats sont divers : l’ENA pour les juges administratifs, l’ENM pour les juges judiciaires.

S’agissant du recrutement dit ” extérieur ” ou ” latéral “, qui se fait chez des personnes ayant une expérience professionnelle du droit, il faut bien reconnaître qu’il se fait selon des modalités complexes et assez obscures que seuls connaissent quelques initiés. Il a souvent donné à penser qu’il laissait une forte place à l’arbitraire et à d’autres critères que l’intérêt du service public.

Une réflexion globale sur le recrutement et la formation des juges serait à entreprendre, sur les bases du rapport établi en 1987 par le professeur François Terré, s’agissant des juges judiciaires.

Quelques idées pourraient servir d’orientation à ce travail.

La première serait l’unité de l’institution de formation des juges : ce doit être la même pour les juges judiciaires et les juges administratifs dont les corps sont d’ailleurs destinés à se fondre.

La deuxième serait l’établissement d’une grande clarté dans l’organisation du recrutement latéral. Un gros effort doit être fait pour donner à nos concitoyens – aux justiciables et particuliers – des indications précises sur les modalités de recrutement des magistrats par la voie latérale.

Une troisième voie de réflexions touche au rapprochement, dans leur formation, des magistrats et des avocats. Les tentatives de rapprochement entre les institutions de formation propres aux deux professions sont restées très timides. Beaucoup de magistrats, de ce fait, exercent leur profession sans idée concrète des modalités et des conditions de travail des avocats et vice-versa. Il est indispensable de créer, à tout le moins, des plages de formation importantes qui soient accessibles aux futurs magistrats aussi bien qu’aux futurs avocats.

Une autre idée à creuser tient à la nécessité de décloisonner, d’ouvrir au monde le corps judiciaire qui a toujours une tendance au repli sur soi et à un certain refus d’appréhender les réalités concrètes de la vie. Un gros effort est déjà fait en ce sens par l’ENM. Le magistrat contemporain doit se remettre constamment en question dans ses perceptions des activités économiques et sociales de notre société. Pour le juge, plus que pour tout autre, la formation ne peut plus être un acquis initial mais une obligation permanente et ardente.

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Nous ne prétendons pas que la description d’un futur pouvoir judiciaire telle qu’elle vient d’être esquissée ne ressortit pas quelque peu à l’utopie.

L’important, à nos yeux, est de provoquer un mouvement d’idées qui conduise à la légitimation de l’acte de juger.

Le juge n’est actuellement qu’un bâtard plus ou moins rejeté du pouvoir exécutif.

Il doit devenir l’enfant légitime d’un État moderne, chacun devant être convaincu qu’il n’y a pas de nation crédible et respectée qui n’ait en son sein un pouvoir judiciaire démocratiquement fondé et exercé.

Ce pouvoir est à créer et à construire.

C’est là une tâche majeure pour les gouvernants du XXIème siècle.

Le devoir des institutions et des personnes qui sont en charge d’une réflexion en profondeur sur le devenir de notre pays nous paraît bien de préparer cette nécessaire évolution pour qu’elle se déroule sans trop de heurts et avec l’assentiment de la majorité de nos concitoyens.