Démographie mondiale : une croissance durable de la population

Séance du lundi 4 février 2002

par M. Jacques Dupâquier

 

 

Quatre observations liminaires :

  • Il est évident que croissance durable ne peut signifier croissance éternelle, mais seulement croissance à long terme.

  • Il vaut mieux parler de populations au pluriel, car toutes les populations ne sont pas croissantes et les croissances sont très inégales.

  • Malgré le progrès des statistiques démographiques depuis un demi-siècle, il subsiste d’énormes incertitudes : la population mondiale n’est connue qu’à 100 millions près, la population française à 1 million près. Le changement des nombres d’une année à l’autre résulte souvent d’une amélioration des connaissances, non d’une évolution réelle.

  • La technique des projections démographiques, fondée sur la méthode des composantes, est maintenant bien au point et donne d’excellents résultats à court terme, mais les incertitudes qui pèsent sur l’avenir de la fécondité et des migrations les rendent fragiles à moyen et surtout à long terme. Elles ne sont vraiment fiables que pour les générations déjà nées.

Je me contenterai donc, pour l’état actuel de la population mondiale, de parler de diagnostic  et, pour son état futur, de pronostic. Toutefois, il ne faut pas céder à la tentation de l’hypercritique : la formidable inertie des phénomènes démographiques ne permet pas de dire n’importe quoi sur l’avenir de la population mondiale en général, ni de celle de tel ou tel État en particulier.

 

Diagnostic

 

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la population mondiale a connu la plus forte croissance — absolue aussi bien que relative — de toute l’histoire. En cinquante ans, elle est passée de 2 519 millions à 6 057 millions, soit une progression de 140 %. Le taux annuel de croissance, qui atteignait déjà 14,5 pour mille dans les dix années qui ont précédé la guerre, s’établit à 17,6 pour la période 1951-1955, culmine à 20,7 en 1966-1970, puis diminue régulièrement jusqu’au niveau actuel : environ 12,5 pour mille.

Il y a donc eu un sérieux coup de frein dans le rythme de croissance de la population mondiale. Pourtant, comme ces taux s’appliquent à des effectifs grandissants, c’est seulement depuis 1985 environ que le gain annuel, exprimé en nombres absolus, a commencé, lui aussi, à se réduire : il était de 88 millions vers 1985, il n’est plus aujourd’hui que de 77 millions, ce qui est encore beaucoup.

A partir des années soixante, lorsque la Division de la Population des Nations Unies commença à revoir à la hausse ses prévisions démographiques et à les pousser jusqu’à la fin du XXIe siècle, nombre de spécialistes, et même des organismes officiels comme la F.A.O., furent pris de panique, annonçant une imminente catastrophe. En 1971, l’américain Paul Ehrlich n’hésita pas à écrire, dans un livre à succès, The Population Bomb : « C’est de la survie de nos enfants qu’il s’agit. Déjà la Terre est surpeuplée, et sa population double à chaque génération. Les démographes prévoient qu’en l’an 2000 sept milliards d’hommes devront se partager les ressources limitées de notre planète, alors qu’aucune ingéniosité de la science ne permettra de doubler en si peu de temps la production agricole. Et il y a déjà deux milliards de sous-alimentés ! C’est donc aujourd’hui même qu’il faut choisir entre une limitation raisonnable des naissances et la catastrophe. Et pas seulement dans le Tiers Monde. Également dans nos pays sur-développés ! »

Un an plus tard, une expertise du Massachussets Institute of Technology, commandée par le Club de Rome, conclut dans le même sens : « Si l’expansion démographique et la consommation des ressources naturelles ne sont pas maîtrisées très rapidement, le XXIe siècle sera marqué par un désastre humain et écologique : il faut donc se fixer comme objectif de population la croissance zéro ».

D’où l’action du Population Council, créé dès 1952 par John D. Rockefeller, et du Fonds des Nations Unies pour les activités en matière de population (FNUAP), qui a reçu un énorme budget pour promouvoir la restriction des naissances partout dans le monde.

Quelle a été l’efficacité de cette offensive néo-malthusienne ? Sans doute à peu près nulle jusque vers 1975. Autant qu’on puisse le savoir — car les données restent alors fragiles pour la plupart des États du Tiers Monde —, la fécondité a commencé à baisser en Amérique latine et dans le Sud-Est asiatique, mais il est très douteux que ç’ait été l’effet des campagnes du Population Council. En revanche, leur impact a été considérable en Amérique du Nord et en Europe occidentale  elles ont probablement contribué à approfondir le baby-krach. Paraphrasant une boutade d’Alfred Sauvy, on pourrait dire que les pays riches se sont mis à la diète, sous prétexte que des obèses habitaient les maisons voisines !

En tout cas, la croissance de la population mondiale s’est ralentie depuis 1970, comme on l’a dit plus haut  et la Division de la Population des Nations Unies a dû revoir ses prévisions démographiques à la baisse, mais elle l’a fait tardivement, à partir de 1990 seulement. Dans son hypothèse moyenne, elle prévoyait alors à l’horizon 2025, 8 504 millions d’hommes  ce nombre a été ramené, dans la Révision de 1994 à 8 294 millions  dans celle de 1998, à 8 039 millions, puis, tout récemment, dans celle calculée en l’an 2000, à 7 937 millions. Ainsi en dix ans, les perspectives démographiques pour le premier quart de ce siècle ont été amputées de 567 millions, ce qui représente à peu près 30 % de la croissance primitivement attendue.

Il ne faut pourtant pas aller d’un extrême à l’autre, passer de la panique hystérique à un optimisme béat  croire que les problèmes démographiques de la planète vont s’arranger gentiment tout seuls, comme le croient les partisans de la théorie de la transition démographique, qui s’imaginent qu’au terme du processus, l’équilibre se rétablira entre natalité et mortalité.

Comme l’avait bien vu dès 1934 Adolphe Landry, dans son ouvrage génial La révolution démographique, « un régime démographique nouveau a, dans l’époque contemporaine, fait ou entrepris successivement la conquête de tous les pays européens, et de certains pays lointains de populations européennes. Il y a des raisons de penser qu’il est destiné à conquérir, tôt ou tard, tous les pays du monde  cela est même vraisemblable. Là où il est le plus fortement établi, il a, en diminuant la fécondité, abaissé la reproduction à un niveau tel qu’elle n’assure plus le remplacement des générations  il a établi une dépopulation virtuelle. »

Le décalage entre la baisse de la mortalité et celle de la fécondité se traduit par une croissance momentanée de la population, qui peut se poursuivre très longtemps, du fait de l’inertie des phénomènes démographiques.

Ce sont les différences d’intensité et de calendrier de la révolution démographique selon les États et les grands ensembles géopolitiques qui expliquent les changements du paysage démographique mondial depuis 1950.

A cette date, la Terre comptait 2 milliards et demi de passagers :

– l’Europe et l’Asie russe

549

millions

(21,8 %)

– l’Amérique anglo-saxonne

166

« 

(6,6 %)

– l’Amérique latine

166

« 

(6,6 %)

– l’Afrique du Nord

53

« 

(2,1 %)

– l’Afrique au Sud du Sahara

171

« 

(6,8 %)

– l’Asie occidentale (y compris Afghanistan, Iran et Pakistan)

134

« 

(5,3 %)

– l’Asie méridionale (Inde, Népal,
Ceylan, Bangladesh)

415

« 

(16,5 %)

– Le Sud-Est asiatique

182

« 

(7,2 %)

– L’Extrême-Orient

671

« 

(26,7 %)

(dont 555 pour la Chine)

– l’Océanie

13

« 

(0,5 %)

Un demi-siècle de croissance différentielle a bouleversé l’équilibre démographique de la planète :

  • La population de l’Europe et de l’Asie russe était, en l’an 2000, de 727 millions, mais elle ne représentait plus que 12 % du total mondial au lieu de 21,8 %

  • Avec 314 millions d’habitants, l’Amérique du Nord anglo-saxonne a vu sa part réduite de 6,6 % à 5,2 %

  • Au contraire, celle de l’Amérique latine, dont la population a triplé, est passée de 6,6 % à 8,6 %

  • L’Afrique noire (+ 262 %) grimpe de 6,8 % à 10,2 %

  • Avec une croissance un peu plus forte encore (+ 228 %), l’Afrique du Nord porte sa participation de 2,1 à 2,9 %

  • L’Asie occidentale, qui correspond à peu près au monde musulman (manquent le Bengladesh et l’Indonésie) voit sa part monter de 5,3 % à 8 %

  • L’Asie mériodionale (+ 186 %) passe de 16,5 % à 19,6 %, l’Inde ayant dépassé récemment le milliard d’habitants

  • Le Sud-Est asiatique (+ 182 %) se renforce parallèlement : de 7,2 % à 8,4 %

  • La part de l’Extrême-Orient (+ 122 %) se réduit relativement, en raison des politiques antinatalistes de la Chine et du Japon.

En gros, la population des pays de peuplement européen, bien qu’ayant progressé de 78 % dans la seconde moitié du XXe siècle, a vu sa part dans le total mondial se réduire de 35,5 à 26,3 %. Celle des pays développés (dans l’ancienne acception) de 32,3 % à 19,7 %, mais celle des 48 pays les plus pauvres est passée de 197 à 658 millions, soit une progression de 234 %, avec une part significative dans le total mondial : 10,9 % en l’an 2000,au lieu de 7,8 % en 1950.

Le nombre des musulmans est passé approximativement de 375 millions (15 % de la population mondiale) à 1260 millions (20,8 %). Il a été multiplié par 3,4 alors que celui des chrétiens — ou plutôt des personnes d’héritage culturel chrétien — ne l’a été que par 2,7, en dépit de l’apport remarquable de l’Amérique latine (3,1).

 

Pronostics

 

Les prévisions démographiques — en particulier celles de la Division de la Population des Nations-Unies — sont fondées, non sur l’extrapolation des courbes de natalité et de mortalité, mais sur la méthode dite des composantes : connaissant la répartition par âge et par sexe d’une population quelconque au premier janvier de l’année 1, on calcule, pour chaque génération, l’effectif attendu au premier janvier de l’année 2, en fonction d’une table de mortalité détaillée  et de même le nombre de naissances, d’après la répartition des femmes en âge d’être mère, et leur taux de fécondité. Et ainsi de suite d’année en année, en tenant compte si possible du bilan migratoire.

A l’échelle mondiale, les migrations s’équilibrent  mais les calculs souffrent de plusieurs incertitudes : sur les effectifs concernés, sur la répartition par âge de la population, sur l’évolution probable de la mortalité et surtout de la fécondité.

Ce qui rend les pronostics assez fiables malgré tout, du moins à court terme, c’est l’inertie démographique. En effet, le volume des flux (naissances et décès) est très faible par rapport à celui des stocks. La population mondiale peut être comparée à un réservoir de 6 200 m3, recevant chaque année 135 m3 et en perdant 58. Le gain annuel moyen (77 m3) ne varie guère, et il faudra beaucoup d’années pour que le réservoir se remplisse, d’autant plus qu’entre temps, les flux auront sensiblement changé.

A l’échelle des États et des continents, l’inertie démographique est fonction de la pyramide des âges : une population déclinante comme celle de l’Italie, où la proportion des enfants de moins de 15 ans n’excède pas 14 %, ne peut que continuer à se réduire, même si, par miracle, le remplacement des générations s’y trouvait à nouveau assuré. D’ici à 2015, sauf immigration massive, l’Italie aura perdu 2 millions d’habitants  d’ici à 2025, 5 millions. Réciproquement, un pays comme la Tunisie, où la fécondité vient de tomber au dessous du seuil de reproduction, mais où la proportion des enfants de moins de 15 ans atteint 31 %, devrait gagner 1 800 000 habitants d’ici à 2015, et 2 900 000 d’ici à 2025. Les pyramides d’âges sont des bombes à retardement !

La Division de la Population des Nations Unies annonce, dans sa Révision 2000 (hypothèse moyenne) :

7 207 millions d’habitants en 2015
7 957 «  «  en 2025
9 322 «  «  en 2050

Il ne faut pas avaler ces statistiques toutes crues. La fiabilité de ces projections diminue avec le temps. Elle est fonction des hypothèses de base sur l’évolution de la mortalité et de la fécondité.

 

Mortalité

 

L’espérance de vie moyenne dans le monde est estimée actuellement à 65 ans pour les hommes, et 69 ans pour les femmes  mais ces moyennes sont approximatives. Le record est actuellement tenu par le Japon, avec 77 ans pour les hommes et 84 pour les femmes  le record inverse par la Zambie, avec respectivement 37 et 38 ans. Dans l’ensemble, il y a douze ans d’écart entre pays riches et pays pauvres. L’hypothèse des Nations Unies est que la durée de vie moyenne continuerait à progresser fortement, surtout dans le Tiers Monde, de manière à atteindre au milieu du siècle 76 ans pour les deux sexes réunis : 82,1 dans les pays développés (+ 7,2 ans)  75 ans dans les autres (+ 12,1 ans)  mais ces prévisions me semblent trop optimistes, en particulier pour l’Afrique, où l’espérance de vie devrait passer, prétendent les experts, de 51,4 à 69,5 malgré les ravages du sida.

Les auteurs de la Révision 2000 n’ont pas négligé l’impact de ce fléau. Ils estiment à 19 700 000 le nombre de vies déjà perdues (dont 17 millions en Afrique), le déficit total risquant d’atteindre 97 millions en 2015, et 302 millions (dont 267 millions pour l’Afrique) au milieu du siècle. Sauf retournement spectaculaire, le déficit démographique par rapport aux prévisions antérieures pourrait être alors de 43 % au Botswana, de 39 % en Afrique du Sud, de 33 % au Zimbabwe, etc.

Et pourtant, ces perspectives pessimistes me semblent encore trop optimistes. Leurs auteurs admettent en effet que l’impact du sida pourrait diminuer significativement dans l’avenir, surtout à partir de 2015, ce qui n’a rien d’évident. Dès maintenant, l’espérance de vie dans les 45 pays les plus atteints a diminué de cinq ans en moyenne : de 23 ans au Botswana, de 23 ans et demi au Zimbabwe  de 6 ans et demi en Afrique du Sud, dont la population pourrait se réduire d’un million entre 2015 et 2025.

Pourtant, les autres pays d’Afrique noire continueront à croître dans le demi-siècle à venir, en raison de leur puissante fécondité.

 

Fécondité

 

Les experts des Nations Unies n’ont pas renoncé entièrement aux deux postulats — ni évidents, ni démontrables — des théoriciens de la transition démographique :la convergence des comportements et le retour final à l’équilibre, pour tous les États du globe, entre natalité et mortalité.

Leur hypothèse moyenne implique, pour l’ensemble du monde dans le présent demi-siècle, une réduction de 2,82 à 2,15 du nombre moyen d’enfants par femme : pour l’Europe, une remontée de 1,41 à 1,81  pour l’Asie, une réduction de 2,70 à 2,08  pour l’Afrique, une chute de 5,27 à 2,39. Or, dans 16 pays sous-développés, la fécondité ne donne encore aucun signe de déclin, si bien que la Division de la Population des Nations Unies a dû relever de 8,9 à 9,3 milliards ses prévisions de population pour 2050.

Malheureusement, l’évolution de la fécondité est difficilement prévisible. Elle échappe en grande partie aux déterminismes économiques : les croyances religieuses, les crises révolutionnaires, les conjonctures politiques, le besoin de se perpétuer, le conformisme social, et bien d’autres facteurs immatériels jouent ici le rôle déterminant : si les couples européens alignaient leurs comportements sur les normes de la société de consommation, ils n’auraient plus d’enfants du tout. Or voici qu’après avoir plongé en quelques années jusqu’à des étiages incroyables (1,2 enfants par femme), la fécondité des grands États suicidaires (Allemagne, Italie, Espagne) semble bloquée à ce plancher. De même, celle des pays de l’Europe du Nord stagne à l’étage au dessus. Quant à celles de la France, des Pays-Bas et des Etats-Unis, elles sont orientées à la hausse. Et l’on ne peut que s’étonner de la divergence de l’évolution entre les Etats-Unis — où l’indice de fécondité atteint maintenant 2,1 — et le Canada, où il est tombé à 1,4. Peut-être l’Occident est-il entré dans « l’ère post-matérialiste », comme le suggère David Coleman, frappé de l’absence de convergence des comportements matrimoniaux dans les États d’Europe occidentale.

Réciproquement, l’exemple de l’Iran montre que la fécondité peut baisser beaucoup plus vite, même dans une République islamique, à l’origine pro-nataliste, que ne l’avaient prévu les experts des Nations-Unies. L’indice de fécondité, qui y atteignait 6,8 enfants par femme en 1985, est tombé à 2,8 en 1996, puis à 2,1 en 2001, un peu au dessous du seuil de remplacement des générations. Aussi les prévisions de population de cet Etat à l’horizon 2025 ont-elles été ramenées de 152 millions (Révision 1994) à 99 millions.

Si l’ensemble des États du Tiers Monde s’engageait dans cette voie, sans retour en arrière ni compensation, le scénario catastrophe imaginé par Jean Bourgeois-Pichet en 1984 pourrait devenir réalité : la population des « pays industriels » s’éteindrait à la fin du XXIIe siècle, après un sommet vers 2020  celles des « pays peu développés » vers 2350, après un maximum de 9,4 milliards vers 2070.

En dernière analyse, je n’ose donc faire de pronostics pour le milieu du présent siècle. A mon sens, les prévisions des experts me semblent à peu près valables pour 2015 (7,2 milliards) à 200 millions près, et pour 2025 (7,9 milliards) à 300 millions près, mais, en raison de la probable extension des ravages du sida, il est prudent de réduire à 9 milliards (à 500 millions près) le total annoncé pour 2050.

A l’échelle des continents et surtout des États, les perspectives sont moins hasardeuses. Il y a même une certitude : que le paysage démographique de la planète va être entièrement bouleversé au cours du présent demi-siècle, autant et plus encore que dans le précédent.

Sachant que les nombres calculés par les experts des Nations Unies doivent être affectés d’un coefficient d’incertitude, voici les scénarios les plus vraisemblables :

  • L’Europe devrait perdre 124 millions d’habitants (de 727 à 603 millions), et sa part dans la population mondiale tomber à 6,7 %

  • L’Amérique du Nord anglo-saxonne devrait gagner 124 millions (de 314 à 438 millions), compensant ainsi le déficit européen ; mais sa part devrait tout de même descendre de 5,2 % à 4,9 %

  • L’Amérique latine gagnerait encore 287 millions, presque uniquement par inertie démographique, ce qui lui permettrait d’élever sa part de 8,6 à près de 9 %

  • L’Afrique du Nord passerait de 174 à 304 millions et sa part de 2,9 à 3,4 %. Dès 2015, la population des États de la rive Sud de la Méditerranée dépassera celle des États européens de la rive Nord

  • La population de l’Afrique noire pourrait atteindre, selon la récente Révision, 888 millions en 2015, 1108 en 2025 et 1697 en 2050  mais il me semble prudent de rabattre ce dernier nombre de 300 millions au moins, ce qui n’empêcherait pas sa part dans la démographie mondiale de passer de 10,2 % à 15,3 %

  • L’Asie occidentale musulmane, de la Turquie au Pakistan, connaîtrait une expansion exceptionnelle, qui ferait passer sa population de 482 à 1 044 millions (11,6 % de la population mondiale, au lieu de 8 % actuellement)

  • L’Asie méridionale, avec l’Inde, pourrait gagner 730 millions d’habitants en un demi-siècle, et son poids relatif passer de 19,6 à 21,3 %. L’Inde sera, très probablement vers 2040, l’État le plus peuplé de la planète

  • Au contraire, le poids de l’Asie orientale (1 685 millions d’hommes vers 2050) devrait légèrement se réduire (de 19,6 % à 18,7 %), la Chine perdant même un peu de population dans le second quart du siècle et le Japon beaucoup (- 15 millions)

  • Le Sud-Est asiatique devrait progresser fortement en valeur absolue (+ 290 millions), faiblement en valeur relative (de 8,4 % à 8,9 %)

  • Sauf bouleversements imprévus, la part de l’Océanie devrait rester mineure (0,6 %).

En gros, la population des pays de peuplement européen (en fait l’Europe, l’Amérique et l’Océanie) devrait passer de 1 591 à 1 894 millions, dans l’hypothèse moyenne, et sa part dans le total mondial tomber de 26,3 % à 21 %. Ce recul relatif aurait été beaucoup plus grave sans la croissance soutenue de l’Amérique latine, dont la participation dans ce total est passée de 18,5 % (1950) à 32,6 % (2000), et sera probablement de l’ordre de 42,5 % à la fin de ce demi-siècle. On peut prédire sans grand risque que l’Amérique latine va devenir la Grande Grèce de l’Europe.

Plus irrésistible encore apparaît la croissance du monde musulman, qui, avec 375 millions de fidèles, rassemblait à peine 15 % des hommes au milieu du dernier siècle  1 260 environ, soit 20,8 %, en l’an 2000  et devrait en réunir 2 600 millions, soit 28,9 % dans une cinquantaine d’années, ce qui ferait de l’Islam la première religion du monde, loin devant la chrétienne.

Il est beaucoup plus difficile de raisonner en termes de pays riches et des pays pauvres, car le clivage va se modifier profondément. Dans le cadre traditionnel (aujourd’hui complètement périmé), la population des pays dits développés devrait se réduire de 1 191 millions à 1 181 millions, ce qui ramènerait leur part à 13,1 %  et celle des pays dit « en voie de développement » monter de 4 865 à 8 141 millions. Parmi eux, les 48 États les plus pauvres pourraient gagner 1 172 millions, mais je suis très sceptique sur l’exactitude de ce calcul, pour les raisons que j’ai exposées plus haut.

Si l’on choisit de nouveaux critères pour définir le développement, les conclusions changent sensiblement. Prenons par exemple les 49 États (peuplés d’un million d’habitants au moins) dont le PNB par tête, calculé à partir du pouvoir d’achat, dépasse la moyenne mondiale (6 650 dollars en l’an 2000)  leur population cumulée était de 1 571 millions en 2001, elle devrait atteindre 1 768 millions en 2025  et leur part descendre de 25,6 % à 22,6 %, recul bien moins marqué dans le calcul précédent, d’autant plus qu’entre-temps le nombre des pays relativement riches aura augmenté.

En conclusion, pour répondre à la question posée, il est clair que la croissance démographique va se poursuivre à l’échelle mondiale, sauf catastrophe majeure, au moins jusqu’en 2050, portant alors la population mondiale à 9 milliards environ  mais le plus important est que cette croissance sera différentielle selon les continents et les États.

Les changements vont être lents, mais puissants et irrésistibles. Ils vont bouleverser le visage démographique de la planète, au détriment de l’Occident  mais il subsiste dans ces pronostics une marge d’erreurs et d’incertitudes, qui s’élargit avec la perspective.

Texte des débats ayant suivi la communication