Séance solennelle du lundi 17 novembre 2003
par M. Emmanuel Le Roy Ladurie,
Président de l’Académie des Sciences Morales et Politiques
Le pire… Le meilleur… Notre année académique a oscillé entre ces deux pôles, au gré des communications qui ont composé le programme de l’année académique dont je ferai la synthèse dans un instant.
Mais notre vie académique elle-même, au gré des circonstances, a elle aussi oscillé. Le pire… Le meilleur… Bien sûr, le pire, ici, ne saurait concerner les personnes – l’Institut de France étant Temple de l’excellence. Le pire, pour nous, c’est le départ des confrères que nous avons côtoyés au cours de nos séances et dont nous regrettons l’absence aujourd’hui : Giovanni Agnelli, correspondant de notre Académie, décédé le …, et surtout notre chère Alice Saunier-Séïté, disparue au début du mois d’août. Sa force d’âme, sa combativité, mais aussi son sens aigu de l’amitié auront su charmer notre Compagnie au cours des huit années qu’elle y siégea avec assiduité.
Le meilleur maintenant… Bien évidemment l’arrivée parmi nous de nouvelles personnalités. Depuis notre séance solennelle de l’an dernier, deux membres ont été élus : Monsieur Bernard Bourgeois, philosophe, qui succède à Olivier Lacombe, et Monsieur Christian Poncelet, Président du Sénat, qui succède à Bernard Destremau. Nous sommes fiers de les compter désormais au sein de notre Compagnie. Enfin, en juin dernier, Monsieur John Rogister, historien britannique, spécialiste du XVIIIe siècle français, est devenu correspondant de notre section Histoire et Géographie.
L’Académie est une assemblée de pairs, qui ne souffre qu’un seul classement : celui par spécialité dans le cadre de nos six sections. En revanche, comment classer la foule de personnalités et de caractères qui, semaine après semaine, ont été évoqués dans nos séances.
On me permettra de placer cet exposé sous le signe de Gianbattista Vico, brillamment explicité, ici même, face à notre Académie, par M. Alain Pons. Vico a proposé une série de classifications à sept termes, plus riche, somme toute, que le vieux système trifonctionnel à trois termes cher à Dumézil. Vous vous souvenez, la fonction cléricale, première fonction dumezilienne ; les nobles militaires, deuxième fonction ; les paysans, ou tout simplement le peuple, le tiers état y compris les bourgeois, disons oratores, bellatores, laboratores : ceux qui prient, ceux qui font la guerre, ceux qui labourent la terre. Braudel me disait un jour, avec beaucoup d’éloge dans la voix : Dumézil a eu trois très grandes idées dans sa vie : la première fonction, la deuxième fonction, la troisième fonction – celles que je viens d’énumérer. A vrai dire qui d’entre nous ne serait pas ravi d’avoir eu au moins trois idées importantes dans son existence.. C’est le plus bel hommage qu’on puisse rendre à l’immense savant qu’était Dumézil.
Néanmoins Braudel-Dumézil, ce sont là jeux de princes qui passent très au-dessus de la tête des modestes mortels, sinon immortels que nous sommes. Revenons en conséquence à Vico. Sa série se décline comme suit : 1) les Géants ou les Monstres ; 2) Les dieux ; 3) Les héros ; 4) le peuple et sa culture – incidemment les dieux, les héros, le peuple, ce sont les trois fonctions dont je parlais tout à l’heure ; 5) les Républicains ; 6) la Monarchie, éventuellement impériale ; 7) toujours, hélas, en fin de parcours, les femmes dont l’action, selon Vico reproductive, et qui n’est pas que cela bien sûr, tant s’en faut, donc l’action feminine et familiale traverse, inévitablement les 6 catégories précédentes , ce qui après tout, est tout à l’honneur de l’élément féminin en question.
Dans la liste des personnages, personnalités, caractères, qui ont je l’espère illustré notre année academique , la place des Géants, ou plutôt des Monstres, serait à chercher – le numéro Un de Vico – du côté de personnages plutôt sinistres, les fameux monstres en question, même si ces hommes ne sont pas entièrement des monstres, de personnages comme Hitler ou Staline. Mais il ne serait pas convenable de commencer ce rapport, d’aujourd’hui, par le nom du chef national socialiste, ou du dictateur de l’URSS. C’est pourquoi je débuterai cet exposé par les hommes de Dieu – André Damien nous a superbement parlé de Jean-Paul II – peut-être rappellerai-je simplement ici deux épisodes de la vie ou de l’action de cet homme, Wojtyla , à la fois homme de paix et tombeur d’un certain soviétisme. Il a refusé une condamnation ex-cathedra de l’athéisme communiste, parce que, lui, Jean-Paul II, souhaitait que tout vienne, que tout procède d’une pure et simple et intime conviction intérieure. Il s’est opposé aussi au concept trop égalitaire à son gré de peuple chrétien ou de peuple de Dieu, car la vieille notion de hiérarchie ecclésiastique et autre lui paraissait plus essentielle ou fondamentale. Faudrait-il dire de la part de Jean-Paul, de Wojtyla, un coup à droite, exaltation de la hiérarchie, un coup à gauche, refus d’une condamnation simpliste de l’athéisme communiste ; ce serait évidemment trop simple. trop simpliste .
Je m’aperçois que j’ai évoqué le Jean-Paul II de notre confrère Damien avant de mentionner et plus que mentionner l’excellent Dieu de M. Régis Debray. Je ne puis que citer sa conclusion, la conclusion de Debray, toujours précise et pleine d’humour, comme si souvent dans la prose que j’appellerai ” régissienne ” ; Régis Debray, disais-je – c’est lui qui parle – Debray déclare en évoquant Voltaire, déiste anticlérical :” Dieu, écrit Voltaire, a fait l’homme à son image, et l’homme le lui a bien rendu . Un humaniste respectueux des divins mystères – Debray en personne sans doute – serait plutôt tenté de renverser la vapeur. L’homme a fait Dieu à son image, et le Dieu de Moïse et de Josué, de saint Vincent de Paul et de la Saint Barthélemy, de Ib’n Arabi et de Ben Laden le lui a bien rendu. Parfois même au centuple. ” Vous voyez que les diverses faces du problème divin , le meilleur et le pire sont abordées avec impartialité et générosité par M. Régis Debray.
Des hommes de Dieu, passons aux héros. De Gaulle s’offre à nous, tout naturellement, grâce à notre chancelier Messmer qui nous a donné, en fonction de son expérience personnelle, un admirable De Gaulle en direct. L’expérience de M.Messmer fut assez héroïque, elle aussi, à divers moments tout à fait fondamentaux. Il reste que pour moi l’un des plus grands mérites de De Gaulle, vers la dernière partie de sa vie, c’est d’avoir donné à la République une colonne vertébrale quelque peu monarchienne ou monarchisante, en l’occurrence, celle du président de la République, style Cinquième République en effet. Ainsi aurons-nous eu dans toute notre histoire 5 dynasties, 5 races, comme on disait autrefois, 5 dynasties à la tête du pays, les Mérovingiens, les Carolingiens, les Capétiens et les Républicains, en la personne, tout dernièrement, des 4 chefs d’État qui ont succédé à De Gaulle lui-même. Leurs noms sont sur toutes les lèvres : Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac.
Le peuple et sa culture, troisième catégorie de Vico. Henri Amouroux a évoqué pour nous le peuple français, spectateur et de l’histoire entre 1940 et 1944 ou 45. Peut-être pour moi la date la plus essentielle, au cours de ce quadriennat ou de ce quinquennat est-elle novembre 1942, première quinzaine de ce mois, quand Stalingrad est encerclé, quand les Américains débarquent en Afrique du Nord, quand Rommel doit plus ou moins se retirer de toute une partie de la Libye, quand le sort de la guerre , de la Seconde Guerre mondiale, pivote en somme comme une scène de théâtre, mais ce n’est pas du Feydeau, c’est plutôt du Shakespeare. Dans son Journal plus ou moins intime, dès ce moment, avec lucidité, Drieu la Rochelle annonce qu’il va se suicider et vous savez qu’il a tenu parole. Et Josée Laval, comtesse de Chambrun, désespérée, croit revivre, mais dans le vice versa, les heures tragiques de mai-juin 1940.
Le peuple et sa culture… Ici prend place l’excellent exposé de M. Stasse sur la Bibliothèque nationale de France, en tant que personnage ou personnalité collective. Cette Bibliothèque, avec ses zones d’ombres, l’architecture de l’établissement n’est pas fonctionnelle, même si à l’usage elle acquiert une sorte de dimension gaullienne ; mais l’informatisation des catalogues, le confort intérieur, la richesse livresque immense de la maison, en font à bien des égards une grande réussite appréciée notamment par beaucoup d’étudiants venus des USA, y compris ceux de l’université de Chicago qui vient d’acquérir un ensemble foncier important, paraît-il, à proximité de l’ex-TGB de Tolbiac.
Le peuple et sa culture, dans l’esprit de Vico toujours, je ne puis préjuger de ce que sera sûrement le grand exposé de M. Fumaroli sur l’avant et l’après Révolution française, au gré de Chateaubriand , étude de caractère ; sinon, et c’est maintenant moi qui m’exprime, sinon pour dire, à propos de la Révolution française, qui sera quand même au centre, avec Chateaubriand, de l’exposé de M. Fumaroli, si non pour dire ce qui est je crois le sentiment de beaucoup de membres de cette Académie : la Révolution française est incontournable comme transition de l’Ancien Régime à une démocratie encore lointaine qui, comme l’a dit Furet, ne connaîtra tout à fait son avènement qu’à partir de 1880 ; mais c’est une Révolution aussi, parfois déraisonnable, dérapée, selon le mot de Richet et de Furet, lors des années sanglantes du robespierrisme.
Le peuple et sa culture à la Vico, toujours, Alain Besançon sera certainement surpris d’être placé par mes soins sous cette rubrique, qui n’est vraiment pas sa tasse de thé. Besançon a pourtant souligné, de façon convaincante l’anomisme ou l’antinomisme hyperchrétien du grand écrivain russe, Dostoïevski, ses délires, ses mensonges et ses folies qui deviennent ensuite sous d’autres regards, sous d’autres cieux, la vérité et la sagesse dostoïevskienne en effet , parmi nous notamment.
Nous en arrivons maintenant à l’immense troupe de ce que Vico appellerait les Républicains. Mais en fait il faudrait y inclure une population beaucoup plus vaste, les hommes d’État des démocraties, certes, mais aussi les pas vraiment républicains, les dictateurs que nous avons évoqués en une troupe assez bigarrée, parmi lesquels quelques-uns des monstres dont j’ai évité de parler au début du présent exposé pour ne pas inaugurer mon discours par une redoutable fausse note.
Je me référerai d’abord, parmi les Républicains authentiques, au très beau Jean Monnet, de Jean-Claude Casanova, qui nous a tenu en haleine toute une séance, puisque son exposé, l’exposé de M.Casanova, se composait en réalité tout comme du reste l’exposé de M. Messmer, d’une conférence proprement dite , et d’une longue reprise , non moins éloquente que la conférence elle-même. Jean Monnet est par excellence l’homme de l’ouverture, au sens où Bergson, dans ses Deux sources de la morale et de la religion, et Karl Popper dans son Open society and its ennemies,où Popper donc proposait un thème de l’ouverture en histoire. Jean Monnet, et je suis ici le raisonnement de Casanova, je l’espère, c’est la triple ouverture, ouverture tolérante aux divers courants politiques et idéologiques qui composent notre paysage et notre théâtre intellectuel, et qui forment l’Europe, laquelle fut l’un des soucis essentiels, nous le savons, de Jean Monnet. En second lieu, ouverture aux puissances maritimes, protestantes, libérales, et capitalistes, l’Angleterre, les Etats-Unis qui ont dominé toutes une partie fort importante de la biographie de Jean Monnet. Enfin ouverture à l’essor, et à la croissance économique avec le plan, aujourd’hui démodé certes, mais cette préoccupation, planiste ou planistique, dans l’immédiate après-guerre a certainement dominé une part considérable des activités de celui qui fut l’un des pères du plan Schuman, Charbon-Acier, et de tant d’autres initiatives. Je n’insisterai pas, bien sûr la chose va de soi, sur l’exposé de notre confrère Michel Albert, exposé qui est encore à venir, et qui terminera notre année relativement à Robert Schuman, sinon pour dire que ce même Schuman, est peut-être mûr pour la béatification, voire la canonisation, puisqu’il est mort, dit-on, après une vie admirable de créativité politique au cours de laquelle Schuman avait, à ce qu’on m’a raconté, préservé entièrement, la pureté de son baptême, ou comme disait autrefois le duc de Saint-Simon, ” avait préservé son innocence baptismale “. Il en irait de même, du reste, de Newton, semble-t-il.
Dans un esprit assez différent, le Mitterrand de M. Pierre Péan, a été un moment tout à fait essentiel de nos communications de l’année. On me permettra ici un excursus sur ma façon de voir la question en ce qui concerne celui qui fut le troisième président de la Cinquième République. J’étais, en ce qui me concerne, plutôt opposé à ce personnage capital , de son vivant. Mais maintenant post mortem, je lui reconnais au moins trois mérites essentiels.
Le premier mérite, quels que soient les défauts de l’institution, c’est je le répète, notre BNF dont j’ai déjà dit quelques mots en pesant le pour et le contre, et quand même majoritairement le pour, dans la lignée de M. Stasse. Mitterrand, comme jadis Louis XIV ou Colbert est le seul chef d’État au monde qui laisse derrière lui une formidable bibliothèque. Le mérite est suffisamment extraordinaire et authentique pour être digne ici même d’être signalé. En second lieu, de par son amitié, semble-t-il, avec Kohl, il a contribué au montage ou au remontage, et au fonctionnement de ce qu’on appelle, d’un terme un peu forcé, le ” moteur ” franco-allemand. Nous avons eu l’honneur de décerner à Kohl l’une de nos plus importantes distinctions, et il était normal ici d’associer son nom à celui de Mitterrand. Enfin Mitterrand est l’un des pères de l’Euro, et je persiste à penser, malgré les difficultés qu’implique cette monnaie surévaluée pour nos exportations, je persiste à penser qu’il s’agit là d’un formidable progrès de l’Europe unie. Souhaitons qu’un jour, le Danemark par exemple, comprenne ce progrès et que l’adhésion d’un nouveau pays, un petit pays peut-être puisse ensuite déterminer les plus grands, Angleterre en tête à suivre la même route. Il est vrai qu’après les nouvelles élections à la direction du Parti conservateur, on peut sans doute se poser quelques questions à ce sujet.
Le point de vue de M. Péan sur Mitterrand s’adressait bien davantage au passé de cet homme d’État. M. Péan a souligné le goût de Mitterrand pour l’histoire, et son amour pour la patrie française. Surtout s’agissant d’un homme dont les convictions étaient parfois fluctuantes ; on notera avec Péan l’attachement viscéral de Mitterrand à l’existence même d’Israël, et son désir, en même temps, de rendre justice aux Palestiniens sous la forme peut-être d’un État qui reste encore à créer.
Nous rangerons, sans doute possible à mon sens, M. Gorbatchev dans la catégorie des démocrates ou des républicains qui nous occupent en ce moment , se fussent-ils rendus dignes de cette titulature un peu sur le tard. Et sur ce point, je ne puis que citer la belle conclusion de M. Soutou :” Malgré toutes les critiques qu’on peut lui faire, le grand mérite de Gorbatchev devant l’Histoire sera d’avoir compris le caractère inéluctable d’un bouleversement qu’il avait lui-même lancé, même s’il dépassa ses intentions initiales, et d’avoir accepté que ce bouleversement se produise sans effusion de sang en Allemagne ou en Europe orientale, et en URSS même de façon beaucoup moins dramatique que l’on ne pouvait le craindre. Quant à sa volonté, progressivement clarifiée, de sortir du communisme mais de façon ordonnée et sans rupture brutale, elle pose une question de fond passionnante sur le communisme soviétique lui-même : était-il ou non capable de se transformer de façon à aboutir à quelque chose de tout à fait différent? Sur le plan théorique on peut en douter; mais sur le plan historique pratique, si on constate que Gorbatchev n’a pas pu éviter une rupture, au lieu de la transition qu’il souhaitait, on constate également que la société soviétique, dans une complexité qui nous apparaît aujourd’hui plus clairement, était capable de sécréter des anticorps et que l’Homo sovieticus n’avait pas tout envahi. Sans oublier bien sûr la fermeté et en même temps l’ouverture de la politique occidentale depuis 1947, selon l’inspiration définie dès le départ par Georges Kennan, visant à résister prudemment à l’URSS pour l’amener à se transformer de l’intérieur: sans cette politique, pas de Gorbatchev. “Qu’en est-il maintenant après les événements que vient de vivre la Russie ?
Nous en arrivons maintenant à une tout autre catégorie, celle des dictateurs. M. Milza nous a donné un portrait tout en nuances de Mussolini qui nous change des simplifications habituelles et manichéennes. Milza a intégré les analyses fondamentales de De Felice, vraisemblablement le plus grand historien italien, ou l’un des plus grands du XXe siècle sur le consensus – consenso – qui a entouré le chef fasciste à son apogée du début des années 1930. Pourtant la scène mussolinienne la plus intéressante et la plus importante peut-être ,décrite par Milza, se trouve dans la biographie du Duce, rédigée par ce même auteur. C’est la scène au cours de laquelle, en septembre 1943, Hitler déclare à Mussolini que si celui-ci (Mussolini) n’accepte pas de reprendre le pouvoir, lui, Hitler, mettra à exécution son plan primitif consistant à détruire par bombardements Gênes, Turin et Milan. Vous remarquerez le goût exquis du Führer, qui n’envisage pas de raser Florence, ni Venise, ni Rome. Et qui plus est, le même Führer traitera le peuple italien, comme un peuple esclave. Et Milza d’ajouter, page 841 de sa biographie de Mussolini : Face à cette menace de polonisation de l’Italie, Mussolini n’avait guère d’autre choix, je souligne, que celui de se soumettre aux desiderata du Führer dit Milza . Mais donner ainsi, comme le fait M. Milza, donner ainsi sur ce point raison à Mussolini, n’est-ce pas risquer que soient proposées des justifications analogues quant aux comportements d’autres gouvernements, dans d’autres pays d’Europe, éventuellement voisins de l’Italie cisalpine ou transalpine. En tout cas, ceci représente pour moi une nouvelle motivation pour dire à M. Milza toute l’admiration que je porte à son exposé parmi nous et à sa belle biographie de Mussolini, qui n’est certainement pas indigne des travaux de De Felice.
Le Franco de M. Benassar est-il justiciable d’une analyse analogue. Au lieu des banalités sur les Blancs qui sont mauvais et les Rouges qui sont bons, banalités qu’on retrouve même hélas dans des discours d’hommes d’État importants, M. Benassar s’est efforcé de nous servir un Franco découpé en tranches successives, un peu comme le melon de Bernardin de Saint-Pierre que le créateur avait pourvu de côtes, afin qu’il put être mangé en famille. Il y a la tranche des années 1930 où un Franco évidemment des plus contestables, le mot est beaucoup trop faible, s’oppose à une révolution espagnole qui prend par moments, on ne le souligne pas assez, des allures de processus soviétique. Puis vient la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle de très nombreuses exécutions de Républicains sont accomplies qui déshonorent bien sûr le régime franquiste. Enfin, progressivement, vient l’époque de la croissance d’après guerre, y compris sous le régime franquiste, puis au-delà sous Juan Carlos. Dirai-je que quand je visitais Barcelone en 1950, déjà, j’ai eu l’impression de pénétrer dans une capitale européenne. Et puis quand j’y revins quarante années plus tard, certaines rues de cette grande et belle ville avaient plutôt des allures de cavernes de brigands.
Quoi qu’il en soit M. Benassar parle de la guerre civile espagnole comme d’ une sorte d’ordalie, dont sortira beaucoup plus tard cette Espagne moderne que nous aimons et que nous admirons. Même si bien sûr M. Aznar, pour lequel nous avons beaucoup d’estime, peut parfois, c’est inévitable, susciter certaines objections.
Le Lénine de M. Nicolas Werth est sans concessions. Werth voit dans le prédécesseur du Géorgien, voit dans Lénine l’inventeur de la police politique et du premier Goulag des îles Solovsky. Il ne reste pas grand-chose du leader qu’on croyait lucide , ni de la statue de Lénine, ainsi déboulonnée une fois de plus par Werth, il ne reste pas grand-chose de ce que des générations de communistes ont voulu présenter, au point de départ du système soviétique, comme un antidote léniniste , préalable à un stalinisme détestable.
Sur Staline, M. Stéphane Courtois ne peut s’empêcher de pousser, si je peux dire, de longs cris d’admiration. Quel prodigieux organisateur que ce Joseph Vissarionovitch ! M. Courtois, bien sûr, n’est en rien stalinien, mais il considère que Staline était parfaitement programmé pour accomplir la sinistre besogne qui laissera la Russie dans l’état délabré où elle était encore il y a peu. Mais, bien sûr, les choses changent et, espérons-le, vont changer encore très vite. C’était du moins ce que j’espérais il y a quelques semaines ; Dans quelle direction, dans quel sens, il serait difficile de le prédire, et le moment n’est point propice en ces lieux pour proposer ce genre de prospective .
Sur Hô Chi Minh, cet autre président-dictateur, je crois qu’il faut quand même employer ce syntagme comme on disait dans le vieux temps , Mme Dulong-Sainteny nous a donné un très beau texte qui condense notamment une grande partie de son expérience personnelle au Vietnam, qui condense aussi de nombreuses et savantes lectures de la part de cette éminente historienne .
Nous avons plus de chance encore que nous ne pensions en ce qui concerne cet étonnant personnage que fut Hô Chi Minh, (même si les Vietnamiens ont eu parfois moins de bonheur avec lui ) puisque vient de paraître une interessante biographie d’Hô Chi Minh, biographie due à M. Brocheux. Hô Chi Minh est incontestablement un grand homme quant au Nation building, un grand homme souvent cruel, pourquoi ne point le dire, et ne faisant pas toujours beaucoup de cas de la vie humaine, fut-ce par personne interposée. On nous dit que les amis de l’oncle Ho ” exécutèrent “, la phrase est de M. Brocheux, les trotskistes vietnamiens. Ne pourrait-on s’exprimer plus clairement et faire remarquer que ceux-ci furent tout simplement assassinés ?
Mme Dulong-Sainteny est parfaitement consciente de l’essence totalitaire, oppressive, et goulaguisante de certains aspects du régime politique, installé au temps de ce leader. Reste que cet étonnant personnage , Ho , aimait les fleurs, qu’il écrivait de jolis poèmes sur Confucius , et que son récent biographe a pu de la sorte en faire une personnalité complexe et séduisante, à mi-chemin de l’archipel du Goulag de Soljenitsyne et des petits vieillards modèles de la comtesse de Ségur.
Sur Mao Tsé-toung, Mme Bastid Bruguière a eu de singuliers mérites : il lui fallait à la fois ressusciter un personnage dont l’essentiel des actions était presque inconnu de beaucoup d’entre nous, et en même temps tirer de lui les idées générales et les conclusions de portée universelle qu’on attend d’un conférencier parlant de De Gaulle ou de Bismarck, deux hommes qui sont l’un et l’autre plus proches de notre culture , et là aussi, je ne puis mieux faire que de citer la conclusion de Mme Bastid : “Les souverains préférés de Mao étaient les empereurs qui par les convulsions de transformations brutales avaient frayé la voie à l’âge d’or des Han et des Tang. Ce fut peut-être la fonction de Mao. Avec Chiang Kai-shek, il a été le premier autocrate chinois modernisateur et occidentalisant. L’imagination politique a fait la victoire de Mao, sa grandeur et les aberrations meurtrières de son règne. Cette imagination nourrie chez lui, sans l’ombre d’un complexe ou d’un doute, par le sentiment absolu de son identité chinoise, par une totale confiance dans la puissance de cette identité ; n’a-t-elle pas, en définitive, aguerri les forces populaires d’une renaissance nationale, libératrice et moderne ? C’est ce qu’exprimait à la veille de sa mort, lors de la manifestation d’opposition sur la place Tiananmen le 5 avril 1976, un poème de protestation contre le régime de Mao :
La Chine n’est plus la Chine de jadis
Le peuple chinois n’est plus ignare
La société féodale du Premier empereur est à jamais révolue.”
Hitler, il faut bien y venir : aux excellents développements que propose M. Burin, je me conterai d’ajouter quelques suggestions qui venant du non-spécialiste que je suis risquent de paraître éventuellement déplacées.
Je crois d’abord que Hitler est un révolutionnaire au sens le plus déplorable, le plus détestable de ce terme. Je vois dans notre histoire européenne, ou même plus qu’européenne, trois groupes de révolutions qui constituent le passage progressif de l’Ancien Régime à cette démocratie dont je parlais tout à l’heure ; la révolution anglaise de 1640 – 1688], la Révolution française et les paraphernalia qui l’entourent ; enfin les révolutions européennes qui courent de 1917 à 1945, et qui ont jeté bas l’Ancien Régime dans la plupart des pays d’Europe, et dont Hitler est évidemment, hélas, l’une des parties prenante, il en est même l’un des coryphées, je le répète tout à fait haïssable.
En second lieu, il me semble, et vous me pardonnerez d’enfoncer cette porte ouverte, qu’Hitler est un esprit faux , même supérieurement doué et intelligent à certains égards.
En 1941, il attaque l’URSS et décrète que ce pays s’effondrera comme un château de cartes ou comme un château de sable. Ses espérances sur ce point ayant été réfutées ou déçues, il déclare qu’au fond lui, Hitler, ne regrette pas quand même de s’être trompé de la sorte, parce que s’il avait mieux apprécié la puissance de l’URSS, il n’aurait pas attaqué ce pays. Or sa mission, en quelque sorte, tracée depuis Mein Kampf, consistait à attaquer et à envahir et à occuper la Russie pour y installer la Grande Allemagne, et il était donc bon, ajoutait le Führer, qu’il se soit lui-même trompé, puisque ainsi, se nourrissant d’illusions, il avait procédé sans crainte à cette offensive, indispensable de toute manière dans la perspective historique allemande, voire européenne qui était celle du Fuhrer ; offensive qui s’était avérée beaucoup plus difficile à mettre en œuvre qu’il ne le croyait et qui comme vous le savez, mais cela c’est la suite de l’histoire, s’est terminée de façon effroyable, à tout point de vue.
Les dictateurs, encore, ou les collaborateurs des dictateurs. Goebbels, dont nous a parlé avec talent Marc Ferro, à propos des problèmes de propagande. Immonde salopard, certes, c’est le moins qu’on puisse dire ; canaille, comme l’appellera Joachim Fest, Goebbels n’en est pas moins l’auteur d’un prodigieux Journal de 15 000 pages, en une langue allemande relativement facile, et qui comme telle ne sera jamais traduit en français intégralement, tandis qu’on traduit le moindre propos de table de Marx ou de Freud. Et pourtant, nous sommes fascinés en lisant ce Journal publié par les éditions scientifiques allemandes, par des éditeurs nullement pronazis, bien entendu, il est fascinant de suivre jour par jour, à raison de cinq, six, ou même dix pages par journée, chaque jour, en effet, de la Seconde Guerre mondiale. Le récit par Goebbels de la soirée entre amis des 5/6 juin 1944, à la veille du débarquement, où Eva Braun est venue s’occuper de la tension du Führer est un véritable morceau d’anthologie pour qui comme moi fut témoin oculaire, le lendemain, sinon du débarquement lui-même, mais des premières conséquences de ce débarquement allié, de bon augure certes mais tragique au regard des populations civiles ; ce débarquement allié dans ma Normandie natale libérée par les soins des Anglo-Américains.
Les rois maintenant, et leurs ministres.
Louis XIV, nous fut présenté deux fois par l’excellent exposé de M. Petitfils, et par ce grand éditeur qu’est Denis Maraval lequel, au titre des biographies sur lesquelles il s’est exprimé avec beaucoup de talent, avait publié jadis l’excellent Louis XIV de Bluche.
La Révocation, tous nos auteurs, M. Petitfils lui-même et Bluche bien entendu le soulignent , fut certainement l’erreur cardinale du Roi-Soleil, un peu comme l’expédition des Dardanelles fut l’erreur capitale de Churchill. Il est vrai que l’Europe française du Siècle des Lumières est un peu le résultat, la fille putative de cette Révocation, les Huguenots, hélas exilés, ou s’exilant eux-mêmes s’étant empressés d’exporter dans les pays voisins, comme autant de professeurs de français la connaissance de notre langue. Il est vrai aussi que la Révocation louis-quatorzienne s’inscrit dans un contexte européen, certes peu sympathique à certains égards , lui aussi, contexte qui tourne autour de la Constitution de l’État moderne, par éradication des différences religieuses. Éradication qui du reste n’a pas réussi. Les Anglais en Irlande, les Autrichiens vis-à-vis des Turcs, les Russes à l’égard des vieux croyants ne se sont pas mieux comportés que ne firent les dragons casqués et bottés du roi de France convertisseur des calvinistes.
Mais bien sûr ceci n’est pas une excuse, la France étant la nation matricielle (au point de vue du concept nationalitaire ) de toutes les autres nations, la France ayant créé le modèle national, se devait de donner l’exemple d’une conduite tolérante et ouverte. Elle se devait d’être le bon élève de la classe. Le moins qu’on puisse dire, est qu’elle ne s’est pas engagée immédiatement dans cette direction. Même si par la suite, la tolérance au XVIIIe siècle, jusqu’à l’édit d’officialisation des protestants de 1787, la tolérance a retrouvé une grande partie du vaste espace qu’ Henri IV déjà lui avait offert deux siècles auparavant .
De l’œuvre de M. André Zysberg, l’un de nos communicants, j’évoquerai bien sûr le bel exposé qu’il nous a donné sur la marine au temps des trois Rois : Louis XIV, XV et XVI. Mais je voudrais signaler également l’apport considérable qui fut le sien quant à notre connaissance du régime de Louis XV ; lors de son exposé d’abord, et dans un livre en tout point remarquable consacré à ce sujet. M. Zysberg est le premier à avoir montré par les chiffres de galériens qu’il a donnés, ceci dans sa thèse, que les envois des Huguenots aux galères s’effondrent en tant que nombres, en tant qu’effectifs de ces malheureux , à partir de 1713-1715, et sous la Régence et sous Louis XV. Les règlements draconiens antiprotestants pris par le duc de Bourbon en 1724 contre les calvinistes ne sont pas réellement appliqués à la lettre, même si, hélas, des pasteurs sont encore mis à mort.
M. Zysberg est aussi l’un des premiers à avoir remarqué le mouvement de bascule, d’alternance, qui a emporté le règne de Louis XV, tantôt vers le clan des faucons ou des durs à la d’Argenson, au milieu du XVIIIe- le comte d’Argenson -, et Maupeou aussi un peu plus tard ; tantôt aussi parmi les hommes d’État plus modérés et plus ouverts, comme Fleury et Orry au début du règne, et Choiseul ; voire Turgot après la mort de Louis XV.
M. Chaussinand-Nogaret nous a dépeint un Louis XVI qui certes, avait su magnifiquement mener sa guerre d’Amérique, avec Vergennes – peu de gratitude nous en revient aujourd’hui des Etats-Unis -, mais cette victoire américaine , comme on dit à Bordeaux , fut la première et la dernière guerre gagnée par la France à l’encontre des Anglais en moins de cent ans. Ceci méritait d’être signalé. ; Ultérieurement Louis XVI fut incapable par aboulisme, dirai-je, par maladie de la volonté, de faire face aux flux révolutionnaires de 1789-1792. Remarquons quand même à ce propos que des souverains certes plus ou moins doués selon les cas, comme Pie IX en 1848, ou Guillaume II, Nicolas II, Louis Philippe, Napoléon III, ne se sont pas montrés capables, eux non plus, de résister à ce que les Anglo-Saxons, sans aucune connotation péjorative appellent une vague scélérate révolutionnaire, ces vagues de 30 mètres de haut qui sont susceptibles d’engloutir d’un coup un pétrolier géant, ou du moins de la casser, de le briser ; à plus forte raison , susceptibles de briser l’Ancien Régime.
Que dire de Pierre le Grand ( nous sommes toujours dans le chapitre des rois et des empereurs ), sinon paraphraser ce qu’a énoncé avec beaucoup de talent M. Berelovitch en sa communication savante. Je retiens l’image de Pierre, tenant dans ses bras l’enfant Louis XV âgé d’une dizaine d’années lors de la visite de Pierre le Grand en Europe occidentale. Va-t-il le lancer au plafond ce petit Louis XV pour qu’il se fracasse en retombant sur le plancher. Heureusement non. Mais l’œuvre du tsar autocrate et réformateur reste tributaire de ce que deviendra ultérieurement la grande Russie, passant du zéro à l’infini, et de l’Etre au Néant, jusqu’à des résurrections, fussent-elles problématiques parfois , jusqu’en notre époque. ” Faut voir d’où ils viennent “, disait-on des Russes. C’est l’éternel propos des admirateurs de Pierre le Grand au XVIIIe siècle, des communistes français vers 1950-60, et de ceux qui font aujourd’hui confiance ou non à la Russie poutinienne en notre temps.
Après les Rois et les empereurs, ou avant eux, viennent les serviteurs de la monarchie ou des monarchies. J’en dénombre trois dans nos Annales académiques de 2003 : Bismarck, Churchill, Thatcher. Bismarck, en dépit ou à cause des magnifiques contributions de M. Bled, je ne pourrais pas tout à fait à ce Bismarck, moi, personnellement, je ne pourrai pas entièrement lui donner l’absolution, ou le Bon Dieu sans confession. Certes Bismarck a su éviter la guerre sur deux fronts, dans laquelle pataugeront sur le mode sanguinaire ses successeurs plus ou moins immédiats, tant Guillaume II qu’ Hitler. Certes, Bismarck a su être multilatéral et non pas unilatéral comme on dit de nos jours. Mais c’est au fond afin de mieux nous embêter, nous, les Français. Disons pour enfoncer une porte ouverte que je préfère infiniment Adenauer, Schmidt, Köhl, Schröder, grands amis de la France. Ma mère n’aimait pas Frédéric II ; pour ma part, je n’apprécie qu’à moitié le chancelier de fer. Je le vois toujours à travers la ligne bleue des Vosges , comme les protestants voient Louis XIV à travers la ligne bleue des Cévennes .
Churchill, on l’admirera pour sa politique, raide comme barre, certes, au meilleur sens du terme, pardonnez-moi M. le Premier ministre, de cette évocation nominale, et néanmoins, comme l’a montré M. Anthony Rowley, Churchill a fait bêtise sur bêtise, avant de devenir sur le tard le très grand homme que nous savons. Et puis ses bons mots, fussent-ils de mauvais goût sans aucun doute, mais le mauvais goût peut être la marque du génie, qui se permet toutes les licences. L’un de ses bons mots, à propos d’Hitler et Staline : ” We have killed the wrong pig ” (Nous avons tué le mauvais cochon), disait-il à propos d’Hitler, regrettant de n’avoir pas tué Staline aussi par la même occasion à la manière de ces chasseurs normands ou chinois du temps jadis qui d’une seule flèche d’arbalète, transperçaient en vol deux canards sauvages. ” The Wrong Pig “, le mauvais pork ou le faux cochon serait-ce aujourd’hui Saddam Hussein ?, dont on peut se demander si c’est à lui d’abord, ou à lui surtout qu’il fallait porter les premiers coups.
Mme Thatcher, enfin, fera transition avec les femmes, dernière catégorisation un peu sacrifiée comme toujours, hélas, de Gianbattista Vico. Dépeinte avec beaucoup de science par Mr Chasseigne ( vérifier l’orthographe) cette dame ferrugineuse a remis l’Angleterre sur pied, même si, à propos de l’Europe unie en général, et de la France en particulier, la chère Margaret fut de temps à autre insupportable.
Jeanne d’Arc, avec notre cher et grand confrère Contamine, n’est pas en reste ; non point d’insupportabilité thatcherienne ,, mais de grâce mystique. J’ai encore les oreilles remplies du vacarme récent d’un film à propos de cette Sainte, un film qui du reste ne m’a pas laissé indifférent. C’est en effet, pour en revenir à ce que je disais à l’instant, le mysticisme international de Jeanne d’Arc, mysticisme français, mais aussi exaltation sainte se répercutant sur l’Italie, que M. Contamine a souligné. A propos de cette belle période des étés chauds, c’est l’historien du climat qui parle, à propos de ce coin de ciel bleu, de cette culotte de gendarme qui s’étend de 1417 à 1435, et dans le cadre de laquelle s’insère la Geste de Jeanne.
Les reines de France, illuminées par la science de notre jeune et charmante contributrice Mme Cosandey, nous ont donné par sa voix un tableau des rites à la Giesey – c’est le grand historien américain des funérailles royales -, mais cette fois, il ne s’agit plus d’inhumation, bien plutôt de la ritualisation du cursus de ces grandes bonnes femmes, reines ou régentes de France, ou simplement conseillères du Pouvoir, comme Anne de France, chère à notre Secrétaire perpétuel, ou Catherine de Médicis, qui l’une et l’autre, ont exploré les chemins d’un étatisme ouvert ; Anne d’Autriche, enfin, en son couple paradoxal , son couple italo-castillan, et peut-être platonique, quoique Mme Dulong n’en tomberait pas nécessairement d’accord, couple italo-castillan, Anne et Mazarin, Anne et Jules faudrait-il dire, M. Chaunu m’avait reproché cette expression qui n’était pas de ma part , désobligeante, Anne et Jules, ouvrant la voie, pavant la route comme disent les Britanniques , pour un absolutisme new-look (vous me pardonnerez de prononcer ces quelques mots d’anglais, certes sacrilèges dans une coupole qui en principe est à 100 % francophone).
Il nous restera encore à prendre connaissance de Trotski et des trotskistes, notamment en France, dans un exposé presque de fin d’année de Marc Lazar. Cet exposé stimulera sans doute pour le mieux nos réflexions, en un pays où le trotskisme qu’on a longtemps considéré comme une pure et simple secte , accueille dorénavant, ou recueille dorénavant, un bon dixième, 10 % au moins des suffrages exprimés. Ce qui, nous le reconnaîtrons, n’est pas du tout un pourcentage sectaire, même si l’idéologie mise en cause, l’idéologie trotskiste, elle, conserve encore, d’innombrables traces de sectarisme. Mais après tout, Ceylan, Sri Lanka a bien été gouvernée par une femme trotskiste, pendant quelque temps, Mme Bandaranaiké. Alors dirons-nous, pour satisfaire ou contrister les uns et les autres, dirons-nous que rien n’est perdu ? Que tout n’est pas dit, en ce qui concerne notre Hexagone, ingouvernable certes, et dans lequel pourtant nous avons les uns et les autres définitivement planté nos pénates, ou peu s’en faut.