Réflexions sur la société post-industrielle

Séance du lundi 23 octobre 2006

par M. Daniel Cohen,
Professeur de sciences économiques à l’École normale supérieure, Directeur du CEPREMAP

 

 

Choisir comme axe d’analyse des transformations du monde contemporain la notion de société post-industrielle revient à choisir un angle qui est partiel et qui ne fera pas justice à tout ce qu’il faudrait dire pour comprendre les bouleversements du capitalisme contemporain. Mais je pense que cette notion est utile car elle fixe, pour commencer, ce que la société actuelle n’est plus et je voudrais introduire mon propos par ce point : aujourd’hui l’économie ne fabrique plus une société, comme elle le faisait il y a encore une trentaine d’années —au sens de société industrielle.

A ce sujet, je ne prononcerai que quelques mots rapides, au risque d’être simplificateur. Pour caractériser la période de 1913 à 1973 — le bref XXe siècle —, on peut parler de société industrielle au sens où l’industrie était le siège d’une activité de production, qui d’une certaine façon et à l’image de la société féodale, liait un mode de production et un mode de protection. Dans l’usine telle qu’on a pu la connaître à son âge d’or, dans les années 50, on peut dire que tous les étages de la société étaient représentés. On y trouvait des ingénieurs, des ouvriers, des patrons et chacun fonctionnait de manière solidaire. Les ingénieurs réfléchissaient à la manière de rendre productif les segments de la société qui l’étaient le moins, les ouvriers sans qualification — les OS comme on les a appelés pendant longtemps — et le travail à la chaîne marquaient l’unité du haut et du bas de la société. L’ergonomie, la réflexion industrielle, visaient à faire en sorte que le travail à la chaîne soit productif et donc, permettaient aux ouvriers non qualifiés de prendre leur part à la production nationale.

De la même manière, on peut dire que dans cette société industrielle, les dirigeants d’entreprise partageaient avec leurs salariés la condition salariale de ces salariés ; les dirigeants d’entreprise étaient des salariés comme les autres, qui gagnaient juste davantage que leurs employés. Plusieurs anecdotes circulent d’ailleurs à ce sujet — John Pierpont Morgan, le grand banquier américain disait qu’il ne traiterait jamais avec une entreprise dont le dirigeant gagne plus que vingt fois le salaire de ses ouvriers ; Rockefeller, lui, fixait la barre à quarante fois le niveau de ses salariés — ce qui témoigne bien du fait que les dirigeants étaient des salariés comme les autres et, à ce titre, partageaient les préoccupations de leurs salariés. Celles-ci se résument à une chose très simple, à savoir chercher à protéger ces salariés des risques industriels auxquels l’activité dans laquelle l’entreprise était engagée exposait ses employés comme ses dirigeants. A l’époque, on raisonnait en termes de portefeuille d’activités qu’une entreprise devait comporter pour être protégée des aléas de la conjoncture industrielle. Une anecdote — hypothétique — par laquelle je commence mon livre, illustre ce propos. Une entreprise, dans les années 50, fabriquant des maillots de bain, doit sans doute aussi fabriquer des parapluies pour être diversifiée du risque de la conjoncture climatique, afin de faire en sorte qu’il y ait toujours du travail à faire, quels que soient les aléas de la conjoncture industrielle.

On peut parler, à propos de cette société industrielle, de holisme industriel, c’est à dire d’un tout où chaque partie est associée par une réflexion collective des ingénieurs, des dirigeants, ce qui fait que la société est tout entière représentée dans ses usines.

C’est cette société industrielle que nous avons quittée. La disparition de tous ces liens qui liaient mécaniquement les différents étages de la société que la société post-industrielle nous laisse orphelin. Il a plusieurs manières de rendre compte des éléments qui ont induit cette transformation et je pense que l’erreur intellectuelle, presque épistémologique, serait de chercher à en privilégier une sur les autres, pour en faire LA cause de toutes ces modifications. C’est la raison pour laquelle, dans mon ouvrage, je préfère exposer plusieurs causes afin d’expliquer comment elles font masse, comment elles trouvent entre elles une cohérence. En voici très brièvement la liste, pour ensuite en souligner une ou deux qui me paraissent plus significatives, même si je pense, encore une fois, qu’il faudrait donner à chacune toute sa place en termes d‘importance qualitative.

La première cause, la plus simple, permettant de rendre compte de cette transformation, est que nous sommes les contemporains d’une nouvelle révolution industrielle. On peut parler de troisième révolution industrielle qui vient, par hypothèse, derrière les deux précédentes :

  • la première révolution industrielle de la fin du XVIIIe siècle, celle que l’on associe, pour aller très vite, à la machine à vapeur et qu’on a longtemps d’ailleurs appelée LA révolution industrielle ;

  • la seconde venant un siècle plus tard, à la fin du XIXe siècle, que l’on associe à l’électricité, au moteur à explosion. On a parlé de l’aérospatiale qui fait partie des grandes découvertes qui vont marquer le XXe siècle et qui s’associe à cette seconde révolution industrielle. Il faudrait aussi citer l’industrie chimique et l’industrie pharmaceutique qui va suivre.

  • Et puis, au rendez-vous de l’histoire, un siècle plus tard — comme disait Schumpeter, les révolutions industrielles viennent toujours par grappes dans un espace de temps très concentré — arrive la troisième révolution industrielle. D’ailleurs, c’est presque toujours les années 70 de la fin de chaque siècle qui voient brutalement un certain nombre de technologies nouvelles émerger.

Nous pouvons donner quelques dates pour ces technologies, qui sont emblématiques de cette transformation :

  • une première est la mise au point par le Pentagone américain, en 1969, d’un système s’appelant Arpanet — qui va être ensuite développer par le CERN en Europe — qui cherche à protéger le ministère de la Défense américain des risques d’une frappe nucléaire soviétique. C’est l’origine de l’invention d’une transmission par paquet, permettant — même dans un mauvais état des systèmes des télécommunications — que les communications se fassent ;

  • 1971. C’est la mise au point par la firme Intel du premier micro-processeur, qui est le cerveau des ordinateurs ;

  • et puis 1976, pour donner une troisième date, marque la commercialisation par la firme Apple du premier ordinateur de bureau.

Et à partir de ce triangle de sustentation qui se forge en quelques années — après beaucoup d’autres inventions majeures qui ont été faites après la seconde guerre mondiale — un nouveau paradigme technologique émerge. Les économistes qui se sont penchés sur cette notion de révolution industrielle, utilisent en anglais le terme de general purpose technology, c’est à dire une technologie à tout faire, une technologie qui vient en amont des applications que l’on peut en trouver. Le propre d’une révolution industrielle est d’ouvrir un espace de possibles qui excède l’intention de ceux ayant eu les idées qui vont donner lieu à cette révolution industrielle. Une anecdote très connue illustre ce phénomène, celle d’Edison qui invente le gramophone en pensant qu’il permettra d’enregistrer le testament des mourants. Il a donc fait une invention qui est complètement à côté de l’usage que l’on va en faire. Nous pourrions dire la même chose à propos de l’électricité. Personne n’avait idée, lorsqu’elle est mise au point, qu’elle va permettre la télévision, le fer à repasser et toute sorte d’autres choses.

Une technologie à tout faire, une general purpose technology, est une technologie qui ouvre le champ des possibles et fait que l’activité économique va justement consister à trouver des applications à cette nouvelle technologie qui est en amont. Je crois donc que l’on peut, indiscutablement, parler de troisième révolution industrielle pour caractériser le monde dans lequel nous sommes et il ne faut pas s’étonner — je n’aurai pas le temps de développer en détail — que, ce faisant, cette nouvelle technologie trouve des usages sociaux différents et donc, un mode d’organisation du travail différent — comme auparavant la machine à vapeur avait créé son propre système économique, le factory system en anglais ; comme l’électricité avait produit son propre système d’organisation du travail, l’organisation scientifique du travail, le taylorisme comme on l’appelle aussi.

La deuxième rupture qui va déboucher sur les transformations du monde contemporain, tient à un essoufflement interne des réserves de productivité que l’ancien système, le travail à la chaîne, était capable de produire. On voit, dans les années 60, s’essouffler, se ralentir les gains de productivité qui étaient associés au travail à la chaîne. Aux Etats-Unis, on fabrique des voitures à cette époque-là, comme on en fabriquait au début du XXe siècle. Il n’y a pas eu de modifications majeures entre les premières voitures sortant des chaînes de Ford et la façon dont on les fabrique encore en 1960. Bien entendu, tout cela contribue à ce qu’une nouvelle inventivité est sollicitée, qui viendra d’ailleurs des usines Toyota, qui, dans les années 60, lorsqu’elles voudront se doter d’une industrie automobile, verront que le travail à la chaîne est, en réalité, plus ou moins en panne.

La troisième rupture est un effet externe à la société industrielle mais qui est très importante, est un événement que j’associe à mai 1968. C’est le fait que les nouvelles générations sortant des écoles et des universités en mai 68, dans les années 60 et à peu près partout dans le monde, ne se reconnaissent pas dans un type d’organisation qui reste très paternaliste, très hiérarchique, qui est celui de la division industrielle du travail qui existe dans les usines fordistes. Ce système repose sur l’idée que l’entreprise est à l’image de la société, un ensemble hiérarchiquement soudé dans lequel chacun obéit à l’étage qui lui est hiérarchiquement supérieur. C’est un système qui a été très efficient, très productif, lorsqu’il s’est agi au début du XXe siècle, comme l’a fait Ford, d’intégrer à la production des immigrés en masse, qui étaient venus aux Etats-Unis pour chercher un emploi. Et Ford dira dans ses mémoires cette phrase célèbre : « Je ne cherche ni à ce que mes ouvriers sachent lire, écrire ou parler anglais. La seule chose que j’attends d’eux, c’est qu’ils ne boivent pas au travail. » Voilà la composition sociologique de la classe ouvrière que Ford met au travail au début du XXe siècle et pour laquelle on comprend l’efficacité du travail à la chaîne. Dans les années 60, ce ne sont plus les mêmes qui viennent travailler. Il s’agit désormais des petits enfants de ceux qui sont venus travailler dans les usines Ford ou Renault. Et la critique de mai 1968 qui est une protestation que l’on observe dans tous les pays industrialisés — que ce soit en Allemagne, au Japon, en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis — marque ce divorce qui s’est creusé entre les nouvelles générations et la façon de concevoir l’organisation de la production.

Les deux autres transformations sont d’une autre nature.

La quatrième rupture est la révolution financière des années 80. la finance a suivi une histoire propre au cours du XXe siècle, qui est beaucoup lié à la crise de 1929. Après 1929, on peut dire, pour aller très vite, que les marchés financiers ont été disqualifiés, délégitimés. Leur pouvoir de contrôle des organisations, des entreprises a été affaibli. C’est l’époque où les entreprises se dotent de managers, de dirigeants qui rendent très peu de compte à leurs actionnaires car ils considèrent que ces derniers sont en partie responsables du désastre économique des années 30 et de la suite que nous avons tous en tête. Et donc, dans les années 50 ou 60, les dirigeants ne prennent plus leurs ordres auprès de leurs actionnaires et organisent le portefeuille d’activités dont je parlais précédemment, de manière à se protéger eux-mêmes et leurs salariés des risques industriels.

Avec la révolution financière des années 80 qui marque la fin de cette longue période de jachère des marchés financiers qui est associée — Jean Peyrelevade l’a très bien démontré — à la reprise du pouvoir des fonds de pension — notamment aux Etats-Unis où l’on va autoriser les fonds de pension à investir dans les actions d’entreprise, ce qui n’était pas autorisé auparavant—, un nouveau pourvoir financier va émerger qui ne va pas se satisfaire de la manière dont le lien entre le pouvoir actionnarial et le pouvoir des dirigeants d’entreprise est organisé. Et pour l’illustrer, là encore, à partir de l’exemple hypothétique que je donnais au départ de l’entreprise qui fabriquait auparavant des maillots de bain et des parapluies pour diversifier les risques industriels, elle va être sommée, à partir des années 80, de choisir l’un ou l’autre. Elle va devoir se replier sur son cœur de cible et ne pas chercher à faire deux activités pour lesquelles elle ne peut pas avoir une double compétence. La raison de ce désintérêt des actionnaires pour ces stratégies de diversification d’activités, qui étaient le propre des années 50 et 60, est tout simplement qu’il suffit à un actionnaire, qui voudrait diversifier son risque industriel, d’acquérir une action de l’entreprise fabriquant des maillots de bain et une action de l’entreprise fabriquant des parapluies. Les actionnaires n’ont absolument pas besoin que la même entreprise exerce ces activités simultanément. Le propre des marchés financiers est de permettre aux actionnaires de diversifier leurs risques sans avoir besoin que les entreprises le fassent à leur place.

Cette rupture financière des années 80 est peut-être le coup de tonnerre le plus retentissant, car à partir de ce moment-là, ce qui pouvait apparaître comme un lien, une solidarité entre les dirigeants d’entreprise et leurs employés animés par ce même but de diversifier les risques industriels auxquels les uns et les autres sont exposés, va être brisé. Les dirigeants vont être sortis, notamment par le mécanisme des stock-options, de la condition salariale qui était la leur auparavant et vont tout simplement chercher à être les meilleurs dans le secteur d’activité auquel ils se consacrent sans chercher à diversifier leurs risques, conformément aux actionnaires, ce qui est la moindre des choses après tout puisque l’entreprise leur appartient, mais les effets sociaux seront considérables. Et les études qui ont été faites par les économistes sur ce sujet sont sans appel. Chaque fois qu’une entreprise est cotée en bourse, son chiffre d’affaire devient, presque nécessairement, quelques années plus tard, plus volatil qu’il n’était auparavant, car ce processus de mutualisation des risques qui pouvait exister auparavant est rompu. Cette crise, ou cette rupture, va contribuer pour beaucoup à cette transformation du capitalisme contemporain, dans lequel, progressivement, les différents étages de la société qui étaient représentés dans la société industrielle au sein de la même entreprise, vont être dissociés.

On va tout d’abord dissocier, secteur par secteur, le cœur de cible des différentes entreprises pour externaliser les tâches qui ne sont plus indispensables. On va ainsi casser les grands conglomérats qui se sont formés dans les années 50 et 60 et, à l’exception de General Electric qui reste un conglomérat, il ne reste plus aujourd’hui d’entreprises, sinon des entreprises familiales, qui ont plusieurs activités à la fois.

Puis ce sont les différents étages de la société — les ouvriers, les ingénieurs qui cohabitaient dans la même entreprise — qui vont être à leur tout dissociés. Les ingénieurs vont être regroupés dans des bureaux d’études ou même créer leur propre entreprise —c’est le cas de Microsoft par exemple, où Bill Gates a pu créer son entreprise en dehors de la grande entreprise dominante du secteur, IBM — pour concevoir des logiciels à rayon planétaire ; et puis les ouvriers, affectés à des tâches « subalternes » vont voir leurs emplois externalisés dans des tâches spécialisées dans ces emplois subalternes. Pour donner une statistique qui résume cette formidable transformation qui va s’opérer dans les années 80, je citerai l’exemple des usines Renault. Celles-ci, dans les années 50, fabriquaient 80 % de la voiture vendue aux clients. N’étaient achetés par les usines Renault que la tôle et les pneus, l’essentiel étant fabriqué par l’usine elle-même, y compris les personnes d’accueil, d’entretien, de cantine qui étaient des salariés des usines Renault. Aujourd’hui, la statistique est inversée et seuls 20 % de la voiture vendue sont fabriqués par Renault, tout le reste étant externalisé à des sous-traitants. Ainsi, ces mêmes personnels d’accueil, d’entretien, de cantine, n’appartiennent plus à l’entreprise, leur fonction ne relevant pas de l’activité de l’entreprise ; mais également les équipementiers tendent à « s’autonomiser » à l’égard de l’usine elle-même pour fabriquer des produits en dehors de l’entreprise Renault.

Voilà donc quelques-uns des traits apportés par la révolution financière des années 80 — révolution tardive ayant son histoire propre que l’on ne peut comprendre en dehors de 1929 — et qui vont mettre fin à cette idée de société industrielle au sens où je l’ai brièvement résumé au début de mon propos.

La cinquième rupture qui va contribuer à bouleverser la société industrielle, qui va contribuer à faire changer de nature le capitalisme contemporain, est la mondialisation. Celle-ci d’ailleurs, est très souvent critiquée au nom du libéralisme dont on affuble le capitalisme contemporain alors qu’on vient de voir qu’il est surtout une accumulation de ruptures qui n’étaient pas toutes d’ordre libéral, loin s’en faut. La transformation de 1968, la révolution technologique et l’épuisement des ressorts intérieurs de l’usine n’ont rien à voir, en réalité, avec la révolution financière et avec la mondialisation. Mais la mondialisation devient très souvent un « mot valise » qui résume tous les termes et c’est pourquoi je voudrais en parler plus précisément.

Si on voulait en donner une image très étroite — et qui, à mon avis, au premier ordre d’approximation serait la bonne — il faudrait dire que la mondialisation se limite, pour l’essentiel, au retour de la Chine et de l’Inde dans le concert des nations, dans le commerce international. Tout le reste n’est que littérature par rapport à ce fait absolument majeur, qui lui-même, pour être compris, exige de résoudre au préalable une autre question. En effet, si l’on veut savoir pourquoi la Chine et l’Inde ont décidé dans les années 80-90 — on dit souvent entre la mort de Mao et la chute du mur de Berlin pour inclure dans le compas ce qui va aussi se passer dans l’ex-URSS — de revenir participer au commerce international, il faut tout d’abord comprendre pourquoi elles ont décidé, tout au long du XXe siècle, de s’en soustraire. La réponse la plus simple à cette deuxième question est de dire que ces pays ont déjà participé, un siècle plus tôt, au cours du XIXe siècle, à une première mondialisation industrielle. On pourrait évidemment remonter au XVIe siècle, aux conquistadors et peut-être même bien avant pour comprendre que le monde a toujours été mondialisé. Mais dans une séquence courte, celle du capitalisme, qui par hypothèse n’existe qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle, le moment fondateur pour ces pays est bien la première mondialisation qu’ils vont connaître au cours du XIXe siècle.

Pour en parler très rapidement, il faut préciser que cette mondialisation est d’une intensité au moins égale à celle que l’on connaît aujourd’hui. Tous les historiens économiques qui se sont penchés sur la comparaison entre ces deux mondialisations — celle du XIXe et celle qui a commencé dans les années 1980-90 — s’accordent en général à dire que la première n’était certainement pas en retrait sur celle que l’on connaît aujourd’hui. La première raison en est que la mondialisation, aujourd’hui, est liée à une troisième révolution industrielle dans les techniques de communication, internet notamment, alors que la première mondialisation du XIXe est le véritable moment où la géographie du monde se rétrécit. Il fallait, au XVIIIe siècle, une semaine pour envoyer une lettre de Londres à 300 km de la capitale ; il faut, vers la deuxième moitié du XIXe siècle, 24 heures pour qu’une information fasse le tour de la Terre. Dans le domaine des transformations qui sont apportées, on compte évidemment le télégraphe, le chemin de fer et le bateau à vapeur dans le domaine des moyens de transport, le percement du canal de Suez, bref, toutes sortes de choses qui font que l’information va circuler à une vitesse tout à fait inédite à la fin de cette première période. Les économistes vont en prendre la mesure en regardant le cours des matières premières. Ainsi la différence du prix du blé à Chicago, à Londres ou à Bombay n’excède pas 10 % en 1913, lorsque s’interrompt cette première mondialisation alors que des écarts considérables existaient encore au début du XIXe siècle. Cela signifie, premièrement, que l’on a l’information à 24 heures sur le prix qui est coté sur une autre place et que, deuxièmement, on est capable d’envoyer la marchandise de l’endroit où elle est bon marché à l’inverse, l’endroit où elle est chère.

Le deuxième signe est la globalisation financière. Nous avons l’impression, aujourd’hui, que nous vivons sous le règne de cette globalisation financière qui est l’ombre portée dans les échanges internationaux de cette révolution financière dont je parlais précédemment. En fait, en 1913 — toujours ce point de référence — les exportations d’épargne, d’investissement qui sont faits par la City sont bien plus considérables que ceux qu’on observe aujourd’hui. En 1913, la City exporte plus de la moitié de l’épargne britannique outre-mer, ce qui fait dire à certains historiens que l’une des causes du déclin relatif de l’Angleterre au cours du XIXe siècle tient à ce tic de la City d’exporter outre-mer l’épargne britannique plutôt que de la réinvestir sur place. Dans le cas français, c’est un quart de l’épargne française qui est exporté à l’étranger. Il s’agit là de chiffres absolument considérables que l’on n’observe plus aujourd’hui, mais au contraire, l’inverse. C’est la grande puissance des Etats-Unis qui apporte du capital et l’exportation nette de capital vers les pays les plus pauvres est, en réalité, négative.

Pour poursuivre les exemples, un troisième est la sécurité des contrats. Un des obstacles à la mondialisation aujourd’hui est le fait que les contrats ne sont pas honorés dans les pays émergents comme ils le sont dans les métropoles. On observe toujours des répudiations, des litiges ; il est extrêmement difficile de faire valoir la sécurité des contrats dans le monde aujourd’hui, alors même que la mondialisation devrait faire que ce problème soit réglé. Au XIXe siècle, lorsque l’on pense à l’Inde, la sécurité du contrat à Bombay est la même qu’à Londres. La seconde moitié du XIXe siècle est dans un système de protection juridique qui fait qu’il n’y pas d’incertitudes sur ce point.

Et un dernier trait, pour aller très vite, celui de l’immigration. Aujourd’hui, nous parlons beaucoup de l’immigration comme d’un phénomène majeur. Le pourcentage de la population mondiale que l’on peut considérer comme immigrée au sens où elle travaille dans un lieu qui n’est pas celui de son origine est de 3 %. Cela représente évidemment beaucoup de monde, mais en pourcentage de la population totale, c’est trois fois moins important qu’en 1913 où 10 % de la population mondiale était immigrée, compte-tenu des immenses flux de population de la Sicile et d’Ukraine vers les Etats-Unis.

Pour résumer ce point, la mondialisation du XIXe siècle est un laboratoire de ce qu’est la mondialisation à l’état pur. Il n’y a pas de limites pour ceux qui sont dans l’orbite britannique et c’est le cas de l’Inde et de la Chine. Or cette mondialisation ne va rien produire pour ces pays. Si l’on considère le revenu par habitant d’un Indien entre le début de cette période, en 1820, et 1913, à la fin de cette période, il est exactement le même. Le revenu relatif d’un Indien par rapport à un Anglais, par contre, va se détériorer considérablement. En 1820, selon les études de Angus Madison qui est l’expert en ce domaine, le rapport entre le revenu par habitant d’un Indien et d’un Anglais était de un à deux ; en 1913, ce rapport aura été multiplié par cinq pour arriver à un à dix, pour la raison simple que le revenu des Anglais aura été multiplié par cinq alors que celui des Indiens aura été stagnant.

Ce constat selon lequel la mondialisation ne les a pas aidés à rattraper les pays riches— va jouer un rôle important dans l’explication des raisons pour lesquelles le commerce mondial sera récusé au vingtième siècle. Le XXe siècle va être ainsi marqué par un long glacis protectionniste qui sera une tragédie pour eux, car le protectionnisme qu’ils vont expérimenter au cours du XXe siècle ne va pas davantage les aider à rattraper les pays riches que la mondialisation du XIXe siècle ne leur avait permis de le faire. Les statistiques sont aussi désarmantes au cours du XXe siècle qu’elles l’avaient été au cours du XIXe siècle. Aucun processus de convergence, ni en Chine, ni en ex-URSS, ni en Inde, ne va se mettre en œuvre, qui permettrait à ces pays de rattraper les plus riches. Et c’est ce constat d’échec à la fin du XXe siècle — concomitant de l’échec du communisme, concomitant de toutes ces idées d’une croissance économique planifiée, protectionniste, inscrite à l’écart du capitalisme mondial et de leur échec— qui va signer, dans les années 1980, le changement d’attitude de ces pays.

On peut maintenant se demander si ces pays, passant du laisser-faire du commerce mondial du XIXe siècle au protectionnisme au XXe siècle, pour revenir aujourd’hui à une inscription dans le commerce mondial, vont connaître ce qu’ils ont déjà connu au XIXe siècle, à savoir un nouvel échec. Pour éclairer cette question, je voudrais faire un petit détour très bref par la théorie économique pour savoir ce qu’elle nous enseigne de la théorie du commerce international et de la manière dont on doit se représenter les effets pour la croissance d’un pays de son inscription dans le commerce international.

La théorie économique standard du commerce international est la théorie dite des avantages comparatifs de David Ricardo. Elle tient que chaque pays va se spécialiser dans un secteur d’activités où il dispose, par rapport aux autres pays, d’un avantage comparatif. Pour comprendre la logique de spécialisation de nations dans le commerce international, commente Ricardo, le plus simple est de revenir sur la théorie de la division du travail qui celle d’Adam Smith. Ricardo, en réalité, ne fait qu’appliquer au commerce international la théorie de la division du travail qu’Adam Smith commente pour les économies de marché.

Dans le cas d’Adam Smith, chaque individu va choisir un métier, celui où, pour reprendre le langage de Ricardo, il dispose d’un avantage comparatif. Non pas absolu, sinon peu de personnes exerceraient un métier, mais comparatif dans le sens où chacun s’interroge sur ce qu’il peut faire de mieux — cordonnier, boulanger, joueur de tennis, mathématicien… — compte-tenu de son talent, de la profession de ses parents peut-être, du plaisir qu’il peut en éprouver, de ce qu’un métier peut lui apporter au sens large. La modernité d’Adam Smith et de dire que si chacun fait ce raisonnement, il n’y a pas de soucis à se faire sur les autres métiers que l’on ne fera pas nous-mêmes. Contrairement à ce qui se passait dans les sociétés pré-industrielles où le ménage était l’unité où l’on faisait à peu près tout, le textile, l’agriculture et autres, dans une économie de marché, on peut se désintéresser de la question de savoir si l’on aura du pain ou non si on choisit d’être cordonnier — c’est la phrase la plus célèbre d’Adam Smith — parce qu’il sera de l’intérêt du boulanger, et non pas du fait de sa bienveillance, de vous fournir en pain tous les matins. Voilà en quoi Adam Smith est, pour les économistes, le fondateur de notre discipline, de notre économie politique, car il est le premier à avoir compris qu’une économie de marché pouvait fonctionner de manière solidaire alors que chaque personne choisit, de manière isolée, sa propre activité.

Selon Ricardo, le même principe va s’appliquer aux nations. Chacune va choisir un secteur dans lequel elle est la meilleure, en laissant le choix aux autres nations de la fournir en marchandises qu’elle ne fabriquerait pas elle-même. D’après cette théorie, il est très difficile de comprendre pourquoi, au XIXe siècle, le commerce international a créé une telle disparité de destins entre l’Angleterre et l’Inde. Si, en effet, je choisis d’être cordonnier plutôt que boulanger, il est tout à fait possible que je fasse une erreur de calcul ; que je veuille être cordonnier alors même que les gens, pour une raison x ou y, décident de marcher pieds nus et que, de ce fait, le secteur cordonnerie tombe en désuétude. Il est alors bien évident que je ne pourrai pas forcément corriger cette erreur, mais il est certain que la génération suivante ne la renouvellera pas. Au contraire, elle cessera d’être cordonnier, deviendra boulanger, dans l’exemple donné, et la démonstration d’Adam Smith consiste là à dire que l’offre de cordonnier va se réduire et qu’un phénomène de gravitation — formule utilisée par Adam Smith — va se mettre en place pour arriver à ce que l’offre et la demande finissent par s’équilibrer sans que personne ne perde d’avoir choisi un secteur plutôt qu’un autre. Dans le raisonnement d’Adam Smith, les forces de rééquilibrage des revenus sont très fortes et on voit mal pourquoi ce principe ne pourrait pas s’appliquer à l’échelle des nations ; on ne voit pas pourquoi, au nom de cette théorie, des nations pourraient voir leur destin se polariser de cette façon.

Pour comprendre pourquoi la théorie du commerce international permet tout de même d’expliquer ces écarts de destins, les théoriciens modernes du commerce international — qui commencent à écrire dans les années 1980-90 — ont repris cette question de départ et lui ont apporté une réponse tout a fait différente. Pourquoi, fais-je le choix de ce métier plutôt que d’un autre ? Pour actualiser cette question dans des termes un peu plus modernes, nous allons hésiter entre joueur de tennis et mathématicien. Et nous allons supposer, par extraordinaire, que nous sommes, en réalité, totalement indifférents entre ces deux activités, car nous voyons des avantages et des inconvénients dans les deux, à être mathématicien ou joueur de tennis. Dans ce cas statistiquement improbable mais statistiquement essentiel, Ricardo pourrait vous donner deux réponses. La première consiste à jeter une pièce en l’air et laisser le destin décider à notre place. L’autre réponse possible est de se dire que, puisque nous sommes indifférents à ces activités, nous pouvons décider de faire du tennis le matin, et des mathématiques l’après-midi. Cela ajoutera un peu de diversité à la monotonie de la vie menée lorsque nous ne pratiquons qu’un seul métier et nous y gagnerons. Dans une telle réflexion, cette diversification apparaît comme la bonne réponse et pourtant, si on y réfléchit, on s’aperçoit très vite qu’elle n’est pas la bonne. Il ne serait pas de bonne stratégie, dans ce cas d’indifférence, de faire l’une et l’autre de ces activités, de diversifier son portefeuille d’activités. En effet, pour être un bon joueur de tennis ou être un bon mathématicien, il faut faire des études dans le cas des mathématiques, un entraînement intensif dans le cas du tennis. Cela implique que si on ne passe pas tout son temps à chercher à devenir le meilleur mathématicien que l’on puisse être — c’est la théorie de l’avantage comparatif et non pas absolu — ou le meilleur joueur de tennis que l’on puisse être, nous serons alors à la fois un médiocre mathématicien et un médiocre joueur de tennis et nous gagnerons moins que celui qui aura choisi de jeter la pièce en l’air et de se spécialiser dans l’une ou l’autre de ces deux tâches.

Cet éclairage nouveau nous apprend un principe fondamental qui n’est pas du tout celui sur lequel s’appuie Ricardo. Il s’agit tout simplement d’un principe de rendement d’échelles croissant. Il y a des rendements d’échelle à se spécialiser dans une tâche car on peut acquérir, en se spécialisant, une compétence supérieure à celui qui ne s’est pas spécialisé, car on peut réaliser des investissements primitifs — une accumulation primitive comme aurait dit Marx — qui vous rendent productifs. Si là est le fondement de la division du travail au sein d’une économie de marché, et si c’est ce même fondement qui est à l’œuvre dans le cas du commerce international, alors on comprend beaucoup mieux pourquoi la mondialisation du XIXe siècle n’a pas permis aux pays pauvres de rattraper les pays riches. Car l’économie de marché ne fonctionne que si chaque nation est capable d’investir dans la ou les tâches qui vont les rendre productives. Le commerce international, pas plus que le commerce tout court ne se substitue aux investissements que vous devez faire pour être productif.

Et si nous réfléchissons à ce qu’était la situation des pays pauvres au XIXe siècle, la situation qui est celle aujourd’hui des pays les plus pauvres, nous comprenons très vite qu’un pays très pauvre en Afrique, qui n’a pas de population éduquée, qui n’a pas de routes ni d’aéroports et qui souffre de problèmes de santé publique, ne profitera pas de la mondialisation. Les multinationales, dans ce cas-là, n’investiront pas dans ce pays, mais iront ailleurs car ce n’est pas à elles de se substituer au pays pour se doter de ces investissements premiers qui permettent à un pays d’être productif.

Une fois les choses dites ainsi, plusieurs traits apparaissent. Le premier est que le modèle pour tous ces pays qui sont aujourd’hui engagés, notamment en Asie, dans le commerce mondial, est le modèle japonais, la prise de conscience qu’il faut investir soi-même dans les ressources qui permettent d’être productif. En effet, le Japon — seul exemple au XXe siècle d’un pays initialement pauvre qui est devenu riche à la fin du siècle — avait compris qu’un taux d’épargne et qu’un taux de scolarisation très importants sont indispensables et c’est l’exemple que suit la Chine. De ce fait, elle connaît aujourd’hui des taux d’épargne absolument considérables — de l’ordre de 50 % du revenu national — ce qui permet de comprendre en partie ses excédents commerciaux et ce qui a permis que sa participation au commerce mondial ne soit plus passive comme elle l’était au XIXe siècle, mais bien active et tournée vers des investissements dans des activités stratégiques.

Le deuxième point que cette nouvelle théorie du commerce international basée sur la recherche de rendement d’échelle permet de comprendre est que, plus qu’à la théorie de Ricardo qui explique que les nations sont comme les individus dans une grande économie de marché, les économistes se sont progressivement davantage intéressés à un autre modèle, celui que l’historien français Fernand Braudel avait utilisé pour comprendre le fonctionnement de ce qu’il appelait les « économies de monde ». Dans le cadre de Braudel, une économie de monde est un centre et une périphérie. Le centre est un lieu où se font tous les investissements. Pour reprendre la métaphore que j’utilisais précédemment — à la fois mathématicien, joueur de tennis, cordonnier et boulanger— un centre est un lieu dense où toutes les activités peuvent être représentées, ce qui crée une complémentarité entre ces différents secteurs. Etre dans une grande ville —les exemples de Braudel reprennent Venise, Anvers, Amsterdam, Londres — permet de disposer de tous les biens qui peuvent être fournis. Etre dans la périphérie, dans le cadre de cette théorie, oblige à se spécialiser en une seule activité. Etant pauvres, le pays, la région ne peuvent pas se permettre de s’investir dans plusieurs activités à la fois, d’où des régions spécialisées dans la porcelaine pour certaines, le textile pour d’autres par exemple. Dans ces conditions, les périphéries se retrouvent dans une situation de très grande vulnérabilité. En effet, n’étant pas suffisamment diversifiée dans ses activités, toute périphérie est susceptible d’être menacée par une autre qui aurait fait le même choix de spécialisation et on retrouve là le lien avec ce que je disais des sociétés industrielles. Cette polarisation entre un centre et une périphérie — pour reprendre les expressions de Braudel — explique les tensions qui existent au niveau international.

A partir de cette théorie du commerce international, on comprend certains traits qui permettent un retour sur la notion de société post-industrielle. Les pays riches vont chercher à investir dans les activités qui disposent du plus grand rendement d’échelle, des activités à rayon planétaire. Ces sont les activités qui se concentrent sur l’immatériel, c’est à dire les activités de recherche, de développement, de promotion d’une marque, de design, des choses qui peuvent être déclinées dans tous les pays du monde. Par exemple, dans le cadre de l’industrie pharmaceutique, le propre des pays riches est d’inventer des molécules pour la planète. Une fois la molécule inventée, tous les corps, a priori, peuvent être soignés et nous sommes là dans un monde absolu des rendements d’échelle. Mais à l’autre bout de ces activités, les pays riches conservent également des activités de proximité. Si les premières activités immatérielles sont des activités de conception du bien, les pays riches disposent aussi de l’autre versant que sont les activités de prescription. Pour prendre l’exemple de l’industrie pharmaceutique, il y a d’un côté les laboratoires qui inventent des molécules, et à l’autre bout de la chaîne, se trouvent les médecins qui, bien sûr, prescrivent ces molécules et soignent les corps. Le propre de la société post-industrielle, qui est aiguisée par cette mondialisation, est de polariser la chaîne de valeurs — comme disent les économistes — entre ces points extrêmes : les activités de prescription, les médecins, et les activités de conception, les laboratoires. Ce qui disparaît de cette chaîne de valeur, c’est l’activité de fabrication du bien. Dans l’exemple des produits pharmaceutiques, fabriquer les médicaments génériques ne comporte aucun intérêt. N’importe qui peut le faire et personne ne va se disputer leur fabrication. Ce sont les activités pouvant être externalisées dans des régions pauvres, dans des pays pauvres. La polarisation entre ces deux extrêmes est donc une autre façon de faire retour sur cette notion de société post-industrielle, dans laquelle deux types d’activités antinomiques — des activités de proximité et les activités de conception orientée planétaire — vont « cohabiter ».

Je voudrais conclure par ce qui me paraît être une différence extrêmement importante entre la mondialisation aujourd’hui, celle du XIXe siècle, et celles qui ont précédés — celle que décrit Braudel lorsqu’il parle des économies de monde des siècles antérieurs. Lorsque Braudel décrit la polarisation entre le centre et la périphérie, il affirme que « la périphérie est éloignée dans l’espace et éloignée aussi dans le temps ». Lorsque l’on est à 2 000 km de Venise, on est beaucoup plus pauvre qu’à Venise, mais l’on vit aussi comme 2 000 ans avant l’époque où l’on fait cette photographie des deux. Nous sommes donc éloignés dans la prospérité comme dans le temps et Braudel assimile la vie à distance, la vie en périphérie, à la vie au ralenti, la vie éternelle du paysan comme il pouvait la connaître 1 000, 2 000 ans plus tôt. Il me semble que le point fondamental permettant de comprendre la différence entre cette manière de décrire les mondialisations antérieures et celle d’aujourd’hui, est que justement, aujourd’hui, avec les moyens de télécommunications — notamment la télévision, Internet et autres moyens de communiquer — les personnes vivant à distance du centre ne vivent plus à distance dans l’espace. Aujourd’hui, les périphéries vivent d’une façon qui est, d’une certaine manière, synchrone de ce qui se passe au centre. Car l’un des traits nouveau, inédit, de la mondialisation aujourd’hui est qu’elle diffuse beaucoup plus vite les images de la prospérité que la prospérité elle-même. A distance du centre, nous sommes sans cesse renvoyés à des images d’un monde auquel nous ne participons pas. Et la nouveauté de la mondialisation aujourd’hui est qu’elle change l’horizon d’attente des pays et tarde pour un très grand nombre — les plus pauvres, la moitié du monde vivant avec moins de deux dollars par jour — à en diffuser la réalité. C’est ce décalage nouveau, fort, qui explique la frustration qui, en général, accompagne ce terme de mondialisation et creuse un écart inédit entre les attentes et la réalité du monde.

Texte des débats ayant suivi la communication