Séance du lundi 22 janvier 2007
par M. André Vacheron
En France, comme dans la plupart des pays industrialisés, les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité tous âges confondus avec 32 % des décès, devant le cancer responsable de 29 % des décès chez les hommes, de 23 % des décès chez les femmes. Elles entraînent 170 000 décès par an. Leur prévalence devrait augmenter avec le vieillissement de la population.
D’après les études de l’IRDES (Institut de Recherche et Documentation en Economie de Santé), les maladies cardiovasculaires représentent le poste le plus important (12,6 %) de la consommation de soins et de biens médicaux, soit 13,6 milliards d’euros sur un total de 107,6 milliards d’euros de soins hors prévention. En 2005, les dépenses publiques de santé ont représenté 10,6 % du PIB (En Allemagne, elles représentent 10,9 % du PIB, en Suisse 11,6 %, aux Etats-Unis 16 %). Elles devraient continuer à augmenter et pourraient atteindre 13,4 % du PIB en 2050 en l’absence de limitation de la hausse de leur coût.
La maladie coronaire avec sa complication redoutable qu’est l’infarctus du myocarde, l’hypertension artérielle sévère, l’insuffisance cardiaque sont parmi les motifs les plus fréquents d’entrée en affection de longue durée.
L’infarctus myocardique est un problème majeur de santé publique en raison de sa fréquence (120 000 cas par an) et de ses conséquences sur la morbimortalité, avec des arythmies ventriculaires exposant à la mort subite et le risque d’insuffisance cardiaque dans les formes sévères détruisant une partie de la paroi ventriculaire gauche.
Les accidents vasculaires cérébraux constituent la première cause de handicap acquis chez l’adulte, la deuxième cause de démence après la maladie d’Alzheimer, la troisième cause de décès et leur coût socio-économique est considérable. Chaque année en France, plus de 120 000 personnes d’un âge moyen de 70 ans sont victimes d’accident vasculaire cérébral. Parmi elles, très schématiquement, 30 000 meurent dans les jours qui suivent l’accident, 30 000 récupèrent, mais 60 000 gardent un handicap de gravité variable. Bien que l’incidence des accidents vasculaires cérébraux ait diminué au cours des 50 dernières années, leur prévalence a augmenté en raison de la diminution de la mortalité à la phase aiguë et de l’allongement de la durée de vie, avec pour corollaire un doublement des patients relevant des structures de soins de longue durée.
L’athérosclérose, décrite par Marchand en 1904, est la principale responsable des maladies cardiovasculaires et en particulier de la maladie coronaire. C’est une maladie multifactorielle sous la dépendance d’un certain nombre de facteurs, certains non corrigeables comme l’hérédité, le sexe masculin, l’âge, d’autres corrigeables : l’hypercholestérolémie, le tabagisme, l’hypertension artérielle, l’obésité, le diabète, la sédentarité. Leur connaissance est fondamentale pour la prévention. Mais si le rôle délétère du tabac et de l’alimentation trop riche en graisses est perçu par la population, il n’en est pas de même de l’hypertension artérielle, de l’hypercholestérolémie et du diabète qui restent souvent méconnus durant des années. Ces facteurs de risque sont retrouvés dans tous les pays du monde comme on peut le constater dans le registre international REACH (Reduction of Atherothrombosis for Continued Health), incluant 70 000 patients souffrant d’athérothrombose coronaire, cérébrale ou périphérique ou présentant des facteurs de risque d’athérothrombose, recrutés dans 44 pays sur les cinq continents (un tiers en Amérique du nord, un tiers en Europe de l’ouest, un tiers dans le reste du monde dont 5 000 au Japon) avec un suivi prévu de 4 ans (JAMA 2006). Fréquemment associés, les facteurs de risque potentialisent leurs effets délétères sur l’endothélium vasculaire comme l’ont établi des études épidémiologiques maintenant historiques, telle l’étude américaine de Framingham initiée par W.B. Kannel en 1948 sur 5 209 habitants des deux sexes âgés de 30 à 60 ans de cette petite ville du Massachusetts avec un suivi de près de 60 ans maintenant, ce qui représente trois générations dans les mêmes familles. Ils interviennent précocement dès l’adolescence. Des études autopsiques américaines réalisées chez les victimes des guerres de Corée et du Vietnam ont montré la présence de lésions coronaires chez de jeunes soldats de 20 à 25 ans. Ces lésions seront à l’origine des complications aiguës de la maladie coronaire à partir de la 5e ou de la 6e décennie. Elles progressent silencieusement durant des années avant d’aboutir à l’infarctus et parfois à la mort subite, révélateurs de la maladie coronaire chez 50 % environ des patients coronariens. Il est intéressant d’observer que ce ne sont pas les sténoses coronaires les plus sévères qui sont à l’origine des accidents aigus mais la survenue d’une thrombose sur des plaques athéroscléreuses fissurées, jusque là quiescentes.
Si les maladies cardiovasculaires ne préviennent pas toujours, elles ne frappent pas non plus au hasard. Les coronariens mais aussi les victimes d’accident vasculaire cérébral ont des facteurs de risque identifiables et des mesures de prévention primaire pourraient éviter ou retarder la survenue des accidents. Après les accidents, les études d’intervention ont démontré le bénéfice de la prévention secondaire pour empêcher la récidive et la mort subite. Tous les facteurs de risque doivent être pris en charge avec des objectifs encore plus exigeants qu’en prévention primaire et des bénéfices démontrés par de nombreux essais thérapeutiques désignés par des acronymes, portant sur plusieurs milliers de malades suivis pendant plusieurs années. C’est ce que nous appelons la médecine fondée sur les preuves (evidence-based medicine). Les stratégies de prévention font à l’heure actuelle l’objet de recommandations consensuelles tant américaines qu’européennes avec des adaptations à notre population définies par l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et Evaluation en Santé) et l’AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé).
Mon exposé comportera trois parties : la correction des facteurs de risque, les résultats de la prévention, l’amélioration de la prévention dans notre pays.
La correction des facteurs de risque
Hypercholestérolémie
Stérol le plus abondant de l’organisme, le cholestérol est un composant essentiel des membranes cellulaires et joue un rôle important dans la synthèse des hormones stéroïdes et de la vitamine D.
Il provient pour une faible part de l’alimentation (30 %) et pour une part plus importante (70 %) d’une synthèse hépatique de l’acide mévalonique à partir de l’acétyl co A sous l’action d’une enzyme l’HMG Coenzyme A réductase (hydroxyméthylglutamyl coenzyme A réductase). Insoluble dans l’eau, il circule dans le plasma sanguin sous forme de lipoprotéines solubles. Les LDL lipoprotéines (Low density lipoproteins) transportent environ 70 % du cholestérol circulant, apportent le cholestérol aux cellules et se fixent sur des récepteurs spécifiques découverts en 1985 par les américains Brown et Goldstein (prix Nobel de Médecine) par l’intermédiaire de leur apoprotéine B100. Une déficience génétique de ces récepteurs ou une diminution de leur activité par une alimentation trop riche en graisses entraîne l’augmentation du LDL cholestérol et son dépôt sur la paroi des artères (d’où sa qualification de mauvais cholestérol) où il va participer à la constitution des plaques d’athérosclérose, de véritables taupinières qui réduisent la lumière artérielle.
Les HDL lipoprotéines (High density lipoproteins) transportent environ 20 % du cholestérol circulant. Elles captent le cholestérol des cellules et le ramènent au foie où il est incorporé à la bile et excrété dans le tube digestif. Les études épidémiologiques ont montré que plus le taux de HDL cholestérol est élevé, plus le risque d’athérosclérose est faible (d’où sa qualification de bon cholestérol). La consommation de corps gras végétaux, notamment d’huile d’olive, le poisson, l’activité physique régulière augmentent le HDL cholestérol. Le tabagisme, certaines pilules contraceptives, la sédentarité le diminuent.
Le rôle du cholestérol dans la genèse de l’athérosclérose a été établi par l’expérimentation animale (alimentation riche en cholestérol chez le singe rhésus, lapin Watanabe dépourvu de récepteur aux LDL lipoprotéines), par la génétique (hypercholestérolémie familiale héréditaire avec infarctus avant l’âge de 20 ans) et par l’épidémiologie. L’étude de Framingham aux Etats-Unis, l’étude prospective parisienne en France ont montré que la mortalité coronarienne croit de façon exponentielle avec l’augmentation de la cholestérolémie. A partir de 2,64 g/l, le risque est multiplié par 4 par rapport aux sujets ayant une cholestérolémie à 1,80 g/l ; 5 à 10 % des Français ont plus de 3 g/l de cholestérol et 15 à 16 % plus de 2,50 g/l.
Idéalement le cholestérol total doit être inférieur à 2 g/l et le LDL cholestérol à 1 g/l.
Comment peut-on réduire l’hypercholestérolémie ?
Le régime alimentaire pauvre en graisses saturées, riche en fruits, légumes et poisson est important, mais ne peut habituellement diminuer la cholestérolémie que de 10 % au maximum. Il faut donc faire appel aux médicaments.
Nous disposons aujourd’hui d’une famille d’inhibiteurs puissants de la synthèse hépatique du cholestérol : les statines. Les études randomisées (statine versus placebo) de prévention secondaire : 4 S (Scandinavian Simvastatine Survical Study) avec la Simvastatine ou Zocor portant sur 4 440 patients suivis pendant 5 ans (Lancet 1994), CARE (Cholesterol and Recurrent Events), étude américaine et canadienne portant sur 4 159 patients suivis pendant 5 ans, publiée dans N. Engl. J. Med. en 1996 et LIPID (Long term Intervention with Pravastatine in Ischemic Disease), étude australienne et néo-zélandaise portant sur 9 014 patients suivis pendant 6,1 ans publiée dans N. Engl. J. Med. en 1998, avec la Pravastatine ou Elisor ont montré une réduction de la mortalité totale (-30 % dans 4 S, -8 % dans CARE, -22 % dans LIPID), une réduction de la mortalité coronarienne (-42 % dans 4 S, -20 % dans CARE, -24 % dans LIPID) et une réduction des revascularisations myocardiques par pontage ou angioplastie au ballonnet gonflable (-37 % dans 4 S, -27 % dans CARE, -20 % dans LIPID) chez les coronariens traités par une statine. Le bénéfice existe quel que soit l’âge (jusqu’à 75 ans à l’inclusion dans les études CARE et LIPID), quel que soit le sexe, quels que soient les facteurs de risque associés, les traitements associés, le niveau initial de la cholestérolémie.
Chez les coronariens traités par une statine, l’incidence des accidents vasculaires cérébraux est également diminuée.
Après un accident vasculaire cérébral ou sa forme mineure, un accident ischémique transitoire (avec troubles du langage ou de la vision ou de la motricité d’un membre, régressant le plus souvent en moins d’une heure, mais annonçant fréquemment un infarctus cérébral dont il multiplie le risque par 14), une récente étude, l’étude SPARCL (Stroke prevention by Aggressive Reduction in Cholesterol Levels) rapportée au dernier congrès américain de Chicago de novembre 2006, portant sur 4 731 patients a démontré au terme d’un suivi moyen de 4,9 ans, l’intérêt d’une statine à forte dose, l’Atorvastatine 80 mg pour diminuer le risque de nouvel accident vasculaire cérébral (-16 %), mais aussi celui d’accident coronarien majeur (- 35 %) chez des malades qui n’avaient pas à l’inclusion de maladie coronaire connue. L’athérosclérose est une maladie ubiquitaire atteignant tous les territoires artériels.
Ce bénéfice a été obtenu en abaissant le LDL cholestérol d’une valeur moyenne de 1,33 g/l à l’inclusion à 0,56 g/l (soit une réduction de plus de 50 %) chez des patients recevant en outre un traitement optimal (antiagrégant plaquettaire ou anticoagulant, antihypertenseur).
La cible recherchée est un taux de LDL cholestérol inférieur à 1 g/l mais une récente étude américaine : l’étude TNT (Treating to New Targets) a démontré l’intérêt d’un traitement intensif abaissant la concentration du LDL cholestérol à moins de 0,77 g/l. Le délai relativement bref dans lequel apparaît le bénéfice, permet de penser que le mécanisme d’action de ces médicaments n’est pas uniquement le ralentissement de la progression de l’athérosclérose, l’amélioration de la fonction endothéliale vasculaire et la stabilisation des plaques d’athérosclérose doivent également intervenir. Le traitement médicamenteux doit évidemment être associé à une alimentation hypocholestérolémiante riche en poisson (étude DART, Diet And Reinfarction Trial, Lancet 1989, 200 à 400 g de poisson 2 fois par semaine, diminuent de 29 % la mortalité globale et de 11 % la mortalité par cardiopathie ischémique en 2 ans) ou de type méditerranéen avec des légumes, des fruits, de l’huile d’olive (Lyon Diet Heart Study, Lancet 1994 et Circulation 1999, diminution de 67 % de la mortalité globale et des infarctus non mortels au cours d’un suivi de 46 mois.
En prévention primaire, l’étude écossaise WOSCOPS (West of Scotland Coronary Prevention Study) réalisée avec la pravastatine (Elisor versus placebo) chez 6 595 hommes de 45 à 64 ans, sans antécédent d’infarctus myocardique, suivis pendant 4,9 ans, a démontré une diminution de plus de 30 % de l’incidence des évènements coronariens aigus et des décès cardiovasculaires chez les sujets hypercholestérolémiques dont la cholestérolémie moyenne initiale à 2,7 g/l a diminué de 20 % sous traitement (N. Engl. J. Med. 1995).
Tabagisme
Responsable de plus de 60 000 morts chaque année en France, le tabagisme est l’un des principaux facteurs d’athérosclérose et aussi l’une des principales causes de cancer. Le risque de maladie coronaire augmente avec le nombre quotidien de cigarettes : 10 cigarettes par jour multiplient par 2 le risque de crise cardiaque, 20 cigarettes par jour le multiplient par 3. Un tabagisme important est quasi constant chez les sujets de moins de 45 ans atteints d’infarctus. Le risque coronaire est multiplié par 10 chez la femme tabagique sous contraception orale et le risque d’accident vasculaire cérébral par 22 par rapport aux femmes non fumeuses et sans pilule.
L’arrêt du tabac après un infarctus myocardique diminue jusqu’à 50 % la mortalité dans les années qui suivent l’accident. Il diminue le risque d’occlusion des pontages coronaires. Il est très bénéfique chez les artéritiques et dans la prévention du risque d’accident vasculaire cérébral.
Peu de démarches thérapeutiques donnent un bénéfice aussi rapide et important que l’arrêt du tabac mais son obtention est difficile. L’étude EUROASPIRE indique qu’un coronarien fumeur sur deux seulement a arrêté de fumer 6 mois après un infarctus. Le sevrage du tabac peut être aidé par les substituts nicotiniques (patchs, gommes à mâcher), bien tolérés par les patients coronariens, les anxiolytiques, les antidépresseurs, les thérapeutiques comportementales et les consultations de tabacologie.
Le tabagisme passif auquel s’attaque aujourd’hui le gouvernement est responsable de 4 à 5 000 morts par an. Chez un non fumeur dont le conjoint fume, le risque de crise cardiaque est augmenté de 25 %.
Hypertension artérielle
L’hypertension artérielle atteint 10 % environ de la population adulte. Son incidence augmente avec l’âge dans les deux sexes, atteignant 70 % des sujets de plus de 70 ans. C’est un grand facteur d’athérosclérose, souvent méconnu. D’après les données de la Direction Générale de la Santé, 48 % des hommes et 30 % des femmes hypertendus ignorent leur hypertension.
Le risque d’accident vasculaire cérébral, d’insuffisance cardiaque et d’accident coronarien croit directement avec le niveau tensionnel. L’hypertension artérielle est le facteur de risque majeur de l’accident vasculaire cérébral. Son traitement réduit ce risque de 40 %. Plus la pression artérielle est basse, plus le risque d’accident vasculaire cérébral devient faible.
Dans les recommandations, l’objectif est l’obtention d’une pression artérielle inférieure à 140/90 mm Hg (130/85 mm Hg chez les diabétiques) en privilégiant les mesures hygiéno-diététiques (contrôle du poids, activité physique, diminution des apports en alcool et en sodium) et en leur associant un traitement médicamenteux en cas de résultat insuffisant au bout de 3 mois ou d’emblée en cas d’hypertension artérielle supérieure à 160/100 mm Hg. L’obtention de la cible recherchée nécessite souvent le recours à une bi, voire à une trithérapie (bêtabloquant et inhibiteur calcique, inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et diurétique par exemple).
Obésité et diabète
La surcharge pondérale et l’obésité qui intéressent aujourd’hui 12 % de notre population adulte (plus de 6 millions d’obèses) sont des facteurs de diabète, d’hypertension artérielle et de complications cardiovasculaires.
Le diabète atteint actuellement 2 millions de français et constitue la deuxième cause d’affection de longue durée. Il multiplie par 2 à 3 le risque d’accident coronaire, par 5 à 10 celui d’artérite des membres inférieurs. C’est aussi un facteur d’insuffisance rénale qui relève à terme de la dialyse périodique. Enjeu de santé publique, c’est également un enjeu économique considérable, le coût de sa prise en charge par l’assurance maladie atteint 6,7 milliards d’euros en 2004.
Une alimentation équilibrée, une consommation quotidienne d’alcool modérée (pas plus de 3 verres de vin standard chez l’homme, 2 verres chez la femme), la réduction du surpoids avec un indice de masse corporelle inférieur à 25 kg/m_, le dépistage précoce et le contrôle rigoureux du diabète sont indispensables pour la prévention de ses complications qui frappent un patient sur trois.
Sédentarité
En France, d’après une étude d’Oppert en 2000, 41,5 % des hommes et 50,1 % des femmes ont une activité physique insuffisante.
Dans l’enquête de Framingham, la mortalité coronaire est plus élevée chez les sédentaires que chez les sujets actifs physiquement. L’activité physique régulière favorise la diminution du poids et de la tension artérielle. Elle augmente le HDL cholestérol. La reprise d’une activité physique régulière est bénéfique chez le coronarien et réduit la mortalité de 20 à 25 %. Les meilleures activités physiques sont celles effectuées avec régularité : la marche (30 mn par jour), le vélo, la natation sont les plus simples et les plus efficaces.
La prise en compte de l’ensemble des facteurs de risque (ce que nous appelons le risque cardiovasculaire absolu) est indispensable pour la mise en route d’une stratégie thérapeutique efficace.
Les résultats de la prévention
La prévention des maladies cardiovasculaires est étayée aujourd’hui par des données épidémiologiques et scientifiques solides (science based prevention) et a donné des résultats remarquables dans les pays qui ont engagé des politiques intensives de lutte contre ces maladies, j’en donnerai quelques exemples :
- En Finlande, un pays qui avait le taux le plus important au monde de mortalité cardiovasculaire dans les années 60, un programme structuré de modification du mode de vie, de lutte contre le tabac, de dépistage et de traitement de l’hypertension artérielle, appuyé sur une volonté politique de prévention, a permis de diminuer d’environ 50 % la mortalité par maladie coronaire chez les hommes et les femmes âgés de 35 à 64 ans, en l’espace de 20 ans seulement.
- En Ecosse, la réduction des principaux facteurs de risque peut expliquer au moins 50 % de la diminution de la mortalité observée entre 1975 et 1994.
- Aux Etats-Unis, en 30 ans, les campagnes vigoureuses de prévention du NHLBI (National Heart Lung and Blood Institute) dirigé par l’un de nos compatriotes Claude Lenfant avec 3 programmes nationaux : National High Blood Pressure education Program, Smoking education Program, National cholesterol education Program et des messages de prévention relayés par l’American Heart Association et diffusés gratuitement par les chaînes de télévision et les journaux, ont fait chuter la mortalité coronarienne de plus de 40 % et la mortalité par infarctus cérébral de plus de 50 %.
- Au Royaume-Uni, une étude coordonnée par le Docteur Belgin UNAL du Département de Santé Publique de Liverpool (British Medical Journal 2005) portant sur 35,5 millions d’adultes de 24 à 85 ans, a montré une diminution de 54 % de la mortalité d’origine cardiaque en Angleterre et au pays de Galles entre 1981 et 2000. Le nombre des fumeurs a diminué de 35 %, le taux de cholestérol total de 4,2 %, la tension artérielle moyenne de 7,7 %. L’analyse globale des données colligées par l’équipe britannique montre qu’environ 45 370 vies ont été sauvées par la réduction des 3 facteurs majeurs de risque artériel dans la population. Pour les auteurs de l’étude, la prévention primaire a eu un impact 4 fois plus grand que la prévention secondaire sur la réduction de la mortalité : parmi les vies sauvées 36 625 (81 %) sont observées chez des sujets non cardiaques et 8 745 (19 %) chez des sujets cardiaques à l’inclusion.
Les législations interdisant de fumer dans les lieux publics sont de plus en plus répandues en Europe et les résultats d’un sondage d’opinion dans l’Union Européenne (Eurobaromètre) publié il y a quelques mois révèle que 80 % des Européens y sont favorables. Une étude italienne publiée en ligne dans l’European Heart Journal le 29 Août 2006 par Francesco Barone-Adesi indique que l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics notamment dans les cafés, les bars, les restaurants et les discothèques depuis le 10 Janvier 2005 a été suivie d’une diminution de 11 % en 6 mois des admissions pour infarctus du myocarde dans les hôpitaux du Piémont. Cet effet sur la diminution de l’incidence de l’infarctus du myocarde est observé seulement chez les sujets de moins de 60 ans ce qui est cohérent avec le fait que la part attribuable au tabagisme dans la survenue d’un infarctus est d’autant plus grande que le sujet est plus jeune. En France, une réduction de 11 % du nombre d’infarctus par réduction de l’exposition au tabagisme passif entraînerait une diminution de 5 à 7 000 infarctus par an, ce qui est considérable. J’ajoute que la nouvelle législation italienne contre le tabac a entraîné une diminution de 7,6 % de la consommation des cigarettes et de 90 % de la concentration des vapeurs de nicotine dans les bars et les boites de nuit. Il est intéressant de rapprocher les résultats de l’étude italienne de Francesco Barone-Adesi des constatations rapportées par R.P. Sargent en 2004 dans le British Medical Journal (BMJ 2004, 328, 977-380) dans la ville d’Helena (Montana) : les admissions aux urgences pour infarctus du myocarde ont diminué de 40 % pendant les 6 mois d’interdiction de fumer dans les lieux publics pour reprendre leur valeur initiale quand cette interdiction a été supprimée. Une autre étude, l’étude de Pueblo au Colorado publiée par Carl Bartechi dans Circulation (2006, 114, 1490-1496) rapporte une diminution de 27 % du nombre des hospitalisations pour infarctus myocardique après l’application du Smoke Free Air Act en 2003 alors qu’à Colorado Springs, une autre ville du même état où il n’y a pas eu de mise en œuvre de la loi anti-tabac, le taux des infarctus n’a pas changé.
Enfin à New York, après 3 ans d’interdiction de fumer dans les lieux publics, le nombre des morts dus au tabagisme, est passé de 9 000 en 2001 à 8 000 en 2005 et le nombre des fumeurs dans la ville a diminué de 200 000 environ.
Comment améliorer la prévention des maladies cardiovasculaires en France ?
L’amélioration de la prévention dépend de la volonté politique et de la responsabilisation des citoyens. Si l’Etat n’est pas responsable de tout, ne peut pourvoir à tout, ne peut pas tout, son rôle est cependant capital. Enjeu fondamental de santé publique, la lutte contre le tabagisme, première cause de mortalité évitable, en est un bon exemple. L’augmentation du prix des cigarettes réalisée dans le cadre du plan cancer de 2003, a permis une diminution nette des ventes de tabac dans notre pays : moins 14 % en 2003 (hausse du prix de 12 %), moins 21 % en 2004 (hausse du prix de 22 %) en dépit d’une contrebande qui est restée modeste (2 à 3 % des ventes). Le nombre des Français ayant cessé de fumer est passé de 820 000 en 2002 à 1 900 000 en 2003, mais la partie est loin d’être gagnée, le tabagisme des jeunes reste élevé au-delà de 30 %, celui des femmes dépasse 20 % et diminue plus lentement que chez les hommes.
En dépit de la loi EVIN de 1991 relative à la lutte contre le tabagisme, interdisant de fumer dans les lieux publics sauf dans les emplacements réservés aux fumeurs, les espaces aménagés dans les restaurants, les bars et les discothèques n’offrent qu’une protection virtuelle aux non fumeurs. Un décret pris par le gouvernement le 15 novembre 2006 en application de la loi EVIN et inspiré du modèle italien, publié au Journal Officiel du 16 Novembre 2006, va interdire à partir du 1er février 2007 de fumer dans tous les lieux fermés et couverts dédiés au travail ou accueillant du public mais aussi sur les quais des gares, dans les moyens de transport collectif, dans les cours des écoles, des collèges, et des lycées et dans tous les lieux accueillant des mineurs. Les fumoirs installés dans les bars et les restaurants devront répondre à des normes drastiques et être équipés de dispositifs d’extraction d’air et de fermetures automatiques. Les bars-tabacs, restaurants et discothèques auront jusqu’à janvier 2008 pour se mettre en conformité. En cas d’infraction, les sanctions seront lourdes (68 euros pour le fumeur, 135 euros pour l’employeur et jusqu’à 750 euros en cas de non respect des règles d’installation des fumoirs). D’ici là, le gouvernement s’est engagé à signer avec les débitants de tabac un « nouveau contrat d’avenir » destiné à favoriser leur reconversion. Les fumeurs se verront également proposer une aide pour pouvoir arrêter de fumer (patchs, consultations de tabacologie) : 100 millions d’euros seront dédiés chaque année à cet effet.
La loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 a listé 100 objectifs pour améliorer la santé des français d’ici 2008, notamment réduire la mortalité par cardiopathies ischémiques ainsi que la fréquence et la sévérité des séquelles fonctionnelles des accidents vasculaires cérébraux. L’Académie Nationale de Médecine, sous ma présidence, a recommandé des cibles d’intervention qui devraient s’avérer rapidement efficaces.
Enfin, le Programme National Nutrition Santé (PNNS) lancé en 2001 joue un rôle important dans le rééquilibrage nutritionnel au profit des fruits et des légumes en recommandant d’en consommer 5 par jour, avec réduction du sel, des graisses saturées (beurre, fromages, lait entier, charcuterie, viandes grasses) et des sucreries. Il faut enrayer la véritable épidémie de surpoids et d’obésité qui atteint notre pays après avoir submergé les Etats-Unis.
La médiatisation de la prévention est indispensable mais elle exige le concours des chaînes publiques de radio et de télévision pour contrebalancer les informations publicitaires délétères, notamment alimentaires et informer la population des dangers du tabagisme qu’il faut parvenir à dénormaliser chez les jeunes.
L’industrie agro-alimentaire doit participer à la promotion des fruits et des légumes, à la réduction de la teneur en sel du pain et des produits manufacturés, notamment des plats cuisinés en restauration collective. La communication ne doit pas atteindre uniquement les populations déjà bien informées, mais toucher également les populations à faible niveau socio-économique qui ont des risques plus élevés car la fracture sociale se répercute jusque dans la santé. A 35 ans, les cadres et les professions libérales ont une espérance de vie plus longue de 6,5 ans que les ouvriers. La mortalité coronarienne est plus faible dans les classes professionnelles les plus élevées que dans les classes modestes. L’étude ENTRED portant sur 3 076 diabétiques de type 2, publiée dans le Bulletin Epidémiologique hebdomadaire du 14 Novembre 2006, démontre qu’un statut socio-économique défavorable est associé à une prévalence plus forte du diabète, à une prise en charge de moindre qualité et un taux de mortalité lié au diabète plus élevé. 60 % des malades ont un niveau d’études inférieur ou égal au BEPC contre 39 % d’une population de référence du même âge. La fréquence plus élevée de l’obésité, principal facteur de risque du diabète de type 2, dans cette population, explique en grande partie ce lien.
Les disparités sociales de santé vont de pair avec les disparités régionales de mortalité générale. Les valeurs maximales sont observées dans le croissant nord de notre pays : Bretagne, Nord Pas de Calais, Alsace, les valeurs les plus basses en Midi Pyrénées et Languedoc Roussillon, régions productrices de fruits et de légumes. Le contexte environnemental socio-économique et nutritionnel constitue un facteur essentiel des disparités régionales. L’obésité chez les hommes jeunes dont la prévalence a doublé en 10 ans est nettement plus marquée dans les zones rurales que dans les villes. Ces inégalités doivent être prises en compte par tous les acteurs de notre système de santé.
Les médecins ont un rôle essentiel dans la prévention. Le « médecin traitant », institué coordonnateur des soins par la loi du 13 août 2004 de l’Assurance Maladie a une position privilégiée car c’est lui qui connaît le mieux le sujet auquel il s’adresse ainsi que son environnement personnel et familial. Dans une enquête Louis Harris, 66 % des personnes interrogées le citent en premier comme acteur de la prévention cardiovasculaire. Le contrôle de la tension artérielle, les dosages du cholestérol sanguin, des triglycérides, marqueurs du risque cardiovasculaire car généralement associés à un HDL cholestérol bas surtout chez la femme avant la ménopause ainsi que de la glycémie doivent être systématiques avant 30 ans et renouvelés tous les 4 à 5 ans quand les résultats initiaux sont normaux.
Les médecins du travail et les cardiologues doivent intervenir activement dans l’instauration et le suivi de la prévention cardiovasculaire. Le personnel infirmier, les para-médicaux, les pharmaciens et même les dentistes ont un rôle adjuvant important.
L’instauration d’une véritable culture de prévention « vie entière » dans la population, dans les familles, dans les écoles et dans les lycées est indispensable. Elle doit s’accompagner du dépistage des individus à haut risque, dans les familles des sujets qui ont eu un accident cardiovasculaire prématuré. Une démarche spécifique doit être engagée chez les sujets en situation de précarité en leur favorisant l’accès aux structures de dépistage et de prévention. Une récente enquête réalisée en ligne du 2 au 6 Octobre 2006 sur 820 personnes de 18 ans et plus démontre que 82 % des assurés sont favorables à une consultation de prévention annuelle systématique dispensée par le médecin traitant. Une consultation de prévention gratuite doit être mise en place à partir du 1er juillet 2007 pour toutes les personnes de 70 ans et plus pour repérer les troubles liés aux polypathologies du vieillissement. Il me paraît souhaitable de généraliser cette mesure à tous les âges de la vie adulte : comme le disait Maurice Roche : « pour devenir centenaire, il faut commencer jeune… »
La prévention cardiovasculaire a atteint l’âge de la maturité et ses bénéfices devraient être plus importants que ceux apportés par les multiples innovations technologiques souvent très coûteuses apparues en cardiologie ces dernières décennies. Nos dirigeants politiques perçoivent maintenant son intérêt mais il faut aussi convaincre nos concitoyens de sa nécessité.
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
– VACHERON A., LE FEUVRE C., DI MATTEO J., Cardiologie (3ème édition), Expansion Scientifique publications, 1999.
– VACHERON A., La cardiologie à l’aube du 3ème millénaire, Colloque Singer Polignac – 1er décembre 2000.
– VACHERON A., La médecine française au début du 20e siècle., Colloque Singer Polignac – 1er juin 2005.