Séance du lundi 12 février 2007
par le Pr. Roger Nordmann,
Membre de l’Académie nationale de médecine
Je suis très conscient du grand honneur qui m’a été fait en me demandant de répondre devant vous à la question “Que faire ?” face aux multiples problèmes sanitaires, économiques et sociaux liés à la consommation des trois substances psychoactives les plus répandues que sont le tabac, l’alcool et le cannabis. C’est certainement en raison de mon long compagnonnage avec ces substances que cette délicate mission m’a été confiée. C’est, en effet, lors de mon cursus hospitalier initial que j’ai pris conscience du rôle trop souvent occulté de la consommation problématique d’alcool dans un grand nombre d’états pathologiques. Par la suite, mes activités de recherche m’ont conduit à créer un laboratoire spécialisé dans la recherche sur l’alcoolisme et à fonder en 1987 la Société européenne de recherches biomédicales sur l’alcoolisme (ESBRA). Plus récemment, mes fonctions de Président de la Commission “Addictions” de l’Académie nationale de Médecine m’ont conduit à adjoindre à mes pôles d’intérêt le tabac et, plus encore, le cannabis, substance dont la banalisation dans l’opinion publique nous paraissait particulièrement préoccupante.
Tabac, alcool et cannabis ont en commun un pouvoir addictif par le biais de mécanismes neuro-biologiques qui présentent d’importantes similitudes. Cependant leurs modalités de consommation ainsi que leurs conséquences sanitaires et socio-économiques diffèrent notablement. Cette spécificité nous conduit à envisager devant vous, dans un premier temps, chacune de ces substances isolément, avant de considérer ensuite l’intérêt de les réunir dans le cadre d’une discipline nouvelle, l’addictologie.
Le tabac
Etat des lieux
Le tabagisme actif
On compte en France environ 12 millions de fumeurs réguliers, soit une prévalence de 33 % d’hommes et 26 % de femmes. Le tabac est la substance psychoactive pour laquelle les prévalences masculine et féminine diffèrent le moins. Cette prévalence est particulièrement élevée dans les deux sexes avant 35 ans, puis décroit progressivement avec l’âge.
Bien qu’introduit en France dès le 16e siècle par Jean Nicot, ambassadeur de François II au Portugal, la connaissance des effets néfastes du tabagisme est relativement récente. C’est à sir Richard Doll que l’on doit la publication en 1951 et en 1954 d’enquêtes révélant la relation significative entre consommation régulière de tabac et cancer du poumon. Au cours des 50 années écoulées depuis lors, cette relation a été mise en doute par les industriels du tabac. En minimisant ou rejetant les résultats accumulés peu à peu démontrant la réalité de cette relation, ils ont favorisé la pandémie tabagique.
Responsable de plus de 60 000 décès par an, le tabagisme actif représente la première cause de mortalité évitable. Il est, en particulier, responsable d’un décès par cancer sur trois et multiplie par trois le risque d’atteinte coronarienne chez le consommateur de 20 cigarettes par jour. Ceci est d’autant plus préoccupant que le tabagisme est également cause de 80 à 90 % des cas de bronchite chronique obstructive, appellation qui recouvre les termes de bronchite chronique et d’emphysème, qui affecte à l’heure actuelle 3,5 millions de nos concitoyens et qui, selon les prévisions, sera d’ici 2020 la 3e cause de mortalité dans le monde.
Le tabagisme passif
Une étude japonaise a révélé dès 1981 que les épouses de fumeurs, bien que ne fumant pas elles-mêmes, avaient été atteintes de cancer du poumon plus souvent que les épouses de non-fumeurs.
A l’heure actuelle on estime à 5 000 environ le nombre de décès annuels en France liés au tabagisme passif. Celui-ci affecte notamment les appareils respiratoire et cardio-vasculaire des sujets exposés.
Sujets particulièrement exposés aux conséquences du tabagisme
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La consommation tabagique régulière est maximale dans la tranche d’âge 18-25 ans, affectant 36 % de cette population. Elle est particulièrement préoccupante car fréquemment le fait d’adolescents. La précocité de la consommation est, en effet, le facteur de risque majeur de dépendance envers le tabac et d’entrée dans la polyconsommation de substances psychoactives.
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Le tabagisme de la femme enceinte est encore très répandu dans notre pays, bien qu’il puisse déterminer des anomalies du déroulement de la grossesse, telles que retards de croissance in utero, accouchement prématuré, risque de mort subite du nourrisson.
Le tabagisme passif est, lui aussi, très délétère pour le premier âge, accroissant l’incidence d’atteintes respiratoires et d’otites.
Que faire face au tabagisme ?
Comment réduire le tabagisme actif ?
La loi de Santé publique du 9/8/2004 a défini, parmi ses objectifs, la réduction d’ici 2008, de la prévalence du tabagisme masculin de 33 à 25 % et du tabagisme féminin de 26 à 20 %.
Une mesure particulièrement efficace pour atteindre cet objectif est l’augmentation du prix du tabac, de préférence par paliers successifs et non de façon insidieuse et continue. Son application récente a certainement contribué à la diminution de 4 à 5 % de la prévalence du tabagisme régulier observée de 2003 à 2005 à l’âge de 17 ans, aussi bien chez les garçons que chez les filles.
Une autre mesure essentielle est l’aide au sevrage, une proportion considérable des fumeurs quotidiens souhaitant arrêter leur consommation. Comme le démontre une étude très récente, l’arrêt du tabagisme se traduit, quelle que soit son ancienneté, par une amélioration de la qualité de vie.
On dispose heureusement de substituts nicotiniques aisément administrables par diverses voies et représentant l’un des éléments facilitant le sevrage tabagique. Leur prise en charge par l’assurance maladie est à l’ordre du jour après prescription médicale, notamment pour les femmes enceintes, qui devraient bénéficier d’un accès prioritaire aux consultations de tabacologie et aux autres organismes d’aide à l’arrêt du tabagisme. Le rapport bénéfice/risques des substituts nicotiniques au cours de la grossesse n’est cependant pas encore établi avec certitude.
Comment réduire le tabagisme passif ?
Malgré son retard global dans le domaine de la prévention en matière de santé publique, la France peut se targuer d’être l’un des pays pionniers dans la protection des non-fumeurs.
Dès 1976 la loi Veil a restreint la publicité pour le tabac et imposé la mention “abus dangereux” sur les paquets de cigarettes. La loi Evin de 1991 a interdit de fumer dans les lieux publics fermés et couverts, notamment dans les établissements scolaires. Ses remarquables dispositions n’ont cependant été que partiellement suivies d’effet, justifiant de nouveaux textes législatifs, applicables depuis 12 jours. Certains établissements bénéficient pourtant d’un délai supplémentaire qui devrait être mis à profit pour la création d’espaces fumeurs équipés d’une ventilation adéquate et auxquels les mineurs de 16 ans ne pourraient accéder.
L’alcool
État des lieux
Consommation d’alcool en population générale
L’alcool, consommé depuis la plus haute antiquité, est la substance psychoactive qui a causé le plus de plaisirs et le plus de douleurs à l’humanité. Sa consommation en France a diminué de plus de 40 % en un-demi siècle et atteint actuellement 13,1 litres d’alcool pur par an et par habitant de plus de 15 ans. Sa consommation régulière est le fait d’environ 20 % de nos compatriotes âgés de 18 à 64 ans, soit environ 30 % des hommes et 10 % des femmes. Elle croit progressivement de la tranche des 18-25 ans à celle des 45-64 ans.
Responsable annuellement de 45 000 décès, elle est la 2e cause de mortalité prématurée évitable (après le tabac). Il convient de noter que la surmortalité liée à l’alcool est de 30 % supérieure a la moyenne européenne.
Les causes essentielles des décès sont les cancers des voies aéro-digestives supérieures, les cirrhoses hépatiques, les psychoses alcooliques.
L’alcool joue un rôle considérable dans l’accidentalité routière, accroissant de plus de 8 fois le risque relatif de provoquer un accident mortel. Il est également responsable de 15 à 25 % des accidents du travail. Les altérations considérables du comportement liées a l’alcoolisation aiguë se traduisent encore par des actes de violence, notamment conjugales.
L’alcool est ainsi le produit addictif dont le coût social est le plus élevé en France. Son coût économique est également considérable, représentant près de 2 % du PNB et se traduisant par un coût annuel d’environ 600 euros par habitant.
Cette réalité alarmante est, pour partie, liée à une large méconnaissance des effets de l’alcoolisation répétée. L’opinion publique tend encore, à l’heure actuelle, à opposer aux “alcooliques”, considérés avec une certaine sorte d’opprobre, les autres consommateurs “normaux” de boissons alcooliques. En réalité, les études épidémiologiques récentes ont clairement démontré l’existence d’un continuum fait de 4 étapes : l’usage simple, l’usage à risque, l’usage nocif et l’alcoolo-dépendance. Le groupe des sujets alcoolo-dépendants correspond à l’ancienne terminologie d’“alcooliques”. Il est caractérisé par des symptômes caractéristiques lors d’un sevrage, dont l’ensemble le plus spectaculaire est le delirium tremens. Environ 2 millions de nos concitoyens font partie de ce groupe. Cependant 3 millions d’autres Français ont une consommation problématique d’alcool, sans, bien souvent, en être conscients.
Sujets particulièrement exposés aux conséquences de la consommation d’alcool.
Les jeunes et l’alcool
Les modalités d’alcoolisation des jeunes sont le mieux documentées à l’âge de 17 ans grâce aux enquêtes ESCAPAD (enquêtes sur la santé et les comportements réalisées lors des journées d’appel de préparation à la défense) qui concernent chacune plus de 30 000 garçons et filles. Les résultats obtenus en 2003 et 2005 montrent que l’usage régulier d’alcool reste surtout masculin et décroît de 2003 à 2005, étant le fait de 18 % des garçons en 2005 (au lieu de 21 %) et de 6 % des filles (au lieu de 7 %). En revanche la consommation épisodique d’une quantité importante d’alcool (supérieure au seuil de risque défini par l’OMS pour une consommation ponctuelle) est en nette progression.
Cette évolution correspond à la diffusion du “ binge drinking ”, notion anglo-saxonne qui couvre, selon les auteurs, soit le seul dépassement de ce seuil, soit la volonté délibérée d’atteindre un état d’ivresse caractérisée.
En France, presque un jeune sur deux déclare avoir eu au cours des 30 derniers jours une consommation supérieure à ce seuil (essentiellement sous forme de bière et/ou de spiritueux), tandis que la prévalence des ivresses régulières a crû de 7 % en 2003 à 10 % en 2005. Cette prévalence est certes heureusement beaucoup plus faible que celle notée au Royaume-Uni ou dans les pays nordiques. Elle est néanmoins préoccupante, car elle est souvent le fait d’adolescents. Il est avéré, en effet, que plus le consommateur est jeune, plus sont élevés les risques d’atteinte cérébrale et d’évolution vers l’alcoolo-dépendance.
Alcool et grossesse
L’alcool traversant aisément la barrière placentaire exerce une action délétère sur le cerveau fœtal et ceci à tous les stades de la grossesse. Dans les cas extrêmes il se traduit par le syndrome d’alcoolisation fœtale comportant des malformations apparentes dès la naissance. Plus souvent l’usage d’alcool par la femme enceinte ne se traduit, chez l’enfant, que par des altérations du développement et notamment par des difficultés de l’attention et de l’acquisition du langage, de la lecture et de l’écriture.
La consommation d’alcool au cours de la grossesse représente ainsi la cause majeure de retard mental d’origine non génétique, ainsi que d’inadaptation sociale de l’enfant.
Que faire face à l’alcool ?
Mieux informer la population des risques
Les enquêtes actuelles révèlent qu’un pourcentage important des consommateurs de boissons alcooliques n’a pas une bonne connaissance des conséquences sanitaires et sociales qui peuvent en résulter.
A la suite de vastes études épidémiologiques, l’organisation mondiale de la santé a cependant diffusé des seuils de consommation au-dessous desquels celle-ci serait “à moindre risque” Le facteur essentiel à considérer étant la quantité d’alcool consommée, ces seuils sont exprimés en “verres standard”, la verrerie de la restauration étant standardisée de façon à délivrer toujours la même quantité d’alcool. L’essentiel de la consommation se faisant cependant en dehors de la restauration, nous avons, dans un communiqué de l’Académie nationale de médecine du 28 novembre 2006, préconisé le remplacement de l’indication en “verres standard” par celle en “unités alcool” (une unité correspondant à 10 grammes d’alcool pur) et l’indication systématique du contenu en “ unités alcool ” sur l’étiquetage de tous les conditionnements de boissons alcooliques, quelle qu’en soit la nature. Nous pensons que cette mesure faciliterait la prise de conscience d’une éventuelle consommation à risque.
Il convient cependant d’insister dans les messages de prévention que la consommation d’alcool doit être totalement prohibée dans certaines circonstances, telles que la conduite automobile, le travail sur machines dangereuses, l’enfance, la grossesse, et qu’une consommation inférieure aux seuils indiqués dans les message destinés à la population générale ne représente pas une sécurité totale, en raison des différences individuelles considérables de susceptibilité envers l’alcool, en partie d’origine génétique. On peut citer, à ce propos, la forte prévalence d’une intolérance totale à l’alcool dans la population japonaise en raison d’une déficience en acétaldéhyde déshydrogénase, enzyme impliquée dans le métabolisme de l’alcool.
Des critiques souvent émises à propos de l’expression des seuils ne considérant que la quantité d’alcool font souvent appel au “ paradoxe français ” attribuant au vin des vertus particulières, certains préconisant même de le considérer comme un aliment et non comme une boisson alcoolique. Il apparaît cependant que le niveau relativement bas de la mortalité cardio-vasculaire en France par rapport aux pays anglo-saxons est liée à de nombreux facteurs climatiques et nutritionnels, dont la consommation de vin n’est que l’un des éléments. De plus, une méta-analyse très récente de l’ensemble des travaux publiés à ce jour dans ce domaine a mis en évidence les multiples biais épidémiologiques présents dans la plupart des résultats publiés.
Réduire l’accessibilité aux boissons alcooliques, notamment pour les jeunes.
Toute une série de mesures sont à préconiser et devraient être facilitées par l’évolution de l’opinion publique qui s’est exprimée lors de la tenue en décembre 2006 des États généraux de l’alcool et qui traduit, nous semble-t-il, une levée partielle et progressive du tabou lié aux consommations problématiques d’alcool.
Sans en faire un inventaire complet, on peut citer parmi ces mesures :
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la modification des horaires de vente des boissons alcooliques (ou leur interdiction totale) dans les stations-service ;
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l’application stricte de l’interdiction de vente de boissons alcooliques dans les enceintes sportives ainsi qu’aux mineurs en tous lieux ;
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l’interdiction du sponsoring des soirées destinées aux étudiants, avec mise à dispositions de boissons non alcooliques et de fontaines à eau;
Dépister précocement les consommateurs à risque et disposer des structures de prise en charge adéquates
La détection du niveau de consommation doit faire partie de toute consultation médicale, hospitalière ou extra-hospitalière. Elle est facilitée par la mise au point récente de questionnaires spécialisés, tels que les questionnaires DETA ou AUDIT. La réduction d’une consommation à risque bénéficie elle-même des méthodes nouvelles d’entretiens motivationnels. Pour ceux pour lesquels ces entretiens s’avèrent insuffisants, il est indispensable de disposer de réseaux de structures d’accueil et d’accompagnement, point sur lequel nous reviendrons en fin d’exposé.
Le cannabis
État des lieux
La consommation de cannabis, qui concerne essentiellement les jeunes de moins de 25 ans, a littéralement explosé au cours des dernières décades. Presque inconnue en occident avant l’expédition d’Egypte et interdite par Bonaparte, son usage est resté par la suite restreint à quelques catégories de nos concitoyens. Diffusé dans les années vingt par les jazzmen de la Nouvelle-Orléans, il a bénéficié, à partir des années soixante, d’une extension et d’une banalisation auxquelles l’Académie nationale de médecine a tenté de s’opposer vigoureusement. Nous avons personnellement été à l’origine de nombreux communiqués ayant pour objet d’attirer l’attention sur les importants dangers sanitaires et sociaux liés à son usage, surtout s’il est régulier. Ces dangers sont majorés par les changements récents portant tant sur les produits utilisés que sur leur modalités de consommation.
On observe, en effet, l’apparition sur le marché de cette drogue illicite de produits beaucoup plus concentrés en principes actifs (essentiellement le delta 9-tétra-hydrocannabinol ou THC) que ceux présents autrefois. Alors que le cannabis est le plus souvent fumé, la diffusion récente de sa consommation à l’aide d’une pipe à eau permettant d’éliminer les substances irritantes favorise l’inhalation du THC lequel, du fait de sa liposolubilité considérable se fixe de façon élective dans le système nerveux central et le tissu adipeux, d’où il ne sera relargué que très progressivement.
Une autre évolution récente et inquiétante a trait à la nature des consommateurs qui sont de plus en plus jeunes à l’expérimenter et de plus en plus nombreux à en faire un usage régulier. Or l’usage par des adolescents a une nocivité particulière, car il s’effectue à un moment où le système nerveux central est en pleine phase de développement des connexions synaptiques.
À l’heure actuelle plus d’un jeune sur deux a expérimenté le cannabis. Sa consommation régulière concerne 8,7 % de la tranche d’âge 18-25 ans, soit un chiffre supérieur à celle de l’alcool (7,6 %) Notre pays se situe ainsi en tête des pays européens, dépassé seulement par la République tchèque.
Les effets immédiats du cannabis consistent en une désinhibition avec sensation subjective de bien-être, masquant les importants troubles de coordination perceptivo-motrice, de l’attention et de la mémoire à court terme. Il en résulte une altération de l’accomplissement des tâches complexes, d’où l’accroissement notable de l’accidentalité routière, récemment mis en évidence. Chez certains sujets présentant une susceptibilité particulière, hélas imprévisible, la seule expérimentation de cannabis peut se traduire par des épisodes psychopathologiques extrêmement sévères.
L’usage régulier est particulièrement inquiétant car il conduit à une diminution des performances scolaires et professionnelles, ainsi qu’à un désintéressement vis-à-vis de l’entourage, notamment familial. En démotivant et déconnectant, cet usage est ainsi un facteur majeur de désocialisation. Il est également un facteur d’aggravation de toutes les psychopathologies évolutives, en particulier de la schizophrénie. Il convient d’ajouter que la fumée de cannabis a une action cancérigène supérieure à celle du tabac et induit une diminution de l’immunité. Son usage est particulièrement nocif au cours de la grossesse.
Que faire face à la pandémie cannabique ?
Mieux informer les jeunes, les enseignants, les parents ainsi que les professions médicales et paramédicales
C’est vraisemblablement en raison du caractère relativement récent de l’extension considérable de la consommation de cannabis et surtout de la diffusion de messages tendant à la banaliser qu’il apparaît essentiel que l’ensemble de la population dispose d’une information scientifiquement validée quant aux sévères conséquences qui peuvent en résulter, à la fois sur le plan sanitaire et social.
Les enseignants sont souvent eux-mêmes mal informés de ces conséquences. C’est à leur intention que nous avons organisé à l’Académie nationale de médecine le 19 octobre 2006 un colloque présidé conjointement par le recteur de l’académie de Paris, Maurice Quénet, et notre secrétaire perpétuel, Jacques-Louis Binet. Ce colloque intitulé “ Rôle de l’Education nationale dans la diffusion des connaissances scientifiques concernant le cannabis ” marquait la première étape d’une série de colloques semblables en cours de réalisation au sein de l’académie de Paris, à l’instar de ceux existants dans certaines régions françaises et ayant pour but d’informer non seulement les enseignants, mais les familles, les parents se trouvant souvent désemparés lorsqu’il s’avère qu’un de leurs enfants est consommateur de cannabis.
Le corps médical et paramédical ne dispose pas lui-même toujours des informations nécessaires, d’où notre demande de développer l’enseignement portant sur le cannabis et les autres addictions dès le PCEM 1.
À destination des consommateurs, le message le plus pertinent est celui qui insiste sur la perte de liberté que peut induire cet usage, prenant ainsi le contre-pied de ceux qui préconisent la facilité d’accès au cannabis précisément au nom de la liberté individuelle. Il convient également de leur préciser que la qualification de “ drogue douce ” que certains ont voulu donner au cannabis ne repose sur aucun constat validé, son usage régulier étant cause de dépendance à l’instar des autres drogues addictives. Au niveau médiatique il conviendrait de totalement proscrire les informations tronquées ou partiales, de même que les messages dont l’interprétation peut prêter à confusion. Des exemples récents montrent que ceci n’est malheureusement pas le cas.
Repérer précocement l’usage de cannabis et obtenir son arrêt
L’éventualité d’une consommation de cannabis doit être envisagée lors de toute consultation médicale, en particulier lorsqu’il s’agit d’adolescents ou d’adultes jeunes. De même que pour l’alcool, des questionnaires récemment développés peuvent être utilisés et, en cas de réponse positive, des entretiens motivationnels peuvent, au cours d’un colloque singulier, inciter le consommateur à peser lui-même les bénéfices que lui procure cet usage par rapport à ses inconvénients. Un recours à des structures spécialisées s’avère cependant souvent indispensable, ce d’autant plus que l’usage de cannabis est le plus souvent associé à celui d’autres substances psychoactives.
Ceci nous conduit à considérer dans son ensemble le domaine de l’addictologie, non sans avoir signalé au préalable l’intérêt de la recherche d’une consommation de cannabis lors des accidents de la route, ceci malgré la relative difficulté et le coût de cette recherche en rapport avec les caractéristiques du métabolisme du tétra-hydrocannabinol.
Polyconsommation de substances psychoactives et intérêt de la discipline addictologique
Ayant considéré isolément jusqu’ici les 3 substances faisant l’objet du présent exposé, il convient à présent d’insister sur la fréquence de leur utilisation conjointe, de même que sur l’impact de la consommation de l’une d’elles sur celle des autres.
La polyconsommation, à savoir le cumul d’au moins deux usages réguliers de ces trois substances, concerne 8 % de la population adulte, la forme la plus répandue étant l’association alcool-tabac (6 %). A 17 ans, un garçon sur cinq et une fille sur dix se déclarent polyconsommateurs réguliers, la moitié des filles concernées l’étant pour l’association régulière tabac et cannabis. Il faut ajouter qu’il est également souvent fait appel à d’autres produits psychoactifs illicites. De plus la consommation régulière de cannabis favorise l’appétence envers l’alcool, comme le montrent à l’évidence aussi bien les travaux sur la souris que les études épidémiologiques.
Dans ces conditions, il apparaît logique de considérer ensemble l’usage de ces substances addictives qui, toutes, déterminent au niveau de certaines zones du système nerveux central une libération accrue de dopamine, neuro-médiateur appelé parfois “ amine du plaisir ”. Cette communauté d’action neuro-biologique est, par elle-même, une justification de l’addictologie, discipline récente, dont l’intérêt est à la fois clinique et fondamental.
Nous désirons saluer chaleureusement à ce propos le plan 2007-2011 de prise en charge et de prévention des addictions présenté en Conseil des ministres le 15 novembre 2006 par le Ministre de la Santé et des Solidarités, Xavier Bertrand. Ce plan, auquel est consacré un budget de 77 millions d’euros par an pendant 5 ans, a six objectifs prioritaires, à savoir mieux prendre en charge les addictions dans les établissements de santé ainsi que dans les centres médico-sociaux, mieux coordonner les secteurs hospitalier, ambulatoire et médico-social de suivi et d’accompagnement du patient, développer la prévention, améliorer la formation des professionnels , renforcer et coordonner la recherche.
Ce plan ambitieux donne ses lettres de noblesse à la discipline addictologique et doit notamment aboutir à créer au moins un service d’addictologie de recours pour 500 000 habitants ainsi qu’un pôle d’addictologie dans chaque centre hospitalo-universitaire. Il prévoit dans cette optique le développement de centres associant médecins, infirmiers, psychologues, éducateurs et assistantes sociales, ainsi que la généralisation de réseaux associant médecins généralistes et associations d’aide aux sujets présentant une addiction.
La réussite de ce plan nous paraît d’un intérêt capital, non seulement pour améliorer l’état sanitaire de la nation, mais également sa cohésion sociale. Il convient en effet de souligner que l’alcoolisation aigüe avec recherche volontaire d’un état d’ivresse, de même que le recours massif au cannabis font partie intégrante de la volonté manifestée par certains de rejeter par tous moyens à leur disposition le modèle sociétal qu’ils récusent.
Texte des débats ayant suivi la communication
Sources bibliographiques
Boissons alcooliques : l’impérieuse nécessité d’améliorer le dépistage et l’accompagnement des consommateurs à risque. Contribution aux objectifs n°1 et 2 de la Loi relative à la politique de Santé Publique du 9 août 2004. Nordmann R. et Haas C., Bull.Acad. Natle Méd.,2005,189,1051-1059
Désamorcer le cannabis dès l’école. Rapports de l’Académie nationale de médecine. Nordmann R. Editions Lavoisier, 113 pages, 2006
La prise en charge et la prévention des addictions. Plan 2007-2011. Ministère de la Santé et des Solidarités. 2006.