L’assurance maladie est-elle réformable ?

Séance du lundi 5 mars 2007

par le Pr. Gérard Milhaud,
Secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques

 

 

Tenter de répondre à la question « l’assurance maladie est-elle réformable ? » est pour moi l’occasion d’accomplir un devoir de mémoire pour avoir bien connu les acteurs qui ont créé l’institution de la sécurité sociale en 1945, institution qui est entrée dans l’histoire de la nation en tant que fondement de notre cohésion sociale.

La question à laquelle je vais m’efforcer de répondre impose d’abord de préciser l’acception du terme de réforme appliqué à une réforme de structure, donc d’une portée nationale considérable et qui vise le succès à terme.

Dans notre temps de morosité, les Français s’interrogent sur la capacité de notre pays à réaliser les grandes réformes de structure qui s’imposent pour relever les défis auxquels ils sont confrontés et rétablir l’influence de la France dans le concert des nations.

Il faut observer que le terme de réforme est galvaudé par le pouvoir politique. On ne réforme pas pour le plaisir de réformer, on ne confond pas le consensus sur le diagnostic de la crise avec la volonté politique, non seulement de la dénoncer mais bien d’agir sur les causes qui l’ont provoquée. Il ne faut pas dénommer réforme ce qui peut s’avérer un mensonge d’Etat.

Force est de constater qu’actuellement les réformes de structure sont remises à des jours meilleurs, faute de les avoirs engagées au lendemain de l’événement politique majeur de l’élection présidentielle du 5 mai 2002. Pourtant les crises étaient annoncées : retraites, université, recherche, assurance maladie, poids des charges et de la dette, respect du pacte de stabilité. La tâche est immense pour rendre à la France sa compétitivité et son attractivité.

Les réformes dûment approuvées par la représentation parlementaire se sont soldées par des échecs, de 1995 à nos jours. La question est donc celle de l’étude de la sociologie de la réforme, à laquelle je tenterai de procéder en proposant une introduction à l’étude de la réforme expérimentale inspirée de la démarche de Claude Bernard dans son « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale ».

 

Introduction à l’étude de la réforme expérimentale

 

L’analyse des conditions qui ont abouti au succès de la réforme hospitalo-universitaire de 1958 demeure d’une grande actualité et peut contribuer à dégager les principes sur lesquels toute grande réforme d’importance nationale doit être fondée. Faute d’avoir tiré les leçons de la réforme hospitalo-universitaire salvatrice de 1958 pour les appliquer aux grandes réformes qui s’imposent, le succès n’a pas été au rendez-vous.

Les conditions du succès d’une réforme globale, politique, jacobine et autoritaire comportent les étapes suivantes :

  1. Le constat partagé d’une crise grave, qui recueille l’assentiment d’une grande partie des intéressés.

  2. L’élaboration de projets cohérents de réforme qui peuvent comporter des options différentes.

  3. L’existence de groupes de pression, les uns favorisant une évolution, les autres déterminés à engager une réforme radicale.

  4. L’intervention d’une personnalité réformatrice charismatique.

  5. La survenue d’événements politiques inattendus provoquant un changement de constitution comme en mai 1958 ou dans la foulée de l’élection du Président de la République.

  6. Le recours à la procédure de l’ordonnance.

  7. La mobilisation de moyens financiers à la hauteur du changement proposé.

Mais, revenons à la réforme de l’assurance maladie. Un bref rappel historique s’impose. Sous l’inspiration du Général de Gaulle, Président du gouvernement provisoire de la République française, Alexandre Parodi, Ministre du Travail et de la Sécurité sociale confie en 1945 à Pierre Laroque la tâche de réformer les assurances sociales mises en place par la loi du 5 avril 1928 et d’élaborer l’institution de la sécurité sociale.

Ce projet s’inscrit dans le grand mouvement des idées de transformation de la société française né dans les groupes de la Résistance. Le Professeur Debré conçoit « l’organisation d’une médecine meilleure au service de la nation tout entière ». Dans l’article intitulé « La médecine française est libre » paru dans Le Médecin français du 25 octobre 1944 il préconise : « Une médecine qui donnera à chaque Français, quelle que soit sa situation de fortune, les soins les plus éclairés ».

En mai 1944, le Conseil national de la Résistance avait adopté « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec une gestion appartenant aux représentant des intéressés et de l’Etat ».

Qui est alors Pierre Laroque ? Nommé en août 1940 Maître des requêtes au Conseil d’Etat, à l’âge de 32 ans, il est révoqué en décembre 1940, victime des lois antisémites du gouvernement de Vichy. Il entre dans la Résistance, part pour Londres et s’engage dans les forces françaises libres. De 1943 à 1944 il dirige le commissariat national à l’intérieur du Comité de Libération nationale avec la mission de remettre en marche l’administration après la Libération.

A son arrivée à Londres il prend connaissance du plan Beveridge et du message radiodiffusé que Winston Churchill, Premier Ministre a adressé à la nation anglaise en guerre le 21 mars 1943 :

« Vous devez nous considérer, mes collègues et moi comme de chauds partisans de l’assurance obligatoire pour toutes les classes et pour tous les buts, du berceau à la tombe. Tous les préparatifs, y compris, si cela est nécessaire, les préparatifs législatifs préliminaires, seront faits avec la plus grande énergie ».

L’emploi est au cœur du plan, qui vise à assurer le travail pour tous. Winston Churchill déclare :

« La meilleure façon de s’assurer contre le chômage est de ne pas avoir de chômage. Ceux qui sont inaptes au travail, riches ou pauvres devront être réadaptés. Nous ne pouvons nous permettre d’avoir des oisifs. Les oisifs au haut de l’échelle créent des oisifs au bas. Personne en âge de travailler ne doit se tenir à l’écart afin de vivre une vie égoïste de plaisir. Il y a des gaspilleurs dans toutes les classes ! Heureusement qu’ils ne sont qu’une petite minorité dans chaque classe ».

Le service national de santé, qui sera créé à la fin de la guerre, aura pour mission de fournir à chaque citoyen tout traitement médical dont il pourrait avoir besoin, dans la forme nécessaire dans son cas, qu’il s’agisse de traitement à domicile, d’hospitalisation, de médecine générale, des soins d’un spécialiste ou de consultations médicales et de lui procurer également tous les appareils requis, dentaires, ophtalmiques ou chirurgicaux.

Ce service devra « être à la disposition des citoyens qui en auraient besoin sans qu’aucune contribution financière leur soit imposée dans les cas individuels ». « Le rétablissement de la santé d’un malade constitue, par-dessus toute autre considération, un devoir de l’Etat en même temps que de la personne atteinte ».

Mon intérêt pour les questions sociales remonte à l’année 1943 avec la parution du premier livre consacré à l’étude du plan Beveridge écrit par Edgard Milhaud, premier Doyen de la Faculté des sciences économiques et sociales créée à l’université de Genève en 1915, cofondateur avec Albert Thomas du Bureau international du travail, mon grand père. D’emblée le succès du livre sera considérable, contribuant à faire entrer le plan Beveridge dans l’histoire. Tout au long de ma carrière j’ai eu pour principe de concilier le progrès médical et son impact socio-économique dans le cadre de la médecine sociale.

 

L’ordonnance du 4 octobre 1945 créant la sécurité sociale

 

Pierre Laroque débarque en France en juin 1944. En octobre, Alexandre Parodi le nomme Directeur général des assurances sociales et lui confie la mission de créer l’institution de la sécurité sociale. Dans la France dévastée, Pierre Laroque se met au travail avec enthousiasme et rédige l’ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la Sécurité sociale :

Article 1er « Il est instauré une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gains, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. » « Institution qui ouvre le droit aux soins à tous les travailleurs, à leur famille, qui les garantit contre les aléas du destin, qui protège la famille, qui assure la retraite des vieux travailleurs ». L’inspiration généreuse du plan Beveridge est manifeste. La gestion du système est confiée aux organisations syndicales.

Pierre Laroque est nommé le premier Directeur général de la Sécurité sociale par Alexandre Parodi (1945-1951). Il est désormais un personnage charismatique, jouissant d’une très grande autorité morale, sachant imposer sa volonté. Il est considéré comme le père de la sécurité sociale. Michel Lagrave, Président du Comité d’histoire de la Sécurité sociale, Directeur de la Sécurité sociale (1987-1994) et membre de l’Académie nationale de médecine le qualifiera de « visionnaire lucide ».

En 1948, Alexandre Parodi me rapportait cette observation de Pierre Laroque : « Nous avons créé un organisme si complexe que personne à l’avenir ne pourra le réformer ». Que vaut cette prédiction 60 ans après ?

Clio, la muse de l’histoire, retiendra le nom de Pierre Laroque, père de la Sécurité sociale. Elle n’oubliera pas celui d’Alexandre Parodi, Maître des requêtes au Conseil d’Etat en 1930, entré dans la résistance en 1941, désigné comme Chef de l’administration clandestine, délégué général du gouvernement provisoire de la République Française pour la France occupée en mars 1944. Il met en place les futurs secrétaires généraux des ministères avec Michel Debré et accueille le Général de Gaulle à Paris le 25 août 1944.

Mais Clio oubliera le nom d’Adrien Tixier, cosignataire de l’ordonnance du 4 octobre 1945 en qualité de Ministre de l’intérieur du Gouvernement provisoire de la République Française. Entre le 9 septembre 1944 et 27 janvier 1946, date du départ du pouvoir du Général de Gaulle, il accomplit en 16 mois une œuvre considérable : il crée la Direction de la surveillance du territoire (DST) et les Compagnies républicaines de sécurité (CRS). Entré au Bureau international du travail à Genève en 1923 il est nommé sous-directeur en 1936. Il est l’un des trois signataires du télégramme adressé au Maréchal Pétain le 20 juin 1940 pour le conjurer de rejeter toute armistice et de continuer la lutte dans l’Empire, les deux autres signataire étaient le Professeur Edgard Milhaud, président de la colonie française de Genève et le Professeur d’anatomie Jean -Amédée Weber, lorrain. En 1941 Adrien Tixier représente le Comité national français à Washington, à la demande du Général de Gaulle.

La création de la Sécurité sociale s’avère un immense succès après avoir surmonté de très fortes oppositions. C’est le type d’une réforme, qui recueille l’assentiment d’une grande partie de la population, qui réalise un projet cohérent et ambitieux, qui est soutenu par des groupes de pression influents, qui bénéficie de l’intervention d’une personnalité charismatique soutenue par le Général de Gaulle, qui survient dans l’enthousiasme de l’évènement immense de la Libération, qui recourt à la procédure expéditive de l’ordonnance, qui dispose des moyens financiers pour la mettre en place.

Il faut souligner que l’assurance maladie qui ouvre le droit aux soins aux travailleurs et à leur famille est bien une assurance.

Mais il faut aussi observer que l’assurance maladie n’a actuellement plus d’assurance que le nom. Elle répond à une autre logique. L’assurance couvre un risque dont le coût est supporté par les primes payées par l’assuré à la compagnie d’assurance, assorties généralement d’une franchise mise à la charge de l’assuré pour le responsabiliser. L’assuré accepte ces conditions pour être couvert en cas de maladie et ne cherche pas à rentabiliser le montant des primes versées. La couverture maladie des travailleurs était financée à l’origine à la fois par l’employeur et par l’employé. Dans le cas de compagnies mutuelles d’assurance complémentaire, le contrat prévoit, selon les circonstances, une surprime ou une ristourne sur la prime en fonction de l’évaluation du risque.

Comment se fait-il que l’assurance maladie actuelle n’ait plus rien de commun avec l’ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale ?

Le système a bien fonctionné de 1945 à 1967, période au cours de laquelle la gestion du système a été confiée aux organisations syndicales. Mais alors que l’économie française vit le temps des trente glorieuses, l’édifice se lézarde sous l’influence du déséquilibre des comptes.

 

La réforme structurelle de Jean-Marcel Jeanneney

 

En 1967, Jean-Marcel Jeanneney, Ministre des Affaires sociales persuade le Président de la République de la nécessité d’une réforme structurelle. Quatre ordonnances promulguées le 20 août 1967 réorganisent le système général de la Sécurité sociale. Il remplace la caisse nationale de sécurité sociale par trois caisses nationales, qui ont un statut d’établissement public :

  • La caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)

  • La caisse nationale d’allocations familiales (CNAF)

  • La caisse nationale de l’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS)

Cette réforme de bonne administration est capitale : chaque caisse aura ses propres ressources et devra assurer son propre équilibre financier. Une agence centrale des organismes de sécurité sociale est créée pour gérer la trésorerie de ces trois établissements (ACOSS).

Le « ticket modérateur », la part des dépenses à la charge de l’assuré social, est relevé de 20 à 30 % pour les honoraires médicaux. Les cotisations des salariés sont augmentées pour la première fois depuis 1945 !

La composition des conseils d’administration des organismes de sécurité sociale comporte désormais le même nombre de représentants salariés et patronaux. Les représentants des salariés sont désignés au sein des syndicats les plus représentatifs, mais les élections ne se dérouleront qu’en 1983. Singuliers avatars de la démocratie sociale.

La réforme Jeanneney est la première réforme d’importance nationale. Prise par ordonnances, elle visait à clarifier les comptes. Cette transparence est un préalable à tout rétablissement de l’équilibre des comptes. Mais les évènements de mai 1968 fragilisent la société française tentée par le slogan « l’imagination au pouvoir ». Le trou de la sécurité sociale se creuse.

Le déficit chronique de l’assurance maladie s’installe depuis plus de 30 ans, le bilan comptable de l’assurance maladie est dans le rouge. Les réformes se succèdent — 28 au total — et l’effet d’annonce passé, le déficit réapparaît.

 

Décisions prises par Raymond Barre, Premier Ministre en 1978.

 

Constatant que la croissance des dépenses de l’assurance maladie est plus rapide que l’augmentation du produit intérieur brut, Raymond Barre déclare que cet état de chose ne peut durer. Il réforme le financement de l’hôpital en remplaçant le prix de journée inflationniste par le budget global. Il tente de rétablir partiellement la franchise de l’assurance par l’introduction du ticket modérateur d’ordre public pour responsabiliser l’assuré social confronté aux prestations dont il bénéficie. Mais le budget global n’est pas exempt d’inconvénients et le ticket modérateur d’ordre public ne sera jamais appliqué. Après Raymond Barre, le rétablissement de l’équilibre des comptes cesse d’être une préoccupation prioritaire des Ministres des affaires sociales.

 

La fiscalisation de l’assurance maladie : l’extension de la réforme par Michel Rocard, Premier Ministre, de 1990.

 

Le financement de l’assurance maladie a changé de nature, insidieusement, avec l’introduction de la contribution sociale généralisée (CSG) introduite par Michel Rocard, initialement au taux faible de l’ordre de 1,5 %. Il s’agit d’un prélèvement sur l’ensemble des revenus d’activité, de remplacement, des produits du patrimoine, des placements et des jeux. Cette contribution n’était pas conçue à l’origine comme un impôt pour lui permettre d’être affectée à la sécurité sociale. Elle était un instrument de la politique des revenus et par un savant mécanisme faisait main basse sur les cotisations d’assurance vieillesse. Actuellement elle est reconnue comme un impôt, dont le taux a été brutalement rehaussé à 8,5 % par Lionel Jospin, Premier Ministre, en 1996. Le financement par l’impôt a relégué le financement par les primes à la portion congrue, soit environ 1/3 du total. L’assurance maladie a perdu ainsi définitivement son statut d’assurance pour dépendre de l’Etat.

 

L’inculture des comptes

 

Madame Nicole Questiaux, Ministre de la Solidarité nationale, déclarera péremptoirement « Je ne serai pas le Ministre des comptes » En 1995, Madame Elisabeth Hubert, Ministre de la Santé publique et de l’Assurance maladie, adopte la même attitude. En 2005, Philippe Douste-Blazy, Ministre de la Santé et de la Protection sociale commente la loi relative à l’assurance Maladie du 13 août 2004 dans le Journal du dimanche du 27 février 2005 en ces termes : « le Marché de la santé n’est plus celui de l’assurance automobile. Je ne laisserai personne torpiller la réforme pour de basses réformes financières. » On l’aura compris : la santé n’a pas de prix, peu importe son coût !

Les Ministres donnent ainsi le pire exemple en se désintéressant de l’équilibre des comptes, attitude qui se répercute de haut en bas de l’institution de l’assurance maladie.

 

La réforme d’Alain Juppé, Premier Ministre, de 1996

 

Préoccupé à juste titre par l’ampleur du déficit de l’assurance maladie et de la dette abyssale qui ne cesse de se creuser, il soumet à l’Assemblée Nationale une réforme institutionnelle de l’assurance maladie, prise par ordonnance.

La réforme Juppé comportait :

  1. Le vote du budget de l’assurance maladie par le parlement. Il ne s’agissait pas d’une loi de finance classique, mais plus modestement d’un objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) flou et s’apparentant à un objectif financier non identifié, exprimé en pourcentage du budget de l’année écoulée. L’ONDAM n’a pas de caractère contraignant et son dépassement, qui a été pratiquement la règle depuis son institution, sauf en 1997 année de la hausse brutale de la CSG, n’entraîne aucune conséquence législative rectificative. Le Parlement prend acte du dépassement et vote un nouvel ONDAM qui ne sera pas davantage respecté.

  2. L’ONDAM se prête d’autant moins au contrôle des dépenses qu’il permet de prélever sur le budget de l’assurance maladie des dépenses qui ne la concerne pas et de détourner de l’assurance maladie des sommes qui devraient lui être versées.

    L’ONDAM ne permet donc pas de réaliser la transparence des comptes de l’assurance maladie, préalable indispensable à l’élaboration et à la mise en œuvre de la grande réforme d’importance nationale de l’assurance maladie. Nous exposerons ultérieurement la nature et l’importance des dérives financières imposées à l’assurance maladie par l’État.

  3. Alain Juppé décide aussi de mettre en place un dispositif destiné à éponger la dette cumulée de l’assurance maladie qui grossit d’année en année. Il introduit un nouvel impôt, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) qui complète la CSG, au taux 1,5 % de l’ensemble des revenus. Cet impôt, qui devait être aboli en 2007 a un bel avenir devant lui et contribue à la fiscalisation du financement de l’assurance maladie et à la déresponsabilisation de l’assuré. Confronté à la contrainte fiscale, l’assuré n’a aucune motivation pour adopter un comportement de père de famille relativement à ses dépenses de santé.

  4. La création des agences régionales d’hospitalisation.

Alain Juppé est longuement ovationné par les parlementaires debout à l’Assemblée nationale. Il s’agissait selon eux de la réforme du siècle. Mais l’euphorie fut de courte durée : une grève dure jeta les Français dans la rue et bloqua le pays parce que la réforme touchait aux régimes spéciaux de retraite et parce qu’elle mécontentait gravement les personnels médicaux, en imposant des sanctions collectives aux médecins en cas de dépassements des objectifs fixés par l’ONDAM. Cette mesure se fondait sur le raisonnement selon lequel la convention médicale liant l’ensemble des médecins signataires, les sanctions devraient s’appliquer collectivement. Ce raisonnement pêchait par deux défauts : la sanction collective est contraire à l’esprit de la démocratie et elle génère des comportements dépensiers individuels pervers, puisque le médecin ne peut que subir les conséquences des actes des confères coupables d’infractions.

La réforme Juppé d’intérêt national comportait quatre insuffisances :

  1. L’absence de constat partagé d’une crise grave, qui recueille l’assentiment d’une grande partie des intéressés : le trou de l’assurance maladie n’inquiétait plus personne.

  2. L’absence de groupe de pression, les uns favorisant une évolution, les autres déterminés à engager une réforme radicale associée à l’hostilité des médecins.

  3. L’absence d’intervention d’une personnalité réformatrice charismatique.

  4. L’absence de mobilisation de moyens financiers à la hauteur du changement proposé en raison des déficits et de la dette.

Cette réforme bénéficiait pourtant de 3 avantages majeurs :

  1. Ses projets étaient cohérents et ni l’intervention du parlement, ni la contribution au remboursement de la dette sociale, ni la création des agences régionales d’hospitalisation n’ont été remises en cause ultérieurement.

  2. Elle survenait au lendemain de l’élection du Président de la République, Jacques Chirac en 1995.

  3. Elle recourait à la procédure de l’ordonnance.

Avec l’échec de la réforme d’Alain Juppé, les sanctions passent à la trappe. Mais l’ONDAM et la CRDS demeurent et les déficits de l’assurance maladie deviennent abyssaux en 2003.

 

Le budget de l’assurance maladie

 

Il est considérable et s’élève à 43 % du budget de l’État. A titre de comparaison, celui de l’Éducation nationale est de 23 % alors qu’il est le premier employeur de la Communauté européenne avec son million de fonctionnaires. L’hospitalisation représente à elle seule environ la moitié des dépenses de l’assurance maladie. La caisse nationale emploie plus de 100 000 personnes, ce qui correspond à environ deux employés par médecin exerçant la médecine générale. Philippe Seguin, premier Président de la Cour des comptes, Ministre des affaires sociales (1986-1988), déclare : « La Sécurité sociale toujours angoissée par son immense succès, l’énormité de ses bugets et l’insuffisance de mécanismes régulateurs… »

Les Français sont tenus dans l’ignorance des contraintes financières parce que le gouvernement incite à la consommation, par la carte vitale qui permet la délivrance « gratuite » de médicaments et qui est beaucoup plus généreuse que la carte bancaire ; par la couverture médicale universelle beaucoup plus laxiste que l’assistance médicale gratuite ; par la couverture médicale universelle complémentaire et par l’aide médicale d’Etat instituées en plein déficit, sans étude approfondie de l’ampleur des dépenses induites.

Ils sont tenus dans l’ignorance des contraintes financières parce que les ménages n’ont payé directement que 10,9 % des dépenses courantes de soins en 2003, année où la hausse de la consommation de soins a atteint 6,5 %.

Ils sont tenus dans l’ignorance des dimensions financières et humaines de l’assurance maladie. Ils vivent dans l’illusion de la pérennité de l’institution dès lors qu’ils consultent les médecins de leur choix, qu’ils les consultent à volonté et qu’ils peuvent en changer en cas de désaccord même léger, que les médicaments prescrits leur sont délivrés gratuitement, du moins en apparence, et que certains font valoir leur droit aux congés maladies pour réunir deux ponts. Ils sont habitués à entendre l’annonce de crises financières à répétition frappant l’institution, suivie de réformes — 28 depuis 1980. On proclame : « L’assurance maladie, ça craint. » L’effet d’annonce modère la consommation de soins. L’effet d’annonce passé, les dépenses reprennent leur envol. Rien ne change.

Deux millions de personnes travaillent en France dans le vaste domaine de la santé.

 

La réforme pour l’avenir de l’assurance maladie de l’Académie nationale de médecine

 

Dès le mois d’avril 2003, la IVe Division – Médecine préventive et sociale – de l’Académie nationale de médecine, exerçant son rôle d’observation et de vigilance dans le domaine de la médecine sociale a informé le Conseil d’administration de l’Académie d’un sujet d’actualité dont il conviendrait que l’Académie se saisisse conformément à l’article 24-II § 4 et 5 de son règlement. Il s’agissait de la réforme de l’organisation et du financement de l’assurance maladie, qui connaissait sa plus grave crise depuis sa création il y a 60 ans.

Dans sa séance du 26 mai 2003, le conseil d’administration a décidé la création du groupe de travail sur l’avenir de l’assurance maladie, qui se mit immédiatement à l’œuvre. Il est composé de 16 personnalités qui avaient en commun un intérêt sans faille pour sauver l’assurance maladie à laquelle la médecine française est étroitement liée. Cette institution qui avait surmonté tant de crises financières par le passé en recourant à des mesures transitoirement efficaces, se trouvait en situation équivalente à la faillite dans le secteur privé. Tous les membres du groupe ont été impliqués dans l’assurance maladie à des degrés divers au cours de leur carrière – directeur de la sécurité sociale au ministère du Travail, conseiller social de deux Premiers Ministres, membres de cabinet ministériel, collaborateurs de Robert Debré, père de la réforme hospitalo-universitaire de 1958, fondateurs des centres hospitalo-universitaires, président d’université, créateur de l’École nationale de la santé publique, membres de commissions ministérielles, de commissions de l’INSERM et du CNRS, président du Conseil National de l’Ordre des médecins, biologistes, chirurgiens et médecins des hôpitaux, professeurs de santé publique, spécialistes du droit et de l’expertise médicale, médecin conseil national d’un grand régime de l’assurance maladie.

Le groupe de travail sur l’avenir de l’assurance maladie a tenu 32 séances. Elles ont permis de réaliser un accord portant sur l’essentiel, débouchant sur l’audition de 23 personnalités du monde politique, administratif, médical, hauts fonctionnaires, assureurs impliqués dans l’assurance maladie. Les auditions ont permis de proposer des mesures propres à établir une nouvelle architecture du système d’assurance maladie transcendant les clivages politiques. Ont été entendu les Premiers Ministres Alain Juppé et Michel Rocard et les Ministres Jacques Barrot, Bernard Debré, Claude Evin, Henri Nallet, Xavier Bertrand, et Jean Glavany.

 

Appel du Président de la République du 12 juin 2003

 

Après la réforme des retraites, Jacques Chirac décide d’intervenir et s’exprime en termes lapidaires dans son discours prononcé lors du 37e Congrès de la Mutualité.

« L’ampleur des déséquilibres financiers un moment masqué par la croissance économique, nous invite à agir ensemble. La crise financière est si grave que l’avenir de l’assurance maladie est menacé. C’est maintenant qu’il faut y penser (à la réforme) et qu’il faut agir, pour que la France reste un pays fort et solidaire, pour que les Français soient un peuple soudé et fraternel, pour offrir à nos enfants un avenir ouvert au lieu de léguer nos dettes, une protection sociale affaiblie et une économie endormie. Nous ne pouvons assujettir l’avenir des jeunes à la satisfaction de nos seuls et immédiats besoins ».

Le groupe de travail pour l’avenir de l’assurance maladie prend connaissance de l’intervention du Président de la République avec le plus vif intérêt, considérant que cette volonté exprimée par la plus haute autorité de la Nation était le plus puissant des encouragements.

 

Séance thématique de l’Académie nationale de Médecine consacrée à l’avenir de l’assurance maladie le 10 février 2004

 

  • L’Académie nationale de médecine constate que le déficit de l’assurance maladie ne cesse de se creuser imposant d’urgence une réforme.

  • L’Académie nationale de médecine considère aussi que tout doit être fait pour maintenir notre système d’assurance maladie qui a le mérite d’allier la liberté à la solidarité.

  • L’Académie nationale de médecine estime que l’équilibre financier de l’assurance maladie peut être rétabli et maintenu, sans mettre en cause la qualité des soins, grâce à des mesures concernant le comportement des assurés sociaux, des personnels de santé et du personnel administratif, l’organisation et le fonctionnement des établissement de soins qui génèrent plus de la moitié des dépenses, la politique du médicament, le contrôle médical et la transparence des comptes.

L’Académie nationale de médecine publie le communiqué suivant, adopté à l’unanimité dans sa séance plénière du 6 avril 2004 :

  1. L’avenir de la médecine française dépend pour une large part de celui de l’assurance maladie dont les principes fondateurs — humanisme, liberté, responsabilité et solidarité — peuvent et doivent être conservés.

  2. Pour éviter toute dérive du système, l’assuré social doit se sentir pleinement responsable, participer personnellement, même de façon réduite, au financement de ses propres soins, la gratuité totale ne devant s’appliquer qu’aux plus défavorisés dans le cadre d’une assistance rénovée. La prévention, pouvant entraîner des économies substantielles pour l’assurance maladie, est un devoir national pour chacun.

  3. Le renforcement de l’autorité médicale avec pour corollaire une responsabilité financière s’impose dans les établissements de soins.

  4. L’interdépendance entre une médecine de pointe et l’innovation thérapeutique impose la définition d’une politique du médicament. En effet, la réglementation actuelle du prix des médicaments et la promotion des génériques peuvent diminuer à court terme les prises en charge par l’assurance maladie. Mais, à moyen et longs termes, leurs effets pourraient s’avérer néfastes pour l’avenir de l’industrie nationale du médicament.

  5. Des charges indues grèvent le budget de l’assurance maladie et creusent le déficit. Aussi la transparence des comptes devrait être assurée par une loi de finances sociales concernant, notamment, l’assurance maladie. Les recettes et les dépenses devraient faire l’objet d’une évaluation précise, que l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) ne permet pas.

  6. La création d’un service médical national de l’assurance maladie est indispensable. Il formerait un corps unique de praticiens efficaces (médecins, chirurgiens, biologistes, chirurgiens-dentistes, pharmaciens) inscrits sur liste d’aptitude, établie par recrutement à la suite d’un concours national. Il s’agirait d’un corps autonome sous hiérarchie médicale et indépendant des caisses, incluant de droit les praticiens conseils en exercice, sauf opposition de leur part. Il aurait le quadruple rôle :

    – conseil de la politique de santé et études épidémiologiques ;

    – contrôle des prescriptions et des prestations dans le respect du code de déontologie ;

    – médiation entre les praticiens, les assurés sociaux et les caisses ;

    – relations avec l’agence régionale d’hospitalisation.

  7. L’équilibre des comptes une fois rétabli ne dispensera pas d’identifier et d’éliminer les abus et les gaspillages pour dégager des marges financières permettant de faire face à l’augmentation inévitable des dépenses de soins consécutives au vieillissement de la population et au coût croissant du progrès médical. Une augmentation des recettes par la contribution sociale et généralisée (CSG) ne saurait précéder la remise en ordre des comptes de l’assurance maladie. La prolongation de la période déjà longue de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) paraît inévitable pour apurer le déficit actuel.

 

La loi relative à l’assurance maladie du 13 août 2004

 

Après l’intervention du Président de la République, Jean-François Mattei, Ministre de la Santé, de la famille et des personnes handicapées se met immédiatement à l’œuvre.

Il faut souligner que le déficit de l’assurance maladie – 13,6 milliards d’euros en 2004 – est pris en compte par le pacte de stabilité, qui lie les pays qui ont adopté l’euro. Le déficit des dépenses publiques doit être inférieur à 3 % du PIB. Et ce déficit comprend celui de l’État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale. Depuis deux ans, la France ne respecte plus les critères du traité de Maastricht, la dépense publique avoisinant les 3,7 % du PIB. Le gouvernement peut agir sur les finances de l’État, mais il est sans pouvoir sur celles de la régionalisation et des collectivités locales. Il ne peut laisser filer les dépenses de l’assurance maladie s’il entend respecter les critères du pacte de stabilité.

 

Le Haut conseil pour l’avenir pour l’assurance maladie

 

Jean-François Mattei le crée en date du 7 octobre 2003 et désigne Bertrand Fragonard, Président de chambre à la Cour des comptes pour le présider. Il est composé de 55 membres, dont six médecins impliqués dans les activités syndicales et les principaux acteurs ayant pris part à la gestion de l’assurance maladie. Cette composition éclaire ses propositions et ses prises de position. Les travaux sont menés tambour battant et font l’objet d’un rapport consensuel de 153 pages publié le 23 janvier 2004.

Un large consensus se dégage sur le constat des dysfonctionnements de l’assurance maladie et sur l’ampleur du déficit parmi les membres du Haut Conseil. Mais le Haut Conseil considère « qu’il n’a pas à délibérer directement sur d’éventuelles réformes d’ensemble du système de recettes de l’assurance maladie. »

En fait le Haut Conseil, faute de consensus, renonce à aborder les questions qui fâchent. Il se refuse à procéder à l’examen des composantes responsables du déficit abyssal de l’assurance maladie, condition nécessaire à l’identification des dysfonctionnements du financement. Ce diagnostic est l’étape préalable à toute thérapeutique. N’est-il pas surprenant que le Haut Conseil présidé par un membre éminent de la Cour des Comptes ne fasse pas la lumière sur les charges indues étrangères à l’assurance maladie et sur les ressources qui lui sont destinées mais qui alimentent d’autres budgets ?

N’est-il pas surprenant qu’il renonce à s’intéresser à l’hospitalisation, qui génère plus de la moitié des dépenses ?

Par un singulier chassé-croisé, le groupe de travail sur l’avenir de l’assurance maladie, créé par le Conseil d’administration de l’Académie nationale de médecine le 26 mai 2003, empruntera une démarche inverse en s’attachant logiquement à rétablir la transparence des comptes de l’assurance maladie. Il identifiera les facteurs responsables du trou de l’assurance maladie et évaluera leur importance respective. Il a eu le grand mérite d’être le premier à s’être intéressé à la question capitale de la dette et du déficit qui plombe l’avenir de la Nation et qui est abordée avec une très grande prudence par les candidats à l’élection présidentielle actuelle. Il a le tort d’avoir raison trop tôt.

Il observe que les réformes de l’assurance maladie mises en place dans le passé ont été incapables de rétablir durablement l’équilibre des comptes de l’assurance maladie. Tant que de lourdes charges indues pèseront sur l’assurance maladie, tant que des détournements considérables de ressources affectées à l’assurance maladie perdureront, les réformes seront vouées à l’échec. Dans le passé, il n’a servi à rien de désigner des coupables – médecins, hôpitaux, assurés sociaux, industriels du médicament – puisque les changements de comportements ne permettraient que des économies marginales comparées aux charges indues et aux détournements de ressources imposées par l’État : c’est remplir le tonneau des Danaïdes ! Le rétablissement de la transparence des comptes s’impose en tant que préalable à toute réforme durable. Mais la transparence des comptes établie ne dispensera pas de prendre des mesures courageuses de réforme des structures et du fonctionnement de notre système de santé.

Il est surprenant que les déficits de l’assurance maladie et l’accumulation de la dette n’interpellent ni la presse, ni la télévision, ni les éminents économistes de la santé. Une singulière omerta empêche que la lumière soit faite sur les composantes des déficits : 11 milliards d’euros en 2003, 13,6 milliards d’euros en 2004. Les médias reprennent ces montants astronomiques sans avoir la curiosité de procéder à la moindre investigation !

 

Philippe Douste-Blazy est nommé Ministre de la santé et la protection sociale au printemps 2004.

 

Il reprend le chantier de la réforme de l’assurance maladie, assisté de Xavier Bertrand, secrétaire d’État à l’Assurance maladie. Ils s’attèlent à cette tâche, qui apparaît à beaucoup comme celle de la dernière chance.

Deux voies s’offrent à eux. La première voie est celle d’une grande réforme, qui rétablisse durablement l’équilibre des comptes et qui fasse appel aux principes fondateurs de l’institution, portés par une vision de l’avenir. Vont-ils faire front courageusement aux corporatismes en prenant dans un premier temps le risque de s’exposer à l’impopularité que suscite toute réforme structurelle pour entrer dans l’histoire ? Vont-ils s’attaquer à combler le déficit et à rembourser la dette pour qu’elle ne pèse pas sur les épaules de nos enfants et de nos petits-enfants ?

Ou vont-ils se contenter de proposer une réforme qui ménage les intérêts des groupes de pression en renonçant à rétablir durablement un fonctionnement efficace de l’assurance maladie se déroulant dans la transparence des comptes ?

À minorer la gravité de la crise financière qui menace la survie de l’assurance maladie, les Français sont confortés dans l’idée qu’il est possible de ne rien changer.

La mise en place d’une réforme incomplète comporte des inconvénients majeurs. Elle mécontente les opposants, qui se sentent menacés et elle déçoit les partisans d’une réforme courageuse, qui se sentent trompés. Dans ce contexte, le slogan qui affirme que chaque euro doit être dépensé utilement pour l’assurance maladie peine à convaincre.

La réforme de l’assurance maladie pouvait emprunter la voie d’ordonnances ou celle d’un projet de loi soumis en premier à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Dans le passé toutes les réformes majeures de l’assurance maladie ont pris la forme d’ordonnances. Il est surprenant que les Ministres aient choisi la voie parlementaire de l’Assemblée nationale plutôt que celle du Sénat.

La loi relative à l’assurance maladie du 13 août 2004 est un document de 44 pages, dont la lecture est ardue. Elle a pour objectif clairement énoncé l’amélioration de la qualité des soins en minimisant la crise financière qui menace l’assurance maladie d’implosion.

La réforme a suscité peu de protestations et elle n’a provoqué aucune manifestation de rue, parce qu’elle a évité d’aborder les questions qui fâchent et parce qu’elle a ménagé les corporatismes.

A titre d’exemple, elle s’est désintéressée de l’hospitalisation, qui est responsable à elle seule de plus de 50 % des dépenses de l’assurance maladie, comme l’avait fait le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Or l’hospitalisation est en crise. Le Professeur Huguier, conseiller de Madame Simone Veil, Ministre de la Santé (1977-1979) et membre de l’Académie nationale de médecine vous exposera ici-même les causes de la crise de l’hospitalisation et les réformes qui s’imposent.

Les Ministres ont choisi de différer la réforme de l’hospitalisation pour ne pas soulever le couvercle de la jarre de Pandore. Ils ont renoncé à cette remise en ordre, préalable à la remotivation des personnels hospitaliers et aux gains de productivité générés par une gestion efficace.

 

La Haute autorité de santé

 

Elle a été créée par la loi du 13 août 2004, qui dispose : « La Haute autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale, dispose de prérogatives qui recouvrent la totalité du domaine de la santé en France ». Son caractère scientifique est affirmé dans le texte de loi. Elle a été créée dans le prolongement des agences indépendantes et irresponsables protégeant le pouvoir politique des risques croissants de judiciarisation en démembrant l’autorité de l’Etat. Le Professeur Roland Drago vous exposera prochainement les dysfonctionnements juridiques inhérents aux agences indépendantes, particulièrement l’absence de procédures d’appel. Dans son domaine de compétence la Haute autorité donne des avis. Elle n’exerce pas de pouvoir exécutif. Ses avis sont-ils susceptibles de recours ?

 

La gouvernance de l’assurance maladie

 

Elle est complexe et doit être clarifiée dans un but didactique. Le pouvoir absolu est exercé par le Directeur général, nommé pour 5 ans. Il dirige la Caisse nationale d’assistance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la mutualité sociale agricole et la Caisse nationale d’assurance maladie (CANAM)et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM). Il nomme les directeurs et les agents comptables. Il traite avec l’Union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM). Il traite avec les caisses primaires de l’assurance maladie.

En conférant au Directeur général la plénitude des pouvoirs, l’État se replace au centre du dispositif, ce qui ne va pas sans risque. Les partenaires sociaux ne sont plus que des figurants, alors que l’ordonnance de 1945 leur conférait une responsabilité sans partage de la gestion. La démocratie sociale est ainsi escamotée et la nouvelle réforme va à contresens des principes fondateurs.

 

Les amendements de l’Académie nationale de médecine

 

Au cours des discussions parlementaires le groupe de travail pour l’avenir de l’Assurance maladie a résumé ses propositions en cinq amendements qui ont été présentés aux Présidents des Commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ces amendements visaient notamment à rétablir la transparence des comptes en remplaçant l’ONDAM par une loi organique de finance sociale, par la création du service médical national de l’assurance maladie et par l’obligation pour la Haute autorité de santé de tenir compte de la politique du Gouvernement décidée dans le domaine de l’industrie nationale du médicament. Aucun de ces amendements n’a été retenu, le dernier ayant de plus été rejeté en Commission paritaire à la demande du Ministre de la Santé.

 

Observations relatives à l’application de la loi relative à l’assurance maladie du 13 août 2004

 

Cette loi ne respecte aucune des sept démarches qui conditionnent le succès d’une réforme globale d’intérêt national majeur :

  1. L’absence de constat d’une crise grave qui recueille l’assentiment d’une grande partie des intéressés;

  2. La réforme ne comporte pas un projet cohérent et global assurant à long terme l’avenir de l’institution ;

  3. Elle cède aux groupes de pression déterminés à s’opposer au changement ;

  4. Elle ne dispose pas d’une personnalité réformatrice charismatique ;

  5. Elle est entreprise tardivement, deux années après l’élection du Président de la République ;

  6. Elle renonce à la procédure de l’ordonnance ;

  7. Elle aggrave les prélèvements obligatoires au lieu de mobiliser les moyens financiers à la hauteur du changement projeté.

La crise financière de l’assurance maladie est minimisée au profit de la maîtrise médicalisée dont les réformes du passé ont établi la totale inefficacité et de l’amélioration des soins. La réforme financière est remise à des jours meilleurs.

Il faut considérer :

  • le déficit annuel, que la CSG était censé combler;

  • la dette, partie immergée de l’iceberg qui augmente chaque année du fait du déficit accumulé, qui doit être remboursée par la CRDS portant sur l’ensemble des revenus. Le service de la dette s’alourdissant d’année en année, l’espérance de vie de la CRDS s’allonge sans qu’un terme puisse être fixé.

Mais les faits sont têtus. On prend des mesures d’économies s’élevant à 2,9 milliards d’euros :

  • « Maîtrise médicalisée » des soins : 1 milliard d’euros ;

  • Renforcement du contrôle des indemnités journalières : 0,3 milliard d’euros ;

  • Plan médicament (notamment renforcement des génériques) : 0,7 milliard d’euros ;

  • Contribution forfaitaire de 1 euro par acte médical à la charge du patient : 0,6 milliard d’euros ;

  • Modernisation de la gestion hospitalière : 0,2 milliard d’euros ;

  • Augmentation de 1 euro du forfait hospitalier journalier (porté à 14 euros) : 0, 1 milliard d’euros.

On impose des recettes supplémentaires attendues provenant de :

  • l’extension de l’assiette de la CSG (passant de 95 à 97 % du salaire) ;

  • l’augmentation du taux de cotisation des retraités imposables qui (passant de 6,2 à 6,6 %) ;

  • le relèvement de 0,7 point du taux de CSG sur les revenus du patrimoine et les revenus de placement ;

  • le relèvement de 2 points du taux de la CSG sur les produits des jeux qui passe (de 7,5 à 9,5 %) ;

  • une cotisation de sécurité sociale des sociétés (C3S), au taux, de 0,03 point, pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieure à 760 000 euros.

En résumé, les mesures d’économie sont aléatoires alors que les dépenses sont bien réelles et s’élèvent à 8 milliards. La diminution du déficit est largement due à la hausse des prélèvements obligatoires plutôt qu’à des économies réelles. La durée du remboursement de la dette n’est pas précisée. Nos petits-enfants auront bel et bien à rembourser nos dépenses actuelles de soins !

Le déficit prévu du régime général de l’assurance maladie s’élève à 8 milliards d’euros pour 2005. Il était de 3,2 milliards en 2004.

La dette de l’Etat s’élève à près de 6,2 milliards d’euros à la fin de l’année 2006, dette dont il maîtrise totalement le remboursement dès lors qu’il est désormais au centre de la gouvernance de l’assurance maladie et que le rôle des partenaires sociaux est relégué à celui de figurants.

 

Conclusion

 

En l’an 2000, l’Organisation mondiale de la santé a classé le système français de santé comme le meilleur du monde, juste hommage rendu aux pères de la Sécurité sociale. Mais ce système engendre et subit des déficits croissants, qui menacent sa pérennité.

La prédiction de Pierre Laroque en 1948, selon laquelle il a créé un organisme si complexe que personne ne pourra le réformer à l’avenir, s’applique à loi sur l’assurance maladie du 13 août 2004. Présentée par ses auteurs comme la réforme de la dernière chance, elle a échoué à contribuer à rétablir l’équilibre des comptes pour s’être refusée à rechercher les causes conjoncturelles des déficits. Pour autant cette prédiction ne s’applique pas à la réforme de l’Académie nationale de médecine.

A la fin 2006, la dette de l’Etat s’élevait à 6,2 milliards – un milliard de plus qu’en 2005 – et la hausse des prélèvements obligatoires ne suffit pas à compenser la dérive des dépenses.

La grande réforme de l’assurance maladie reste à faire, celle que l’Académie de médecine a élaborée dans l’enthousiasme des situations critiques où la volonté soulève des montagnes et où tout devient possible.

Le Général de Gaulle déclarait : « Nous avons choisi la voie de l’expansion et du progrès ».

Il ne dépend que de nous — et de nous seuls — que des réformes de structure courageuses bien conduites nous permettent de retrouver la voie de l’expansion et du progrès !

Texte des débats ayant suivi la communication

 

Annexe I

Membres du groupe de travail pour l’avenir de l’assurance maladie

 

Ambroise-Thomas P. Ancien Directeur de la Pharmacie et du Médicament
Ministère de la santé – Professeur de Parasitologie CHU, Grenoble
Blancher G. Président de l’Académie nationale de médecine 2001
Boudène C. Président de l’Académie nationale de médecine 2004
Dubois G. Professeur de Santé publique – Faculté de médecine d’Amiens
Glorion B. Ancien président de l’Ordre national des médecins
Guéniot M. Président de l’Académie nationale de médecine 1996
Hollender L. Président de l’Académie nationale de médecine 2003
Huguier M. Professeur de Chirurgie, Faculté de médecine Saint-Antoine
Lagrave M. Conseiller Maître honoraire à la Cour des Comptes
Ancien directeur de la Sécurité sociale – Ministère du Travail
Loisance D. Professeur de Chirurgie cardiaque – Hôpital Henri Mondor, Créteil
Milhaud G. Président du groupe de Travail
Professeur- Faculté de médecine Saint-Antoine
Rossignol C. Ex-médecin conseil national de la Caisse des non-salariés
Sénégal J. Ancien Directeur de l’École nationale de Santé publique
Tillement J-P. Professeur de Pharmacologie – CHU Henri Mondor Créteil
Vayre P. Professeur de Chirurgie digestive – expertise médicale
Auquier L. Secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine (1999-2002)

 

Annexe II :

Personnalités auditionnées par le groupe de travail de l’Académie Nationale de Médecine pour l’avenir de l’Assurance maladie

 

 

2 juillet 2003 : M. François Hecker – Fédération française des assurances – Rôle des assurances complémentaires

8 juillet 2003 : Professeur André Heltaï – Gynécologue accoucheur, Memorial Hospital, New York – Les assurances maladies aux USA

9 septembre 2003 : Docteur Pierre-Jean Cousteix – Directeur scientifique de la CNAM – L’hospitalisation à domicile -Aspects médicaux et économiques

30 septembre 2003 : Professeur Bernard Debré – Ancien Ministre, chef de service d’urologie – Hôpital Cochin- Vers la deuxième réforme hospitalo-universitaire

14 octobre 2003 : M. Jean Marmot – Président de Chambre à la Cour des Comptes, Président du Comité économique du médicament (1993-1996) – Sauver l’industrie nationale du médicament!

21 octobre 2003 : M. S. Grimberg – Président Directeur général du laboratoire Grimbert – Quel avenir-pour les laboratoires pharmaceutiques moyens?

28 octobre 2003 : M. Gérard Lefur – Vice-Président de Sanofi-Synthelabo – Membre de l’Académie des Sciences – Quel avenir pour l’industrie pharmaceutique française ?

4 novembre 2003 : M. Henri Nallet- Garde des Sceaux (1990-1992) – La judiciarisation de l’exercice médical

18 novembre 2003 : M. Claude Evin – Ministre de la Santé (1988-1990) – Réforme de l’assurance maladie française

25 novembre 2003 : M. Dominique Coudreau – Directeur de l’Agence régionale d’hospitalisation de l’Ile-de-France (1997-2003) – Vers l’étatisation de l’assurance maladie

1er décembre 2003 : M. Michel Rocard- Premier Ministre (1988-1991) – Création de la contribution sociale généralisée – Impact sur le .financement de l’assurance maladie

2 décembre 2003 : M. Gilles Johannet – Directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (1989-1993 et 1998-2002) – Vers l’étatisation des caisses d’assurance maladie

9 décembre 2003 : M. Jean-Paul Tillement – Professeur de Pharmacologie CHU Henri Mondor Créteil – Pré-rapport sur l’utilité des phlébotropes

16 décembre 2003 : M. Bernard Avouac – Ex-président de la Commission de transparence – L’amélioration de service médical rendu est-elle dévoyée ?

6 janvier 2004 : M. Christian Babusiaux – Président de la section santé assurance maladie, 6e chambre de la Cour des Comptes – État et assurance maladie

8 janvier 2004 : Docteur Richard Pitovic – Médecin généraliste à Deauville – Rôle du médecin généraliste de campagne et de ville

13 janvier 2004 : M. Jean-Marc Sylvestre – Rédacteur en chef, responsable de l’économie à TF1 (depuis 1993) – Droits et responsabilité de l’assuré social

27 janvier 2004 : Mme Rose-Marie Van Lerberghe – Directrice générale de l’AP-HP – Qualité des soins en période de déficit budgétaire et gouvernance de l’hôpital universitaire

10 février 2004 : M. Jacques Barrot – Ministre du Travail et de la Sécurité sociale (1995-1998) – Quel avenir pour l’assurance maladie?

3 mars 2004 : M. Alain Juppé – Premier Ministre (1995-1997) – Comment sauver l’assurance maladie ?

M. Xavier Bertrand – Secrétaire d’État chargé de l’assurance maladie – Principes de la réforme

27 avril 2004 : M. Guillaume Sarkozy – Président de la Commission sociale du MEDEF – La réforme de l’assurance maladie proposée par le MEDEF

 

Bibliographie

 

MILHAUD G., “Analyse de la réforme de l’assurance maladie. Loi du 13 août 2004”, La Revue administrative, n° 344 p. 154-160 (2005)

MILHAUD G., “Analyse de la réforme de l’assurance maladie. Loi du 13 août 2004 (suite)”, La Revue administrative, n° 345 p. 252-257 (2005)

MILHAUD G., “Les conditions de réussite une grande réforme : la création des centres hospitalo-universitaires de 1958”. La Revue administrative n° 354 p. 566-571 (2006)

MILHAUD G., “Avenir de l’assurance maladie. Communiqué au nom d’un groupe de travail”, Bull. Acad. Natle. Méd. n°188 p. 695-699 séance du 6 avril (2004).