Le logement social : un casse-tête de notre temps

Séance du lundi 22 mars 2010

par M. Jean de Mathan

 

 

Monsieur le président Jean Mesnard doit être remercié deux fois : la première pour me faire l’honneur de parler devant votre assemblée, la seconde pour avoir choisi à cette communication un titre excellent ; et je peux espérer vous montrer en effet que la question du logement social est un casse-tête et plus particulièrement aujourd’hui.

 

Le logement social peut être défini comme un logement offert à un prix inférieur à celui du marché, ou bien comme un logement proposé à des ménages dont le revenu est inférieur à un plafond qui lui-même se situe à un niveau inférieur à une certaine norme [1]… Mais ne faut-il pas aussi considérer les aides qui vont permettre à ces ménages d’accéder à un logement que leurs seuls revenus leur interdiraient ? Ne faut-il pas aussi mentionner les aides à des ménages sans difficulté pour construire des logements destinés à une location à loyers “maîtrisés” ? Le logement dit “du marché” bénéficie aussi d’aides publiques et, notamment, fiscales, alors où se situe la frontière entre logement social et logement libre ? Nous resterons dans le sujet en nous posant ces questions quand les réponses, aujourd’hui, deviennent incertaines.

 

Dans l’histoire sociale, une histoire assez récente

 

Certes on pourrait considérer les fondations de Monsieur Vincent — la Salpétrière ou l’hôpital Saint-Louis — comme des hébergements sociaux : on y plaçait tous ceux qui erraient dans les rues, mendiants, vieillards sans famille, malades. On pourrait regarder également les logements des ouvriers des grands chantiers, comme ceux que commandait Colbert autour du port neuf de Rochefort.

Mais au XIXème siècle, alors que la disparition des congrégations religieuses pendant la Révolution et l’inaction des pouvoirs publics dans ce domaine a délaissé des milliers d’indigents dans la capitale, les organisations caritatives et philantropiques se préoccupent d’abord de la nourriture, ensuite de la santé et enfin de l’éducation — pensons à Frédéric Ozanam et à ses Conférences de Saint-Vincent de Paul ou aux sœurs de Sainte-Marthe et aux frères Tabourin, dans la mouvance de Port-Royal —. Mais sur le logement, on ne trouve aucune initiative d’ensemble.

Il est vrai que les rapports de cette époque avec nourriture et logement sont très différents de ceux d’aujourd’hui. J’avais noté en étudiant les voyages d’un membre de votre Institut, Clément Juglar, que la nuit d’hôtel, vers 1850, lui coûtait deux fois moins que le repas du soir, je crois que ce serait l’inverse en 2010… D’ailleurs les bonnes œuvres qui apparaissent à la fin du XIXème ont des noms liés à la nourriture (“La Mie de Pain” créée en 1891, qui existe toujours), celles de la fin du XXème ont des noms liés au logement (“Habitat et Humanisme” ou “Solidarités nouvelles pour le logement”). On meurt de froid aujourd’hui dans les rues de Paris, on ne meurt pas de faim.

 

Le vrai commencement du logement social

 

Les grandes industries ont attiré des milliers de campagnards vers les villes et vers les bassins industriels. Ces populations n’étaient pas très exigeantes en matière de logement. Ou bien elles s’entassaient — comme à Paris dans le quartier Mouffetard — dans de vieilles maisons délaissées par les bourgeois parce que délabrées, jusque dans les caves, les greniers et les appentis dans les cours, ou bien elles construisaient des baraquements autour des usines (ce qui deviendra des “bidonvilles”). Le rapport du docteur Villermé (“Tableau de l’état physique et moral des ouvriers”) en 1840 est cruel : “Les plus pauvres habitent les caves et les greniers. Ces caves n’ont aucune communication avec l’intérieur des maisons : elles s’ouvrent sur les cours, et l’on y descend par un escalier, qui en est très souvent à la fois la porte et la fenêtre. Elles sont en pierres ou en briques, voûtées, pavées ou carrelées, et toutes ont une cheminée ; ce qui prouve qu’elles ont été construites pour servir d’habitation.”

Des patrons ont réagi à cette situation lamentable — moitié par esprit humanitaire et “hygiéniste”, moitié par intérêt car l’environnement des usines devenait des cloaques — en créant de véritables villages ouvriers. On connaît les réalisations des Poêles Godin à Guise, du chocolat Menier à Noisiel ou des Charbonnages de France pour n’en citer que quelques uns, on sait aussi les inspirations chrétiennes, fouriéristes ou saint-simoniennes des uns et des autres.

Les pouvoirs publics n’interviennent que ponctuellement : on connaît la Cité Napoléon, 58 rue de Rochechouart, dans le IIème arrondissement (de l’époque) de Paris, construite entre 1849 et 1851 par l’architecte Marie-Gabriel Veugny à la demande de Louis-Napoléon Bonaparte.

La première mesure générale prise par les pouvoirs publics n’est pas une aide financière mais une loi du 30 mai 1894, due à Jules Siegfried, qui crée les sociétés d’HBM (Habitations à bon marché), elle se situe dans la ligne de l’Exposition universelle de 1889, où était organisé un “congrès international de l’habitation ouvrière”. Il faudra attendre la loi Bonnevay du 23 novembre 1912 pour voir un engagement des collectivités territoriales (départements ou villes) avec la création des offices d’HBM, et, surtout la loi Loucheur du 13 juillet 1928 pour obtenir une aide financière de l’Etat. Rappelons que l’appelation “HLM” — habitations à loyer modéré — apparaît avec la loi du 21 juillet 1950.

En 1943, il faut saluer, surtout en des temps troublés, l’initiative d’un employeur du textile [2] et de deux syndicalistes pour apporter une aide décisive aux salariés : ils créent ce qu’on appelle encore aujourd’hui le “1 % Logement”, de son vrai nom la “Participation des Employeurs à l’Effort de Construction” qu’un décret-loi du 9 août 1953 rendra obligatoire pour les entreprises de plus de dix salariés. Le principe ? Toutes les entreprises d’un bassin d’emploi cotisent auprès d’un “collecteur” — à hauteur de 1 % de la masse salariale annuelle de l’entreprise ou de l’établissement —, et ce collecteur (appelé “Comité interprofessionnel du logement” — CIL —) reverse les fonds rassemblés sous forme de prêts à des personnes morales — HBM/HLM — ou à des personnes physiques (les salariés) pour l’accession à la propriété. Ainsi les salariés de petites entreprises pourront-ils enfin bénéficier, grâce à cette mutualisation, d’une aide spécifique pour accéder à un logement convenable sans attendre d’avoir mis de côté des économies suffisantes. Les jeunes ménages pourront donc élever leurs enfants dans de bonnes conditions. En outre, le rembousement des prêts permettra d’aider encore mieux les générations suivantes, cette pérennité intergénérationnelle du système est à souligner.

 

Les aides personnelles contre les aides à la pierre

 

Ce que nous venons de décrire appartient à ce que le jargon du métier dénomme “aides à la pierre”, autrement dit, ce sont des aides à la construction soit de logements locatifs sociaux (essentiellement HLM), soit à des logements individuels (pavillons ou appartements dans les copropriétés). Ces aides produisent une nouvelle offre de logements. Mais, dès 1948, est apparue un nouveau type d’aides au logement : l’ALF (Allocation de logement à caractère familial, loi du 1er septembre 1948) destinée à aider les jeunes ménages et les familles avec enfants. Ces aides permettent aux familles de faire face à leurs dépenses de logement ou autres, elles ne produisent évidemment pas de nouveaux logements… Notons que cette mesure figure dans la fameuse “loi de 48” dans une perspective qui reste “hygiéniste”, puisque l’allocation logement et le calcul de la surface “corrigée” favorisent les logements bénéficiant d’un minimum de confort.

En 1975, le rapport Barre sur la réforme du financement du logement social va préconiser le développement des aides à la personne au détriment des aides à la pierre. Le rapport estime qu’on a assez construit, que la population ne va guère augmenter et que la progression du pouvoir d’achat va réduire le nombre de personnes à aider. La loi du 3 janvier 1977 qui en découle crée l’APL (l’Aide personnalisée au logement), qui est proposée largement à toute personne dont les ressources sont insuffisantes pour faire face aux dépenses de logement — loyer et charges ou remboursement des emprunts pour l’accession à la propriété — .

Trente ans après, le bilan est catastrophique : 6 millions de bénéficiaires, 14 milliards d’euros et beaucoup de mécontents…. En effet, face à la montée — on parlera même “d’explosion” — des aides à la personne, on ampute considérablement les aides à la pierre, le “1 %” logement va être progressivement réduit à 0,45 %, alors que les entreprises continueront à verser 0,95 %, 0,50% allant au FNAL (Fonds national d’aide au logement destiné à alimenter l’aide à la personne), et, on va “tricher” pour essayer de limiter la progression des dépenses : le loyer-plafond de l’APL ne va pas être revalorisé régulièrement et on constate ainsi qu’entre 1991 et 2004, l’écart cumulé entre loyer-plafond et loyer réel s’est accru de 23 %. Pour vous donner une image plus claire, un ménage avec deux enfants à charge avait droit à l’APL jusqu’à quatre SMIC en 1977, il n’a aujourd’hui plus droit à cette APL à partir de 1,9 SMIC…

Nous sommes donc entrés dans le vif du sujet : 4 millions de logements locatifs sociaux, 14 millions de personnes logées, et peut-être 3,5 millions de personnes sans logement ou mal logées [3], des impayés de loyer, des demandeurs d’emploi qui renoncent à une offre parce qu’ils ne trouvent pas de logement, des salariés qui habitent à 200 km de leur lieu de travail, des enfants qui rentrent de l’école et sont à l’abandon devant la télévision en attendant l’arrivée de leurs parents, des entreprises qui se plaignent des retards, des absences maladie et de la fatigue de leurs personnels, des frais de transport en constante augmentation que ce soit pour les individus ou pour les collectivités territoriales, des vies familiale, communale, associative de plus en plus difficiles…

 

Le logement social sens dessus dessous

 

Les nuages se sont amoncelés sur le logement en général et plus particulièrement sur le logement social, on peut en dresser un rapide mais éloquent inventaire :

  • Les prix du logement restés bas en France depuis la Première Guerre montent fortement dans les années 80, puis, après une crise au début des années 90, s’envolent dangereusement à partir de 1997. Les salaires ne suivent pas, tous ceux qui doivent accéder à un premier ou à un nouveau logement sont en difficulté (les bailleurs refusent les candidats qui ne présentent pas de garanties, les loyer et charges représentent plus du tiers de leurs ressources, l’offre dans les “zones tendues” — celles où l’on peut espérer un emploi — est rare). Entre 2000 et 2008, les prix moyens du logement ont augmenté de 150 %, dans ces années folles, trois-quart des logements produits en France n’étaient accessibles qu’à 15 % de la population [4].

  • La demande sur le parc locatif social est forte et l’offre de plus en plus faible, car la “fluidité” (c’est-à-dire le taux de locataires qui sortent du parc chaque année) dans les HLM ne cesse de baisser, alors que ce taux est à 25 % dans le parc privé, il est tombé à Paris en dessous de 4 %. Ce sont des milliers de logements qui ne sont pas remis à la location. Ainsi le parc social a-t-il des occupants de plus en plus vieux : les moins de trente ans représentaient 24 % des occupants HLM en 1990, ils ne représentent aujourd’hui que 11 % !

  • La partition des territoires urbains s’est cruellement aggravée : des communes s’affirment comme riches, d’autres s’enfoncent de plus en plus dans la pauvreté. Comme un organisme du 1 % Logement avait construit à Sarcelles une centaine de logements “intermédiaires” (30 % au dessus des plafonds de ressources HLM), le maire, François Pupponi, s’exclamait : “Ils ne les loueront jamais, aucun cadre ou même agent de maîtrise ne viendra habiter là !”. Il ajoutait qu’il avait quarante-deux nationalités à l’école… Nos ministres du logement se succèdent et parlent de mixité sociale, mais c’est une utopie : tous ceux qui en ont les moyens quittent les quartiers difficiles, tous ceux qui ont besoin de logement et ont quelques ambitions refusent une adresse qui stigmatise quand on cherche un emploi, une adresse qui signifie échec et précarité.

  • La flexibilité des emplois, des familles, autrement dit les licenciements, les contrats à durée déterminée ou saisonniers, les ruptures et les recompositions familiales, sont incompatibles avec le logement. Nous l’avons constaté au début de cet exposé, le logement social s’est développé dans une société stable où le jeune entrait tôt dans l’entreprise et y restait habituellement toute sa vie active, où les familles se formaient de bonne heure et duraient, comment composer immobilier (donc immobile) et mobilité des individus ? Cela a aussi une conséquence néfaste : le nombre de logements ne cesse de croître et le nombre d’habitants par logement de diminuer !

  • L’Etat n’a plus les moyens d’une grande politique du logement, il cherche alors à rogner sur certaines dépenses (mauvaise revalorisation de l’APL) et à détourner certains financements sociaux (le 1 % Logement condamné à payer le renouvellement urbain des programmes de l’ANRU — Agence nationale pour la rénovation urbaine—). Ce sont donc les entreprises et les salariés qui font les frais d’une politique hardie de restructuration des quartiers difficiles, mais n’est-ce pas faire payer des opérations de police aux salariés qui, demain, seront moins aidés pour accéder à un logement légitime ?

  • L’Europe apporte aussi son lot de menaces sur notre logement social — et ceci n’est pas un propos d’anti-européen —, c’est pourquoi je laisse la parole à un éminent spécialiste du logement social en Europe, Laurent Ghekiere [5] : “… le contentieux et l’insécurité juridique progressent. Aux Pays-Bas et en Suède, la conception universelle du logement social est contestée par la Commission européenne. En France, ce sont les droits spéciaux liés au financement du logement social qui se retrouvent devant la Cour de justice de Luxembourg”, en effet, même si les politiques du logement sont de compétence nationale, rien n’empêche un important bailleur privé d’attaquer l’Union Sociale pour l’Habitat ou une Entreprise Sociale pour l’Habitat aidée par l’Etat ou par le 1 % et qui serait, pour certains publics à revenus “moyens”, en concurrence déloyale avec ses propres sociétés.

 

Réserver les aides aux plus pauvres ?

 

Devant un tel casse-tête, les responsables politiques ont une tentation à laquelle ils cèdent chaque année davantage : réserver le logement social et les aides financières aux plus démunis. En outre, cela paraît logique et juste. C’est d’ailleurs largement engagé. Voyons comment !

  1. Dans le parc social, grâce à la connaissance des ressources des candidats locataires puis des locataires, on peut favoriser les constructions en PLAI (prêts locatifs aidés d’intégration, qui sont les plus élevés et permettent donc un “loyer de sortie” plus bas, convenant à des locataires dont le plafond de ressources sera à 30 % en dessous des plafonds de ressources “normaux”). Ces locataires “pauvres” ne provoqueront pas la jalousie d’éventuels bailleurs privés.

  2. Dans le domaine d’”Action Logement” (le nouveau nom du 1 %), l’Etat peut continuer à imposer des emplois à vocation générale ou “très” sociale, du type ANRU, PNRQAD (plan national de requalification des quartiers anciens dégradés) ou foyers de jeunes travailleurs précaires ou saisonniers, et à priver les salariés des entreprises cotisantes, considérés comme des nantis, de toute aide significative.

  3. Par les aides personnelles au logement, on n’aidera que les cas sociaux extrêmes : mères célibataires, ménages sans emploi et avec plusieurs enfants, handicapés…

  4. Par la vente massive de logements HLM, ou par leur destruction, on va réduire le parc là où il n’est pas indispensable et le redéployer sur les “zones tendues”.

La norme est le libre jeu du marché et l’intervention de l’Etat devient l’exception. Ainsi, dans le domaine du logement, seuls les plus démunis ont, à terme, vocation à être aidés par la puissance publique, le marché étant censé répondre à la demande du plus grand nombre. Dans l’histoire du logement social, c’est une révolution et malheureusement, dans un contexte de prix élevés et de mobilité, une révolution qui laisse de côté un nombre important de ménages.

 

Grandes idées et petites solutions

 

On voit très vite les limites de l’exercice :

  • La mixité sociale nécessaire à l’équilibre des quartiers disparaît malgré les beaux discours et l’article 55 de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain [6] qui impose aux communes appartenant à des agglomérations de plus de cinquante mille habitants 20 % de logements sociaux, et elle est encore fragilisée par la loi DALO [7] qui donne priorité aux plus défavorisés dans le parc social, là où il est le plus important, c’est-à-dire dans les quartiers pauvres et par le SLS — supplément de loyer solidarité qui impose un “sur loyer” aux locataires HLM qui dépassent les plafonds de ressources [8] —, faisant fuir les derniers “bourgeois” logés dans ces quartiers. Alors, bien sûr, on corrige l’effet de la loi par des mesures d’exception, mais vous comprendrez que cette manière de faire deux pas en avant puis un en arrière à la manière des prêtres saliens, ne permet guère d’avancer…

  • Rendre sociale une partie du parc privé. Quand on relit les romans de Georges Simenon, on trouve partout ce “parc privé social de fait” que ce soit les pensions de famille qui sentent la bonne soupe, les meublés douteux ou les vieux immeubles dégradés, c’était l’époque où le logement social était destiné aux ouvriers, tandis que les plus pauvres étaient majoritairement logés dans le parc privé ancien. Les habitants du parc social avaient, en 1970 [9], un revenu inférieur de 1 % au revenu moyen de l’ensemble des ménages, l’écart atteint désormais 30 %. On a cru à un début de solution en aidant par des déductions fiscales des ménages achetant et construisant dans le but de louer, avec une obligation de “loyer maîtrisé [10]” ; on sait les lois Robien, Borloo et maintenant Scellier, qui ne produisent que provisoirement un petit parc à peine social dans des secteurs où il n’est pas forcément nécessaire…

  • Vendre les logements HLM à des habitants qui accèdent ainsi à un prix raisonnable à la propriété. C’est long, difficile et le risque de “copropriétés dégradées” n’est pas négligeable. En effet, lorsque la copropriété est bloquée par des copropriétaires impécunieux, l’immeuble se dégrade, les propriétaires les plus aisés vendent à des “marchands de sommeil”, c’est-à-dire à des gens qui vont louer à des prix souvent élevés, mais sans garantie, des logements en mauvais état. On se doute qu’après la dégradation matérielle de l’immeuble, on assistera à sa dégradation sociale. Le maire de Clichy-sous-Bois, Claude Dilain, estimait quelques semaines avant les émeutes de l’automne 2005 [11] que ces copropriétés dégradées étaient à l’origine du mauvais climat social de sa commune.

  • Redonner la priorité pour l’accès au logement aux jeunes. En effet, le vieillissement des habitants du parc social est très net depuis vingt ans : Les derniers chiffres du Conseil Social des HLM indiquent que les moins de trente ans représentaient 26 % de la population HLM en 1990 et qu’ils ne sont plus, aujourd’hui, que 11 %. La loi du 25 mars 2009 (article 61) a essayé d’introduire l’idée de faire sortir du parc ou de reloger plus étroitement des personnes âgées souvent seules qui gardent l’appartement qu’elles avaient quand elles étaient en charge de famille, mais la mise en pratique de telles dispositions est délicate et les résultats seront probablement marginaux !

  • Le DALO, droit au logement opposable, créé le 5 mars 2007, va imposer à l’Etat de loger tous ceux qui ne trouvent pas de logement avec les dispositifs existants. A défaut de moyens et de temps pour construire, l’Etat presse les bailleurs sociaux de considérer les populations concernées comme prioritaires. Mauvaise nouvelle pour les salariés modestes ou moyens, qui sont dans la file d’attente du logement social !

  • Le développement durable (Grenelle I et II autour de M. Borloo) est certes bien intentionné, et il est malheureux, quand on visite un immeuble HLM des années 70 de voir des convecteurs électriques sous des fenêtres métalliques à vitres ordinaires. Mais les mesures d’isolation et d’économie d’énergie vont d’abord coûter 6 milliards d’euros sur dix ans aux seuls Offices de l’Habitat [12].

 

Quelques autres idées pour ne pas désespérer !

 

En revanche, ce qui paraît généralement efficace et pas trop coûteux, ce sont les systèmes de garantie. Plusieur ont déjà été testés, il existe depuis quelques jours une nouvelle “garantie des risques locatifs” (GRL) qui permet à n’importe qui ayant un “taux d’effort” de 0 à 50 % (c’est la part des ressources engagée dans le loyer et charges) d’offrir une garantie au bailleur. En cas de défaut de paiement, l’assurance se substitue au locataire défaillant, s’occupe de lui faire rembourser les sommes dues et de l’expulser, ou bien, si c’est un locataire “social”, entre 28 et 50 % de taux d’effort, soit le 1 %, soit l’Etat prend en charge son rétablissement. La GRL devrait convaincre des propriétaires inquiets de louer leurs logements vacants, remettre donc sur le marché de nouveaux logements, et aider des personnes offrant peu de garanties à entrer dans un logement. L’expérience nous prouvera le bien fondé de cette création.

Un autre produit, pour l’accession sociale à la propriété, devrait voir le jour, on l’a déjà baptisé “GRA”, garantie risque accession. On peut espérer un “effet de levier” qui incitera les particuliers à anticiper leur achat, aux banques à prêter. Seul un nombre trop important d’accidents pourrait conduire à l’échec ce type d’initiative.

L’aventure séculaire du logement social est-elle vraiment remise en question par cette situation calamiteuse ? Non, d’abord parce qu’un désengagement massif des acteurs du logement social est impossible, ensuite parce que le marché et le Bâtiment (la Fédération Française du Bâtiment en particulier) ne supporteraient pas une forte réduction de ce logement social avec lequel ils vivent depuis si longtemps. Mais, il est évident que le schéma actuel qu’on ne cesse de réformer — ou de déformer — est inadapté à une situation par beaucoup d’aspects complètement nouvelle.

La “territorialisation” des décisions peut amener à une meilleure adéquation entre offre et demande, elle peut améliorer les partenariats entre bailleurs, collectivités locales ayant la maîtrise du foncier, entreprises locales et représentants des salariés et des plus démunis.

Il faudrait sans doute élargir le sujet pour traiter l’ensemble du logement français, dont le logement social, le casse-tête de cet après-midi, n’est qu’une des composantes. Ce pourrait être un thème d’étude, à la fois moral et politique, relevant des préoccupations de votre Académie.

Texte des débats ayant suivi la communication

 


[1] Le niveau des plafonds de ressources HLM est une norme assez floue, les gouvernements ayant tendance à l’ajuster — ou à oublier de l’ajuster — en fonction de la situation générale du logement et des finances publiques. Pour exemple, le plafond de ressources des locataires “PLUS” (le niveau médian des loyers HLM) est, en Ile-de-France (hors Paris et communes limitrophes) à 39 170 euros annuels pour un jeune ménage sans personne à charge.

[2] Albert Prouvost (1909-1991) dirigeant de la Lainière de Roubaix, Gabriel Tétaert, CGT, et Robert Payen, CFTC.

[3] 15ème rapport de la Fondation Abbé Pierre, 1er février 2010 : 3,5 millions de personnes non ou mal logées, 6,6 millions de personnes en situation de réelle fragilité de logement à court et moyen terme.

[4] Le logement social, Michel Amzallag, Claude Taffin, LGDJ, Paris, 2003.

[5] Le développement du logement social dans l’Union européenne, Laurent Ghekiere, Dexia, collection Europe, La Défense, 2007.

[6] La loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain), 13 décembre 2000

[7] La loi DALO du 5 mars 2007 rend le droit au logement “opposable”, c’est-à-dire qu’il ne peut être refusé et que les pouvoirs publics sont tenus, comme c’est le cas pour l’école, de répondre aux demandes sous peine de sanctions.

[8] Les plafonds de ressources HLM : pour un couple avec deux enfants à Paris, environ 4 600 euros par mois. Pour une personne seule, plafond PLAI (très social), en Ile-de-France : 11 933 euros par an. 10 424 en province.

[9] Le logement social, op. cité, et estimation du Conseil Social des HLM 2009.

[10] L’amendement Scellier, introduit dans la loi de Finances rectificatives de 2008, permet d’obtenir sous forme de réduction d’impôts le remboursement par l’Etat de 25 à 37 % du prix d’un bien immobilier neuf destiné à la location sous certaines conditions.

[11] Clichy-sous-Bois, les émeutes ont commencé le 27 octobre 2005.

[12] Solidaires et pour longtemps, rapport des Offices Publics de l’Habitat, Tours, juin 2009