La fin de vie et l’euthanasie

Séance du lundi 31 janvier 2011

par M. André Vacheron

 

 

Les progrès de la médecine au 20ème siècle n’ont cessé d’augmenter l’espérance de vie de nos concitoyens : elle atteint aujourd’hui 80 ans. Mais la fin de vie est souvent assombrie par un accident cardiaque ou cérébral, par une maladie chronique : cancer, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale terminales, maladie de Parkinson et par des handicaps de plus en plus sévères. Le nombre des personnes âgées dépendantes dépasse 1.3 million et va croitre de 1 à 2 % par an d’ici 2040. Face à ces épreuves, les Français expriment des peurs : peur de souffrir durablement, peur de l’acharnement thérapeutique, peur de la mort. La foi du charbonnier qui habitait nos ancêtres leur offrait l’espoir que d’autres jours les attendaient dans un monde meilleur et que la mort n’était qu’un passage vers une éternité heureuse. Avec l’affaiblissement ou la perte de cette protection métaphysique, l’homme moderne est devenu terriblement fragile face à tout ce qui annonce la fin de son existence. La médiatisation des connaissances médicales le pousse à connaitre son devenir, son pronostic dans la maladie alors qu’il n’est pas souvent prêt à le découvrir. A la question largement débattue, faut-il dire toute la vérité au malade en péril de mort ? je réponds sans hésitation que si dire toute la vérité est dans le principe une obligation formelle, il ne faut pas la révéler quand le malade n’est pas en état de la recevoir et qu’elle peut le désespérer. Il ne faut en dévoiler que l’infime partie qui ne ferme aucune porte. Il faut combattre l’angoisse et toujours laisser l’espérance. Comme l’a écrit Bernanos dans Le journal d’un curé de campagne : « on n’a pas le droit de jeter bas, d’un seul coup, d’une seule parole, tout l’espoir d’un homme ».

Durant des siècles, la mort a été acceptée comme un évènement naturel. Jusqu’à la fin du 19ème siècle, surtout dans les campagnes, on la sentait venir, on se couchait, on l’attendait, entouré de ses enfants, de sa famille, de ses amis. A partir du milieu du 20ème siècle, elle a quitté progressivement l’habitation familiale pour aller se cacher dans les hôpitaux, les hospices, les maisons de retraite où meurent seuls plus de 75% de nos concitoyens qui ne sont pas tous, loin s’en faut, des parents d’enfants pauvres ou mal logés. La dislocation et la recomposition fréquente des familles modernes, la recherche du profit et de la promotion professionnelle, l’individualisme ou plutôt l’égoïsme concourent au transfert rapide du malade à l’hôpital, du vieillard en institution et j’entends trop souvent des personnes aisées dirent à leurs parents qui deviennent gênants : vous serez tellement mieux dans cette maison de retraite. Comme l’a souligné Pierre Chaunu, la technologie médicale permet aujourd’hui de prolonger entre la vie et la mort d’interminables agonies.

La mort est devenue abominable. Les cérémonies des funérailles ont été allégées. De moins en moins de nos concitoyens se rendent au cimetière. En pleine expansion pour des raisons psychologiques mais aussi souvent économiques, l’incinération est aussi un moyen d’échapper au culte des morts.

Nous aspirons tous à la mort douce, apaisée sans souffrance, sans anxiété et dans la dignité. Mais la mort frappe injustement, tuant l’un sans le faire souffrir, précédée chez l’autre de douleurs prolongées et de moins en moins supportables. « La mort est un vêtement » a écrit Bernanos dans le troisième tableau du Dialogue des Carmélites mais on dirait parfois qu’au moment de la donner, le bon Dieu s’est trompé de mort comme au vestiaire on vous donne un habit pour un autre. Jusque dans les années 80, la douleur était un symptôme parmi d’autres, un signe utile pour le diagnostic, mais son soulagement n’était pas une priorité. Aujourd’hui, elle fait à juste titre l’objet d’un interdit social. Elle est d’autant plus inacceptable que le médecin dispose d’antalgiques puissants comme la morphine et ses dérivés capables de la soulager dans 80 à 90 % des cas. Le malade ne l’extériorise pas toujours et le médecin doit parfois la rechercher avant qu’elle n’enferme le patient dans le désespoir. Comme le rappelle Racine dans Andromaque : « la douleur qui se tait n’en est que plus funeste ».

La douleur des grands malades n’est pas que physique : elle est aussi morale et souvent spirituelle. Le médecin doit rompre le cercle mortifère de l’angoisse, de la solitude, de la dépression. Rien ne peut remplacer la présence, l’écoute, la générosité, la tendresse. L’espoir doit être entretenu jusqu’au bout. Qui ne fait pas de projet, même à l’heure de sa mort ? a écrit Bernanos. J’ai entendu personnellement la mère de mon épouse atteinte d’un cancer du poumon au stade terminal, commander des cartes de visite la veille de sa mort.

A côté de la douleur, la déchéance qui frappe les vieillards dénutris, cachectiques, les patients atteints de maladie d’Alzheimer ou de démence vasculaire, les handicapés majeurs, les hémiplégiques, les tétraplégiques, les grands parkinsoniens, est une terreur pour chacun d’entre nous et l’un des motifs les plus fréquents de demande d’euthanasie ou de suicide assisté par le patient lui-même ou plus souvent par ses proches.

J’en arrive ainsi au problème de l’euthanasie. Dans sa définition la plus courante, l’euthanasie est l’acte qui provoque la mort d’un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie. Elle est aussi fréquemment qualifiée de mort douce.

Si le concept de mort volontaire est présent dans l’antiquité chez Platon, chez Cicéron, chez Sénèque qui le justifient chez l’homme en proie à un excès de souffrance, c’est Francis Bacon au 17ème siècle qui assigne au médecin une double tâche : soigner et adoucir la douleur, notamment au moment de la mort. Dans son « De euthanasia exteriore » l’euthanasie apparaît avec le sens de mort douce entourée de soins et dans son ouvrage intitulé « Du progrès et de la promotion des savoirs », Bacon, en1605, affirmeque les médecins devraient faciliter et adoucir l’agonie et les souffrances de la mort. Avec les progrès de la médecine, l’euthanasie a été peu à peu associée au geste médical de donner la mort dans un contexte de fin de vie.

Cinq types d’action médicale sont possibles en fin de vie. En allant de ceux qui posent le moins de problèmes à ceux qui en posent le plus, ce sont :

  • L’administration d’analgésiques à doses élevées et croissantes qui peuvent accélérer le décès ;

  • La limitation ou l’abstention des traitements actifs ou de réanimation ;

  • L’arrêt des dispositifs de survie artificielle : par exemple le débranchement d’un respirateur ;

  • L’aide au suicide assisté ;

  • L’injection d’une substance létale.

Les trois premières modalités ont été qualifiées d’euthanasie passive. En fait, il ne s’agit pas véritablement d’euthanasie puisque l’objectif est de soulager le malade et de laisser évoluer spontanément vers la mort une maladie incurable ; les deux dernières modalités sont parfois qualifiées d’euthanasie active, ce qui constitue un pléonasme puisque l’euthanasie est un acte délibéré pour provoquer la mort.

Réfuter l’emploi du mot euthanasie quand il s’agit du refus d’une thérapeutique déraisonnable est couramment taxé d’hypocrisie : débrancher un respirateur ou faire une injection létale, c’est pareil pour les défenseurs de l’euthanasie. Non ce n’est pas pareil : le refus d’obstination thérapeutique déraisonnable va laisser survenir la mort naturellement. Le médecin assume la limite de son pouvoir médical alors que dans l’euthanasie il l’utilise pour arrêter la vie. Soigner et faire mourir ne sont pas des gestes équivalents.

Deux autres définitions prennent en compte la volonté de la personne concernée :

  • L’euthanasie est dite involontaire ou mieux imposée quand elle est subie par un sujet qui n’a rien demandé. Décidée par un tiers, un soignant ou un proche de la famille, c’est un homicide inacceptable et illégal, c’est un meurtre avec préméditation.

  • Par contre, l’euthanasie est dite volontaire ou mieux réclamée lorsqu’elle fait suite à la demande expresse et réitérée du sujet lui-même. Quand elle est seulement facilitée par un tiers qui met à disposition de la personne des conseils ou des médicaments, il s’agit d’un suicide assisté, médicalement ou non.

La question posée est celle de la responsabilité morale de la personne qui a aidé au suicide. Le suicide n’est plus incriminé depuis 1791 et la complicité est inexistante. C’est la faille juridique dans laquelle les partisans de l’euthanasie s’engouffrent pour défendre leur revendication. La jurisprudence française a cependant sanctionné l’assistance au suicide sous la qualification de non assistance en personne en danger.

 

En France, l’euthanasie est assimilée à un assassinat s’il y a administration d’un traitement intentionnel pour tuer. Le meurtre commis avec préméditation est puni de la réclusion à perpétuité (art. 321-3 du code pénal). Et pourtant, selon une enquête IFOP pour Sud-Ouest Dimanche publiée en novembre 2010, 94 % des Français se déclarent favorables à l’euthanasie, 36 % d’entre eux estimant qu’elle devrait s’appliquer à toutes les personnes atteintes de maladies insupportables et incurables. Mais comme l’a écrit notre confrère Lucien Israël, la demande d’euthanasie par des patients en fin de vie n’est souvent faite qu’en réaction à la négligence, à l’indifférence ou à l’incapacité des médecins, à leur manque d’écoute et de compassion.

Aux yeux de ses partisans, la légitimité de l’euthanasie repose sur tous 3 principes éthiques :

  • le respect de la qualité de la vie qui donne son intérêt à l’existence,

  • le respect de l’autonomie du patient à décider si sa vie mérite encore d’être vécue,

  • le respect de sa dignité humaine.

L’une des cibles principales des défenseurs de l’euthanasie est l’acharnement thérapeutique auquel s’oppose la mort douce et rapide comme si elle était la seule façon de quitter la souffrance physique et morale.

L’euthanasie suscite un dilemme moral : même pour de bonnes raisons, essentiellement compassionnelles, on demande à autrui de transgresser l’interdit de tuer. L’acharnement thérapeutique sacrifie la qualité de la vie, l’euthanasie met un terme à une vie humaine infiniment précieuse. Mais comme l’a écrit encore Lucien Israël, aujourd’hui la nature même de la vie humaine est occultée, banalisée dans la culture moderne.

Mort provoquée qui s’oppose à la mort naturelle, l’euthanasie est interdite dès le préambule et l’article 1er de la déclaration des droit de l’homme ainsi que par notre code civil. Elle est interdite aux médecins depuis Hippocrate.

Le code de déontologie de 1995 complété par le décret du 6 Février 2006 est parfaitement clair : le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements inutiles ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort.

Au lendemain de la dramatique affaire de Vincent Humbert, ce jeune homme de 20 ans resté quadriplégique après un terrible accident de la route, mort vivant dans un corps brisé, finalement euthanasié à l’âge de 22 ans après avoir demandé le droit de mourir, le président de l’Assemblée Nationale a mis en place une mission d’information pour déterminer les réponses législatives nécessaires pour éviter des cas semblables. Présidée par le Député des Alpes Maritimes, mon confrère et ami le Docteur Jean Léonetti, cette mission a préparé un rapport ayant pour titre : «Respecter la vie, accepter la mort » qui a abouti à la loi du 22 Avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Cette loi qui modifie le code de la Santé Publique, offre un cadre de réflexion et de décision aux acteurs de santé qui doivent élaborer, si possible de façon collégiale, leurs projets thérapeutiques.

Elle donne au médecin :

  • le droit d’interrompre ou de ne pas entreprendre des traitements jugés inutiles, disproportionnés et n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie (articles 1 et 9) ;

  • la possibilité d’utiliser des traitements pour soulager la souffrance même s’ils risquent d’abréger la vie, après en avoir informé le patient (article 2) ;

  • le devoir d’assumer dans tous les cas la continuité des soins et l’accompagnement de la personne en sauvegardant sa dignité (articles 1, 4, 6, 9).

Elle donne au patient le droit de limiter ou de refuser tout traitement (articles 3, 6, 7) après qu’il ait été informé des conséquences de son choix. Le malade doit réitérer sa demande après un délai raisonnable.

Elle prescrit aussi :

  • l’information dans tous les cas du patient ou de ses représentants, notamment de la personne de confiance désignée par le patient sauf si le patient a souhaité ne pas être informé conformément à la loi de 2002, et

  • l’inscription des décisions dans le dossier médical.

Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, la loi fait obligation au médecin de tenir compte des directives anticipées si elles existent, révocables à tout moment, à condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience  ou bien de tenir compte de l’avis d’une personne de confiance désignée par le patient ou de la famille ou des proches.

La loi introduit en outre l’obligation d’une procédure collégiale : la décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin appelé à titre de consultant et éventuellement d’un 2ème consultant si l’un des médecins l’estime utile.

Les défenseurs de l’euthanasie tirent argument de l’effet létal potentiel des antalgiques administrés à doses croissantes. Le traitement antalgique ne peut pas être considéré comme une euthanasie si son objectif est de soulager et non de tuer, s’il n’existe aucun autre moyen de soulager le patient et si l’effet positif l’emporte sur l’effet négatif. C’est la doctrine du « double effet », l’effet premier est de calmer la douleur, l’effet secondaire non désiré sera peut être d’entrainer la mort. La démarcation entre action morale et action immorale est constituée par l’intention, comme l’a indiqué Saint Thomas d’Aquin dans « la somme théologique »: le meurtre n’est excusable que s’il est hors de toute intention et n’est qu’accidentel.

Quant au refus d’un traitement curatif par le patient qui souhaite l’interrompre en toute conscience et liberté, le médecin doit le respecter sans interrompre les soins pour assister le patient dans son agonie. Cette situation n’est pas un acte d’euthanasie. Elle est visée par l’article 38 du code de déontologie médicale qui fait l’obligation au médecin d’accompagner le malade jusqu’à ses derniers instants et d’assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin.

Ainsi, les soins palliatifs constituent-ils une troisième voie entre la poursuite de traitements déraisonnables et l’euthanasie. A l’heure actuelle, une Unité de soins palliatifs est implantée dans chaque centre hospitalo-universitaire; il en existe 105 dans notre pays et près de 6 000 lits de soins palliatifs ont été créés. Les services d’hospitalisation à domicile et les réseaux de soins palliatifs permettent le maintien au domicile des patients qui le désirent.

L’émotion médiatique suscitée au printemps 2008 par le suicide de Chantal Sebire, atteinte d’un terrible cancer des sinus, qui avait refusé les soins palliatifs, a suscité la constitution d’une commission d’évaluation des résultats de la loi sur la fin de vie de 2005, confiée à Jean Léonetti qui rendit ses conclusions le 2 Décembre 2009. Il ne fut préconisé aucune modification de fond de la loi mais la constitution d’un Observatoire des pratiques de la fin de vie, et la création d’un médecin référent en soins palliatifs. Créé par décret du 19 Février 2010, l’Observatoire est dirigé par un comité de pilotage présidé par le Docteur Régis Aubry, Président de la Société Française de soins palliatifs. Je fais partie de ce comité en tant qu’administrateur de la Fondation Œuvre de la Croix Saint Simon. La commission a demandé également la réécriture d’une partie du code de déontologie médicale pour sensibiliser les médecins à la lutte contre la douleur, en particulier à la sédation terminale lors des agonies douloureuses. Enfin, elle a préconisé l’aménagement d’un congé assorti d’une allocation journalière au profit des proches d’une personne en fin de vie. Cette allocation a fait l’objet de la loi du 2 Mars 2010 : d’un montant de 53 Euros par jour, elle est versée pour une durée maximale de 21 jours.

La loi Léonetti donne de vrais solutions humaines pour accompagner la fin de vie et ses résultats dans notre pays sont incontestables. Un sondage Opinion Way réalisé du 7 au 10 Janvier 2011 auprès d’un échantillon de 1015 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, indique que 60 % des personnes interrogées, préfèrent le développement des soins palliatifs à la légalisation de l’euthanasie ; pour 52 % d’entre elles une telle voie comporte des risques de dérive et 63 % affirment préférer qu’un de leurs proches gravement malade bénéficie de soins palliatifs plutôt que de subir une injection mortelle.

Qu’en est-il à l’étranger ? Trois pays européens ont légalisé l’euthanasie :

Aux Pays-Bas, l’euthanasie a été dépénalisée par la loi de Décembre 1993 qui entra en vigueur le 1er Juin 1994. Elle restait néanmoins un acte illégal et l’assistance au suicide était punie. Le 17 Décembre 1994, un décret d’application institua un processus de notification au procureur de la reine par le médecin traitant réalisant l’euthanasie, le procureur devant décider s’il y avait lieu ou non d’intenter des poursuites. Cette loi a été suivie par une seconde loi, le 12 Août 2001 qui comporte un long questionnaire de 46 questions auquel doit répondre le médecin ayant administré la mort à un malade. Le médecin adresse au médecin légiste local un rapport décrivant l’historique de la maladie, le processus qui a conduit à la décision finale et les modalités de l’euthanasie. Ce rapport est remis ensuite à une commission régionale de contrôle qui peut décider de saisir le procureur de la reine si des poursuites lui paraissent nécessaires. Le résultat de cette législation est difficile à apprécier. En pratique le droit néerlandais ne punit plus aujourd’hui que l’euthanasie infligée à un malade sans son consentement. Il semble que les deux tiers des demandes d’euthanasie soient rejetés par les médecins depuis le développement des soins palliatifs aux Pays Bas.

La Belgique a admis l’euthanasie par une loi du 28 Mai 2002 complétée par la loi du 22 Août 2002 relative aux droits du patient, entrée en vigueur le 23 Septembre 2002. Le médecin doit respecter un certain nombre de conditions vérifiées par une procédure : le patient doit être majeur ou mineur émancipé, capable et conscient au moment de sa demande. Cette demande doit être volontaire, réfléchie et répétée hors de toute pression extérieure. Le patient doit se trouver dans une situation médicale sans issue avec des souffrances insupportables, physiques ou psychiques constantes, non apaisables et résultant d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. Le médecin doit informer le patient de son état de santé, de son espérance de vie, évoquer avec lui les possibilité thérapeutiques envisageables et les possibilités des soins palliatifs avec leurs conséquences. L’entretien doit être réitéré. Un délai d’un mois est nécessaire entre la demande écrite du patient et l’acte d’euthanasie. Le médecin peut alors réaliser l’acte létal et doit constituer un dossier qu’il remet à une commission fédérale de contrôle et d’évaluation. Si cette dernière estime que la procédure n’a pas été respectée, elle transmet le dossier au procureur du roi chargé des poursuites. La loi permet l’objection de conscience de tout médecin et personnel soignant. Elle indique qu’une personne morte par euthanasie est réputée décédée de mort naturelle et non par suicide au regard de la loi sur les assurances. D’après le rapport de la commission fédérale de contrôle sur les documents d’enregistrement des euthanasies pratiquées en Belgique entre le 1er Janvier 2008 et le 31 Décembre 2009, 704 euthanasies ont été réalisées en 2008, 822 en 2009 (en moyenne 63 par mois), ce qui représente 0.7 % de l’ensemble des décès du pays. Il faut observer que la majorité des documents sont rédigés en néerlandais. Il s’est toujours agi de patients atteints de maladies incurables et graves, le plus souvent des cancers généralisés, plus rarement des maladies neuromusculaires évolutives mortelles avec paralysies graves, exceptionnellement des séquelles neurologiques graves consécutives à une affection pathologique ou à un accident.

La majorité des euthanasies ont été réalisées chez des patients d’âge moyen. Elles sont peu fréquentes avant 40 ans et au-delà de 80 ans ; 44 % des euthanasies ont été faites au domicile du patient, souvent en présence des proches. Aucune déclaration n’a mis en évidence de violation des conditions de la loi.

Le Grand Duché du Luxembourg a lui aussi voté (à une très courte majorité) une loi autorisant l’euthanasie entrée en vigueur le 17 Mars 2009. Le Grand Duc Jean par objection de conscience, a demandé une révision constitutionnelle ne rendant plus indispensable l’aval du souverain pour rendre la loi exécutoire.

En Suisse, celui qui tue intentionnellement une personne est coupable d’homicide ou de meurtre mais l’aide au suicide n’est incriminée qui si le tiers agit avec un mobile égoïste. La substance létale (natrium pentobarbital) ne peut être délivrée que sur ordonnance médicale et le médecin prescripteur doit s’assurer que la personne qui demande l’euthanasie est capable de discernement, prend  une décision mûrement réfléchie et sans pression extérieure, avec un désir de mourir persistant.

Des associations d’aide au suicide (Exit, Dignitas) ont été créées pour accompagner les patients théoriquement incurables qui ont décidé de mettre un terme à leur vie. Elles fournissent l’assistance indispensable mais ne peuvent jouer aucun rôle actif : c’est le patient lui-même qui doit accomplir le geste qui provoque la mort. L’assistance active au suicide est prohibée. En fait, l’association Dignitas n’exige pas que la personne soit atteinte d’un mal incurable. Devant les risques d’abus d’un véritable tourisme létal, l’Office fédéral de la justice helvétique a incité les cantons à faire respecter la législation fédérale actuelle qui autorise la limitation ou l’arrêt des traitements de survie et l’administration de traitements palliatifs même s’ils abrègent la vie du patient. Un projet de loi sur l’assistance organisée au suicide serait à l’étude.

Aux États-Unis, l’état de l’Oregon, à la suite d’un référendum en date du 8 Novembre 1994 (51 % de voix favorables, 49 % de voix opposées) a promulgué une loi favorable à l’euthanasie (Death with Dignity Act) confirmée par un référendum le 27 Octobre 1997. Cette loi permet à un patient atteint de maladie incurable en phase terminale d’obtenir que des médecins l’aide à mourir à condition :

  • que le patient soit un résident de l’Oregon, âgé de 18 ans au moins,

  • qu’un médecin accepte de l’aider à mourir après avoir consulté un autre médecin pour confirmer le diagnostic,

  • que les médecins estiment que le patient est psychologiquement apte à formuler une telle demande et qu’il soit informé de toutes les situations alternatives, y compris les soins palliatifs,

La Cour suprême a décidé le 17 Janvier 2006 que la liberté d’expression issue du premier amendement de la constitution autorisait un État à légiférer en faveur de l’assistance au suicide. Elle reconnaît qu’un État peut aussi bien interdire l’euthanasie que l’autoriser. En pratique, la législation de la quasi-totalité des États de la Fédération interdit le suicide assisté ou toute forme d’euthanasie mais permet à toute personne d’être maitresse des soins qui lui sont proposés.

Le Conseil de l’Europe a adopté le 26 Juin 1999 une recommandation sur la protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants condamnant l’euthanasie « active ».

En France, une proposition de loi instaurant une assistance médicalisée pour mourir fusionnant 3 propositions déposées par Jean Pierre Godefroy (PS), Alain Fouché (UMP), François Autain et Guy Fischer (groupe communiste et parti de gauche) a été soumise aux sénateurs le 25 Janvier 2006. Elle n’a pas été adoptée. Légiférer amènera forcément à débattre du droit de porter atteinte à la vie, à autoriser un homme à donner la mort à un autre homme. Imagine-t-on ce qui pourrait arriver dans ces Institutions où le souhait de mourir exprimé par une personne en fin de vie qui ne manie plus guère le verbe, serait pris au pied de la lettre ? On peut redouter le pire sur les risques de dérive et de détournement d’une telle loi. Il serait plus raisonnable d’envisager une dépénalisation indirecte dans les situations exceptionnelles comme celle de Vincent Humbert en admettant l’absence de poursuite du Ministère public, le non lieu ou la clémence des magistrats prenant en compte la situation pathologique du patient ainsi que les circonstances et les modalités de sa mort.

Au chapitre « le droit de la fin de vie », Bernard Beignier, Doyen de la Faculté de droit de Toulouse, dans l’ouvrage « Euthanasie » rédigé en collaboration avec Nicolas Aumonier et Philippe Letellier, souligne que l’euthanasie n’est pas une alternative aux soins palliatifs qui doivent être délivrés à un agonisant. Ce peut être une exception marginale dans des situations extraordinaires, non l’inverse. La loi a vocation à se fonder sur des pratiques, non sur des exceptions. Il n’existe aucun droit à la mort mais un droit de la mort. La dignité de l’homme est de l’accepter à son heure, celle du soignant de l’accompagner sans la provoquer.

Je conclurai en rappelant que le médecin n’est pas un vétérinaire. Sa vocation est de soigner, de soulager, de réconforter, d’accompagner son patient et non pas de le tuer : on n’euthanasie pas un homme comme un animal.

 

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

– L’euthanasie, AUMONIER N., BEIGNIER B., LETELLIER Ph., Que sais-je – PUF 2010.

– L’éthique des soins ultimes.RICOT J. – ENSP 2010.

– Euthanasie, LA MARNE Paula, p. 457-462, In Dictionnaire de la pensée médicale sous la direction de Dominique LECOURT – PUF 2004

– L’euthanasie et la mort désirée : questions pour la société et la pratique des soins palliatifs – Actes du 10ème congrès de la Société Française d’accompagnement et de soins palliatifs (2004)sous la direction de Régis AUBRY – Mutualité Française Editeur.

Texte des débats ayant suivi la communication