L’avenir du secteur minier traditionnel

séance du lundi 20 février 2012

par M. François Bersani,
Secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques

 

 

Le titre de cette  communication pourrait être perçu, en première approximation, comme un oxymore

 

En effet, même si les services, et notamment la finance, ont perdu de leur superbe, même si la bulle des nouvelles technologies s’est quelque peu dégonflée, quel peut bien être aujourd’hui, dans un univers économique essentiellement changeant, l’avenir d’un « secteur traditionnel », surtout primaire, sinon une disparition à plus ou moins bref délai ?

D’autant que, dans un jugement sommaire, partagé par nombre de personnes, c’est bien ce que la situation française paraît confirmer : l’activité sur le domaine minier métropolitain, le seul auquel on pense immédiatement à Paris, est perçue comme inexistante, les  acteurs français (dont l’un défraie actuellement la chronique) auraient disparu ou seraient peu présents, les quelques projets de recherches envisagés ne peuvent surmonter de virulentes oppositions locales ou nationales comme celles suscitées dans l’affaire dite des « gaz de schistes ».

Ce jugement est faux ! La France n’est pas le monde, n’en déplaise à notre gloriole nationale ; si les opérateurs français ne sont pas des opérateurs mondiaux dominants pour un ensemble de substances, à l’instar des grands groupes anglo-saxons, russes chinois, brésilien, ou maintenant… suisse , ils sont parmi les premiers dans leurs secteurs de spécialité (hydrocarbures, nickel, manganèse , uranium, minéraux industriels en particulier) ; et enfin non seulement les activités extractives restent importantes en métropole (notamment sodium, minéraux industriels, matériaux de carrières pour le BTP), mais, Outre-mer, deux régions peuvent être particulièrement qualifiées de « minières », la Nouvelle-Calédonie pour le nickel et la Guyane pour l’or (et peut-être demain les hydrocarbures).

Après avoir brièvement rappelé l’origine du secteur minier, et donc son caractère « traditionnel », je vais tenter de vous montrer qu’il s’agit en réalité d’un secteur d’avenir, et même, si vous me permettez la formule, en plein « boom », une fois encore, bien sûr sous réserve d’adaptations, de « changements », qui n’affectent pas son caractère « traditionnel », puisque depuis son origine même il a prouvé, mieux que le « phénix », sa capacité à évoluer et surmonter les difficultés fréquemment rencontrées, au moins du fait de la Nature.

Je ne vous submergerai pas de statistiques, de chiffres, même si je ne suis pas un fervent partisan de Disraëli qui considérait que les statistiques, au moins les anglaises à son époque, étaient pires que les gros mensonges. Mon propos sera essentiellement qualitatif.

Je serai néanmoins à votre disposition pour répondre à vos questions ou vous faire parvenir les données dont vous souhaiteriez disposer, dans la mesure où elles me seraient accessibles… Vous noterez que c’est loin d’être établi pour bon nombre d’informations dans ce secteur, et ce  n’est pas la moindre des difficultés de mon actuelle mission.

Enfin, pour simplifier mon propos, j’engloberai, les hydrocarbures dans la catégorie des « substances minérales »

 

Le caractère « traditionnel » du secteur minier

 

S’il est un secteur des activités humaines qui peut être considéré comme « traditionnel » par lui-même, c’est bien le secteur minier.

Tout d’abord on  a en effet découvert que, avant même l’apparition de l’Homme, le règne végétal et le règne animal faisaient déjà appel au règne minéral pour assurer par eux-mêmes leurs besoins vitaux en certaines substances.

On sait d’ailleurs le rôle que jouent aujourd’hui les engrais pour le développement des végétaux ou certains apports en minéraux dans l’alimentation animale.

Mais en ces temps reculés le règne végétal avait déjà mis au point ses méthodes d’extraction et de traitement des substances minérales afin de les assimiler.

Le règne animal a procédé  quant à lui par l’intermédiaire  du règne végétal utilisé comme aliment, pour certains animaux par celui des eaux de surface, chargées en substances minérales par dissolution, comme le milieu marin pour d’autres, voire faisant directement appel au règne minéral en ingérant ou léchant des « cailloux »,  sinon même peut-être pour certains animaux évolués, à l’instar aujourd’hui du gypaète barbu, en utilisant des « cailloux » en tant que véritables « outils ».

Surtout, puisqu’il s’agit d’une activité humaine, il est établi que, depuis la nuit des temps, je devrais dire l’aube de l’Humanité, l’Homme a fait aussi appel au règne minéral pour satisfaire certains de ses besoins. Ce fut certainement le cas à partir de l’Age de la pierre taillée ou Paléolithique.

Et même si l’Homme se bornait, au début, à « ramasser des cailloux », nous pouvons dire, avec notre terminologie moderne, tant juridique que technique, que cette activité était caractéristique de premières exploitations de carrières en découverte ou « à ciel ouvert ».

La tradition est donc fort ancienne…

Certains pourraient m’objecter, ce qui est un débat assez classique, que les exploitations de carrières ne font pas partie du « secteur minier  traditionnel. »

Pour moi, bien sûr, dont la première affectation professionnelle fut celle d’Ingénieur « ordinaire » des mines – dénomination traditionnelle également mais aujourd’hui  disparue,  et qui signifiait « en service ordinaire »- leur appartenance au secteur minier est indubitable. Et je crois avoir quelques raisons d’espérer trouver au moins quelques alliés aujourd’hui dans votre auguste Académie

Pour dépasser ce débat sans doute juridique, et en tout cas politique plus que technique, sur lequel je suis prêt à revenir si vous le souhaitez, le progrès de l’Humanité vient à mon secours : on a pu établir que l’Homme a rapidement commencé à sélectionner les « cailloux » qu’il ramassait en constatant – expérimentalement – que certains étaient plus efficaces pour des usages déjà connus (la fabrication d’outils divers) ou lui permettaient de nouveaux usages (les peintures par exemple). Il a également très tôt procédé à leur « extraction » à partir des affleurements qu’il avait identifié, et non plus seulement à leur simple « ramassage ».

On sait aussi qu’il a assez vite découvert – je devrais dire très vite – au moins à l’échelle des temps géologiques –, et toujours expérimentalement, les premiers traitements des minerais et même ce que l’on appelle aujourd’hui la pyrominéralurgie par exemple dans ses tentatives de purification des pigments de peinture.

Puis, ou en même temps, et en divers lieux que l’archéologie minière a permis d’identifier, grâce à l’existence de certains métaux sous forme « native » c’est-à-dire à la présence dans la nature elle-même de la substance que les chimistes modernes ont appelé « élément simple », l’Homme a commencé à utiliser des métaux.

C’est en particulier le cas du cuivre (le plus abondant de ceux que l’on peut trouver sous cette forme « native »), d’où l’Age du cuivre.

C’est également le cas de l’or, mais l’Age d’or est, lui, quelque peu mythique, plus que la Toison d’or de Jason, qui tire sans doute son origine de travaux d’extraction d’or alluvionnaire par des techniques similaires à des techniques d’orpaillage encore usitées. C’est aussi le cas de l’argent, du platine, voire du mercure.

En perfectionnant sa science ou sa technique, devenue d’ailleurs aussi métallurgie, l’Homme a découvert les alliages et justement le « bronze », alliage de cuivre et d’étain : ce fut l’Age du bronze.

Sautons quelques millénaires : au début de l’ère chrétienne, au moins sept métaux, l’or, l’argent, le plomb, le fer, le cuivre, l’étain et le mercure étaient bien connus et faisaient déjà l’objet d’un commerce international…sans compter le sodium considéré alors uniquement sous sa forme de « sel » et qui est comme on sait à l’origine du salariat

Et ils provenaient alors, au moins en partie, de ce que nous appelons aujourd’hui des travaux miniers souterrains. Les archéologues miniers, qui disposent également de quelques sources écrites (César, Pline, Strabon…), sans compter  la toponymie, en ont même retrouvé de très « modernes » aussi bien dans l’empire romain qu’en Chine, certes réalisés avec les outils de l’époque et donc notamment peu profonds!

Je ne m’étendrai pas plus sur cette histoire du  secteur minier, dont le caractère traditionnel est donc bien affirmé.

Avant d’aborder  les « temps modernes », et d’évoquer l’avenir du secteur minier, il me paraît utile de préciser que, par un premier enrichissement contemporain, on assimile maintenant les activités de stockage souterrain aux activités minières extractives. Cette assimilation est d’ailleurs aujourd’hui transcrite dans notre Code minier

Elle est très naturelle : en effet les gisements sont des stockages souterrains que la Nature a elle-même créés comme les gisements d’hydrocarbures liquides ou gazeux, de dioxyde de carbone (on en exploite en France), de certains composés chimiques (par exemple de l’hydrogène sulfuré, qui a été exploité pour le soufre, du chlorure de sodium…).

Il est donc apparu possible en théorie et réalisable en pratique de mettre à profit les propriétés de certaines formations géologiques, éventuellement après l’exploitation du gisement qu’elles pouvaient contenir ou, après leur aménagement, pour y stocker, par injection depuis la surface, des hydrocarbures liquides ou gazeux, des gaz combustibles ou des produits chimiques. Par extension on peut y injecter aussi des déchets (en articulant le Code minier et le code de l’environnement), en constituant ainsi des décharges spéciales, comme par exemple, pour lutter contre l’effet de serre, le dioxyde de carbone (pour l’éternité en principe), voire, mais le projet est encore en phase préliminaire, des déchets radioactifs (tout particulièrement ceux à « vie longue »). On peut aussi y stocker de l’énergie (sous forme de chaleur ou de froid, version réciproque de la géothermie, voire sous forme d’air comprimé…).

Ces activités, non-extractives lors du stockage, mais extractives lors du déstockage, sont souvent le fait d’entreprises minières qui exercent des activités extractives par ailleurs. Elles sont appelées à un grand développement, comme en France car si  le sous-sol de notre pays, du moins le sous-sol de la métropole, ne paraît plus aujourd’hui contenir  d’importants gisements d’hydrocarbures (sous réserve des hypothèses relatives aux hydrocarbures dits non-conventionnels), bien des formations explorées dans l’espoir d’y trouver des hydrocarbures ont été reconnues aptes à la création de  stockages.

On peut toutefois estimer  que ces activités de stockage sortent quelque peu de la notion de « secteur minier  traditionnel ». Je n’en parlerai donc pas plus avant même si elles représentent une part de l’avenir du secteur minier (tant du domaine minier que  des compagnies minières).

Enfin je n’évoquerai que brièvement les activités de récupération et de recyclage. Même si certains opérateurs miniers ont décidé d’abandonner leurs activités extractives traditionnelles pour se concentrer sur  ces nouvelles activités, qui à certains égards pourraient être qualifiées aussi d’ « extractives », cette « extraction » m’est apparu comme trop à l’aval des activités minières traditionnelles pour y étendre mon propos, même si là encore il s’agit d’un avenir pour les entreprises en cause.

 

L’avenir du secteur minier traditionnel : l’évolution de la demande

 

Tout d’abord si très probablement l’Homme ramassa ses premiers cailloux sans bien savoir pourquoi, il ne le fait aujourd’hui que pour répondre à une demande de l’économie. Or la demande mondiale en substances minérales (ou fossiles) est globalement croissante.

Certes, pour diverses raisons (notamment pour protéger la santé ou l’environnement), certains pays refusent ou réduisent l’emploi de quelques éléments simples ou de leurs composés (tels l’amiante, le mercure, le plomb,…).

Certes, l’évolution de la demande de certaines substances a pu être structurellement modifiée par le recours à d’autres substances pour satisfaire les mêmes usages, les mêmes besoins : ce fut le cas de la demande de charbon avec les premières découvertes de gîtes contenant des hydrocarbures (ce n’étaient pas alors des « gisements » au sens du Code minier), puis le développement de leurs usages énergétiques et chimiques, de même que le charbon avait largement supplanté le bois au début de l’ère industrielle.

Mais, pour le moment, et de nombreuses années encore selon les prévisions actuelles, la demande de la plupart des éléments du règne minéral est en croissance, parfois forte.

Ceci est dû tout d’abord au progrès scientifique et technique qui a conduit à découvrir de nouvelles propriétés ou mettre en œuvre, pour de nouveaux usages, des propriétés connues de ces éléments simples ou de leurs composés, mais qui n’étaient pas jusqu’à présent sorties des laboratoires ou même des traités scientifiques anciens.

Pour illustrer mon propos, je rappellerai qu’on ne parlait pas beaucoup des « terres rares » il y a quelque 30 ans encore, sauf parmi les chercheurs et, progressivement, les bureaux d’études : on sait qu’ elles sont de nos jours pratiquement partout dans l’économie (y compris dans des billets de banque !) ! Et même dans les gros titres de la presse d’information générale et quotidienne ! Elles ne sont d’ailleurs pas aussi rares que leur dénomination ancienne tend à le laisser penser.

Et cette croissance de la demande mondiale porte non seulement sur les substances à vocation énergétique (combustibles solides, hydrocarbures, uranium, …).mais aussi sur les métaux tels que bien évidemment le fer et les « métaux de base » – en fait ceux consommés en grande quantité tels le cuivre, le zinc, l’étain, le plomb, le nickel -…mais aussi sur ces métaux que les opérateurs commerciaux, les fameux « traders », qualifient de « métaux précieux » ou de « petits métaux » (dans leur jargon, « minor metals »). Certains de ces derniers  sont en réalité plus rares et chers que les « métaux précieux », dont d’ailleurs quelques unes des terres dites rares !

Cette croissance porte également sur les matériaux dits « de carrières », comme les premiers cailloux ramassés par l’Homme, mais dont certains ont des usages tout autres que le secteur du BTP.

Quelques-uns sont même tellement rares et utiles qu’ils sont analogues aux substances que notre Code minier range dans la classe des « mines »: ils bénéficient d’ailleurs souvent, en France, d’un régime hybride, notamment en dessaisissant le propriétaire du sol.

Tout ceci résulte bien évidemment du développement économique et notamment de celui, à marche forcée, des pays dits émergents.

 

L’avenir du secteur minier traditionnel : sa contribution à la satisfaction des besoins

 

Cette demande peut être satisfaite, depuis longtemps, par diverses ressources (en un sens algébrique) :

  • par les économies de matières (un exemple illustre est celui de Philippe le Bel rognant les écus qui, par force, avaient toujours la même valeur faciale)

  • par des substitutions de matières (l’Age de cuivre, puis du bronze puis du fer ont succédé aux  Ages de pierre, pour les outils, et plus près de nous, l’aluminium à pris une place du cuivre pour la conduction de l’électricité, les hydrocarbures ont largement supplanté le charbon qui lui-même avait supplanté le bois…)

  • et, de plus en plus, par la récupération et le recyclage (ce que l’on appelle les « ressources secondaires »), qui n’est pas non plus un concept bien nouveau ni une activité bien nouvelle.

Sauf pour certaines substances (par exemple le plomb ou le mercure aujourd’hui), ces « ressources » sont en général loin d’être suffisantes.

Par exemple, si de grands espoirs reposent sur le recyclage, on sait que le taux de récupération des déchets (qu’il s’agisse des chutes de production ou des produits en fin de vie) ne peut atteindre 100%  (que l’on peut considérer comme asymptote ou « utopie motrice »), et parfois il s’en faudra même de beaucoup, pour des raisons non seulement économiques mais avant tout techniques.

On sait également qu’un produit ne devient pas un déchet immédiatement, et c’est heureux ! On ne peut donc envisager de recycler certaines des substances qu’il contient que parfois quelques décennies après sa fabrication : il faudra donc jusqu’à ce moment se procurer autrement que par une boucle, une économie circulaire, les matériaux nécessaires à la fabrication de ces produits…

Ainsi ce n’est pas avant plusieurs années voire décennies que l’on pourra commencer à récupérer le lithium contenu dans des batteries électriques de nouvelle génération ou les métaux (dont des terres rares !) contenus dans les aimants permanents équipant les éoliennes que l’on installe depuis quelques années dans les campagnes ou en mer…

Certes le recyclage actuel procure des ressources utilisables dans les fabrication de produits nouveaux, mais en général en quantité moindre que celles nécessitées . Dans une étude récente du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement qui portait sur 60 métaux, il apparaissait que seuls 18 étaient aujourd’hui recyclés à plus de 50% (dont le fer et la plupart des métaux de base) mais que 34 l’étaient à moins de 1% (dont le lithium et les terres rares!)

Il faut donc, il faudra donc continuer d’extraire du sol et du sous-sol de notre planète ce dont nous avons et aurons besoin (ce que l’on appelle les « ressources primaires », les ressources provenant du recyclage étant dites secondaires).

 

L’avenir du secteur minier traditionnel : vers une pénurie des ressources ?

 

Les ressources que la Nature met à notre disposition ne sont à l’évidence pas « infinies ».

Donc ne faudrait-il pas dire comme certains l’ont préconisé, tels le Club de Rome au début des années 70, « Halte à la Croissance » ?

En fait, ainsi que notamment ceux qui ont lu le « rapport Meadows » le savent, c’est plus le titre de sa traduction française qui a pu conduire à des débats polémiques, et parfois caricaturaux, sur ce sujet, notamment en France.

En réalité, le progrès des connaissances notamment géologiques nous conduit aujourd’hui à considérer que si les ressources primaires en substances minérales ou fossiles sont, dans l’absolu, limitées, la pénurie physique ne nous guette pas vraiment, et ce même pour les substances a priori les plus rares d’après les connaissances actuelles, du moins si nous savons tenir compte de leur rareté telle que prévisible aujourd’hui et donc veiller aux économies, aux substitutions et à la récupération/recyclage.

Bien sûr, si par exemple les gouvernements de tous les États souverains décidaient au même moment, pour quelque raison que ce soit de ne plus permettre de nouveaux travaux de recherche de gisements d’hydrocarbures quels qu’ils soient (et pas seulement ceux que la vulgarisation qualifie de « gaz de schistes »), cette pénurie physique pour ces substances se profilerait à l’horizon de quelques décennies. Les principaux usages des hydrocarbures étant la chimie ou l’énergie, que se passerait-il dans ces deux domaines ?

Nous savons que l’industrie chimique fait appel dès aujourd’hui à d’autres matières premières que les hydrocarbures et dispose d’autres procédés que ceux de la pétrochimie.

Et les recherches technologiques déjà conduites par ce secteur, et activement poursuivies, ont permis, permettent et permettront certainement de réduire les coûts de production des filières alternatives de façon à ne pas devoir faire supporter à l’économie des coûts inenvisageables hors des situations de pénurie effective (notamment de guerre). Même dans ces situations extrêmes, on sait que, sous réserve d’en payer le prix, on peut souvent continuer de disposer de ressources

Quant à l’essentiel de l’usage des hydrocarbures, la production d’énergie, on sait que de nombreux substituts sont possibles, et déjà mis en œuvre, qu’il s’agisse du charbon voire du bois (un certain retour au passé, qui n’est pas sans inconvénient sur la question dite « du climat »), du nucléaire ou des énergies dites « renouvelables ». L’un des principaux défis actuels est en réalité  ce que l’on appelle le « stockage de l’électricité » pour pallier certaines rigidités de cette forme d’énergie, notamment en ce qui concerne son usage dans les transports routiers ou en raison des écarts au moins quotidiens entre sa production et sa consommation.

Je relève toutefois que la plupart des filières alternatives aux hydrocarbures, sans compter les progrès enregistrés dans cette filière elle-même, supposent le recours à des substances minérales métalliques bien plus rares aujourd’hui que les « métaux de base ».

Il s’agit justement de ce dont je me préoccupe dans le cadre du Comité pour les métaux stratégiques ». C’est un des facteurs quelque peu limitant au développement enthousiaste imaginé par certains pour ces énergies alternatives et renouvelables

Pour ce qui concerne d’autres substances que les hydrocarbures, on entend assez souvent dire que, si pour le charbon on dispose de près de deux siècles de « réserves », le fer sera épuisé dans moins de 80 ans, le cuivre dans une trentaine d’années (et je vous rappelle que M. Julienne vous a dit que le monde devrait consommer autant de cuivre dans les quatre prochaines décennies que depuis 3000 ans…), l’or dans 15 à 20 ans, comme le terbium, le hafnium, l’argent, l’antimoine, le palladium, le zinc, l’étain, l’indium, le plomb, sinon le tantale…Inutile de souligner  que, même si vous n’êtes pas familiers des multiples usages de ces substances,  ces pénuries annoncées ne peuvent qu’être de nature à entraîner de véritables bouleversements dans certains secteurs industriels ou dans les produits finis. En particulier plus d’écrans plats (indium), plus de pots catalytiques pour certaines voitures (palladium)

Ces affirmations ne doivent toutefois pas être prises pour plus qu’elles ne sont, c’est-à-dire des évaluations à partir de données statistiques disponibles (dont la valeur scientifique n’est pas toujours bien établie) rapprochant des « réserves » de perspectives de consommations établies par des extrapolations du passé plus ou moins récent mais selon une méthodologie souvent peu détaillée ou contestable., ne tenant en général pas compte notamment des évolutions possibles résultant de possibles économies, de substitutions…ni du recyclage

En tout cas la  notion de « réserves » ne doit pas être confondue avec  celle de « ressources » : le progrès des connaissances géologiques, celui des technologies minières mais aussi, sinon surtout,  l’augmentation des cours des matières premières, du moins celle  qui résulte fondamentalement des lois du marché et peut donc être considérée comme durable et non pas volatile, se sont toujours traduits jusqu’à présent par un accroissement  des « réserves ».

Voyez ce qui s’est passé pour les hydrocarbures en mer, avant même le développement ces dernières années des exploitations de gisements dits « non-conventionnels.

Avant la seconde guerre mondiale, les gisements exploités étaient essentiellement terrestres : le exploitations  en mer se trouvaient par de faibles profondeurs d’eau dans les bayous de Louisiane, dans le lac de Maracaïbo au Vénézuéla, ou à Bakou en Azerbaïdjan (pour nous ce fut en 1954 le gisement d’hydrocarbures liquides de Parentis, d’ailleurs un géant européen à l’époque et jusqu’aux découvertes en Mer du Nord). Puis, au début des années  1970,  de nombreuses découvertes furent enregistrées en Mer du Nord (pour l’essentiel alors par moins de 200m de profondeur d’eau) au large de l’Afrique, dans le golfe de Guinée ou au Moyen-orient dans le golfe arabo-persique. Aujourd’hui les compagnies pétrolières travaillent par quelque 3000m d’eau à plus de 100 milles des côtes. Et la production en mer représente  environ 30% de la production mondiale.

Pour ce qui nous concerne, une découverte intéressante vient d’être enregistrée au large de la Guyane (à près de 100 milles des côtes et par plus de 2000m d’eau), des recherches ont également lieu ou ont eu lieu au large de Saint-Pierre et Miquelon, au large des Iles Eparses dans le canal de Mozambique, et dans le Golfe du Lion, en Méditerranée profonde…dont l’actualité se fait d’ailleurs l’écho.

Mais les hydrocarbures ne sont pas les seules substances que l’on peut trouver dans les fonds marins, c’est-à-dire dans le sous-sol ou le sol du lit des mers.

On connaissait depuis la fin du XIXème siècle les fameux « nodules polymétalliques » qui reposent au fond des océans pour l’essentiel par grande profondeur d’eau (plus de 3000m) : ils ont fait l’objet de bien des travaux de recherches dans les années 1970/1980 mais si le cadre juridique a été défini par la Convention sur le droit de la mer conclue à Montego Bay en 1982 et ses premiers textes d’application (pour la recherche seulement encore),  avec notamment la déclaration de leur appartenance au « patrimoine commun de l’humanité », ils ne sont toujours pas exploités pour des raisons techniques et économiques.

On connaissait aussi depuis bien des années des extensions de gisements terrestres qui sont ou ont été exploitées dans le sous-sol du lit de la mer en général à partir d’ouvertures de galeries situées à terre : c’est le cas de gisements de charbon (par exemple à proximité des côtes du Canada ou du Japon), de fer (Canada et même France avec l’exploitation de Diélette en Manche). Si le gisement est affleurant ou quasi-affleurant, l’exploitation peut être effectuée par dragages : c’est le cas des gisements d’étain en Malaisie, Thaïlande ou Indonésie, par faibles profondeurs d’eau, d’où proviennent une part importante de la production actuelle d’étain, ou de diamants au large de la Namibie ou de la république Sud-Africaine, aujourd’hui  par quelques centaines de mètres de profondeur d’eau.

Enfin, plus récemment, des campagnes scientifiques ont mis en évidence l’existence de nouvelles formations polymétalliques : d’une part les « amas sulfurés » (sources hydrothermales) et d’autre part les « encroûtements ». Elles sont situées sur le fond de la mer, par grande profondeur d’eau, mais moindre que dans le cas des nodules. C’est pour cette raison d’ailleurs que des entreprises minières commencent à s’y intéresser, l’exploitation en paraissant techniquement envisageable : plusieurs titres d’exploration pour les amas sulfurés ont déjà été accordés dans diverses « zones économiques » par les pays qui y exercent des droits souverains, ainsi que dans ce que l’on appelle la Zone Internationale (gérée au profit de l’humanité par l’Autorité Internationale des Fonds Marins), et un premier titre d’exploitation vient même d’être accordé par la Papouasie-Nouvelle Guinée.

Quant aux matériaux de carrière, ils sont également, et depuis de nombreuses années, pour partie extraits des fonds marins et ces productions devraient croître afin de se substituer aux exploitations terrestres dont pour diverses raisons le développement rencontre de plus en plus de difficultés. Anecdotiquement on a même jusqu’à aujourd’hui exploité en France des gisements de calcaire issus du squelette de certaines algues (le maërl) comme amendements agricoles mais aussi pour le traitement de l’eau : cette exploitation prendra fin en 2013 compte tenu d’une disposition législative adoptée en application des conclusions des travaux connus sous le vocable de  Grenelle de l’environnement et Grenelle de la mer…

Si notre passé est largement issu de la mer, on voit que la prophétie, quelque peu belliciste à l’époque, de Guillaume II (« Notre avenir est sur mer »)  se vérifie au moins pour partie en ce qui concerne  le secteur minier.

Plus généralement, le développement du secteur minier traditionnel dépend à l’évidence du progrès des sciences et des techniques qu’il met en œuvre.

On peut  ainsi détecter aujourd’hui des gisements d’hydrocarbures à de très grande profondeur dans le sous-sol et même sous des couches géologiques qui restaient jusque là opaques aux reconnaissances géophysiques (sel, basalte…) ou dans des configurations géologiques complexes, comme en témoignent les importantes découvertes au large du Brésil.  Mais même si le risque d’erreur se réduit, il ne peut être éliminé et simultanément le montant des investissements à consentir s’est substantiellement accru : même si elle peut assurer la fortune de quelques audacieux, parfois visionnaires, la recherche minière n’est habituellement pas une partie de plaisir pour amateur impécunieux

Les techniques d’exploitation ont également progressé pour améliorer le taux de récupération, comme en témoignent les productions issues des gisements dits « non-conventionnels », même si en France notamment des restrictions importantes ont été édictées en 2011: mais cette épithète de « non-conventionnel » est trompeuse car je rappelle que, par exemple en France, on a exploité depuis le XVIIIème siècle et surtout au XXème siècle des gisements d’asphalte (matériau connu depuis l’antiquité puisqu’il a servi à l’étanchéité des jardins suspendus de Babylone, mélange de calcaire, de silice et de bitume, un hydrocarbure particulièrement « lourd » et visqueux, qui se ramollit entre 50 et 100°C) certes de manière « traditionnelle » (avec des galeries et le pic du mineur), à Pechelbronn en Alsace et Seyssel dans l’Ain, et depuis le début du XIXème siècle jusqu’en 1957, pour leur pétrole, les schistes bitumineux à Autun (en Saône-et-Loire).

Il en est de même pour d’autres substances : on ouvre des exploitations à très grande profondeur (1000 à 2000m voire 4000m en République Sud-Africaine), qui doivent être parfois automatisées en raison des risques (radioactivité par exemple) , on met en œuvre des techniques alternatives de traitement des minerais comme en particulier la biolixivation en faisant appel à des microorganismes qui depuis la nuit des temps savent se multiplier en transformant les minéraux…

 

L’avenir du secteur minier traditionnel : quelques difficultés

 

Si l’avenir du secteur minier traditionnel peut paraître attrayant, on voit déjà que c’est sous réserve de progrès scientifiques et technologiques, souvent très coûteux et de mises de fonds parfois colossales même pour simplement acquérir du domaine minier.

Mais ces difficultés financières ne sont pas les seules qu’il ait à surmonter.

Je ne développerai pas aujourd’hui les difficultés récurrentes ou « traditionnelles » qui résultent des comportements des Etats souverains : ceux-ci définissent les conditions d’intervention des opérateurs miniers sur leur territoire et peuvent y obérer le développement du secteur minier pour diverses raisons ou par divers moyens qui, sous des apparences parfois renouvelées, sont en fait très  « classiques » en géopolitique.

Je ne traiterai pas non plus de la concurrence entre les opérateurs eux-mêmes : ceux-ci naissent, vivent et meurent comme toutes les entreprises.

Certains, et non des moindres, ont disparu alors que leurs concurrents de taille comparable ont survécu, voire les ont absorbés pour se développer.

Et il me paraîtrait trop rapide pour ce qui concerne le cas de quelques opérateurs français d’en inférer comme certains une spécificité nationale, une quelconque incapacité structurelle, voire génétique, de nos « élites » ou une malédiction historique.

En effet, si Elf-Aquitaine a disparu, le groupe Total (qui l’a absorbé) est dans le peloton de tête des mastodontes du secteur des hydrocarbures. On connaît quelques « majors » anglo-saxons qui ont également disparu par absorption par tels de leurs concurrents.

De petites sociétés (on dirait, dans la terminologie établie du secteur, des « juniors »)  s’étaient lancées dans l’uranium en France : elles ont aujourd’hui disparu, leurs actifs ayant assez souvent été repris par ce qui est aujourd’hui Areva, un des premiers mondiaux dans ce domaine.

Outokompu était un grand opérateur minier finlandais, qui s’est aujourd’hui retiré de ce secteur d’activités (ses actifs ayant été repris par le suédois Boliden).

Ainsi que je l’ai déjà mentionné, diverses sociétés minières ont décidé de ne plus investir dans les activités minières mais de se reconvertir dans le traitement pour le recyclage (cette autre forme d’extraction…) : c’est le cas de Metaleurop, société qui résultait de la fusion de Penarroya avec les intérêts miniers du groupe allemand Preussag, et qui a pris la dénomination de Recylex pour bien marquer sa nouvelle orientation. C’est aussi le cas d’Umicore, qui résulte essentiellement des fusions progressives des groupes belges « Vielle Montagne » et Union Minière (qui détenait jusqu’en 1968 de considérables intérêts miniers au Katanga), et de la division des métaux précieux du groupe allemand Degussa.

J’évoquerai en revanche un peu plus particulièrement  l’une des  principales difficultés rencontrées aujourd’hui par le secteur minier, celle dite de l’« acceptabilité sociale ».

On sait en effet qu’une exploitation minière peut faire naître des risques pour l’environnement, la santé ou la sécurité publique, ce qui a déjà conduit depuis fort longtemps à des interdictions a priori dans certaines zones géographiques. J’en veux pour preuve, avant même le très récent débat – en France du moins – sur les fameux  hydrocarbures « non-conventionnels »,  l’article 82 de la loi du 21 avril 1810 qui prohibait déjà l’exploitation des carrières souterraines dans l’intérieur de Paris.

Mais surtout l’image de cette activité n’est aujourd’hui pas bonne dans bien des pays. On parle souvent de la « malédiction du sous-sol » et non plus des « richesses minières » !

C’est bien évidemment le résultat de bien des erreurs passées, des comportements antérieurs des exploitants, des autorités publiques, des drames humains que nous avons pour beaucoup dans nos mémoires comme celui de Courrières en 1906 ou plus proche de nous celui de Marcinelle en 1956, voire même celui qui s’est achevé par un heureux sauvetage au Chili et qui a tenu en haleine, de longues semaines durant, le monde entier, des accidents à l’origine de graves pollutions tel l’éruption du puits Macondo 1 dans le Golfe du Mexique, ou des drames sociaux qui ont affecté de grandes régions lorsqu’il est apparu nécessaire d’arrêter des exploitations historiques épuisées ou devenues non-rentables comme nos charbonnages, nos mines de fer ou de potasse qui au surplus étaient pour la plupart publiques .

Et même après l’arrêt d’une exploitation, des conséquences dommageables peuvent apparaître (par exemple les effondrements dans l’ancien bassin ferrifère de Lorraine ou les ruptures de digues d’anciens bassins de décantation en Espagne ou en Roumanie).

Mais c’est aussi, du moins pour nous français, le talent de romancier d’un Zola qui, d’une certaine manière, rend toujours le même mauvais service au secteur minier que celui rendu par Victor Hugo à la pieuvre.

Le syndrome Nimby (« Not in my backyard » en français), qui touche bien des activités de production primaire ou secondaire, se manifeste particulièrement à l’encontre du secteur minier.

On avait cru le conjurer en France par exemple en transférant la police des exploitations de carrières du Code minier au Code de l’Environnement, dont l’image pensait-on serait meilleure, puisqu’en réalité les objectifs et les règles à respecter étaient identiques. Las ! Ce « glissement », s’il a pu satisfaire certains sous un aspect politique, n’a su longtemps servir de paravent. Et ce  d’autant que l’argument du « principe de précaution », souvent interprété extensivement, peut aujourd’hui être juridiquement invoqué au moins comme retardant efficace du déroulement des procédures.

Ainsi d’ailleurs que la Commission européenne l’a relevé dans divers travaux récents, cette situation n’est pas propre à la France. L’actualité nous montre même que dans les pays émergents (la Chine, l’Inde, le Brésil) ou dans d’autres pays dits encore « en développement » les oppositions locales se multiplient.
J’ai participé il y a quelques jours à des Journées thématiques organisées  par le CNRS à l’Ecole des Mines de Paris : cette question a été évoquée dès l’exposé introductif d’un conférencier canadien !

On peut penser que ce nouveau défi est particulièrement difficile pour des opérateurs plus habitués à surmonter les obstacles de la nature inanimée que ceux de la psychologie des individus ou des sociétés !

Mais je vois pour ma part bien des raisons de penser que le secteur minier traditionnel parviendra progressivement à dégager des solutions, non seulement à force d’explications et de concertations, et de transparence dans des pays en développement, mais aussi de progrès technique : et si cela peut paraître plus facile dans des pays où l’esprit d’aventure est toujours (ou encore) présent à l’instar de l’Amérique du Nord, il ne faut pas désespérer des autres et notamment de la « vieille Europe » quand  on regarde  les développements de l’activité minière en cours dans les pays scandinaves par exemple (un des berceaux des terres rares !) …

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Pour conclure mon propos, et avant de répondre à vos questions, je me bornerai à vous rappeler que Maurice Blondel estimait que « l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare »: je crois vous avoir rapidement montré que le secteur minier traditionnel s’efforce de se comporter ainsi.
Je vous remercie de votre attention.

Texte des débats ayant suivi la communication