AXA, leader mondial de l’assurance

Séance du lundi 30 septembre 2013

par M. Henri de Castries,
Président-directeur général d’AXA

 

 

Vous m’avez demandé d’intervenir dans le cadre de votre cycle annuel de travaux sur la France dans le monde, et je vous en remercie sincèrement. Je vous remercie d’abord parce que je suis très honoré de m’exprimer devant votre assemblée. Je vous remercie également car c’est un grand privilège de représenter ici une entreprise dont j’ai la chance d’assumer la direction depuis bientôt 14 ans. Et, enfin, je vous remercie d’avoir considéré que les grandes entreprises pouvaient être des modèles de réussite qu’il était intéressant d’analyser et de comprendre pour inspirer la rénovation de notre pays. C’est hélas une démarche bien rare en France, où l’on n’écoute guère les chefs d’entreprises qui, pourtant, sont d’authentiques patriotes contribuant largement, par la réussite de leurs projets, au rayonnement du pays et à son développement.

Cette conviction est profondément ancrée dans l’ADN de l’entreprise que j’ai rejointe en 1989, tant l’assurance est un puissant moteur de développement des sociétés. Dès l’Antiquité, le développement des échanges marchands a ainsi notamment été accéléré par l’apparition des premières formes d’assurance, avec le dédommagement des caravanes pillées ou détruites par les aléas naturels grâce à celles qui arrivaient à bon port. On retrouve ici la notion de « secours mutuel » qui est aux racines de notre métier. Mais c’est bien sûr avec le commerce maritime que l’assurance telle qu’on la connaît aujourd’hui va naître à l’époque moderne : les banquiers acceptent alors de garantir la valeur des marchandises transportées en échange d’une certaine somme d’argent, payée à l’avance. L’essor de l’assurance maritime révèle bien deux vertus du système. D’une part, parce qu’elle évite aux armateurs la faillite assurée au premier incident grave, elle leur permet de développer leur activité sans craindre les conséquences fatales des risques qu’ils prennent en affrétant leurs navires. D’autre part, en permettant de prendre de nouveaux risques, elle contribue à faire reculer les frontières du possible. Songez ainsi que, sans assurance, les caravelles de Christophe Colomb n’auraient sans doute jamais quitté Palos de la Frontera !

Nous voyons donc que l’assurance a, très tôt, joué une fonction motrice essentielle dans le développement économique. Dans les siècles qui suivent, notre métier va également révéler son puissant rôle de stabilisateur naturel des sociétés face aux chocs qu’elles doivent affronter. Bien au-delà de l’assurance maritime, de nombreuses nouvelles branches vont apparaître au cours des siècles, souvent à la suite de catastrophes de grande ampleur qui mettent en exergue la nécessité de disposer de mécanismes de couverture des risques sur le long terme. On peut penser au Grand Incendie de Londres de 1666 ou au Séisme de Lisbonne de 1755. En constituant des réserves à partir des primes collectées, l’assureur peut, lorsqu’une catastrophe survient, « réinjecter » les sommes nécessaires à la reconstruction et ainsi atténuer le coût immédiat et les conséquences du choc. J’aurais l’occasion de revenir sur l’importance actuelle de ce sujet dans un monde où la volatilité et l’incertitude sont croissantes.

Mais je vais à présent entrer dans le vif du sujet, après ce rapide propos introductif – je vous prie d’excuser la rapidité avec laquelle j’ai ainsi balayé 25 siècles, mais il me paraissait important de rappeler en quelques mots la longue histoire de notre métier ! Moteur du développement économique et stabilisateur naturel des sociétés, ce sont donc bien les deux fonctions essentielles et, j’ose le terme, « nobles » de l’assurance. Mais comment AXA est devenu, depuis ses racines normandes, un leader mondial de ce vieux et beau métier ?

Je vais tenter de proposer quelques éléments de réponse, d’abord en revenant rapidement sur l’histoire de notre Groupe, ensuite en cherchant à expliquer pourquoi nous avons réussi, et enfin en exposant les défis auxquels nous sommes confrontés si nous voulons préserver et renforcer notre leadership. J’espère en même temps parvenir, au fil de mon propos, à esquisser quelques pistes de réflexion sur la manière dont notre pays pourrait lui-même retrouver une place dans le monde qui soit plus conforme à son histoire et son potentiel.

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Tout d’abord, donc, comment est né AXA ?

La marque en elle-même a vu le jour en juillet 1984, mais les racines françaises d’AXA remontent à 1817, lorsque l’une des toutes premières compagnies d’assurance du pays voit le jour à Rouen. C’est à partir du Groupe Ancienne Mutuelle, créé en 1946 de la fusion de trois branches indépendantes dont cette société créée au début du XIXe siècle, que tout va commencer. Lorsque Claude Bébéar en prend la direction, en 1975, le Groupe Ancienne Mutuelle occupe la 24ème place du marché français de l’assurance. Je rejoins pour ma part l’aventure au moment de la prise de contrôle de la Compagnie du Midi : nous sommes en 1989, AXA devient le numéro 2 de l’assurance en France, juste derrière l’UAP, et dispose déjà de plusieurs filiales en Europe ainsi qu’une filiale historique au Canada. C’est dans les années 1990 que les mouvements décisifs vont se faire : sous l’impulsion de Claude Bébéar, l’internationalisation du Groupe s’accélère avec de nombreuses acquisitions au Canada, en Belgique, en Australie, à Hong-Kong… Si je dois choisir, dans cette décennie, une année remarquable, c’est assurément 1996 : nous faisons notre entrée à Wall Street, un symbole très fort de l’ambition mondiale du Groupe, et au terme d’une saga homérique, nous concluons l’acquisition du numéro 1 français de l’assurance, l’UAP. Nous sommes devenus la plus importante entreprise française par le chiffre d’affaires et le numéro 1 mondial de l’assurance.

À bien y regarder, cette histoire est celle d’une des plus rapides croissances d’entreprise que la France et le secteur financier mondial aient connu. Au tout début des années 1980, le Groupe générait un chiffre d’affaires d’à peine plus d’un milliard de francs. 15 ans plus tard, c’est 313 milliards de francs.

Et après ces nombreuses acquisitions qui ont permis de nous élever au rang de leader mondial, le Groupe poursuit son expansion internationale. A la fin des années 1990, nous entrons en Chine, en Turquie, au Japon… Quand je prends la tête d’AXA en 2000, nous sommes présents dans tous les grands marchés développés de notre industrie. La suite de l’histoire s’écrit au cours d’une décennie de profonds bouleversements des équilibres mondiaux, avec une série de crises, de l’éclatement de la bulle Internet à la tempête financière de 2008 dont les répliques ne sont pas terminées… AXA a non seulement maintenu son leadership dans cette période tourmentée, mais a surtout conforté sa présence dans plusieurs marchés d’importance et accéléré significativement son développement dans les nouvelles économies. En 2006, nous faisons ainsi l’acquisition de Winterthur pour nous renforcer dans les métiers de l’assurance dommages et consolider notre présence en Europe. Et depuis 2009, nous avons conduit de nombreuses opérations pour initier ou élargir notre présence dans 19 pays, de l’Asie au Mexique en passant par l’Algérie.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Nous sommes présents dans 57 pays, où nos quelque 160.000 collaborateurs sont au service de plus de 100 millions de clients. L’an dernier, nous avons généré un chiffre d’affaires de 90 milliards d’euros pour un résultat opérationnel de 4,3 milliards. Environ un quart de notre activité se fait en France, un tiers dans le reste de l’Europe, un cinquième en Asie, un dixième aux Etats-Unis, et le reste dans le Sud du bassin méditerranéen, au Mexique et dans le Golfe. Nous sommes la première marque mondiale d’assurance, le premier groupe d’assurances mondial par le chiffre d’affaires, l’une des premières capitalisations boursières du secteur…

Alors, quand on prend le temps de s’arrêter un instant sur les raisons de cette réussite, que peut-on dire ?

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Je crois que la première raison pour laquelle nous avons réussi depuis 30 ans, c’est que nous avons fondé notre stratégie, notre développement, sur une vision claire et partagée. Cette vision peut se résumer assez simplement en 3 points.

Premièrement, nous considérons que nous avons une mission qui est la protection des biens et des personnes. Cela signifie que nous cherchons en permanence à améliorer les solutions que nous proposons à nos clients pour mieux les protéger, mais aussi que nous développons de nombreux projets et initiatives pour mieux comprendre et prévenir les risques – j’y reviendrai.

Le deuxième aspect de notre vision découle de la mission que nous nous assignons. Nous sommes dans un métier bien identifié, et un seul – le corollaire étant : nous avons une marque, et une seule. Depuis 30 ans, nous sommes donc AXA partout où nous opérons et nous sommes un assureur. Cela peut paraître évident, presque trivial, et pourtant ! Quand, comme nous, vous construisez l’entreprise par acquisitions successives, le choix d’une marque unique n’est pas nécessairement facile à assumer. Quand, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, la pratique « à la mode » dans le secteur financier consiste à construire de grands conglomérats mêlant assurance, banque, banque d’affaires…, il a fallu résister à la pression de certains acteurs du marché qui ne comprenaient pas notre choix de nous concentrer sur l’assurance.

Enfin, troisième et dernier point de notre vision – il s’exprime simplement mais traduit une grande ambition dont nous sommes fiers : nous voulons être un acteur de taille globale.

Voilà, une vision claire, caractérisée par 3 éléments sur lesquels nous nous retrouvons tous, c’est, je crois, une première explication de notre réussite.

Mais cela n’explique pas pourquoi nous sommes parvenus à construire un Groupe par des acquisitions successives qui ont, chacune, exigé une capacité d’intégration certaine pour emmener des équipes d’horizons divers vers un même objectif. Je m’arrête volontairement sur ce sujet, car il me semble qu’il présente un grand intérêt pour qui s’interroge sur la manière dont on peut réussir à créer une véritable cohésion entre des individus différents, et à les convaincre d’accomplir ensemble des efforts au service de l’intérêt collectif. Si vous voulez arriver à faire cela, je crois qu’il faut certes une vision, mais il vous faut également un véritable leadership. Et l’aventure d’AXA le démontre, car cette aventure, c’est celle d’une vision incarnée par un leader, Claude Bébéar, qui avait compris que le plus important pour bâtir une entreprise, d’autant plus dans le secteur des services, était de s’assurer de la solidité des fondations que sont les valeurs partagées par les femmes et les hommes qui y travaillent. La force de ces valeurs, illustrée par l’existence d’une culture d’entreprise propre à AXA, a été et est toujours un facteur déterminant de la réussite de notre aventure, ceci pour trois raisons essentielles.

La première, c’est cette idée très présente qu’à partir du moment où nous partageons des valeurs fortes, nous pouvons plus facilement prendre la liberté de nous affranchir des conventions. C’est un point qui a été tout à fait décisif dans plusieurs mouvements d’acquisitions du Groupe, et notamment lorsque nous avons décidé de racheter l’UAP.

La deuxième raison, c’est que l’existence de valeurs fortes crée la confiance indispensable à de bonnes relations humaines et à la pleine expression du talent des femmes et des hommes qui font l’entreprise. Chaque fois que nous avons intégré de nouvelles équipes dans le Groupe, c’est parce que nos valeurs étaient claires que nous avons pu générer la confiance indispensable à la réussite du processus. Cette confiance est également un préalable au bon fonctionnement des équipes, car seule la confiance peut permettre la délégation qui, elle-même, peut seule permettre de respecter la diversité des approches dans l’entreprise. Quand vous vous développez dans des marchés non-occidentalisés où les pratiques sont, par nature, très différentes de celles que vous connaissez, c’est un sujet crucial.

La troisième raison, enfin, c’est que la force de ces valeurs nous offre la possibilité de travailler avec des partenaires dont la culture est elle-même très marquée. Parce que nous nous sommes construits sur des valeurs solides, nous avons, sans doute plus que d’autres acteurs de notre industrie, le souci de comprendre l’histoire de nos partenaires et de respecter leur propre culture. C’est aujourd’hui déterminant dans la qualité de nos relations avec des partenaires d’importance décisive pour nos activités, comme le groupe HSBC, la banque chinoise ICBC, le groupe indonésien Mandiri etc.

Voilà, si je devais résumer en une phrase ce qui me paraît expliquer la réussite d’AXA depuis 30 ans, je dirais que nous avons construit notre entreprise avec une vision claire, un leadership humain, des valeurs fortes, une certaine audace et le souci de générer la confiance en toutes circonstances. Je crois que ce sont des éléments qui permettent également d’expliquer pourquoi nous avons plutôt bien résisté depuis 2008, et je voudrais à présent vous dire quelques mots des enseignements que je tire de cette crise pour une entreprise comme la nôtre, mais aussi plus généralement pour le secteur de l’assurance.

Je veux tout d’abord rappeler qu’AXA fait partie de ces quelques « institutions financières » qui sont restées profitables durant la crise et n’ont jamais demandé d’aide publique pour y faire face. Je ne dis pas que nous n’avons connu aucune difficulté, ni que nous avons traversé en toute sérénité ces dernières années, bien au contraire ! Mais nous avons bien résisté et, là encore, je crois que cela s’explique par la qualité de la culture que nous essayons de développer chez AXA, car pour réagir correctement en face de situations difficiles, vous avez besoin d’un leadership fort et d’une humilité certaine. J’ai l’habitude de dire aux principaux dirigeants d’AXA que j’attache, dans leur évaluation, autant d’importance au comportement qu’à la performance. Dit autrement, je suis profondément convaincu que si vous avez le souci de développer votre entreprise sur le long terme, vous devez vous intéresser autant à la manière dont vos managers atteignent leurs résultats qu’aux résultats eux-mêmes. Cela m’a conduit, depuis que je dirige le Groupe, à devoir me séparer de certains dirigeants dont la performance technique était objectivement bonne, mais dont l’attitude et le degré d’importance attaché au respect des valeurs que nous défendons ne me paraissaient pas conformes aux attentes collectives. La qualité de la culture d’une organisation est, je crois, directement corrélée à sa capacité à résister aux chocs et aux crises. Il est à ce sujet intéressant de noter que les institutions financières qui n’ont pas survécu à la tempête de ces dernières années étaient toutes connues pour une culture d’entreprise que je qualifierai pudiquement de « difficile »…

Au-delà d’AXA, il faut constater qu’à l’exception notable d’un très grand acteur américain qui s’est trouvé en grande difficulté en raison de ses activités non- assurantielles, le secteur de l’assurance a dans son ensemble extrêmement bien résisté à la crise. Je tiens à le souligner, car je crois que cela illustre parfaitement ce que j’évoquais en introduction : lorsqu’ils restent concentrés sur leur cœur de métier, les assureurs sont de formidables stabilisateurs naturels des systèmes et jouent un rôle contra-cyclique tout à fait important dans les situations difficiles. C’est un point central dans les débats actuels sur le sujet de la régulation financière, j’y reviendrai tout à l’heure.

Si je cherche à élargir encore un peu mon propos sur la résistance globale des acteurs financiers dans la violente crise que nous venons de traverser, je peux souligner que les grands acteurs privés du secteur financier français – banquiers, assureurs, gestionnaires – ont fait preuve d’une résilience remarquable, au point qu’il convienne de s’interroger sur le fondement exact des discours punitifs que j’entends régulièrement dans la bouche des dirigeants politiques et qui stigmatisent un secteur performant, pourvoyeur de très nombreux emplois dans le pays, et dont les leaders sont des atouts compétitifs mondialement reconnus. Comprenne qui pourra !

Au terme de ce bref excursus, j’en reviens au cœur du propos, et souhaiterais à présent évoquer les défis qui sont devant nous et qu’AXA doit relever si nous voulons rester, demain, un leader mondial.

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Dans une époque où les besoins en matière d’assurance paraissent immenses, la question peut légitimement surprendre. A l’échelle mondiale, deux bouleversements majeurs sont en train de créer des besoins de couverture considérables. Je pense à l’allongement de la durée de la vie, qui touche tous les pays, et qui explique qu’à l’horizon 2050, la planète comptera 1,5 milliard d’individus âgés de plus de 65 ans, soit à peu près trois fois plus qu’aujourd’hui. Les besoins en matière de financement des retraites, d’épargne, d’assurance santé, ne vont pas cesser de croître.

Je pense également au changement climatique et à ses conséquences, ainsi qu’à l’augmentation de la fréquence et de la sévérité des catastrophes naturelles, des évolutions qui exigent des couvertures de plus en plus importantes.

Et au-delà de ces changements tectoniques, les opportunités de développement du secteur sont nombreuses: réduction structurelle des couvertures publiques d’assurance sociale dans les pays développés, essor de la classe moyenne dans les économies émergentes…

Dès lors, il pourrait être confortable d’imaginer que le plus grand défi d’AXA ne soit que la qualité de son offre commerciale pour répondre à ces besoins croissants. Mais ce serait regarder les changements mondiaux avec une myopie déconcertante…

Jamais, en effet, la probabilité de perdre brusquement notre leadership n’a été aussi grande.

Il faut d’abord garder en tête que nous sommes dans une industrie extraordinairement compétitive, dans laquelle les leaders mondiaux comme Allianz ou AXA capturent environ 3% du marché… La probabilité de voir des acteurs nouveaux ou existants venir progressivement grignoter nos parts de marché n’est donc pas négligeable.

Plus fondamentalement, nous évoluons dans un monde qui s’est grandement complexifié et dans lequel la nature des risques est en train de changer de manière assez radicale, sous l’effet conjoint de trois phénomènes : globalisation, instantanéité et asymétrie des menaces. Comprendre cette mutation profonde est d’autant plus décisif que des « macro-tendances » viennent en même temps remettre en cause des principes fondamentaux du modèle opérationnel des assureurs. J’en citerai trois.

Premièrement, la mutualisation des risques va-t-elle continuer à avoir un sens si la tendance à l’hyper-individualisation se poursuit ? Comment réussir à mutualiser un risque lorsque chaque individu peut potentiellement obtenir un traitement absolument personnalisé en fonction de données dont la quantité ne cesse de croître ?

Deuxièmement, la digitalisation n’est-elle pas en train de révolutionner totalement le modèle de distribution des assureurs, avec le risque de voir apparaître de nouveaux acteurs « virtuels » beaucoup plus agressifs ?

Enfin, les bouleversements technologiques ne vont-ils pas changer totalement le paysage des risques à couvrir ? Pourquoi assurer, demain, des véhicules sans conducteur qui n’auront plus d’accident? Comment couvrir les habitations construites via des imprimantes 3D ? Quelles réponses apporter au cyber-risque qui menace les entreprises, les gouvernements, et même les individus ?

La volatilité et les menaces à court terme n’ont donc probablement jamais été aussi nombreuses pour un acteur global comme AXA, et si l’attitude qui consiste à se reposer sur ses acquis n’a jamais été la meilleure manière de réussir, dans un tel environnement elle est devenue la certitude de disparaître. L’enjeu décisif auquel nous sommes donc confrontés, c’est celui d’une transformation profonde pour nous adapter à la nouvelle situation mondiale.

Cela exige d’abord une vision à long terme qui seule peut remettre en perspective les profondes mutations auxquelles nous sommes confrontés. Pour comprendre ces mutations, les anticiper, s’y confronter sans faux-semblant, il est capital de rester aussi ouvert et à l’écoute que possible. Cela exige non seulement que l’entreprise soit réceptive à l’innovation et l’encourage, ce qui n’est jamais vraiment acquis, mais aussi qu’elle soit en contact permanent avec l’extérieur pour élargir sa compréhension et sa connaissance du monde. C’est pour cette raison que nous avons créé en 2007 le Fonds AXA pour la Recherche, qui consacre 200 millions d’euros sur 12 ans au financement de la recherche fondamentale sur les risques humains, environnementaux et socio-économiques. Par cette initiative de mécénat scientifique, nous contribuons, à notre manière, à étendre le champ des connaissances sur les risques, au bénéfice de l’ensemble de la société.

Mais au-delà de cette vision à long terme, pour réussir la transformation de l’entreprise, il faut également être capable de convaincre les équipes de suivre la voie que vous avez tracée et d’accomplir les efforts qui sont exigés par la situation. Deux facteurs sont ici décisifs à mes yeux.

Il y a d’abord la qualité et la sincérité du dialogue social, qui ne peut être conduit uniquement au niveau national quand, comme AXA, vous opérez dans 57 pays. C’est pourquoi j’attache une grande importance au bon fonctionnement de notre Comité Européen de Groupe qui rassemble les représentants du personnel de tous les pays européens où nous sommes implantés. Nous y débattons très directement des changements auxquels nous sommes confrontés, du contexte dans lequel AXA opère dans ses différents marchés… Cela nous a permis d’ancrer l’idée que le développement d’AXA dans les pays émergents, notamment en Asie, n’était pas contradictoire avec le maintien de l’emploi en Europe, mais qu’au contraire c’est en accélérant notre transformation et en allant chercher la croissance là où elle se trouve que nous pourrions rester un leader dans l’ensemble de nos marchés.

Le second facteur de réussite de la transformation, c’est de fonder la mise en œuvre du plan de marche sur une organisation interne décentralisée. Il y a sur ce sujet une métaphore que je reprends souvent lorsque je rencontre les équipes dans les différents pays où nous sommes implantés, c’est celle de la baleine et du banc de poissons. Si vous voulez fonctionner de manière optimale et vous adapter rapidement aux changements du monde, vous devez avoir la souplesse et l’autonomie du banc de poissons, où chacun peut agir à sa manière mais tous partagent une destination commune. A l’inverse, le fonctionnement centralisé de la baleine n’est plus adapté au monde d’aujourd’hui.

Préserver et renforcer le leadership d’AXA dans les années qui viennent passe donc par une transformation réussie de l’entreprise pour l’adapter aux nouveaux équilibres mondiaux. C’est un défi passionnant auquel nous consacrons des ressources croissantes, et je crois qu’en progressant sur ces questions, nous construisons également une légitimité à intervenir dans un certain nombre de débats contemporains où notre vision mondiale, notre expertise et notre position d’observateur des évolutions économiques et sociales peuvent servir au bien commun.

A titre de conclusion, je voudrais précisément vous livrer quelques réflexions rapides sur plusieurs questions qui occupent l’actualité et auxquelles un assureur peut apporter certains éléments de réponses.

La première d’entre elles concerne la prise en charge des couvertures en matière de retraite, de santé et de dépendance. Pour en revenir aux sources de ce débat passionné, il faut dire que le choix auquel nous sommes en réalité confrontés, c’est celui de l’alternative entre mutualisation et socialisation. J’aimerais prendre le cas précis des récentes discussions sur l’assurance dépendance pour aborder ce sujet.

Il est un autre débat qui me paraît important pour notre pays, qui se trouve être au cœur de la réflexion d’un assureur et dont je sais qu’il passionne votre assemblée, c’est le sujet du principe de précaution. A l’époque de l’ajout de la Charte de l’Environnement au bloc de constitutionnalité français, je sais que vous aviez exprimé de fortes réserves sur la portée de ce principe et les conséquences de sa quasi-sacralisation. Force est de constater aujourd’hui à quel point vos réserves étaient justifiées. Un assureur connaît en effet la valeur d’une prise de risque éclairée. Nous savons qu’il n’existe de progrès et qu’il ne naît de solutions qu’à travers une confrontation assumée avec le risque et le dépassement des attitudes précautionneuses. Et je crois que si nous voulons vraiment redresser la compétitivité de notre pays, doper son attractivité, retrouver notre capacité d’innovation, faire véritablement redémarrer notre croissance, nous ne pouvons faire l’économie d’un débat sérieux sur le principe de précaution et ses conséquences.

Le troisième débat qui me tient à cœur concerne la régulation financière. Sans doute me faut-il préciser que je ne suis en aucun cas opposé par principe à la régulation de notre activité. J’y suis au contraire favorable, car je crois que lorsqu’elle est intelligemment conçue, elle permet d’exclure du marché, au bénéfice du client, les acteurs malintentionnés ou gérés de manière hasardeuse. Mais je suis en même temps obligé de constater les dangers d’une régulation financière mal pensée et idéologique, qui ignore notamment la diversité des modèles opérationnels entre les différents acteurs du système et qui est calibrée en vertu de principes fort éloignés de la réalité économique. Si nous voulons préserver la stabilité du système financier, et le mettre réellement en situation de soutenir la croissance, nous devons réfléchir à ces questions avec courage et sans démagogie. Il faut en particulier prendre garde aux évolutions réglementaires qui pourraient empêcher les assureurs de jouer pleinement leur rôle de stabilisateur naturel et d’investisseur de long terme.

Enfin, je dirai un mot des enjeux liés à la protection de la vie privée à l’ère d’Internet et du « Big-Data ». Pour un assureur dont le métier est de « manipuler » au quotidien des données – au sens où un cuisinier manipule des aliments – c’est un sujet de première importance qui me préoccupe beaucoup. Je pense que nous touchons ici à une question éthique fondamentale sur laquelle une réflexion profonde doit être conduite, car elle constitue un défi pour notre époque.

Voilà donc 4 questions que je voulais brièvement soulever en espérant qu’elles viennent utilement nourrir les échanges que nous allons avoir dans un instant.

Pour clore mon propos, je soulignerais volontiers que dans la période actuelle, toute organisation qui s’interroge sur la manière de s’adapter à la nouvelle situation mondiale – qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une organisation internationale ou, a fortiori, d’un gouvernement – devrait le faire, d’après moi, selon trois principes qui résument les idées que j’ai défendues aujourd’hui.

Un principe de diversité – diversité des acteurs, des approches et des solutions.

Un principe de responsabilité – corollaire de la liberté de prendre des risques.

Un principe de discernement – fruit de l’exercice d’un jugement éclairé.

Je vous remercie.