Séance du lundi 16 mars 2015
par M. Philippe Levillain,
Membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques
Je n’aurais jamais imaginé – quoique le sujet coure comme le furet dans l’histoire de la papauté – qu’en vous proposant d’examiner la question de la réforme de la Curie romaine, le sujet serait d’une brûlante actualité.
Je ne sais si « le pape et l’empereur sont tout » (Victor Hugo). Il ressort, en tout cas, que malgré des menaces internationales incomparables, il est affiché presque tout autant que « le pape François et la Curie sont en guerre ». On pourrait en sourire, si ce n’était qu’il s’agit de l’équilibre d’une religion bimillénaire, qui compte aujourd’hui près d’un milliard trois cent mille baptisés, soit 17,5% de la population mondiale.
Dans le Journal d’un curé de campagne, Bernanos parle des réformateurs et il s’ensuit cet échange aussi vif qu’un revers croisé au tennis :
« Dieu nous préserve des réformateurs, dit le doyen de Blangermont.
Monsieur le doyen, beaucoup de saints l’ont été pourtant, réplique le jeune prêtre.
Dieu nous préserve des saints !, riposte le doyen. »
Cet échange fut repris par le P. Congar dans son ouvrage qui n’a pas pris une ride : Vraie et fausse réforme dans l’Église, publié aux éditions du Cerf en 1950. Il entrait dans le cadre d’un vaste projet : Essai sur la communion catholique. Et de dire en introduction : « Dans une telle étude, l’examen du fait “réforme‘ s’impose, puisque, comme nous le verrons, il représente un fait constant de la vie de l’Église en même temps qu’un moment critique pour la communion catholique. »
C’est dans les années 1930 que revient sur le tapis – si j’ose dire – l’éternelle question de l’ecclesia semper reformanda . Un gérondif : reformanda. Et un adverbe : semper. En un mot : le temps et l’éternité face à face. Et en dérivé : curia semper reformanda : le temps, l’urgence et l’histoire face à face. Convenons qu’il est plus simple de réformer la Curie que l’Église. Quoi que. Réformer. Reformer. Réforme. Accent, pas d’accent. Reformare, sans accent. Moins d’itération. L’adverbe semper est cruel. Il donne la dimension de l’écart entre le perfectus et le progressus. Entre le projet et l’état d’un immense possible. On y arrive. Restons historien, ne touchons pas à la philosophie et rappelons simplement que tout est dit dans l’immense livre de Reinhart Koselleck Le futur passé, contribution à la sémantique des temps historiques.
J’ai donc pensé pour cette conversation d’un après midi sur un sujet brûlant et non anecdotique à vous livrer un menu en trois plats : romain, italien ? tel que le Pape François le prend tous les jours à la Domus Sanctae Marthae. Disons un antipasto – un primo – un secundo. Le dessert sera pour la discussion, donc pour votre choix. L’antipasto est passé, nous sommes déjà au il primo. Et la question reste la suivante : un pape peut-il réformer ou reformer une histoire dont il voudrait changer l’histoire ? Tout est affaire de critique, au singulier et au pluriel, et l’affaire se passe au xviie siècle après la Réforme sur laquelle je ne reviendrai pas.
Antipasto
Nous rencontrons Jodocus van Lodenstein (1620-1677). Il a voyagé en Angleterre et en Écosse. À l’en croire, la réforme du xvie siècle a été incomplète et il en faut une nouvelle qui s’effectue dans la vie des membres de l’Église pris individuellement. Sous la papauté, l’Église est devenue un cadavre (on remarquera l’analogie avec la pensée anabaptiste). Lors de la Réformation, les os se sont rassemblés, les nerfs ont crû (rappel d’Ez. 37) mais l’Esprit n’avait pas soufflé et c’était encore la mort comme sous la papauté. La réforme de la doctrine est un moyen, le but est la réforme de la vie.
Ainsi réformée, l’Église doit être une communauté de purs et se tenir à l’écart de ceux qui ne le sont pas. Armé de cette pensée, Lodenstein, dès 1665, ne célèbre plus la cène et lorsqu’il baptise des enfants seront (et non sont) justifiés.
Comme d’autres piétistes, Lodenstein met l’accent sur le devoir missionnaire de l’Église. Dieu a béni les Pays-Bas. Il a permis à la Réformation de triompher, il a enrichi le pays de biens matériels. Il a donc envoyé des personnes en grand nombre pour convertir les païens, juifs et papistes. On remarquera que, comme les anabaptistes, Lodenstein formule un devoir missionnaire et apostolique (et non un devoir d’instruction, doctoral, comme les réformateurs) vis-à-vis des papistes.
Il y a donc un mouvement réformiste dans l’Église établie. Même si leurs idées sont assez radicales, les théologiens que nous venons de citer restent dans cette église. Ce mouvement met l’idéal moral au premier plan. Il est « précisiste » en ce sens que l’observation du jour du repos aussi bien que la longueur des perruques a de l’importance. La pédagogie y occupe une grande place et l’objectif est de former le jugement moral des membres de l’Église. Le ministère doit porter son attention sur la catéchisation et l’on préconise, c’est nouveau, la visite des paroissiens à domicile ; non seulement lorsqu’il s’y trouve des malades ou que la discipline doit s’y exercer à propos de cas précis, mais d’une manière générale.
Intermède
Deux traits saillants dominent les premiers siècles de la Curie. Le pape, au départ, ne dispose pas de moyens d’action différents de ceux d’un autre évêque : il est aidé par des organes nés pour l’administration matérielle et la formation spirituelle d’une communauté locale et restreinte. Mais ces organes vont subir un processus de dilatation constant qui étendra leur capacité de rayonnement à l’échelle de la chrétienté. Il est vrai que dans cette remarquable capacité d’expansion, le Saint-Siège avait à sa portée (deuxième trait caractéristique), un précédent prestigieux. La cour impériale, en ses souvenirs de Rome ou ses réalisations de Constantinople, offrait un modèle performant et rodé avec ses organes de conseil, ses légats, son administration hiérarchisée aux compétences éprouvées et riches d’une tradition pluriséculaire. Avec réalisme, le Siège apostolique s’inspira de ces pratiques du gouvernement. La Curie de Rome, toutes proportions gardées, rappelle sous plusieurs aspects les offices centraux et les ministères de Rome et de Constantinople.
C’est à la fin du xie siècle que la nouvelle organisation du gouvernement central de l’Église se dota du nom de « Curie romaine ». Le terme de curie (curia) était devenu de plus en plus habituel au cours du xie siècle pour définir la cour du roi ou de l’empereur, tant sur le plan personnel (l’entourage) qu’institutionnel (chapelle, tribunal, diète). Les cours royales et impériales occidentales avaient emprunté le mot et le concept à l’Antiquité romaine. À Rome, le terme de curia avait désigné d’abord un ensemble de familles importantes, puis le lieu de réunion, et finalement le siège du Sénat, ainsi que la corporation sénatoriale elle-même.
À Rome, dès la première partie du xie siècle, en coïncidence avec ce qui se passe chez les rois et les empereurs, les anciens termes – avant tout celui de palatium – qui avaient été utilisés depuis des siècles pour définir la cour, tombèrent en désuétude en faveur de celui de curia.
Cette transformation radicale fut largement influencée par le programme de la papauté réformatrice du xie siècle. Depuis Léon IX (1049-1054), les papes commencèrent à lutter systématiquement contre l’aliénation des propriétés et de revenus ecclésiastiques au profit de seigneurs laïcs, qui était considérée comme l’une des principales causes de l’appauvrissement des institutions religieuses et du déclin de la discipline et de la morale. Une papauté aussi fermement décidée à diffuser son programme de réforme se devait de mettre en œuvre, au sein même du gouvernement central de l’Église, une réforme administrative ayant comme objectif de lui assurer des ressources propres.
Se référant à des modèles laïcs et français, notamment clunisien, Urbain II (1088-1099) modifia encore plus radicalement la structure de l’administration pontificale en posant les fondements d’une organisation « curiale », destinée à un avenir durable. C’est en effet sous ce pontificat que le terme de curia est attesté pour la première fois et que les mots de camera et de capella constituent des réalités administratives concrètement saisissables. Français, ancien clunisien, Urbain II emprunta à Cluny non seulement un nouveau terme pour désigner l’organe financier du Siège apostolique, mais semble avoir utilisé la camera clunisienne pour la réception et le transfert des cens, revenus et donations. C’est à Cluny que le pape Urbain II alla en tout cas chercher le premier camerarius du Siège apostolique. Il s’appelait Pierre. Encore sous Pascal II (1099-1118) la Chambre clunisienne collaborait intimement avec l’administration financière romaine. Sous Calixte II (1119-1124), elle avait même une « filiale » à Cluny. Ce n’est qu’après le départ de Calixte II en Italie que les liens entre la camera apostolique et Cluny ont cessé d’exister et que la Chambre agit comme institution autonome.
L’introduction de nouvelles formes d’organisation ne signifia pas pour autant une rupture complète avec le passé. De manière souvent inattendue, d’anciens organismes, tels les sous-diacres romains, confluent dans la chapelle papale. Les transformations radicales se firent graduellement et avec lenteur. Un collège de chapelains du pape n’est pas attesté avant le pontificat d’Urbain II. L’importance de la chapelle, dont le modèle est certainement d’origine germanique, s’accrut considérablement sous Pascal II. Ce pape choisit un grand nombre de chapelains, qui avaient exercé auparavant d’importantes fonctions au sein de la chancellerie, comme scriptores ou notarii palatins, pour en faire des cardinaux. L’ascension de la chapelle est étroitement liée avec le déclin de l’institution des anciens scrinarii. Urbain II réorganisa aussi la chancellerie, en introduisant des nouveautés importantes : l’abandon de l’ancienne curiale romaine au profit de la minuscule chancellerie, l’adoption d’une nouvelle époque pour le calcul de l’indiction et d’une nouvelle date pour le début de l’année. La direction elle-même est confiée au docte diacre Jean de Gaète, un moine du Mont-Cassin, le futur pape Gélase II.
La pierre angulaire de la Curie romaine postgrégorienne fut sans doute le consistoire, l’institution au sein de laquelle le pape discutait avec les cardinaux des problèmes les plus importants touchant au gouvernement de l’Église romaine.
S’il est logique d’inclure dans la Curie romain l’ensemble des personnages qui entourent le pape et qui l’assistent dans l’accomplissement de sa mission, il convient de reconnaître qu’aux xive-xve siècles, c’est sous l’aspect d’une familia qu’apparaît la Curie, composée des familiares papae, qui sont aussi bien des serviteurs ou des gardes que des bureaucrates. Un document qui a dû être rédigé au début du règne de Clément V (1305-1314), quand la Curie s’attardait dans le royaume de France et que ses nouveaux membres risquaient de ne pas connaître les anciens usages, décrit les fonctions de ces familiares, fixe les rations de vivres (vivandae) et de fourrage (prebendae) qu’ils touchent, détermine ceux qui sont logés par la Chambre apostolique et qui reçoivent des vêtements. Une partie du personnel administratif n’a pas droit à ce statut : tel est le cas des scribes, qui partagent la « popote » de leurs chefs, alors que les palefreniers, les sergents et les courriers sont entretenus. Le caractère domestique de la Curie pontificale tient à ses origines et ne lui est pas propre : le service privé et le service public ne sont pas distingués ; les mêmes hommes sont aptes à l’un et à l’autre.
La Curie a néanmoins subi en deux siècles une évolution : les rémunérations en argent ont remplacé les distributions en nature ; l’organisation des services administratifs a été perfectionnée et mieux séparée de « l’hôtel » ou maison du pape ; les effectifs ont augmenté. Il n’empêche que la qualité de familiares, qui marquait l’attachement à la personne du pape, a continué d’être appréciée, recherchée : les scribes de la chancellerie et de la pénitencerie l’ont acquise théoriquement en 1347 mais il semble qu’individuellement elle ait été accordée progressivement ; et d’autre part, les chapelains d’honneur, dont les nominations passèrent d’une centaine sous Jean XXIII (1316-1334) à près de neuf cents sous Grégoire XI (1370-1378) et qui ne résidaient point auprès du pape mais étaient dispersés à travers la chrétienté, furent admis dans la familia, qui fut même ouverte à quelques individus que le chef de l’Église désirait honorer.
À partir de Martin V, la papauté s’oriente vers une forme de monarchie pontificale propre à l’époque moderne, une réinterprétation de la théocratie de l’époque de l’absolutisme. C’est dans cette ligne que se situent deux des phénomènes les plus caractéristiques de la Curie romaine de cette période : la réorganisation des pouvoirs du Sacré Collège et l’expansion de la cour de Rome, à la suite de la création systématique de nouveaux organismes de la Curie et du développement impressionnant des familiae du pontife, des cardinaux et des hauts dignitaires qui y résident.
Le besoin de réformer la Curie devient plus pressant sous Adrien VI, notamment à cause de la rupture luthérienne. Toutefois, le bref pontificat de ce pape ne permit pas d’aller au-delà d’une diminution du nombre des référendaires de la Signature et de quelques timides retouches aux structures de la pénitencerie. Les obstacles que rencontrèrent les diverses tentatives furent surtout le fait de la daterie, et les dernières mesures isolées prises par le pontife, qui frappaient les ressources de différents services et les revenus des chevaliers de Saint-Pierre, soulevèrent les protestations de nombreux cardinaux et suscitèrent l’ironique Capitolo di papa Adriano, « Ô pauvres, malheureux courtisans », de Francesco Berni, qui atteste en tout cas que, du moins en intention, on avait commencé à tourner la page à l’égard d’un certain mode de vie et de la pléthore de littérateurs qui existait sous Léon X. En l’absence de toute intervention concrète sur la structure de la Curie au cours du pontificat de Clément VII, sur lequel pesa, certes, le sac de Rome de 1527, une période de réalisations partielles suivra sous Paul III Farnèse.
Le cumul des affaires, les intérêts politiques et religieux sur l’échiquier italien et international, l’élargissement même des sphères d’intervention, le climat général qui s’instaure à la suite du concile de Trente, font paraître de plus en plus dépassés, dans les trente dernières années du xvie siècle, les formes de la Curie des premières décennies du siècle.
Si la forte personnalité de Sixte Quint avait en quelque sorte relégué au second plan ses collaborateurs les plus directs et son très jeune neveu, le cardinal de Montalto, avec Clément VIII, le népotisme pontifical se développera au sommet du pouvoir curial pour atteindre son apogée avec les Borghèse et, surtout, avec les Barberini. Au-delà des accusations rigoristes et « politiques » qui lui furent plus tard adressées, il répondait, au cours de cette période historique, à une nécessité particulière de renforcer l’autorité du pape. À cette époque, au cours de laquelle était né le système polyvalent des congrégations, le pontife avait plus que jamais besoin dans le gouvernement de l’Église et de l’État d’un instrument de coordination et de référence, c’est-à-dire d’un ou de plusieurs hommes ayant sa confiance absolue, ou même de son « propre sang » comme l’avait dit Paul IV pour légitimer l’ascension de son neveu Carafa. Mais en un sens plus large, le népotisme découlait le plus souvent du favoritisme ou d’intrigues familiales, propres à une société aristocratique, de plus en plus pratiquées et revendiquées. À côté de la grâce pontificale, des interventions politiques et de l’appui des ordres et de congrégations régulières, il était devenu un critère de choix dans le recrutement des cadres inférieurs ou supérieurs de la Curie et dans l’évolution même des carrières à la cour de Rome. Cette période différente, mais pas vraiment nouvelle, d’une Curie romaine réelle est admirablement décrite dans les Mémoires du cardinal Guido Bentivoglio. Elle est également évoquée dans un nombre infini de descriptions et d’ « avertissements » concernant la cour de Rome. Ceux-ci attiraient dans la capitale de la catholicité, malgré le côté négatif d’une fortune incertaine et le vain espoir de jouir de « protections », ceux, surtout des membres de la petite et moyenne noblesse provinciale d’Italie, qui avaient l’ambition de gravir les échelons du cursus honorum. Après Sixte Quint, cette nouvelle étape de la Curie trouvera un point d’appui dans la politique des Aldobrandini. Dans un contexte de médiation politique plus prudente, après l’intransigeance de Sixte Quint, et dans une optique visant à renforcer l’institution pontificale non pas tant dans le cadre de l’État que comme institution au-dessus de l’État, la Curie apparaîtra de plus en plus comme le centre moteur des jeux internationaux et de l’œcumène missionnaire.
Il Secundo
Il fallut cependant attendre le début du xxe siècle pour qu’une nouvelle réorganisation globale fût opérée par Pie X en 1908. Jusque-là, la Curie romaine recouvrait tout le personnel ecclésiastique et laïc gravitant autour du souverain pontife. Cela concernait différentes catégories telles que les cardinaux, archevêques et évêques de Curie, la prélature (auditeur de la Chambre apostolique, gouverneur de Rome, trésorier de l’Église romaine, substitut du cardinal vicaire de Rome, majordome du palais apostolique), les fonctionnaires des congrégations et du palais, les magistrats et auxiliaires de la justice ecclésiastique, la chapelle pontificale composant le cortège liturgique des solennités papales (cardinaux, patriarches, archevêques, évêques et princes assistants au trône, majordome de Sa Sainteté, collège des protonotaires participants et non-participants, prélats auditeurs de la Rote ou votants de la Signature, etc.) et la famille pontificale formant la cour du pontife régnant (cardinaux palatins : dataire, secrétaire d’État, secrétaire des mémoriaux, secrétaire des brefs ; prélats palatins ; maître de chambre, maître du sacré palais, maître des cérémonies, sacriste, prélats domestiques camériers secrets, garde palatine, etc.). Là où les siècles avaient surajouté fonctions et titres, pour une large part devenus obsolète en raison de la fin du pouvoir temporel des papes, Pie X va mettre bon ordre, simplification et modernisation : désormais la Curie romaine sera réduite à onze congrégations (Saint-Office, Consistoriale, Discipline des sacrements, Concile, Religieux, Propagation de la foi, Index, Rites, Cérémonial, Affaires ecclésiastiques extraordinaires, Études), trois tribunaux (pénitencerie apostolique, Rote romaine, Signature apostolique) et cinq offices (chancellerie apostolique, daterie apostolique, Chambre apostolique, Secrétairerie d’État, Secrétairerie des brefs aux princes et des lettres latines) ; l’administration du diocèse de Rome et la cour papale en furent retranchées et toutes les structures survivantes de l’ancien pouvoir temporel furent abrogées. Avant d’inclure ce nouvel organigramme dans le Code de droit canonique de 1917, Benoît XV apporta quelques correctifs : la Congrégation des études devint celle des séminaires et universités, l’Index fut annexé au Saint-Office, et les affaires orientales furent détachées de la Propagation de la foi pour donner naissance à la Congrégation pour l’Église orientale. Ce système perdura jusqu’au règne de Paul VI qui, selon le vœu du concile Vatican II (n° 9 du décret Christus Dominus de 1965), se lança dans un nouvel aggiornamento curial avec la constitution apostolique Regimini Ecclesiae universae du 15 août 1967 : on supprima quatre anciens dicastères absorbés par d’autres (la Congrégation cérémoniale, la daterie apostolique et les Secrétaireries des brefs aux princes et des lettres latines) et on en créa trois nouveaux plus modernes (les deux préfectures des Affaires économiques et du palais apostolique, et l’office de la statistique) ; on procéda à l’intégration juridique dans la Curie des trois secrétariats de création récente (unité des chrétiens, non-chrétiens, non-croyants), tout comme le conseil des laïcs et la commission pontificale Iustitia et Pax issus des préoccupations conciliaires. Mais surtout, tous les organismes de la Curie, dont la plupart virent leur nom modifié dans un sens plus explicite, furent placés sous la tutelle de la Secrétairerie d’État qui, de simple office, acquit la première place dans la nouvelle Curie ainsi composée : la Secrétairerie d’État de Sa Sainteté et le conseil pour les Affaires publiques de l’Église, neuf congrégations (Doctrine de la foi, Évêques, Églises orientales, Discipline des sacrements, Clergé, Religieux et instituts séculiers, Évangélisation des peuples de Propaganda fide, Rites, Éducation catholique), trois tribunaux (pénitencerie apostolique, Rote romaine, tribunal suprême de la Signature apostolique), trois secrétariats (unité des chrétiens, non-chrétiens, non-croyants), le Conseil des laïcs, la commission pontificale Iustitia et Pax et les six offices (chancellerie apostolique, Chambre apostolique, préfecture des Affaires économiques, administration du patrimoine du Siège apostolique, préfecture du palais apostolique, office central de la statistique de l’Église). À cela s’ajoutait la série des commissions et comités (Études bibliques, néo-Vulgate, révision des Codes de droit canonique latin et oriental, Amérique latine, Communications sociales, Archéologie sacrée, Sciences historiques…). Restaient inchangées la Révérende Fabrique de Saint-Pierre (en charge de la basilique vaticane), la Bibliothèque et les Archives secrètes vaticanes, la Librairie et la Typographie vaticanes, et l’ancienne aumônerie apostolique qui ne fit que changer son nom en service d’assistance du Saint-Père (pour les aumônes distribuées personnellement par le pape).
La quatrième charte fondamentale de la Curie romaine sera la constitution apostolique Pastor Bonus, signée par Jean-Paul II le 28 juin 1988. On y a conservé le modèle de 1967 mais avec plusieurs modifications. Une définition plus restrictive de l’institution curiale en est résultée puisque vingt-sept dicastères en font partie : la Secrétairerie d’État, neuf congrégations (Doctrine de la foi, Églises orientales, Culte divin et discipline des sacrements, Causes des saints, Évêques, Évangélisation des peuples, Clergé, Instituts de vie consacrée et sociétés de vie apostolique, Séminaires et instituts d’études ou Éducation catholique), trois tribunaux (pénitencerie apostolique, Rote romaine, tribunal suprême de la Signature apostolique), douze conseils pontificaux (Laïcs, Promotion de l’unité des chrétiens, Famille, Justice et Paix, Cor unum, Pastorale des migrants et itinérants, Apostolat des personnels de santé, Interprétation des textes législatifs, Dialogue interreligieux, Dialogue avec les non-croyants, Culture, Communications sociales), trois offices (Chambre apostolique, administration du patrimoine du Siège apostolique, préfecture des Affaires économiques. Trois autres organismes restent inclus dans la Curie mais sans être considérés comme des dicastères : préfecture de la Maison pontificale, l’office de célébrations liturgiques du souverain pontife ainsi que l’office du travail du Siège apostolique. En revanche, quelques institutions traditionnelles sont exclues de la Curie mais, soit conservent leur autonomie dans le système pontifical (Archives et Bibliothèque vaticanes, Académie des sciences, Fabrique de Saint-Pierre), soit sont rattachées à un dicastère (Librairie et Typographie vaticane, L’Osservatore Romano, la Radio et le Centre pour la télévision du Vatican.) Enfin, l’aumônerie apostolique est placée sous la dépendance directe du pape, comme jadis. Les trois anciens secrétariats ont été transformés en conseils pontificaux et les commissions pontificales permanentes ont été annexées par différents dicastères ; seules les commissions temporaires sont restées autonomes. La commission pontificale pour l’État de la Cité du Vatican et les services administratifs sont exclus de la Curie romaine, de même que le vicariat du diocèse de Rome, dont le pape est l’évêque. Dans sa nouvelle physionomie, la Curie romaine a été aussi désacralisée puisque le qualificatif de « sacrée » a été abandonné pour toutes les institutions pontificales… Dans la réforme du Droit canonique en 1983, la disparition des deux mots « Cità Sacra » inscrite dans les Accords du Latran de février 1929 est passée quasi inaperçue.
Le fonctionnement actuel de la Curie romaine répond à quelques principes énoncés dans la constitution apostolique Pastor bonus du 28 juin 1988 et dans le règlement général de la Curie romaine du 4 février 1992.
Paul Valéry, en 1931, dans ses Regards sur le monde actuel (« De l’histoire ») « Tout le génie des grands gouvernements du passé se trouve exténué, rendu impuissant et même inutilisable par l’agrandissement et l’accroissement de connexions du champ des phénomènes politiques ; car il n’est point de génie, point de vigueur du caractère et de l’intellect, point de traditions même britanniques qui puissent désormais se flatter de contrarier ou de modifier à leur guise l’état et les réactions d’un univers humain auquel l’ancienne géométrie historique et l’ancienne mécanique politique ne conviennent plus du tout. »