Quelle réforme du droit du travail ?

Séance du lundi 27 mars 2017

par M. Gilbert Cette, membre du Conseil d’analyse économique

 

Je m’appuie, pour répondre à la question qui m’est posée, sur les travaux que j’ai conduits ces dernières années avec le juriste Jacques Barthélémy, dont je propose ici une synthèse[1]. Je renvoie, pour plus de détails et entre autres travaux, aux deux ouvrages que nous avons publiés aux éditions Odile Jacob : Réformer le droit du travail, en 2015, et Travailler au XXIe siècle. L’ubérisation de l’économie ? en 2017.

Je m’attacherai à montrer, en introduction à ce propos, comment un droit social trop réglementaire peut être un problème à la fois pour la protection des travailleurs et pour l’efficacité économique. Je présenterai ensuite quelques figures et données statistiques caractérisant la situation française pour aboutir à ce qui est le socle des propositions de refondation du droit social dont Jacques Barthélémy et moi-même soutenons la mise en œuvre, et dont quelques-unes ont inspiré la loi El Khomri. Un développement particulier sera consacré aux différents niveaux d’élaboration des normes pour enfin conclure sur la question particulière du droit de l’activité professionnelle, en lien avec ce phénomène qu’il est désormais commun de qualifier d’ubérisation.

 

Introduction : les effets d’un droit social trop réglementaire

 

Les effets d’un droit social très ou trop réglementaire sont de brider l’espace de la négociation ou de la décision des partenaires sociaux. Il est utile de rappeler que dans plusieurs pays, les partenaires sociaux – entendus comme les représentants des syndicats de salariés – témoignent à l’occasion de l’hostilité envers l’intervention publique, réglementaire dans certains domaines. C’est le cas par exemple au Danemark ou en Italie, où ils s’opposent à la création d’un salaire minimum national, car ils estiment que c’est à eux, et non aux pouvoirs publics, de négocier de telles mesures. Ils craignent que l’instauration d’un salaire minimum national n’amenuise leur rôle et que cela n’amène à une désyndicalisation ou à une perte d’audience. Au-delà de ces enjeux de pouvoir, nous montrons dans nos travaux qu’une intervention réglementaire excessive bride la réalisation des meilleurs compromis locaux, les compromis « gagnant-gagnant ». Elle est donc préjudiciable à la performance mais aussi à la protection des travailleurs et à l’équilibre du marché du travail.

On observe que les travailleurs, du reste, ne ressentent pas nécessairement comme protectrice une abondance de règles réglementaires censées les protéger. Je renvoie à l’excellent travail d’Andrew Clark et Fabien Postel-Vinay[2], qui montre, d’après l’exploitation d’enquêtes réalisées en Europe, que le sentiment de protection des salariés décroît avec les rigidités formelles associées aux licenciements : plus les procédures de licenciement sont fortes, rigides et exigeantes, moins les salariés se sentent protégés en termes de sécurité de l’emploi. L’interprétation de ce contraste très marqué est que le passage par la case chômage est plus douloureux, long et pénible, quand la fluidité sur le marché du travail est faible, ce qui explique la méfiance des salariés vis-à-vis d’une législation trop contraignante en matière de licenciement. Il n’est pas non plus inutile de rappeler que les premiers pénalisés sont les entrants sur le marché du travail, et parmi eux les jeunes. J’illustre cela par deux graphiques.

Le premier, qui porte sur l’année 2013, indique en abscisse la rigueur procédurale des licenciements, selon les pays – c’est un indicateur fourni par l’OCDE – et en ordonnée, le taux d’emploi parmi la population de 15 à 64 ans ou de 15 à 24 ans. On relève une corrélation négative, qui est encore plus forte chez les plus jeunes : plus la rigueur procédurale des licenciements est élevée, plus le taux d’emploi est bas.

Source des données : OCDE, année 2013

Le second indique sur l’axe des abscisses la rigueur procédurale, cette fois-ci uniquement pour les CDI. En ordonnée figure le taux de précarité, c’est-à-dire la proportion, parmi les personnes en situation d’emploi, de celles qui sont en CDD ou en intérim. Vous voyez que cette proportion est croissante avec la rigueur des licenciements des CDI et même fortement croissante pour ce qui concerne les jeunes.

Source des données : OCDE, année 2013.

Une étude récente, menée en collaboration, m’a permis de montrer par ailleurs que les rigueurs associées aux licenciements étaient ressenties par les chefs d’entreprise comme une augmentation du coût du travail qui les incitait à substituer du capital au travail[3]. Le ratio capital/travail est assez élevé en France, mais c’est un capital de médiocre qualité, faible en nouvelles technologies et en recherche et développement. Quant à la relation avec le taux de précarité, elle se comprend assez aisément. Quand les rigueurs procédurales des licenciements de CDI sont fortes, elles sont contournées par un recours plus fréquent à l’emploi précaire de la part des entreprises.

 

La situation française : quelques constats

 

On vit en France avec le sentiment que le taux de chômage est assez important à cause des crises économiques que nous avons traversées. Or, force est de constater, lorsqu’on compare la France avec les autres pays industrialisés, que les situations de chômage massif sont assez rares et sont principalement le fait de pays d’Europe du Sud : la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la France et la Slovaquie. La plupart des autres pays connaissent un taux de chômage assez bas, et pourtant ils ont traversé la crise économique comme nous. On entend dire par ailleurs que l’ubérisation de l’économie tuerait des emplois ; or, elle est moins avancée en France que dans certains pays étrangers et pourtant ces derniers sont au plein emploi. Il est donc inexact de faire de la crise la principale responsable du chômage de masse que connaît la France. Les explications sont à chercher ailleurs, dans les caractéristiques propres au marché du travail français.

Une première singularité française est notre droit social, très réglementaire comparé à ceux en vigueur à l’étranger. Cela est démontré par les indicateurs agrégés synthétiques, comme ceux fournis par l’OCDE. Sans doute ont-ils leur fragilité – et ils essuient du reste des critiques –, mais la méthodologie qui préside à leur élaboration est identique pour tous les pays. Si on reprend l’indicateur présenté tout à l’heure sur les rigueurs procédurales associées au licenciement, il ne fait pas de doute que la France se classe parmi les premiers pays industrialisés.

L’analyse de domaines spécifiques, comme le droit de la durée du travail (qui se distingue chez nous par sa profusion) ou le salaire minimum, fait ressortir la singularité de la France. Les modalités de revalorisation du salaire minimum que nous connaissons n’ont ainsi aucun équivalent dans tous les autres pays industrialisés, où elles sont infiniment moins contraignantes. Il en va de même pour ce qui regarde le droit du travail, sa durée horaire notamment. Un coup d’œil sur l’évolution du volume du Code du travail dans les dernières décennies est très instructif à cet égard : de 950 pages en 1974, il est passé à plus de 2000 pages en 2013. Cette inflation réglementaire, unique en son genre, aboutit à un très faible espace décisionnel laissé aux partenaires sociaux, et, ce qui lui est associé, à un très faible taux de syndicalisation. Le taux de syndicalisation français est un des plus faibles parmi les pays de l’OCDE. Seules l’Estonie et la Turquie font moins bien.

Source des données : OCDE, année 2013.

On répond souvent qu’en France le taux de couverture conventionnelle est plus élevé, ce dont témoigne cet autre graphique, dans lequel est représenté en abscisse le taux de couverture conventionnelle et en ordonnées le taux de syndicalisation.

Source des données : OCDE, année 2013.

Généralement, dans les pays de l’OCDE, plus le taux de syndicalisation est élevé et plus le taux de couverture conventionnel l’est également. La France fait exception. Cela peut s’expliquer entre autres par les procédures d’extension et d’élargissement qui aboutissent à ce que les salariés d’une entreprise qui n’ont pas été directement partie prenante dans les négociations de branche peuvent être couverts par l’extension. Le recours à cette extension quasi systématique nourrit une certaine déresponsabilisation des salariés et des entreprises concernées.

Quelques figures serviront encore à illustrer la situation française. Je m’appuie ici sur une enquête réalisée en 2014 par l’Eurosystème, qui portait sur les années 2010 à 2013 et s’intéressait à ce que les employeurs considéraient comme un frein à une embauche pérenne. La France était le pays où l’incertitude économique était l’obstacle le plus souvent mentionné par les entreprises. Elle faisait également partie des pays dans lesquels l’argument de l’incertitude réglementaire revenait le plus souvent.

Source : Enquête WDN Eurosystème menée en 2014 sur les années 2010-2013

La même enquête demandait si le coût du travail et le coût du licenciement constituaient un obstacle à l’embauche de CDI. La France se classait là encore dans le groupe de tête, en deuxième position derrière la Belgique, pour les pays dans lesquels le coût des licenciements était un obstacle pour les CDI.

Source : Enquête WDN Eurosystème menée en 2014 sur les années 2010-2013

Une troisième question posée était de savoir si les entreprises ressentaient, à la suite d’un choc de demande, une forte rigidité à la baisse de rémunération des salariés. De nouveau la France faisait partie des pays où cette rigidité était la plus forte. Cela contribue à expliquer la forte préférence qu’on trouve chez nous pour le salaire plutôt que pour l’emploi.

Source : Enquête WDN Eurosystème menée en 2014 sur les années 2010-2013

Une autre spécificité française est la mauvaise qualité des relations sociales, même si elle est plus délicate à mesurer et à illustrer. Je reprends pour ce faire un indicateur souvent cité, tiré d’une enquête du Forum économique mondial qui demandait à de grandes entreprises internationales de noter la qualité des relations sociales. La France dispute à l’Italie la dernière place en matière de qualité des relations sociales, ressenties comme bien meilleures en Allemagne ou au Royaume-Uni.

Source : Enquête du Forum économique mondial, Chevreux 2016.

La conflictualité est elle aussi un indice de la mauvaise qualité des relations sociales. Le BIT l’a mesurée, dans une enquête, par le nombre de journées perdues sur une année pour cause de grève, pour 1000 salariés. La France se situe dans le groupe des pays industrialisés où ce nombre de journées est le plus élevé, supérieur à 100 en moyenne sur la période 2005-2012. Sur la période la plus récente, cet indicateur de conflictualité a baissé. On est ainsi passé, sur les trois dernières années, à une moyenne de 50 à 100 journées perdues. Reste que la France demeure loin devant d’autres pays, comme l’Allemagne, la Suède ou les États-Unis, tous pays en situation de plein emploi, où ce chiffre ne dépasse pas les 25 journées par an.

Les raisons qui poussent les Français à ne pas se syndiquer ne sont pas moins intéressantes à prendre en compte. Dans quatre enquêtes réalisées entre 2005 et 2013 par TNS-Sofres, les deux principales raisons avancées par les salariés sont d’une part que les syndicats ne répondent pas à leurs attentes et de l’autre la peur des représailles, qui témoigne pour le moins d’un climat social particulier.

Source : sondages TNS-SOFRES.

Un dernier élément que je voudrais avancer est la multiplicité, en France, des instances représentatives du personnel (IRP), dont la compréhension est particulièrement complexe, notamment pour les investisseurs étrangers : on se perd entre délégués syndicaux, délégués du personnel, comité d’entreprise, CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail)… sans compter les multiples seuils qui commandent ou non la mise en place et le rôle de ces différentes IRP, ainsi que les obligations d’information et de consultation vis-à-vis d’elles – j’en ai recensé 17. La France a bénéficié, heureusement, de quelques vagues de simplification. La dernière d’importance est celle portée par la loi Rebsamen du 17 août 2015, qui permet, à l’initiative du chef d’entreprise pour les entreprises de moins de 300 salariés et par accord collectif dans les entreprises qui dépassent ce seuil, de regrouper ces IRP[4]. Néanmoins, chacun s’accorde à penser que cette réglementation est très lourde en France. Le Bilan de la négociation collective écrivait pour 2015 : « Les grandes entreprises sont concernées par des obligations en matière d’IRP qui peuvent introduire une certaine complexité[5]. » Dans le langage très policé de la direction générale du Travail, un tel constat pèse lourd. Et c’est un domaine qui est difficile à réformer, comme l’a illustré l’échec, en janvier 2015, de la négociation interprofessionnelle sur le dialogue social et la simplification de ses modalités. Cela signifie que les simplifications dans ce domaine doivent être imaginées à l’initiative des pouvoirs publics, ce qui n’empêche pas des consultations, et qu’il ne faut pas attendre, au niveau interprofessionnel, des initiatives fortes et consensuelles des partenaires sociaux. Or, une réforme s’impose. Un graphique publié récemment par la direction générale du Trésor a mesuré le coût des délégations horaires accordées aux instances représentatives du personnel, en pourcentage du coût salarial total dans une entreprise. Alors que ce coût est inférieur, en Allemagne, à 0,5 % du coût salarial total, il s’élève en France, malgré les réformes, à environ 1,5 % de ce même coût total. Nous ne pouvons négliger un tel élément de compétitivité.

Source : Chevreux 2016.
Trois stratégies de refondation du dialogue social

 

Face à ces constats, quelles stratégies de réforme et de refondation peut-on envisager ?

La première de ces stratégies est une approche qu’on pourrait qualifier, en dépit de la connotation négative qui s’attache trop souvent, en France, à ce mot, de libérale. Elle consiste à réduire l’espace du droit réglementaire pour laisser plus d’espace décisionnel aux partenaires sociaux par la voie d’accords collectifs. Si Jacques Barthélémy et moi sommes circonspects à son endroit, c’est que cette contraction de l’espace réglementaire correspond à un affaiblissement de la fonction protectrice du droit social. Rien ne garantit l’appétence des partenaires sociaux, et notamment des employeurs, à combler l’espace ainsi libéré par un droit d’essence plus conventionnelle. Aussi cette voie – du reste peu envisageable politiquement et difficilement compatible avec une tradition de civil law – nous paraît-elle vaine.

Une deuxième voie est l’appel au développement du droit conventionnel, mais il nous semble que cette stratégie est naïve et ineffective, ne serait-ce que parce que les acteurs du dialogue social n’y sont pas nécessairement prêts. L’espace potentiellement disponible au développement du droit conventionnel est de toute façon très réduit, ce qui est peu motivant.

La troisième voie, qui celle que nous préconisons, est de procéder simultanément à une contraction du droit réglementaire et à un développement simultané du droit conventionnel, sur l’espace libéré par le droit réglementaire[6]. Dès le début de nos travaux, une de nos idées était en effet qu’il fallait autoriser le droit conventionnel ou contractuel à déroger à une multitude de règles inscrites dans le Code du travail, celui-ci continuant à s’appliquer en l’absence d’un tel tissu conventionnel. Une telle approche serait cohérente avec la culture française de civil law.

Cette ouverture dérogatoire connaîtrait néanmoins certaines limites de divers ordres. Viennent en premier lieu les dispositions d’ordre public, ces principes dont un ouvrage récent de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, en 2015, a dressé la liste[7]. Un deuxième type de limites est bien sûr le respect du droit supranational, telles les directives européennes mais aussi les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) que la France a ratifiées. À cet égard, un mauvais exemple de réforme nous a été donné par le contrat nouvelles embauches (CNE) de 2005, qui était contraire à plusieurs conventions de l’OIT applicables en France. En engageant les entreprises à agir selon des dispositions beaucoup moins protectrices que la réglementation en vigueur, le CNE les a mises en mauvaise posture.

Une autre limite à poser – et ce n’est pas la moindre – est d’éviter que la négociation collective, qui est le fait de représentants des salariés et des entreprises, n’aboutisse à des externalités défavorables pour la collectivité, entre autres sur le plan financier. Elle ne doit non plus dégrader les conditions d’accès à l’emploi des chômeurs et de tous ceux qui entrent sur le marché du travail, les jeunes en tout premier lieu. Une telle approche appelle ainsi, préalablement, une nouvelle définition des contours et des principes de l’ordre public social. Elle nécessite de la même manière de réfléchir à l’autonomie respective des différents niveaux d’élaboration des normes : quelle est l’autonomie de l’accord d’entreprise par rapport à l’accord de branche, l’autonomie du contrat de travail par rapport au tissu conventionnel, etc. ?

L’avantage que nous voyons à cette stratégie est qu’elle concilie à la fois la protection des travailleurs et une meilleure efficacité économique. La première est garantie par le fait que le tissu conventionnel ainsi élaboré résulte d’accords collectifs majoritaires, signés par les représentants élus du personnel, dont l’action peut être éventuellement sanctionnée par des élections ultérieures. Quant à la seconde, la signature du chef d’entreprise à un accord certifie que l’entreprise y trouve son compte. Dans cette approche, l’accord majoritaire a trouvé son expression la plus forte dans la loi du 20 août 2008, qui a été l’objet d’une position commune des deux principaux syndicats de salariés, la CGT et la CFDT.

Une objection souvent opposée est le cas des petites entreprises, où la représentation syndicale est généralement des plus réduites. Mais il existe pour elles un arsenal qui supplée à l’absence syndicale et qui du reste a été en majeure partie mis au point par les partenaires sociaux eux-mêmes, à l’exemple de la procédure du mandatement, créée par l’accord interprofessionnel du 31 octobre 1995. Songeons aussi aux accords d’application directe, qui ont trouvé une expression très forte dans le cadre des lois Aubry sur la réduction du temps de travail, à la fin des années 1990. Cette technique permet qu’un accord, assorti de différentes modalités d’application, soit directement négocié au niveau de la branche pour être ensuite automatiquement mis en œuvre dans les entreprises concernées.

Il nous semble, en revanche, qu’il y a lieu d’être réservé vis-à-vis de la procédure du referendum, malgré l’image positive qui lui est fréquemment associée. De notre point de vue, le referendum présente dans la démocratie sociale des dangers non moins grands que dans la démocratie politique, surtout lorsqu’il n’est pas organisé conjointement par les partenaires sociaux, condition indispensable à l’équilibre de l’information fournie aux salariés. Le seul cas dans lequel il devrait être envisagé est la vérification du soutien des salariés à un accord majoritaire (pourvu que les partenaires sociaux soient eux-mêmes d’accord avec cette procédure), ou bien, dans les plus petites entreprises, à un accord conclu par mandatement ou à un accord d’application directe. Le referendum ne saurait être, en aucun cas, un moyen de contourner la négociation collective.

Un point essentiel de l’approche que nous préconisons est la grande ambition que nous proposons de donner à ce qu’on appelle en France le « principe de faveur » dans l’articulation entre les normes réglementaires et les normes conventionnelles. Ce principe suppose de ne pas comparer la situation avant et après un accord point par point, avantage par avantage, mais de considérer l’économie globale des changements opérés. Car lorsque les partenaires sociaux, dans une entreprise, s’entendent pour perdre sur certains plans, cela signifie qu’ils gagnent sur d’autres. Les accords de maintien de l’emploi, qui permettent de baisser la rémunération mensuelle de salariés contre des garanties d’emploi, s’inscrivent tout à fait dans cette logique. On comprend bien pourquoi, au niveau interprofessionnel, les syndicats signataires de l’avis du 11 janvier 2013 ont considéré que les partenaires sociaux, y compris les représentants des salariés, pouvaient y trouver avantage.

Cette stratégie, enfin, appelle un renforcement de la représentativité effective des syndicats et de leur audience. La loi du 20 août 2008 a déjà, sur ce plan, favorisé d’importants changements, dont on peut penser qu’ils seront encore accélérés par la loi El Khomri. Elle conditionnait la validité des accords d’entreprise à leur signature, du côté des représentants des salariés, par des élus de syndicats ayant obtenu au moins 30 % des voix aux dernières élections professionnelles. Cette disposition, soutenue de manière commune par la CFDT et la CGT, a accru l’opérationnalité des accords majoritaires. La loi El Khomri a depuis renforcé cette logique en fixant ce seuil à 50 %, ce qui rend impossible l’exercice du droit d’opposition par les représentants des syndicats n’ayant pas signé le texte. L’incertitude qui persistait, après 2008, dans l’élaboration du tissu conventionnel a désormais disparu.

La conséquence, c’est qu’il nous faut trouver les moyens d’accroître la syndicalisation des salariés – nous en proposons beaucoup. Un autre impératif est la formation des délégués syndicaux. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de considérer que les représentants des comités d’entreprise bénéficient de crédits d’heures de formation, mais pas les délégués syndicaux, en dépit de la charge qui leur incombe de négocier et de signer les accords collectifs.

Pour conclure cette troisième partie, voyons ce que pourrait donner l’application de cette stratégie à différents domaines du droit du travail. En ce qui concerne la durée du travail, les accords pourraient, dans le strict respect des normes européennes (notamment sur la durée maximale du travail), déroger à toute autre norme, par exemple en ce qui concerne la majoration des heures supplémentaires. La loi El Khomri reprend en partie cette idée, déjà présente il est vrai dans la loi Fillon du 4 mai 2004 – mais les partenaires sociaux l’avaient quelque peu oublié.

Pour ce qui des seuils sociaux, il serait pertinent d’autoriser les partenaires sociaux, par un accord collectif, à suspendre les obligations qui leur sont associées, dont on sait qu’elles sont très lourdes. Le franchissement du seuil de 50 salariés entraîne ainsi 65 obligations supplémentaires. On conçoit qu’une entreprise de 49 salariés hésite à accepter un nouveau marché si celui-ci doit l’amener à embaucher, et donc, en franchissant le seuil des 50 salariés, à créer un comité d’entreprise, un système de participation etc., sachant qu’un éventuel retour à 49 ne supprimera aucune de ces obligations. En offrant la possibilité de surseoir aux obligations liées au dépassement des seuils sociaux, on fait appel à la responsabilité des partenaires sociaux. Il en va de même du traitement des conflits. On connaît le drame du fonctionnement des prud’hommes : neuf mois de délai moyen en France (et plus encore en région parisienne), entre la saisine des prud’hommes et la décision de première instance, et quinze mois s’il y a appel, ce qui est le cas pour 75 % des affaires jugées (sachant qu’elles aboutiront pour les deux tiers à une invalidation totale ou partielle de la décision de première instance). D’où une instabilité angoissante, pour les entreprises et pour les salariés. Pourquoi les partenaires sociaux, au niveau de la branche, ne contourneraient-ils pas le monopole des prud’hommes en organisant par exemple des instances de résolution des conflits sur un mode arbitral ? La simplification du système des IRP relève d’une logique identique.

Ainsi comprise, la stratégie que nous défendons conduit à renforcer le pouvoir de décision des partenaires sociaux, étant saufs les principes d’ordre public et le droit supranational.

 

Les différents niveaux d’élaboration des normes

 

La question du niveau d’élaboration des normes mérite un développement particulier, car elle est cruciale pour une réforme du droit du travail.

Il s’agit d’un point sur lequel Jacques Barthélémy et moi avons évolué. Pendant de nombreuses années, nous avons indiqué le niveau interprofessionnel comme un niveau d’élaboration des normes pertinent, faisant partager notre point de vue à un certain nombre de responsables politiques. Nous pensons que ce n’est plus le cas, parce que le niveau interprofessionnel n’est pas le plus adapté à des réformes courageuses. Ce constat s’explique par le fait que les partenaires sociaux sont trop impliqués dans certains domaines pour consentir à des réformes d’envergure. J’en veux pour preuve deux exemples. Le premier est l’échec de la négociation sur le dialogue social en janvier 2015 : les syndicats ont beaucoup de mandants qui siègent dans les comités d’entreprise, les CHSCT… Aboutir à une réforme courageuse qui réunirait les IRP, ce n’est pas forcément se rendre très sympathique à sa base militante. La seconde illustration est l’accord signé à la fin de l’année 2013 par les syndicats interprofessionnels sur la formation professionnelle, qui a donné lieu à la loi de mars 2014, et dont l’ambition a été très mesurée. Dans la mesure où la formation professionnelle est une des sources de financement des partenaires sociaux, on peut comprendre que ceux-ci se soient entendus pour toucher le moins possible à son mode de fonctionnement. Le rapport Perruchot a mis cette réalité en évidence.

Il est vrai que ce niveau interprofessionnel connaît actuellement un tremblement de terre (qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec le déclin de l’audience des syndicats au niveau national), puisque la CFDT dépasse désormais la CGT dans le privé en ce qui concerne la représentativité syndicale. Il n’empêche, en dépit de ce succès d’un syndicat réformiste, que le niveau interprofessionnel, en termes décisionnels, n’est pas le niveau pertinent.

Nos préconisations ont été reprises par un certain nombre de travaux, dont le rapport Combrexelle, puis de façon mesurée dans la loi El Khomri. Nous proposons que la norme légale ne s’impose que lorsque fait défaut une norme conventionnelle[8]. Pour le dire autrement, nous voulons passer d’une logique de dérogation à une logique de subsidiarité de la norme légale par rapport à la norme conventionnelle, étant toujours sauf, bien entendu, le respect des principes et du droit supranational. Cette logique a été légèrement reprise dans la loi El Khomri. Néanmoins, pour être engagée totalement, sa mise en œuvre nécessite une réécriture du Code du travail, parce qu’il faut définir les limites des principes pour que les partenaires sociaux ne pensent pas qu’ils puissent prendre des décisions dans des domaines sur lesquels ils n’auraient pas de prise. Or, cette réécriture est complexe. Elle ne s’est produite pour l’heure que dans le domaine du droit de la durée du travail. Dans les faits, la loi El Khomri, et son fameux article 2, qui avait mis tant de monde dans la rue, ne sont en effet opérationnels que pour le droit de la durée du travail.

Pour être effective, cette approche appelle également une transformation radicale de la structuration par branche. En France, nous avons environ 700 branches professionnelles censées négocier et élaborer des conventions collectives. Nous proposons de ramener ce nombre à 100 ou 150. L’Allemagne ne compte, par comparaison, qu’une centaine de branches. La réalité du dialogue social tient aussi à cela. Car si les grandes branches ont les moyens de négocier, d’avoir des expertises et de développer un travail de fond, ce n’est pas le cas dans une grande majorité des branches. Je renvoie, sur ce point, au rapport Combrexelle.

Comment, dans une logique de subsidiarité, articuler convention d’entreprise et convention de branche ? Nous invitons à aller au-delà que ce que proposait la loi Fillon du 4 mai 2004. Traduction d’une position commune signée par les partenaires sociaux (dont Force ouvrière) en juillet 2001, celle-ci permettait déjà à un accord d’entreprise de déroger à un accord de branche, avec toutefois des limites. Cinq domaines relevant de l’ordre public professionnel et fondant l’identité de la branche (les minima salariaux, les catégories professionnelles, les normes d’égalité homme-femme etc.) étaient mis hors d’atteinte de la convention d’entreprise. De même, il ne lui était pas permis de toucher à un point explicitement prévu par l’accord de branche. La loi El Khomri a révoqué cette dernière disposition, mais maintient l’impossibilité de revenir sur les cinq domaines qui fondent l’identité de la branche. Il ne faut néanmoins pas se faire d’illusion : cette possibilité, pour un accord d’entreprise, de déroger à un accord de branche restera, dans les faits, faiblement mobilisée, comme elle l’a été dans les faits depuis 2004. Une des raisons est la non-rétroactivité, car un accord d’entreprise ne pouvait déroger qu’à de nouvelles conventions de branche. Mais avec le recul, on peut penser que d’autres raisons ont joué et notamment qu’il faut beaucoup de courage à des syndicalistes d’entreprise pour aller à l’encontre de ce qui a pu être signé au niveau de la branche. C’est ce qui explique, à notre avis, qu’il n’a pas été fait un plus large usage de cette faculté.

Se pose, enfin, la question de l’articulation entre les conventions et le contrat de travail. Nous appelons à renforcer les possibilités de restreindre l’autonomie du contrat de travail par la conclusion d’accords d’entreprise. Cette proposition nous a été inspirée par l’exemple allemand. En Allemagne, en 2009, le PIB a diminué de 6 %, mais l’emploi n’a pas diminué, le chômage n’a pas augmenté. En France, le PIB a diminué de 3 %, 500 000 emplois ont été détruits et le taux de chômage a augmenté de deux points. Sans doute le chômage partiel a-t-il été beaucoup plus fort en Allemagne qu’en France. Cependant, le principal facteur de la stabilité du taux de chômage outre-Rhin a été la négociation d’accords dans les branches ou les entreprises, qui ont permis de baisser temporairement les salaires et la durée du travail le temps de sortir de la mauvaise passe économique. Nous avions tiré de cette observation plusieurs articles, et l’idée avait été notamment reprise dans les accords compétitivité-emploi, à l’époque du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Cette mesure, depuis, a disparu. Elle a été remplacée, en quelque sorte, par les accords de maintien de l’emploi, prévus par les partenaires sociaux dans l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 et introduits dans la loi du 14 juin 2013.

Cette possibilité de « mordre » dans l’autonomie du contrat de travail suppose toutefois de définir plus précisément les composantes du contrat de travail, du moins en principe. À l’heure actuelle, le contrat de travail se compose d’éléments secondaires, qui peuvent être modifiés de son propre mouvement par le chef d’entreprise, et d’éléments substantiels, dont la modification nécessite l’accord individuel du salarié. Nous proposons d’introduire une distinction supplémentaire entre des éléments substantiels secondaires et des éléments substantiels absolus. Les premiers pourraient être modifiés par accord collectif, les seconds seuls devant continuer à recevoir l’approbation du salarié pour être modifiés. Il ne saurait être question, par exemple, de contraindre un salarié à changer de catégorie professionnelle, à passer d’un emploi d’ingénieur à celui d’agent de nettoyage. En Allemagne, quand des accords prévoient une baisse de la durée du travail et des salaires en raison d’une conjoncture économique délicate pour l’entreprise, le salarié qui n’est pas d’accord prend ses responsabilités et quitte l’entreprise, parce que la force contractuelle de l’accord collectif est très grande. En France, de tels aménagements n’étaient pas possibles jusqu’à la loi du 14 juin 2013, voulue par les partenaires sociaux. Néanmoins les représentants syndicaux, effrayés de leur audace, se sont empressés de mettre des verrous. L’un d’eux est l’obligation de conclure de tels accords uniquement dans les situations de difficultés économiques pour l’entreprise, ce qui est absurde, car il est toujours bon de négocier à froid et de déclencher à chaud. C’est ce qui se produit en Allemagne, où les accords de ce type sont négociés en amont mais appliqués par les signataires uniquement en cas de besoin. En France, on impose de négocier à chaud, ce qui n’aide pas à examiner le dossier de façon sereine, en ayant recours à des experts. Outre que l’accord nécessite une majorité renforcée de 50 %, notons aussi que sa validité ne peut excéder une durée de deux ans, ce qui est court. Il ne peut pas, non plus, concerner les salaires inférieurs à 1,2 SMIC, ce qui rend inéluctablement les négociations plus complexes dans une entreprise, où les salariés ne savent pas toujours s’ils sont ou non au SMIC, compte tenu des primes intégrées dans le calcul de son assiette. Enfin, en cas de refus de l’accord par un ou plusieurs salariés, le chef d’entreprise n’a d’autre ressource que de les licencier chacun pour motifs économiques individuels, avec autant de possibilités de contestation à la clé. Le résultat de tous ces verrous, c’est que cette disposition des accords pour le maintien de l’emploi a été fort peu utilisée : entre 2013 et 2017, ce sont moins de quinze accords de ce type qui ont été signés. Cet échec est une bonne illustration de la manière dont on peut dénaturer et perdre une réforme intéressante.

 

Un nouveau droit de l’activité professionnelle

 

Ces réflexions sur le droit de travail se sont enrichies, ces dernières années, d’une nouvelle problématique, celle du droit à l’activité professionnelle, liée à ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’ubérisation de l’économie. Nous voyons poindre depuis plusieurs années une nouvelle révolution technologique. Liée au développement des technologies numériques, elle bouleverse les modes de vie et de travail et fait naître deux types d’anxiété.

La première est quantitative. On craint que les progrès de la technologie ne détruisent beaucoup d’emplois et qu’il n’y ait plus assez de travail pour toute la population active. Dans un pays comme la France, où le taux de chômage est toujours massif, ce sentiment anxiogène est particulièrement prégnant. Or, la littérature économique[9] nous montre que cette peur a été présente à toutes les révolutions technologiques et qu’à chaque fois, elle a été démentie parce que de nouvelles activités ont émergé qui ont compensé les pertes d’emploi. On connaît l’exemple du porteur d’eau, donné par Alfred Sauvy. Qui, aujourd’hui, regrette la disparition des porteurs d’eau ? Pourtant, au début du XXsiècle, Paris en comptait 20 000, que les canalisations ont fait disparaître. Cette évolution de l’emploi implique toutefois, pour le dire encore comme Alfred Sauvy, que se produise un « reversement ». Et pour cela nous avons besoin d’un système de formation plus efficace, surtout pour la formation professionnelle. À l’aube du choc que nous allons connaître avec la révolution technologique, cette réforme est cruciale. L’erreur serait de reproduire ce qui a été fait en France au moment de la fermeture des mines et des usines sidérurgiques dans les années 1960-1970, lorsqu’on a développé un système de préretraite coûteux et destructeur sur le plan social.

Un point qu’il n’est pas inutile de souligner est que les gains de productivité n’ont jamais été aussi faibles dans les principaux pays industrialisés, ce qui signifie que la révolution technologique ne détruit pas encore les emplois. Cette crainte relève donc encore du domaine de la prospective, mais il ne faut pas moins s’y préparer. En tout cas, elle n’est pas encore observée dans les faits.

La seconde anxiété est qualitative. Elle redoute un développement de l’emploi indépendant au détriment de l’emploi salarié[10]. Et c’est évidemment anxiogène, parce que l’emploi indépendant bénéficie de protections affaiblies par rapport à celles des salariés, notamment face au chômage. Le conducteur Uber qui disparaît de cette application ne dispose pas de voie de recours, alors que cela s’apparente à un licenciement. Là encore, cette anxiété est cependant démentie par les chiffres. La proportion d’emplois salariés est stable, voire continue à augmenter dans 31 des 35 pays de l’OCDE depuis deux décennies. Les trois pays qui font exception sont la France, depuis la création du statut d’auto-entrepreneur, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, ces deux derniers de manière plus marquée.

Qu’est-ce que signifie alors l’ubérisation de l’économie ? C’est le développement d’emplois indépendants, de natures très diverses. Certains sont peu qualifiés, ce sont ceux des prolétaires de l’ubérisation, dont les conducteurs d’Uber sont les meilleurs exemples. Mais ces emplois sont destinés à disparaître, comme ceux des meilleurs salariés. La voiture autonome devrait, d’ici quelques années, faire disparaître le conducteur Uber. À l’autre extrême, le développement de l’emploi indépendant concerne des salariés très qualifiés, très diplômés et très autonomes, notamment dans les activités de conseil. On observe cela dans tous les pays industrialisés. Ces travailleurs font un usage intensif des outils de mobilité, vivent une interpénétration totale de leur vie personnelle et de leur vie professionnelle et ont des modes de travail très proches de ceux des salariés les plus qualifiés.

La solution actuelle n’est pas satisfaisante, parce qu’on voit que les travailleurs soumis à une même dépendance économique bénéficient de droits différents, selon que cette dépendance est aussi une subordination juridique, concrétisée par un contrat de travail, ou qu’elle s’applique à un travailleur indépendant. Nous plaidons pour que soient données davantage de garanties au travail indépendant, en évitant le piège de vouloir le faire rentrer à toute force dans le cadre de l’emploi salarié conçu à l’époque de la civilisation de l’usine et qui est inadapté aux formes de souplesse précisément requises par nombre d’activités économiques indépendantes. Mais il n’est pas non plus raisonnable de s’en tenir au laisser-faire, parce qu’on voit que les tribunaux requalifient un à un les emplois indépendants en emplois salariés. Cela a été le cas en Californie en 2015, à Londres en octobre 2016 ; il est probable que cela se produise en France où des procédures sont en cours. La voie que nous indiquons, c’est de construire un droit de l’activité professionnelle qui associe des droits à l’existence d’un lien de dépendance économique et non plus seulement à la subordination juridique matérialisée par le contrat de travail. Il va de soi que dans l’élaboration de ce droit de l’activité professionnelle, les partenaires sociaux auront un rôle central à jouer afin de définir les niveaux de dépendance économique et le déclenchement de droits qui peuvent être associés.

 

Remarques conclusives

 

D’autres chantiers de réforme mériteraient encore qu’on s’y arrête, comme celle du SMIC ou celle des prud’hommes, qui doivent aller dans le sens d’une justice plus efficace et protectrice. Je renvoie sur ce point, une fois encore, aux travaux produits avec Jacques Barthélémy, dans lesquels on trouvera un certain nombre de pistes.

Pour revenir à ce qui a été mon propos au long de cet exposé, le rôle protecteur et l’efficacité économique de notre droit social sont actuellement bridés par un quadruple mal :

  • la prolifération des normes réglementaires, associée à de faibles possibilités d’y déroger par accord collectif ;
  • une articulation difficile entre les différents niveaux de normes, nonobstant les assouplissements apportés par différentes réformes ;
  • une règle de l’avantage le plus favorable (« principe de faveur »), plus souvent apprécié avantage par avantage et salarié par salarié que sur la globalité des accords, et qui rend complexe l’articulation de la norme conventionnelle avec la norme réglementaire ou des normes conventionnelles entre elles ;
  • une inadaptation, enfin, à l’émergence de certaines formes d’emplois indépendants.

La réponse à ces difficultés est de deux ordres. Elle passe par une nouvelle élaboration des normes dont les partenaires sociaux soient les acteurs principaux. Elle appelle aussi la construction d’un droit de l’activité professionnelle. Ainsi serait atteint l’objectif de renforcer à la fois le rôle protecteur du droit social et son efficacité économique, en accroissant la consistance juridique de la collectivité du personnel et en donnant aux partenaires sociaux la totale maîtrise d’une redéfinition des normes.

[1] Communication présentée devant l’Académie des sciences morales et politiques le 27 mars 2017.

[2] Andrew Clark, Fabien Postel-Vinay, « Job Security and Job Protection », Oxford Economic Papers, vol. 61 ; n° 2, 2009, p. 207-239.

[3] Gilbert Cette, Jimmy Lopez et Jacques Mairesse, « Labour Market Regulations and Capital Intensity », NBER Working Papers, n° 22603, septembre 2016.

[4] Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 sont ensuite allées plus loin dans ce regroupement.

[5] Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, Bilans et rapports. La négociation collective en 2015, Paris, Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, 2016, p. 209 (http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_negoc_collective_2015.pdf).

[6] Cette stratégie de reforme sera celle ensuite engagée par les ordonnances travail du 22 septembre 2017.

[7] Robert Badinter, Antoine Lyon-Caen, Le travail et la loi, Paris, Fayard, 2015.

[8] Cette logique a ensuite été reprise dans les ordonnances travail du 22 septembre 2017.

[9] Joel Mokyr, Chris Vickers, Nicolas L. Ziebart, Journal of Economic Perspectives, vol. 29, n° 3, 2015, p. 31-50.

[10] Voir, dans le même programme annuel, la communication de Bertrand Martinot, « Le travail indépendant : une alternative au salariat ? »

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