Les régulations mises en place pour assurer la stabilité financière sont-elles compatibles avec l’accélération nécessaire de la croissance dans la zone euro ?

Séance du lundi 6 novembre 2017

par François Villeroy de Galhau
Gouverneur de la Banque de France

 

 

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Mesdames et Messieurs les académiciens,
Mesdames et Messieurs,

C’est un honneur pour moi de m’exprimer devant vous cet après-midi et je tiens à remercier chaleureusement votre Président Michel Pébereau pour son aimable invitation. Je salue aussi la présence de certains de mes prédécesseurs au sein de votre illustre assemblée, et non des moindres : Jacques de Larosière et Jean-Claude Trichet. Vous avez très heureusement choisi pour cette année le thème des réformes. Le terme a en France souvent trop peu de place, entre notre goût supposé pour les révolutions et notre conservatisme de fait. Il faut Tocqueville pour tenter de redonner à notre histoire ‎la patience des efforts dans la durée : « [La Révolution française] a pris, il est vrai, le monde à l’improviste, et cependant elle n’était que le complément du plus long travail, la terminaison soudaine et violente d’une œuvre à laquelle dix générations d’hommes avaient travaillé [1] ». L’exemple de nos voisins, de l’Allemagne à l’Espagne, nous le montre cependant aujourd’hui : les réformes, cela marche en Europe. Elles sont même le chemin, le seul chemin, pour rendre compatible notre modèle social européen – légitime – et la croissance économique – indispensable pour faire reculer le chômage et financer notre avenir.

Aujourd’hui, je centrerai mon propos sur d’autres réformes, non moins importantes, mises en place dans un contexte particulièrement troublé : les régulations financières décidées après la crise de 2007-2009. Est-il besoin de rappeler les conséquences désastreuses provoquées par celle-ci sur l’économie réelle, les drames sociaux, et la fragmentation démocratique avec la montée des populismes ? La stabilité financière est donc un bien commun sur lequel il est essentiel de veiller. Elle figure parmi les trois missions centrales de la Banque de France, aux côtés de la stratégie monétaire et des services à l’économie. Nous nous y sommes résolument engagés, au sein des instances internationales qui ont coordonné les réformes financières après la crise. L’urgence commandait d’agir avec rapidité et efficacité, et dès avril 2009, le G20 a lancé un plan d’action concerté à l’échelle mondiale. Cet après-midi, je souhaite dans un premier temps éclairer le lien ambivalent entre finance et croissance, et en conséquence  la nécessité d’une régulation financière. Puis, je m’attarderai sur ce qui a été fait, avec un premier bilan de nos acquis. J’en viendrai enfin à nos défis pour l’avenir.

 

Le lien ambivalent entre finance et croissance

 

Je tiens à le dire d’emblée : la finance est un formidable instrument du progrès économique, décisif dans le décollage du capitalisme européen puis mondial depuis le XVIe siècle. Pour soutenir le commerce d’abord, l’investissement ensuite, l’innovation aujourd’hui, – et ainsi la croissance –, il est bien évidemment indispensable de créer des conditions propices au financement de l’économie et à des institutions financières solides.

De nombreux travaux académiques [2] confirment que la finance contribue positivement à la croissance économique car elle réduit les coûts de transaction et d’information et permet une meilleure allocation du capital. On‎ estime par exemple qu’entre 1960 et 1995, certains pays en développement auraient pu connaître des taux de croissance du PIB supérieurs de 0,4 à 1 point de PIB par an si leur système financier avait été davantage développé [3]. Certains auteurs vont même jusqu’à affirmer qu’il serait préférable de laisser jouer les forces du marché sans se soucier de l’apparition de bulles ou de déséquilibres financiers qui se résorberaient par eux-mêmes. Les crises financières seraient alors simplement le prix à payer à court terme pour une croissance plus forte à moyen ou long terme. Les conclusions de ces travaux sont pour autant trop radicales, à l’évidence : elles feraient de la finance le maître de l’économie et non un instrument à son service, un instrument subordonné à une finalité, celle du travail et du progrès des hommes.

Comme toute activité humaine en effet, la finance n’est pas à l’abri de certains excès, ni de certaines limites. Des études [4] ont mis en évidence l’instabilité intrinsèque du système financier. L’existence de comportements de prise de risque excessive – les économistes Guttentag et Herring utilisaient le concept de « myopie face au désastre [5] » – ou la possibilité de paniques bancaires sont autant d’exemples de défaillances de marché ou d’externalités négatives, qui justifient l’intervention publique et la régulation financière. De même, certains indicateurs, qui sont initialement des signes de développement économique, peuvent par excès traduire un emballement du système financier, potentiellement déstabilisateur pour la croissance. Ainsi, il est couramment admis qu’un volume de dettes trop élevé par rapport au produit intérieur brut aurait un impact négatif sur la croissance à long terme [6].  Au-delà de la dette publique – objet d’un rapport de votre Président en 2005, hélas toujours actuel –, la dette privée en France atteint aujourd’hui 130 % du PIB, contre 122 % en zone euro et 150 % aux États-Unis [7]. La règlementation peut et doit jouer un rôle protecteur, en fixant certaines limites en amont et en renforçant les capacités de résistance aux impacts déstabilisateurs en aval. Un Rabelais du XXIe siècle dirait sans doute que finance sans conscience n’est que ruine de l’âme. À la conscience individuelle, je reviendrai en conclusion. Mais assurément, une finance sans règles peut être ruine de l’économie.

La régulation financière apparaît en effet d’autant plus nécessaire que les crises financières ont des coûts économiques et sociaux souvent considérables, avec des répercussions profondes et durables. Une étude de Laeven et Valencia [8] de 2013, qui répertorie 147 crises bancaires entre 1970 et 2011, évalue la perte cumulée médiane de la production à environ 23 % du PIB entre le pic d’activité précédant la crise et les trois années qui suivent. Sur cette même période, l’accroissement médian de la dette publique atteint 12 % du PIB, tandis la somme des dépenses publiques liées aux plans de sauvetage se monte à près de 7 points de PIB. En outre, au-delà des effets immédiats, les crises financières réduisent le potentiel de croissance de l’économie à long terme : les entreprises limitent en effet leurs investissements en recherche et développement, en capital et en infrastructures, ce qui entraîne une baisse de la productivité et un ralentissement du progrès technologique.

La crise de 2007-2009 en a malheureusement été une illustration ; elle a été  la plus grave depuis celle des années 1930. Les déséquilibres financiers engendrés par l’éclatement de la bulle des subprimes aux États-Unis se sont rapidement propagés à l’économie mondiale. La crise a affecté à la fois le niveau et la tendance du PIB, provoquant une perte définitive de richesse. Les pertes cumulées de PIB par rapport à la tendance d’avant-crise sont estimées à un quart du PIB mondial [9]. Dans un certain nombre de pays, notamment en Europe du Sud, le PIB n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant-crise [10].

 

Les nouvelles régulations ont renforcé la solidité du secteur financier, sans peser de façon notable sur la croissance économique

 

Par son coût exorbitant, la crise de 2007-2009 a mis en évidence la nécessité absolue de renforcer la stabilité financière, et la réponse a été forte. Dès 2009, les leaders du G20, réunis à Londres puis à Pittsburgh, se sont hissés à la hauteur de leur mission historique et ont fixé un agenda ambitieux de coopération internationale. Les premières phrases du communiqué du sommet de Londres méritent encore d’être citées aujourd’hui : « Une crise globale nécessite une solution globale […]. Nous pensons que la seule fondation sûre d’une mondialisation soutenable et de l’augmentation de la prospérité pour tous est une économie ouverte fondée sur le principe de marché, une régulation efficace et des institutions mondiales solides. Nous nous sommes par conséquent  engagés à faire tout le nécessaire pour : rétablir la confiance, la croissance et l’emploi ; réparer le système financier pour restaurer les flux normaux de crédit ; renforcer les réglementations financières pour rétablir la confiance. »

Cet effort réglementaire sans précédent a concerné l’ensemble des acteurs du système financier. Quatre objectifs principaux ont été fixés :

  1. rendre les institutions financières plus « résilientes », c’est-à-dire plus solides et plus résistantes face aux crises ;

  2. mettre fin au problème des institutions financières considérées comme « trop grandes pour faire faillite » – « too big to fail » en anglais – qui bénéficiaient implicitement d’une garantie de renflouement par les États;

  3. rendre les marchés de produits dérivés de gré à gré plus sûrs grâce notamment à leur compensation centralisée ;

  4. et transformer les activités de marché non régulées, le « shadow banking » ou secteur financier parallèle, en financement sain de marché. La déclinaison opérationnelle de ces orientations prioritaires a été confiée, au plan international, au Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board) ainsi qu’au Comité de Bâle, où la Banque de France et l’Autorité de Contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sont actives.

Ces quatre objectifs du G20 ont, bien qu’inégalement, tous significativement progressé depuis 2010. Je me concentrerai ici sur le premier : les institutions financières sont désormais plus résistantes. Les accords de Bâle III, adoptés en 2010, renforcent le niveau et la qualité des fonds propres pour le secteur bancaire ; ils introduisent aussi une meilleure prise en compte de la diversité des risques auxquels les banques sont exposées, avec un ratio de levier – par rapport au total du bilan non pondéré – et deux nouveaux ratios de liquidité, sur la trésorerie des banques. Le secteur de l’assurance a également vu ses exigences renforcées avec l’entrée en application du nouveau cadre réglementaire issu de la directive Solvabilité II, début 2016 en Europe. Le taux de couverture des risques des organismes d’assurance français soumis à Solvabilité II se situait à 222 % fin 2016, soit un niveau bien supérieur aux 100 % requis. Ces différents outils, dits microprudentiels parce qu’ils visent à réduire les risques individuels auxquels s’exposent les institutions financières, ont été complétés par des outils dits macroprudentiels, centrés sur la stabilité du système financier dans son ensemble. En France, le développement de la politique macroprudentielle s’est traduit par la création dans la loi bancaire de 2013 du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), présidé par le Ministre des Finances, avec un rôle actif de la Banque de France. Ce Haut Conseil se réunit une fois par trimestre, avec huit membres dont trois économistes indépendants. Il porte un diagnostic sur le risque d’éventuelles « bulles » financières ; il a le pouvoir d’activer, si nécessaire, un ensemble de mesures macroprudentielles, telles qu’un « coussin » de fonds propres contracyclique – actuellement fixé à 0 % – ou encore une fixation plus stricte des conditions d’octroi de crédit.

Dix ans après le début de la crise, huit ans après Londres et Pittsburgh, l’heure est au bilan. Notre acquis aujourd’hui est que l’objectif a été en bonne partie atteint [11]. Les premiers travaux d’évaluation montrent que l’effet de ces réformes sur la solidité des institutions bancaires a été largement positif, tant du point de vue de leur capacité à résister à un choc de liquidité, que du point de vue de leur solvabilité, le ratio de fonds propres durs (Common Equity Tier 1 ou CET1) des principales banques opérant à l’échelle internationale ayant augmenté de 5 points de pourcentage depuis 2011, passant de 7,4 % fin 2011 à 12,3 % fin 2016 [12]. Quant aux principales banques françaises, leurs fonds propres ont plus que doublé depuis la crise : leur montant s’élevait à 132 milliards d’euros en 2008 ; il a atteint 296 milliards d’euros en 2016. Pour le dire autrement, les banques françaises ont ‎fait dans les huit dernières années un chemin en capital plus important encore que celui qu’elles avaient fait jusque-là en plus d’un siècle, pour la plupart d’entre elles.

Ce renforcement de la solidité des institutions financières ne s’est pas fait au détriment de l’activité économique. J’aborde ici le cœur de la question que votre Académie me pose aujourd’hui. D’emblée, la volonté des régulateurs était clairement de limiter les potentiels effets négatifs des réformes sur l’économie réelle et de faire en sorte que les activités financières soient bénéfiques à la croissance et au développement économique. Dès 2010, avant la mise en œuvre de Bâle III, des travaux d’envergure [13] avaient été conduits afin de mesurer l’impact de ces réformes. Le Macroeconomic Assessment Group du Comité de Bâle avait conclu, avec une fourchette large d’estimations, à un renchérissement moyen de l’ordre de 0,15 point du coût du crédit pour tout relèvement de 1 % du ratio de fonds propres. Ce renchérissement ne s’est pas produit en pratique. Les effets favorables de la baisse des taux d’intérêt induite par les politiques monétaires accommodantes ont beaucoup plus que compensé d’éventuels effets négatifs liés à l’accroissement des exigences prudentielles. Aujourd’hui en Europe, comme en France, l’offre de crédits bancaires aux entreprises et aux ménages est dynamique. Ce dynamisme des crédits au secteur privé est même un sujet de vigilance en France au sein du HCSF. En septembre 2017, le taux de croissance des crédits bancaires aux ménages et aux entreprises s’est en effet établi à respectivement 5,7 % et 5,4 % en France, soit un rythme deux fois supérieur à celui de la zone euro. Depuis début 2010, leur croissance cumulée (+ 29 %) a été presque deux fois supérieure à celle du PIB nominal. Personne ne peut donc plaider sérieusement que les réformes financières ont à ce jour restreint le crédit en France, et par là la croissance. Et parallèlement, relevons que le système bancaire français – parmi les plus solides d’Europe et du monde – a fait son travail de financement de l’économie. Au-delà du seul secteur bancaire français, le Conseil de Stabilité Financière a également constaté à l’échelle mondiale une amélioration de la résilience de l’ensemble des institutions financières sans diminution de la fourniture de financements à l’économie réelle [14].

Je veux ajouter quelques mots sur ce qui me semble être un faux débat. Si l’Europe a connu une reprise de l’activité économique plus lente que dans les autres zones géographique, cette situation ne s’explique pas par un surcroît de réglementation. Les répercussions de la crise de la dette touchant depuis les années 2010 ses pays membres expliquent en partie l’ampleur et les difficultés de la zone euro. Par ailleurs, certains problèmes plus spécifiquement européens ou français tels que le ralentissement de la productivité et l’insuffisance des réformes structurelles limitent également l’accélération de la croissance. Enfin, jusqu’à présent au moins, les réglementations ont globalement été appliquées par les États-Unis au moins autant que par l’Europe.

 

Cinq défis pour parachever une régulation équilibrée

 

Cela étant dit, je me garderai bien de tout angélisme au sujet de ces nouvelles règlementations. Cinq défis sont encore devant nous et je voudrais, si vous me le permettez, les passer en revue.

  1. Le premier défi consiste à achever les règles de capital pour les banques, en finalisant la réforme de Bâle III. L’essentiel du travail, disons 80 %, a été fait : les principaux éléments ont été approuvés dès 2010-2011 et sont à présent largement mis en application. Il reste cependant des discussions en cours concernant la pondération du risque dans les bilans des banques. L’objectif en est de réduire la variabilité qui serait non justifiée de cette pondération entre banques, ou entre pays. Ceci ne doit cependant pas se faire au prix d’une uniformisation, car la variabilité des résultats reflète aussi des profils de risque différents. La sensibilité au risque permise par les modèles internes des banques est une grande avancée, car elle permet de garantir la proportionnalité des exigences par rapport aux risques pris. Il faut bien sûr renforcer la confiance en supervisant étroitement ces modèles internes, comme le font l’ACPR depuis longtemps et le Mécanisme de Supervision Unique (MSU) à Francfort aujourd’hui. Mais il s’agit bien de finaliser Bâle III, et non de construire un nouveau Bâle IV, qui serait fondé principalement sur une approche standard ignorante par définition des différences entre pays et entre banques.

    La France, qui agit depuis toujours pour des règles du jeu internationales, a un intérêt stratégique à conclure un accord final. De nombreux progrès ont été faits, notamment lors de la dernière réunion du Comité de Bâle les 4 et 5 octobre derniers, mais nous ne sommes pas encore à un accord même si je le souhaite aussi rapidement que possible. Pour y parvenir, deux conditions sont impératives. L’accord doit d’abord être équitable, c’est-à-dire qu’il doit être appliqué dans toutes ses composantes par tous les pays, y compris par les Américains sur la mesure des risques de marché, soit le portefeuille de négociation, ou « FRTB » (fundamental review of the trading book). L’accord doit ensuite être raisonnable, dans les augmentations de capital qui en résulteront pour les banques françaises et européennes – y compris via l’introduction d’un plancher applicable aux exigences de fonds propres pour les banques utilisant les modèles internes, ce que l’on appelle l’« output floor ». D’une part, ces exigences en capital doivent pouvoir être couvertes dans la durée par des mises en réserve « normales » de résultats, sans nécessiter pour aucune banque d’augmentation de capital dédiée. D’autre part, ces nouvelles règles doivent être totalement compatibles avec le bon financement de l’économie française et européenne, et la saine croissance du crédit. En particulier, il ne peut y avoir aucune remise en cause de notre modèle de crédit immobilier, fondé sur les crédits cautionnés, ou du financement des PME. Tels sont les principes qui guideront pour moi l’acceptation d’un éventuel accord.

  2. Le second défi est de compléter les travaux visant les non-banques. Tout d’abord, les travaux sur la « résolution » des chambres de compensation – leur traitement en cas de difficulté – doivent se poursuivre, le caractère systémique de celles-ci ayant augmenté avec l’obligation de compensation centralisée des produits dérivés. Surtout, nous devons veiller à l’équilibre des circuits de financement. L’ensemble des réflexions portant sur le système financier parallèle, le shadow banking, doit se poursuivre, afin de tenir compte des risques qui ont pu se déplacer vers ce secteur, en raison de l’intensification des exigences dans le secteur régulé – banques et assurances notamment. On estime que les segments susceptibles de mettre en danger la stabilité financière y représentent au total 34 000 milliards de dollars [15]. La priorité désormais est moins la solvabilité des banques, qui a été nettement améliorée, que la liquidité du shadow banking, en particulier les fonds et les gestionnaires d’actifs qui sont exposés à des risques de retraits massifs et soudains en cas de panique.  Enfin, des progrès sont encore à réaliser sur les FinTechs et avant tout sur les grandes plateformes et entreprises numériques. Ces dernières, si elles exercent des activités financières, devront obéir à des règles similaires, tôt ou tard.

  3. Troisième défi : l’évaluation. Il s’agit d’une composante essentielle de la crédibilité des réformes financières mondiales qui ont été adoptées. À cet effet, le G20 a adopté l’été dernier un cadre d’évaluation ex post. Celui-ci doit permettre de juger si, en pratique, les réformes ont effectivement abouti aux résultats voulus, sans provoquer d’effets négatifs ou inattendus, et de les ajuster s’il y a lieu. Deux premières évaluations ont déjà été lancées : celle de l’efficacité des réformes incitant à la compensation centralisée, et celle de l’impact des réformes du G20 sur l’accès au financement. Celle-ci portera sur le financement des infrastructures puis se concentrera sur le crédit aux petites et moyennes entreprises (PME). De premiers rapports d’évaluation devraient être rendus publics d’ici la fin de l’année 2018.‎

  4. Quatrième défi, pour consolider nos avancées : s’assurer que le nouveau cadre réglementaire est mis en œuvre partout avec constance, et rester vigilant afin d’éviter tout retour en arrière. « En toute chose humaine, la constance n’est-elle pas la plus haute expression de la force? » écrivait  Balzac dans le Médecin de campagne, réservant légitimement cette vertu aux plus grands hommes de son temps. Or comme vous le savez, les nouvelles autorités américaines ont évoqué  la possibilité de revoir leurs réglementations bancaires nationales [16]. Certains ajustements nationaux peuvent  être jugés appropriés et légitimes. C’est le cas par exemple des réglementations applicables aux entités opérant uniquement à l’échelle locale, ou des réglementations proprement américaines comme la règle Volcker sur les portefeuilles pour compte propre. Il en irait tout autrement de l’abandon des exigences minimales approuvées au niveau international qui s’appliquent aux entités opérant à l’échelle mondiale, comme la réforme des risques de marché que j’ai citée. Une déréglementation unilatérale ne serait qu’un jeu perdant-perdant ; elle aurait de graves conséquences tant sur la stabilité du système financier mondial – nous mettrions en germe les conditions de la prochaine crise financière – que sur les conditions de concurrence entre banques américaines et européennes. La coopération internationale sur les réformes financières est notre bien commun, très précieux depuis ces huit dernières années et vital pour notre avenir.

  5. Le cinquième défi est de compléter le cadre européen et lui donner davantage de cohérence entre réglementation, supervision et résolution. La zone euro a depuis 2014 fait un progrès décisif avec son Union bancaire, qui surveille désormais de façon homogène les banques des dix-neuf pays. Mais son achèvement  doit se faire à trois niveaux. D’abord, dans les mécanismes concrets : il est indispensable de finaliser et simplifier le second pilier de l’Union bancaire qu’est la « résolution » en cas de difficulté. Ensuite, dans les textes et exigences : celles-ci sont encore trop souvent additionnées par divers règlements, plutôt qu’articulées de façon cohérente ; les fusions bancaires transfrontières en Europe restent en outre trop difficiles.  Enfin, dans l’interaction des institutions : il est souhaitable de parvenir à une meilleure combinaison entre les différentes autorités européennes, voire d’envisager, à terme, une autorité unique qui œuvrerait en faveur de la solidité du secteur bancaire européen. Au-delà de l’aspect règlementaire, il faut œuvrer à la mise en œuvre de ce que j’appelle l’Union de financement pour l’investissement et l’innovation. L’objectif est de mieux orienter vers les besoins d’investissement les 350 milliards d’euros annuels d’excédent d’épargne en zone euro et d’encourager la mutualisation des risques privés via notamment  le développement des fonds propres ‎des entreprises.

Je souhaite conclure en évoquant un sixième et dernier défi : les limites inhérentes à toute réglementation, aussi bonne soit-elle. Tout d’abord, la stabilité financière ne dépend pas que de la réglementation ; elle prend appui sur un trépied dont chacun des éléments a autant d’importance que les autres : la réglementation, la supervision microprudentielle et la politique macroprudentielle. Ensuite, et surtout, il y a une nécessaire complémentarité entre les règles collectives et les comportements individuels – l’éthique. Avant 2007, l’autorégulation était la norme et le monde anglo-saxon en première ligne a fait preuve d’un excès de confiance dans la déontologie et le « business ethics ». Veillons aujourd’hui à ne pas faire repartir le balancier trop fortement dans l’autre sens. L’Académie des sciences morales et politiques est ici pour le rappeler : la règle ne se substituera jamais à la conscience individuelle. Ceci vaut aussi pour le secteur financier.  Je vous remercie de votre attention.

 


[1] Je remercie Anne-Sophie Cavallo, Marine Dujardin, Pierlauro Lopez, Elise Peron, Guillaume Richet-Bourbousse, Bérengère Rudelle, Valerio Scalone et Oana Toader pour leur aide dans la préparation de cette intervention.

[2] Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, livre premier, chapitre V.

[3] Robert King et Ross Levine (1993), “Finance and Growth: Schumpeter Might be Right”, Quarterly Journal of Economics, August, 153 (3), p. 717-738.

Ross Levine (1997), “Financial Development and Economic Growth: Views and Agenda”, Journal of Economic Literature, June, 35, p. 688-726.

Thorsten Beck (2014), “Finance, growth and Stability”, Journal of Financial Stability, 10 p.1-6.

Thorsten Beck, Tao Chen, Chen Lin et Frank M. Song (2016), “Financial innovation: the Bright and the Dark Sides”, Journal of Banking and Finance, 72, p. 28-51.

[4] Cf. notamment Ross Levine, Norman Loayza, Thorsten Beck, “Financial intermediation and growth: Causality and cause”, Journal of Monetary Economics, Volume 46, Issue 1, August 2000, Pages 31-77 et Thorsten Beck, Ross Levine, Norman Loayza, Finance and the sources of growth, Journal of Financial Economics, Volume 58, Issues 1-2, 2000, Pages 261-300.

[5] Carmen Reinhart et Kenneth S. Rogoff, “The aftermath of financial crises”, American Economic Review 99, n°2, 2009, p. 466-472.

Moritz Schularick et Alan M. Taylor (2012), “Credit Booms Gone Bust: Monetary Policy, Leverage Cycles and Financial Crises, 1870-2008”, American Economic Review, 102 (2): 1029-1061.

Thomas Philippon et Ariell Reshef (2013), “An International Look at Growth of Modern Finance”, Journal of economic perspectives, 27, p. 73-96.

Stephen Cecchetti et Enisse Kharroubi (2015), “Why does financial sector growth crowd out real economic growth”, BIS working papers, 490.

[6] Jack Guttentag et Richard Herring, « Disaster myopia in international banking », Essays in International Finance, n° 164, 1986.

[7] Cf. notamment Jean-Louis Arcand, Enrico Berkes et Ugo Panizza, « Too Much Finance? », Journal of Economic Growth 20, 2015, p. 105-148.

[8] Dette des agents non financiers privés rapportée au PIB, au premier trimestre 2017. Sources : données Eurostat, Federal Reserve, calculs Banque de France.

[9] Luc Laeven et Fabian Valencia, « Systemic banking crises database », IMF Economic Review, vol.61, n°2, 2013, cité par Taryk Bennani, Laurent Clerc, Virginie Coudert, Marine Dujardin et Julien Idier, Politique macroprudentielle, prévenir le risque systémique et assurer la stabilité financière, Pearson, 2017, p.118.

[10] Cf. IMF World Economic Outlook, April 2015 et cf. Patrice Ollivaud et David Turner, « The effect of the global financial crisis on OECD potential output », OCDE, Working Papers, n° 1166, 2014.

[11] Voir notamment Banque de France, L’impact des réformes financières, Revue de la stabilité financière, n°21, avril 2017.

[12] Comité de Bâle, Basel III Monitoring Report, Septembre 2017.

[13] Cf. les rapports du Macroeconomic Assessment Group (MAG) et du Long term Economic Impact Group (LEI)  du Comité de Bâle.

[14] Financial Stability Board, « Implementation and effects of the G20 financial regulatory reform », août 2016, 2e rapport annuel.

[15] Financial Stability Board, Global Shadow Banking Monitoring Report 2016, mai 2017.

[16] Cf. US Department of the Treasury, « A Financial System That Creates Economic Opportunities », juin 2017.