Graine d’académie :
Langue du pouvoir – pouvoirs des langues

Projet des étudiants du cours “Littératures contemporaines”
(Diplôme de Langue et Etudes Françaises – Université de la Sorbonne nouvelle)
présenté en 2020 dans le cadre de “Graine d’Académie” sur le thème du pouvoir

 

Le projet “Langue du pouvoir, pouvoirs des langues” a conquis l’Académie par sa portée humaniste et universelle.
Nous avons demandé à Nathalie Borgé, l’enseignante qui l’a porté avec ses étudiants, d’en retracer le cheminement :

“J’ai proposé aux étudiants de mon cours de littérature contemporaine du DUEF 2 qui viennent du monde entier de participer au programme « Graine d’académie » initié par l’Académie des sciences morales et politiques. Comme le thème de réflexion retenu cette année par les académiciens est celui du pouvoir, nous avons décidé d’examiner plus particulièrement les liens qui existent entre langage du pouvoir et pouvoir du langage et, chemin faisant, d’interroger le pouvoir que donne le fait de s’exprimer dans “plus d’une langue” et de naviguer d’une langue à une autre, d’une culture à une autre.

Nous avons commencé par faire émerger un méli-mélo de mots autour du “pouvoir”, en français et dans les langues maternelles des étudiants, de manière à cerner le champ notionnel du pouvoir. Puis, à partir de la lecture de trois œuvres théâtrales, La Reine Morte de Montherlant, Rhinocéros de Ionesco et Antigone d’Anouilh, les étudiants se sont emparés de personnages de leur choix et les ont actualisés en écrivant des monologues ou des dialogues à travers lesquels ils ont exprimé leurs préoccupations politiques, environnementales, féministes, sociétales.

Découvrir les textes écrits par les étudiants

L’écriture de ces textes et leur mise en voix leur a permis de faire dialoguer des œuvres d’art et les réalités, parfois difficiles, qu’ils vivent ou ont traversées. Comme plusieurs d’entre eux l’ont souligné, « nous sommes tous et toutes des petites Antigone face à des Créon qui nous imposent leur vision du pouvoir ». Les réflexions ont porté sur les questions suivantes  : à partir de quel moment un pouvoir est-il légitime ? Comment concilier pouvoir et liberté ? Quel lien y a-t-il entre le pouvoir du langage et le pouvoir politique ? En quoi consiste le pouvoir du langage ? Et celui des langues ?

Dans un second temps, les étudiants ont lu les textes d’écrivains translingues, tels Vassilis Alexakis ou Jorge Semprun, qui interrogent le pouvoir d’écrire en plusieurs langues. Certains ont choisi de mettre en exergue la richesse de leur répertoire langagier plurilingue. Ils se sont notamment intéressés à des “intraduisibles” de leur langue maternelle.

En mars, un groupe d’étudiants est venu à l’Institut rencontrer Pierre Brunel, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, pour l’interroger sur son sentiment de la langue maternelle et son goût pour l’expression poétique. Un autre groupe s’est entretenu avec  Barbara Cassin, membre de l’Académie française, du pouvoir des langues au pluriel – nous sommes tous potentiellement des êtres polyglottes -, de sa relation au mot “Vigueur” qui lui a été confié lors de son installation sous la Coupole, de sa conception des intraduisibles et du travail de traduction entre les langues.

Regarder un extrait des rencontres avec les académiciens sur la chaîne YouTube des étudiants de la Sorbonne

Ces rencontres ont considérablement nourri la réflexion des étudiants et les ont incités à écrire des textes poétiques faisant émerger leurs  « intraduisibles », comme le montre l’enregistrement de la séquence “Le pouvoir de nos langues” consacré au projet.

A la question “Qu’est-ce que ce projet vous a apporté ?”, les réponses sont multiples : au-delà du fait qu’il leur a permis de déplier le feuilleté de sens du mot pouvoir en français (mais aussi dans leur langue, dans une démarche comparatiste), ils ont vécu ce projet comme « une expérience émotionnelle riche », « l’opportunité d’exister dans une autre langue », « de connaître la sensibilité de leurs camarades », « d’être plus dans le partage et dans la solidarité », « d’apprécier ce qu’ils étaient en train de faire : apprendre une nouvelle langue ».
Ils l’expriment ainsi : « la langue m’appartient plus », « j’ai acquis le pouvoir de franchir l’inenvisageable de la langue, de m’exprimer », « c’est une expérience inédite, cela m’a donné une nouvelle force ». « Ce projet sur pouvoir de la langue – langue du pouvoir m’a apporté une appréciation approfondie sur l’importance de s’exprimer depuis une stabilité intérieure inébranlable « essence de soi » qui permet d’être bienveillant : c’est là le véritable pouvoir. »

En tant qu’enseignante, ce travail m’a permis d’entrer subtilement en résonance et en reliance avec les étudiants. Il m’a également permis de tisser des liens entre une approche conceptuelle et une approche sensible à partir des sens du mot « pouvoir », d’entrer dans les processus créatifs d’une expérience cognitive et émotionnelle forte, qu’on pourrait sans doute qualifier d’ « expérience esthétique » au sens où Dewey l’entend dans L’art comme expérience. Les étudiants ont vécu une expérience émancipatrice, porteuse de sens et incarnée, dont ils ont pleinement pris conscience.

Ecouter la présentation du projet par l’enseignante

Voir l’article sur le site de la Sorbonne nouvelle :
Vivre une année de réflexion de rencontres et de débats dans le sillage des académiciens avec les étudiants du DUEF 2

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