Séance ordinaire du lundi 3 octobre 2022
“Sauver ?”, sous la présidence de Rémi Brague
Président de l’Académie des sciences morales et politiques
La double loi du salut des peuples
Giulio De Ligio
maître de conférence en philosophie politique à l’Université catholique de l’Ouest
Texte de la communication
Résumé de la communication
Résumé de la Communication
Le débat public en Europe semble ultimement déterminé par ce que gouvernants et opposants disent des moyens, ou des urgences, qui décident des buts poursuivis dans la cité. L’usage compétent de la raison et les règles de la coexistence pacifique imposent d’exclure de l’examen de l’expérience collective les fins dernières de la vie humaine. Cependant, une écoute plus attentive de l’opinion civique induit à penser que les Européens sont aussi ultimement motivés, et profondément divisés, par l’impératif de « sauver la planète » (ou les conditions de la vie) et le désir de « sauver la France » (ou l’expérience de leur nation). Le souci du salut semble retrouver une actualité inattendue, une signification collective que la parole publique hésite à expliciter.
On pourrait se borner à entendre ces références au « salut » comme un résidu suspect de l’ancien vocabulaire de l’Europe, comme l’expression figurée d’autres visées plus intelligibles (indépendance, subsistance, dignité) ou tout simplement comme un abus de langage. L’histoire des nations européennes, pourtant, en témoigne : il y a de temps dans la vie des peuples où les choix ne semblent pas concerner « seulement » l’ordre politique, économique ou social, mais la totalité de l’expérience personnelle et de l’histoire commune. Le pays de l’Affaire Dreyfus et de juin 1940 semble garder la mémoire profonde de cette hypothèse : la vie des nations est traversée par le souci, par la question, par l’appel du salut.
C’est un enjeu que l’on peut entendre, en un sens, naturellement si l’on se souvient de la vieille loi qui ne cesse peut-être de régir la vie politique, même dans des démocraties libérales : salus populi suprema lex esto. Cette loi, ou sa mise en œuvre, apparaît toutefois aussi incontournable qu’équivoque : on ne saurait affronter les alternatives d’une communauté politique sans rencontrer tôt ou tard son impératif, mais elle ne précise pas de quel peuple, de quelle loi et de quel salut on parle. De même, s’il faut savoir gré à ceux qui invitent aujourd’hui à considérer le « salut de la planète » ou le « salut d’une nation » comme la visée qui donnerait mesure et cohérence à la vie commune, il faut admettre que ces références au salut (d’un peuple ou de la vie humaine) tendent à se présenter en Europe comme des impératifs contradictoires et inconséquents.
Pour dissiper ces équivoques, pour réconcilier les Européens, on peut écouter à nouveau les penseurs qui ont vu dans l’expérience des nations la terre et l’enjeu d’un discernement qui va jusqu’à examiner la promesse du salut des hommes. L’œuvre de Charles Péguy et de Gaston Fessard offre à cet égard des arguments auxquels nous ne sommes plus habitués, qui heurtent notre science de la société ou notre foi en la distinction des ordres, mais qui pourraient éclairer la conscience des personnes et la dynamique des peuples dans l’histoire. En particulier, on peut être instruits par l’approfondissement du critère mis en œuvre par leur jugement historique, par un jugement dont on reconnaît volontiers la lucidité salutaire : la poursuite du bien commun, la préoccupation du « salut temporel » d’une nation conduit à examiner ce que serait son salut éternel. En apparence exorbitant, ce « point de vue du salut éternel » ne vise pas la durée indéfinie d’un collectif national ou du genre humain, mais il éclaire le discernement de l’expérience commune qui saurait insérer dans le temps la visée du salut éternel des personnes.
Nous avons essayé de présenter, à l’aide de Péguy et Fessard, ce que cette perspective pratique pourrait dire de décisif sur la vocation des nations et sur notre attitude devant les enjeux temporels. Aussi abstrait et périlleux qu’il puisse désormais paraître, le souci du salut préserve peut-être la conscience d’une possibilité décisive de la vie, de l’espérance inscrite dans la dynamique de la vie, plus simplement de ce qui permet aux expériences humaines d’être ce qu’elles sont, de se relever de leurs chutes, de se révéler pleinement.
*
« La seule espérance pour ainsi dire espérée est naturellement l’espérance du salut »
Charles Péguy
Le débat public semble en Europe ultimement déterminé par ce que gouvernants et opposants disent des moyens, des tendances ou des circonstances qui décident des fins poursuivies dans la vie commune. Qu’elle se réclame de la compétence ou qu’elle exprime des frustrations, la délibération civique s’effectue alors comme si aucune orientation ultime ne pouvait être au moins cherchée pour régler la forme de vie et la marche des peuples. Quand l’écoute civique se fait un peu plus attentive, pourtant, on a l’impression que des divisions plus profondes que nos circonstances, que des désirs plus vastes que nos moyens et nos indignations, imprègnent encore l’expérience collective. On dirait parfois, par exemple, que les uns trouvent sobrement la règle de la réforme sociale dans l’impératif de « sauver » la planète, tandis que d’autres devinent que leurs préférences et leurs passions traduisent confusément la volonté de continuer la vie d’un peuple, l’espoir de « sauver » l’expérience de leur nation. Comme si après tant de siècles, en dépit de nos forces en apparence croissantes, nous avions encore besoin d’examiner ou de nous souvenir de la question du salut.
Anamnèse
Il y a des temps dans la vie des peuples où la décision semble engager inséparablement la totalité de l’expérience personnelle et de l’histoire commune. En ces heures éprouvantes, qui sont parfois de longues tribulations invisibles, les consciences sont confrontées à des alternatives qui annoncent des conséquences irrévocables. Les dangers apparaissent mortels même à ceux dont les corps ne sont pas en péril. La défense d’un régime, la préservation des conditions de la légalité et de la prospérité, la lutte pour l’indépendance ou l’honneur national en viennent à s’exprimer par des appels qui réunissent ces soucis et les débordent. Tout se passe comme si le choix ne concernait pas « seulement » l’ordre politique, économique ou social, ou comme si le sort de cet ordre mettait en jeu un surcroit de la vie qu’il assure. La délibération collective et le discernement personnel s’inscrivent alors dans le contexte le plus large que la raison pratique des hommes puisse concevoir. La réussite du combat qui a lieu hic et nunc est calculée, si elle est calculée, à l’échelle de toute l’humanité connaissable et les fruits des actes sont confiés à une postérité, humaine ou divine, qui saura finalement manifester ce que ces actes avaient de juste et d’impérissable. La délivrance du danger est cherchée par chacun dans ses forces les plus intimes tandis qu’elle est aussi espérée, attendue, d’une force amie supérieure qui saura l’accomplir. Au moment de l’épreuve, l’expérience collective suscite ainsi irrésistiblement l’appel et le souci de ce qu’on a appelé tant de fois en Europe, croyant au ciel ou pas, le salut. Au pays de l’Affaire Dreyfus et de juin 1940, on peut avancer cette hypothèse en espérant qu’elle rencontre au moins, au fond des âmes, une confirmation vivante, un souvenir familier : la vie des nations est décisivement traversée par le souci du salut, par la question du salut, par le mystère du salut. Mais quel sens exact, cohérent, vivant, peut-on éventuellement donner encore, hic et nunc, à l’idée du salut des nations ? Je voudrais « renouveler » cette question par quelques remarques inspirées par notre situation et par la lecture de penseurs qui, pour approfondir les enjeux du temporel, pour orienter le jugement politique, ont été conduits à clarifier la perspective du salut – plus précisément, à examiner l’expérience des nations du point de vue du salut éternel.
La conscience divisée du salut
Tant d’esprits ont donné à une version ou à l’autre de la loi ancienne, de la loi naturelle de la vie politique – salus populi suprema lex esto – un écho convaincant et durable, tant de citoyens l’ont illustrée par des actes que nous ne cessons de saluer, mais on reçoit aujourd’hui ces témoignages avec un mélange de soupçon, d’indifférence et d’incrédulité. Cette réaction ne tient pas seulement à l’équivoque de la règle[1]. Notre science politique, notre opinion collective, notre mécanique sociale semblent indépendants des impératifs du salut et des lois suprêmes. Je viens cependant d’y faire allusion : considéré comme un critère de vie collective, le « salut » présente en fait en Europe, je crois, une ambivalence qui introduit par contraste le fond de ma réflexion. On me pardonnera de présenter très approximativement les grandes lignes de cette ambivalence, si j’ose dire notre division par rapport au salut temporel.
D’une part, la délibération politique est progressivement circonscrite à l’analyse compétente de visées – production, indépendance énergétique et transition écologique – que l’on aborde généralement sans examiner et sans même admettre le souci du salut d’une nation, quel que soit le contenu de ce souci. Comparé à l’urgence sonore de ces visées, à ces impératifs vérifiables et visibles, le souci du salut ne parvient en général à circuler dans la sphère publique que comme une préoccupation anachronique et abstraite, comme le murmure d’une brise légère. Ceux qui essaient d’articuler publiquement la visée du salut des peuples, comme s’il s’agissait d’une question temporelle parmi les autres bien que décisive, semblent alors n’ajouter au débat qu’une matière divisive, qu’une proposition arbitraire d’action dans l’histoire, que le cri d’un peuple contre l’humanité. En matière politique, en tout cas, la visée du « salut » n’a rien à dire de la manière dont nous avons à nous gouverner.
D’autre part, si la référence au salut semble politiquement compromise et à vrai dire absente, on pourrait dire qu’elle sature presque la vie publique sous la forme d’une injonction adressée impérativement à l’humanité : la loi suprême commande désormais de « sauver » la planète, de « sauver » les migrants, de « sauver » les vies menacées par un virus. Rejeté en général comme hypocrite et périlleux quand il est appliqué à l’expérience d’une nation dont on voudrait sauvegarder les marques constitutives, s’il est consacré au fait général de la vie le critère du « salut » redevient l’expression de la tâche humaine éminente, le principe sacré de l’effort – sauver, se sauver – que l’humanité doit tourner vers elle-même pour persévérer dans son être. « Sauver l’humanité » apparaît alors comme l’affirmation la plus forte de la vie même si ce commandement motive une action qui s’arrête là où commence la controverse sur les choix de vie, le débat inhérent à la vie politique, le discernement qui accompagne la poursuite de la vie qui mériterait de ne pas avoir de fin. Les forces humaines, que l’on dit impuissantes pour arracher la forme de vie d’une nation aux tendances de l’histoire, devraient suffire à arracher la vie aux dangers qui la menacent.
On aurait tort de liquider sans l’examiner l’une ou l’autre des deux préoccupations, des deux désirs du salut collectif, que je viens d’esquisser. On a en vérité des raisons pour savoir gré à ceux qui nous obligent à considérer l’orientation ultime des sociétés et des vies. Il faut cependant mesurer l’inconséquence et l’instabilité du rapport au salut qui semble dominer l’espace public européen. Celui qui en appelle au salut temporel d’une nation, comme ceux qui au XXe siècle ont considéré la France mortellement menacée par une capitulation politique ou les misères sociales, peut à raison insister sur le fait que la « marque historique » d’un peuple peut exprimer son critère d’identité au point que, cette marque une fois effacée, le peuple connaitrait en un sens la mort, qu’il n’aurait plus la même vie. Pour aller jusqu’au bout de son raisonnement cependant, pour rendre raison de la continuité de la vie commune qu’il veut défendre et prolonger, il est obligé de montrer en quel sens et avec quelles conséquences la marque de la nation qu’il veut « sauver » concerne une expérience qui révèle la totalité de la vie humaine, une expérience juste et bonne, une expérience ou une proposition qui est en effet à même, si j’ose dire, de résister à la mort. Le souci du « salut » de la planète ou des vies humaines, je le disais, tend à s’arrêter au seuil de la même interrogation ou du même discernement. Il semble nous dispenser de préciser quelle humanité est censée survivre aux défis écologiques, quelle disposition l’humanité devrait assumer pour parvenir à son salut, quel salut de l’humanité concernerait en un sens, non seulement les prochaines générations ou les jeunes inquiets d’aujourd’hui, mais le long tissu des morts, des vivants et de ceux qui doivent encore naître dans l’anthropocène sublunaire.
Au point de vue du salut éternel
La division de notre conscience du salut traduit une situation qui a certains égards, comme on dit, n’a pas de précédent, mais bien comprise elle est aussi une vieille histoire. Or, n’ont pas manqué en Europe et singulièrement en France des voix magistrales qui ont vu dans l’expérience des nations la terre et l’enjeu d’un discernement qui va jusqu’à examiner le critère et la promesse du salut des hommes. Je voudrais évoquer ici la leçon contenue dans deux « examens de conscience » politiques et spirituels. Au vu du sujet, je ne peux m’empêcher d’abord de citer un peu longuement et j’espère vivement un passage culminant de Notre Jeunesse de Charles Péguy. Je n’entends pas ici attirer l’attention sur l’interprétation péguyste de l’immortelle Affaire, mais sur la profondeur où son interprétation se situe. En d’autres termes, je me permettrais de relire ce passage comme une illustration profonde de jugement historique, je n’ose pas dire comme une illustration éminente de science morale et politique.
On s’en souvient : pour répondre à Daniel Halévy, Péguy est en train d’exhumer la signification véritable de l’Affaire Dreyfus, un de ces événements élus où se manifestent les motifs profonds (il dirait les mystiques) d’une nation et se joue le monde commun. A ce stade de l’approfondissement de sa vie, Péguy croit désormais reconnaitre le fond du débat qui ultimement divise ou révèle les nations. Et il est vrai que le débat, relu par Péguy, nous donne à voir le fond des décisions très loin de la surface des querelles mesquines et des tactiques stériles. En face des dreyfusards, il y avait donc eu des gens qui s’en tenaient en somme à l’ancienne loi de la cité, des gens qui ne voulaient donc pas compromettre le « salut d’un peuple » pour un seul homme, pour une seule injustice, pour un seul déshonneur. C’est l’objection pleine de civisme, c’est le risque politique et spirituel qui oblige Péguy à expliciter le ressort de son combat et de la vie d’une nation. On pourrait dire que l’enjeu du salut, quand on est capable de le reconnaitre ou quand il s’impose à la cité, oblige les citoyens à se révéler, à se découvrir aussi par-delà la cité. Péguy sait maintenant quel point de vue ultime était sourdement à l’œuvre dans son engagement de jeunesse : « [Les gens que nous avions devant nous sous-entendaient] : le salut temporel. Et précisément notre mystique chrétienne culminait si parfaitement, si exactement avec notre mystique française, avec notre mystique patriotique dans notre mystique dreyfusiste que ce qu’il faut bien voir [..], c’est que nous ne nous placions pas moins qu’au point de vue du salut éternel de la France »[2].
Le lecteur contemporain, s’il prend au sérieux les œuvres, est sans doute frappé par la manière dont Péguy départage ceux qui défendaient le salut temporel du peuple et ceux qui s’en tenaient à son salut éternel. Il ne doit pas savoir vraiment que penser d’une thèse qui présente le fond de la délibération civique, dans un événement éminent, ainsi : comme une question de salut, comme une question qui concerne ultimement le salut temporel et le salut éternel d’un peuple. Ce qui doit heurter encore plus profondément ce lecteur, c’est que Péguy, le Péguy qui eut fameusement raison lors de cette Affaire, disait avoir vécu et jugé l’événement au point de vue du salut éternel de la France. Il faudrait en effet discuter attentivement cette intuition, cette confession, cette hypothèse selon laquelle il est une manière décisive de juger les événements et le sort d’une nation qui exige de se placer « au point de vue du salut éternel » d’un peuple. Qui, après tout, voudrait exclure que le sens ultime de nos efforts et de nos décisions puisse déborder leur enjeu immédiat pour s’inscrire dans l’éternité ? Pour notre conscience politique, en tout cas, on admettra pour commencer les difficultés que cette perspective présente immanquablement à nos yeux. A n’en pas douter, la proposition de Péguy paraît à première vue exorbitante. Lui qui se moquait de l’historien qui substitue sa méthode à Dieu, il revendique maintenant d’accéder au point de vue de l’éternité qui permet de juger les temps et les hommes. Il semble aussi autoriser tout combat « individuel » qui prétendrait opposer à la vie et aux institutions d’un peuple, à la prudente architecture qui compose ses biens, n’importe quelle injustice qui toucherait l’un de ses membres. On pourrait aussi dire que Péguy oppose le temporel et l’éternel dans l’alternative suprême que nous voulons plus que tout éviter, si ce n’était que cette impression, on le verra, est profondément trompeuse.
Le critère de l’histoire
En tout cas, ce que Péguy nomme « un examen de conscience »[3] avait paru sur ce point crucial fort pertinent à Gaston Fessard. Dans d’autres épreuves, le père jésuite sut proposer à la France une méthode de décision – un « examen de conscience international » – capable de dévoiler la séduction durablement mortelle des totalitarismes, l’équivoque spirituelle inhérente à l’opposition entre nationalisme et pacifisme, plus simplement les divisions qui empêchent de bien agir au présent. Dans une lettre envoyée à Rachel Bespaloff en 1946, au cœur d’un dialogue avec une amie juive qui mériterait d’être attentivement relu, le père Fessard s’efforce de montrer que le discernement de l’actualité historique l’obligeait à étendre au millénarisme communiste la mise en garde élaborée, en 1941, dans France, prends garde de perdre ton âme. Il explicite alors son argument général en ces termes : « Il est vrai, je condamne toute révolution comme prométhéenne. Et vous m’objectez que, sans révolution, aucun progrès humain n’aurait lieu, que l’Eglise elle-même est stimulée par ces bouleversements… Combien j’en suis d’accord avec vous et avec Péguy ! C’est même parce que je crois que toute révolution temporelle est, au fond, “pour le salut éternel” que j’ose entreprendre de chercher en chacune d’elle le valable et l’irremplaçable. Mais celui qui refuse de prendre ce “salut éternel” comme fin de l’histoire, comment pourrait-il jamais déterminer de façon rationnelle le sens et la valeur des révolutions ? »[4].
Je rends avec joie un nouvel instant de vie à ce passage. La proposition du père Fessard, cependant, pourrait laisser perplexe même le croyant qui, pour ainsi dire à titre personnel, en citoyen d’une démocratie libérale, persiste à donner un sens à idée du salut éternel. Pour discerner le « valable » d’un ordre ou d’un changement collectif, en particulier pour reconnaître les ruines et les mensonges cumulées par les régimes totalitaires, il suffirait en effet au croyant ou au citoyen de s’en tenir à la loi naturelle. Les principes ordinaires de l’action humaine, ce qui est bon, loyal ou courageux, suffisent en un sens largement pour déterminer ses choix et ses espoirs politiques. Au milieu de crimes hyperboliques, il suffirait même en vérité d’admettre l’existence de ce qu’on a presque tous les jours sous les yeux.
Les facteurs de l’actualité que Fessard s’efforçait de comprendre pour élucider l’orientation des décisions et des sociétés donnent cependant à son critère de l’histoire – le salut éternel – une « pertinence pratique » qu’il convient de considérer. Les révolutionnaires du XXe siècle, en un sens tous ceux qui aujourd’hui trouvent leur objectif dans le progrès ou l’innovation, se réclament de l’histoire. Ils présupposent une valeur inhérente au changement ou une fin ultime qui mérite nos efforts et notre attente, un « moment absolu » qui permettrait enfin de juger les résultats du projet libérateur. Ils peineraient peut-être à défendre sincèrement et efficacement le « salut temporel » d’une société qui, tel un mariage provisoire, se saurait uniquement valable pour les cinq prochaines années. Le siècle des totalitarismes, en tout cas, a fait éclater sous les yeux que des régimes politiques ont perverti les âmes et détruit des vies en promettant un royaume millénaire, un faux salut collectif. Que l’on emploie le terme de « salut éternel » ou pas, on pourrait alors dire que les réalités distinguées par le bon exercice du jugement politique donnent aussi à voir quelque chose de l’orientation ultime des personnes et des nations, de leurs forces et de leurs carences durables, de ce qui les perd ou de « ce qui ne les perd pas ». Le critère du père Fessard dirait en tout cas quelque chose de ceux et à ceux qui, ayant bouleversé les sociétés et fait trembler le monde, n’ont pas eu la force d’abolir la souffrance sous le soleil et ont fini à leur tour par mourir.
L’échec ou la vocation des nations
Le XXe siècle a pourtant laissé des leçons équivoques, si j’ose dire des leçons désespérantes. Nous peinons aujourd’hui à imaginer qu’on puisse voir le salut comme la question décisive qui concerne ultimement, positivement, inséparablement les choix les plus intimes et le plus grand drame des peuples. Parfois, souvent, on tend à désespérer aussi bien de la conscience que des communautés, de tous les effets du salut. Rachel Bespaloff avait exprimé magnifiquement et douloureusement cette double tribulation, cette double épreuve, dans son dialogue avec le père Fessard : « C’est sans doute la première fois dans l’histoire que le problème de la rédemption, qui se pose très différemment pour l’individu et pour la collectivité, surgit à la fois sous ces deux aspects avec la même urgence. Mais il est bien difficile de concevoir d’une manière concrète le rapport de la grâce à une collectivité nationale sans se perdre dans des formules creuses. Réfléchir à cela… »[5]. L’aggravation du drame historique, l’apparente imperméabilité des peuples aux promesses de l’Alliance, l’avaient poussée à parler avant la guerre, avec une sorte de tristesse éternelle, de « l’échec total du christianisme sur le plan des nations » : « aussi profonde, essentielle, est la révolution qu’il a accompli dans l’individu [..] aussi insignifiante est son action sur les collectivités nationales »[6]. Elle qui s’efforçait de mesurer la signification chrétienne de l’instant et les temps d’Israël, aurait-elle dû ajouter que le mystère du salut des nations[7] pour ainsi dire se dévoile aussi invisiblement et lentement ? Quoi qu’il en soit, je crois que nous ne saurions identifier ultimement le critère de la réussite et de l’échec des nations sans affronter la question du salut.
Les nations poursuivent effectivement leur drame et les Européens ne semblent plus chercher leur rédemption individuelle et collective dans le christianisme, dans la vie, la mort et la résurrection du Christ. Je le disais, pourtant, au début : leur rapport au salut, ou simplement à la continuité de la vie, les déchire aujourd’hui au lieu de les réconcilier. Quand il refait surface dans la vie publique, l’impératif du « salut » tend à opposer la conscience et la communauté, chaque peuple et l’humanité, les hommes et la nature, les temps de l’histoire. La profondeur de cette épreuve, personnelle et collective, autorise et encourage à réexaminer la perspective explicitée par Charles Péguy et Gaston Fessard comme si elle pouvait concerner nos actions présentes. Je reviens donc à leur démarche pour essayer de caractériser un peu plus clairement le point de vue, ou le critère en apparence exorbitant, dont j’ai parlé. Dans les décisions, les expériences et la conscience de soi d’un peuple, dans la vie d’un peuple, dans les sacrifices d’un peuple, que peut vouloir dire passer de la perspective du salut temporel à la perspective du salut éternel ? Laissant à chacun la charge de sa possible insertion dans nos circonstances concrètes, je ne pourrai ici suivre un instant que le mouvement de fond de la réponse de Fessard et Péguy.
Le père Fessard avait pris au sérieux la grave objection, on pourrait dire le schisme entre le christianisme et les nations, que formulera plus tard Bespaloff. L’examen de conscience international déroulé en 1936 dans Pax Nostra contenait déjà sa réponse, sa purification de la conception des nations qui « sauve » leur expérience. Pour surmonter la scission qui opposait à l’époque dans l’opinion française – et qui ne cesse d’opposer – nationalistes et internationalistes pacifistes, pour surmonter l’opposition entre les deux amours de la nation et de la paix qui nous perdent ou nous accomplissent, pour inscrire donc l’œuvre réconciliatrice du Christ dans l’actualité historique, Fessard développe « l’analogie de la personne individuelle et de la personnalité morale de la nation ». Cet élargissement ou cet approfondissement de l’ancienne analogie de la cité et de l’âme nous livre une information essentielle sur nous-même : la loi qui nous forme comme personnes inclut la loi de formation des associations constitutives de la personne, de la famille à la communion spirituelle qui réunit les hommes. L’histoire du salut ne concerne donc pas les nations uniquement à l’heure où elles risquent de s’effondrer visiblement, si j’ose dire elle ne concerne pas seulement la croix qui pourrait les tuer, car elle manifeste la mission éternelle de la patrie : toute personne, le tout de la personne, y est en jeu et restera en jeu aussi longtemps que se poursuit le drame humain.
Il se peut alors que l’intelligence de la nation « sauve » quelque chose de notre conscience de la paix qui nous sauve. Le pacifiste ou le progressiste a raison de viser l’accomplissement du temps et de l’humanité, l’horizon de la communauté des peuples qu’il devine à l’horizon n’est pas un mirage indigne de notre espérance, mais il veut marcher plus vite que Dieu. Il veut en somme éviter aussi bien le présent de l’incarnation que l’attente eschatologique. Nous ne connaissons pas le dernier jour, mais il espère parvenir à la paix, demain, par ses forces. Il croit sauver le monde, des personnes ou des choses, sans suivre tous les degrés de la communion humaine, toutes les exigences de la justice et de la charité. Le nationaliste n’a dès lors pas tort de commencer par l’amour de son peuple, il n’a pas tort de pleurer sur lui à l’heure où il risque de se perdre, il n’a pas tort de se souvenir d’abord des anciennes lois : « En face du danger, l’adage antique est l’unique vérité : Salus populi suprema lex esto »[8]. Il a raison d’espérer en le succès et le rayonnement de sa patrie, en sa grandeur, sa prospérité et sa liberté. Il n’a pas tort d’aimer sa nation et d’avoir foi en son salut au temps où elle risque même de disparaitre, mais il doit donner à cette espérance, à cette foi et à cet amour un sens cohérent, un sens complet et durable. Il doit alors vouloir que sa nation soit dans le temps à la hauteur de sa mission éternelle, qu’elle suive la loi qui constitue pleinement la personne. Cette loi, la loi de son amour, la loi du salut de sa nation, aura incessamment et inséparablement deux articles : « Je reconnais que la charité – et la perfection de la charité – est Idéal absolu pour les nations comme pour les individus. Mais je refuserai toujours de sacrifier la justice et la charité envers les plus proches sous prétexte de tendre à cette perfection de la Charité » ; « Je reconnais que je dois à ma patrie, entre toutes, une prédilection. Mais je refuserai, sous prétexte d’amour de la patrie, de borner à ses frontières ma recherche de la justice et de la charité »[9]. L’examen de conscience nous donne à voir l’échec ou la vocation des nations à cette profondeur de l’action et du temps humains.
Les yeux de l’âme
Le père Fessard se disait pleinement d’accord avec Charles Péguy sur une proposition cruciale qui avait, et qui aura sans doute toujours, quelque chose de scandaleux. Il épousait son « point de vue sur le salut éternel » de la France et des nations comme le critère le plus conséquent du jugement historique. Plus précisément, on le voit mieux maintenant, il se retrouvait dans la perspective qui, à la lumière de l’argument ou de l’espérance du salut éternel, en vient à prendre infiniment au sérieux les enjeux du temporel. L’attitude la plus pratique et profonde, disaient-ils, l’attitude qui se découvre finalement chrétienne, est celle qui réunit l’actuel à l’éternel. Le passage culminant de Notre Jeunesse que j’ai cité ne doit donc pas être entendu comme s’il invitait à nous sauver en séparant les ordres de la vie, à choisir entre l’habitude de défendre le temporel – quelle que soit sa forme ou sa loi – et l’habitude de se réclamer de l’éternel, quelle que soit sa communion ou sa loi. Dans les passages qui précédent sa confession, le poète philosophe avait introduit les termes exacts du double enjeu qui nous éprouve toujours. Je reformulerai pratiquement, presque comme une thèse de philosophie politique, l’intuition mystique de Péguy : le « mystérieux assujettissement de l’éternel même au temporel » est tel que les expériences politiques, sociales et économiques mettent l’éternel dont les âmes sont capables – on pourrait dire : les grandes et les petites vertus – à l’épreuve de son insertion dans le temps[10].
Après presque vingt ans de vie en France, je n’oublie pas les controverses juridiques sur la « séparation » de son temps et de notre temps, mais Péguy parle des actions dont nous sommes capables pour donner vie à la cité (« sauver la nation ») et pour prolonger la création (« sauver la planète »). Il donne surtout à voir en quel sens Dieu aime sauver des hommes libres. A ceux qui n’arrivaient pas entendre la préoccupation même qui a approfondi sa vie – qui sauver ? comment sauver ? – et à ceux qui trouvaient sa réponse trop éternelle ou trop temporelle, Péguy répondait en les invitant à rouvrir L’histoire de Saint Louis de Joinville[11]. Il proposait de reprendre le libre et franc débat de saint Louis et Joinville sur la peste et le péché mortel, sur la mort du corps et de l’âme. Dieu le sait : la mesure ordinaire de l’amour soutient l’extraordinaire. Joinville avait en un sens raison d’aimer ordinairement, ou plutôt d’avouer qu’il préférait, lui, avoir commis trente péchés plutôt que d’être lépreux. Les souffrances de ce monde ne sont pas imaginaires et elles disent tant de nous. Nous comprenons Joinville, nous savons tout ce que nous ferions pour éviter la maladie des corps et les misères sociales, nous connaissons toutes les forces que nous mettons à l’œuvre pour nous guérir. Ils avaient raison, pourtant, tous les deux, et non seulement parce que la mort finit par réunir leurs destins et manifester les limites de nos forces. Il faut pour Péguy que les deux raisons, les deux souffrances du corps et de l’âme, les deux désirs de salut soient admis et réunis.
Cet éternel dialogue semble avoir eu lieu hier, mais nous aurions du mal à le reprendre entièrement et franchement aujourd’hui, à passer de la santé au salut. La liberté de notre parole et de notre écoute ne va pas souvent jusqu’à examiner le choix de saint Louis. Notre effort de parole et de jugement ne va pas souvent jusqu’au point où les décisions des hommes et les vocations des peuples se révèlent au discernement de la conscience, aux yeux de l’âme : « Ah sans doute si Joinville avec les yeux de l’âme avait vu ce que c’est que cette lèpre de l’âme que nous ne nommons pas en vain le péché mortel [..] Lui-même il eût tout de suite compris combien son propos était absurde et que la question ne se pose même pas. Mais tous ne voient pas avec les yeux de l’âme. Je comprends cela, dit Dieu… »[12]. Faute d’exercer les yeux de l’âme et sur nos âmes, l’engrenage intime et collectif qui nous conduit, pour ainsi dire, d’un salut à l’autre par l’expérience des peuples et la grâce de Dieu disparait presque de la liste officielle des points de vue que nous pouvons choisir. Nous risquons alors de ne plus voir le salut comme une possibilité de vie décisive qui n’ajoute rien de spécifique à nos expériences puisqu’elle se borne à les laisser être et croitre sans se trahir, à les relever des chutes, à les révéler entièrement.
Sauver les phénomènes
En dépit des témoignages qui les appuient, ces remarques risquent donc de paraître en notre situation aussi périlleuses qu’abstraites. Elles paraissent essentiellement étrangères aux délibérations et aux dynamiques effectives des nations, comme si elles portaient sur une « hypothèse » qui ne traverse même pas la chair et l’esprit de ceux qui doivent analyser, ou gouverner, les choses humaines. Il semble entendu que nos actes peuvent nous « sauver » en certaines circonstances, mais qu’ils ne sauraient manifester, en aucun sens non métaphorique, de signification éternelle[13]. Quand l’impératif de « sauver » est évoqué, la « continuité de vie » que l’on appelle de ses vœux ne semble pas comporter un appel qui dispose les personnes à examiner quelque chose que l’on nommerait ultimement, une fois la vie sauvée, le salut. La question du salut tend alors à glisser sur une carapace collective même quand on pourrait la comprendre par le malheur : les fautes et les souffrances dont on enregistre l’interminable histoire ne poussent pas à nommer le bien qui permet par contraste de les nommer, le bien qui promet ultimement de les pardonner et de les rédimer. Tous les éléments que doit concentrer le concept même de salut – l’âme, la réconciliation, l’éternité – semblent ainsi presque incompréhensibles, surtout lorsqu’on s’impose de les examiner etsi deus non daretur. Celui qui se propose de prendre au sérieux le salut, dans un discours public ou scientifique, risque alors d’être reçu comme quelqu’un qui inviterait un médecin à considérer les « valeurs » de son patient pour le soigner, ou qui tâcherait d’introduire un discours grave lors d’une soirée festive bien arrosée. Le salut semble aussi impuissant aux heures de la maladie qu’importun dans les temps heureux.
Les difficultés évidemment se redoublent, toutes les tentations se présentent à l’esprit, quand on aborde la question du salut comme une question collective, comme un facteur de la vie des peuples, comme un élément du problème politique. Rien n’oblige le savant ou le citoyen à l’affronter comme tel. On peut bien régler ses actions, on peut bien expliquer presque tous les faits de l’histoire, sans introduire et sans s’exposer à l’hypothèse que quelque chose comme le « salut » entre dans la logique de ces actions et de ces faits. On peut aussi gouverner en assumant qu’aucune réconciliation n’est promise aux hommes et aux nations, on peut regarder la souffrance d’un enfant ou d’un être aimé comme une éventualité statistiquement probable, on peut parler tous les jours avec conviction même si la mort sera certainement le dernier mot de la vie. Le salut pourrait en effet sortir un jour de notre langage sans que la vie, en un sens, ne s’arrête.
Comme d’autres cas aussi éminents que celui de « personne » ou « élection », « salut » appartient en effet à ce vocabulaire spirituel et pratique que l’histoire européenne semble avoir tellement investi de ses plus grands espoirs, reformulé ou perverti qu’il semble aujourd’hui consommé, disponible à tous les usages, fondamentalement vide et ineffectif. Pourtant, la division de notre conscience collective l’atteste : il serait au moins peu responsable de renoncer à clarifier ce que sauver, se sauver, être sauvé veut dire. Il est en vérité possible de penser que quand une catégorie de la vie, une promesse de vie, a été dégagée dans l’histoire et a explicité quelque chose des consciences et des peuples, cette catégorie ou cette promesse peut flotter un temps dans l’opinion, elle peut se dégrader ou elle peut s’approfondir, sans cesser en tout cas d’entrer secrètement ou explicitement dans les motifs et les associations des hommes. C’est en ce sens par exemple qu’Eric Voegelin, pour raviver la bonne intelligence de la science politique, avait introduit la « vérité sotériologique » parmi les critères de la représentation politique qui allaient décisivement tendre, informer ou dégrader l’ordre de l’histoire humaine[14]. Suivant une intuition de Max Weber, il voyait ainsi « l’eschatologie intramondaine » comme la tentation des modernes dont la chute ultime, si elle a été l’ultime, aurait le visage des mouvements totalitaires. Nous n’avons peut-être pas fini de méditer la vérité et les conséquences de notre représentation du salut.
Les remarques que j’ai proposées aujourd’hui n’ont fait en un sens que rappeler le caractère révélateur de la question du salut dans la vie commune. Elles visent d’abord la compréhension de phénomènes, comme la nation, qui suscitent décisivement et incessamment le discernement sur ce qui constitue et oriente les personnes. J’ai cependant suggéré, par la perspective de Fessard et Péguy, le caractère intrinsèquement « ultime » des leçons contenues dans cette manière d’aborder les phénomènes, de cette révélation : on pourrait dire que la compréhension de ce qui « sauve » la signification d’une expérience humaine – en l’occurrence, ce qui permet à une nation de ne pas pervertir la mission qui la définit – n’est peut-être pas indépendante de et silencieuse sur ce qui nous sauve.
La logique inhérente au salut, l’espérance même du salut, se contredit peut-être lorsque la personne, à qui ultimement revient de répondre à l’appel, pense devoir choisir non pas les vraies fins des associations sociales, politiques et religieuses qui la constituent, mais entre ces associations mêmes. La division de la conscience qui semble en Europe concerner « l’élargissement » du salut – notre souci ultime de l’individu, de la nation ou de la planète – pourrait en vérité nous obliger à examiner à nouveau « l’approfondissement » du salut : ce qui réunit sans les confondre, dans l’intime de la conscience et dans l’infini du monde, le temporel et l’éternel. Depuis deux millénaires, par l’expérience de cette articulation, la vie européenne détermine en chaque temps les sources, les formes et les fins de l’association humaine, la vérité de son présent et son orientation ultime. En prenant au sérieux ce discernement, il arrive que l’on redécouvre que le salut mérite nos meilleures forces, peut-être aussi que nos forces ne suffisent pas à nous sauver.
Notes
[1] Une équivoque que l’on retrouve, je crois, dans sa réinterprétation libérale, qui la réduit à la règle défensive du développement social, à un mal nécessaire dont on souhaiterait au fond se passer, donc à une sorte de révélation intermittente et négative de l’ordre. Bertrand de Jouvenel avait bien résumé l’enjeu : « La marge de préférence en faveur du Bien Commun s’accroît brusquement lorsque l’édifice social est en danger, ce qu’exprime l’adage salus populi suprema lex ; au contraire il serait absurde, dans les temps de prospérité, de préférer un supplément du Bien Commun au libre développement des intérêts divers qui se forment dans la Société », B. De Jouvenel, De la Souveraineté, (1955) Calmann-Lévy, 2019, p. 237.
[2] Ch. Péguy, Notre Jeunesse, dans Œuvres en prose complètes, III, Pléiade, 1992, p. 150
[3] Ivi, p. 149. Mais il ne s’agit pas bien sûr de « l’examen de conscience » qui prend orgueilleusement la place de Dieu et de la prière, de l’abandon du sommeil, « du salut qui est au bout de la journée de demain », Ch. Péguy, Le mystère des Saints Innocents, dans Œuvres poétiques complètes, Pléiade 1957, p. 687 et s.
[4] Gaston Fessard – Rachel Bespaloff, Correspondance, réédité et présentée par M. Sales, « Conférence », n. 21, aut. 2005, lettre du 24 août 1946.
[5] Gaston Fessard – Rachel Bespaloff, Correspondance, réédité et présentée par M. Sales, Revue « Conférence », n. 21, aut. 2005, lettre du 8 septembre 1941.
[6] R. Bespaloff, Lettre à Daniel Halévy, dans « Conférences », n. 13, aut. 2001, pp. 635-636.
[7] Cf. J. Danielou, Le mystère du salut des nations, Seuil, 1946.
[8] G. Fessard, “Pax Nostra”. Examen de conscience international, (1936) nouvelle édition présentée et augmentée par G. De Ligio et F. Louzeau, Cerf, 2022, p. 5.
[9] Voir la Table des matières, en elle-même un exercice de discernement.
[10] Ch. Péguy, Notre Jeunesse, cit., 101.
[11] Ch. Péguy, Notre jeunesse, cit., p. 153 et surtout Id., Le mystère des Saints Innocents, cit., p. 723 et s.
[12] Ch. Péguy, Le mystère des saints Innocents, cit., p. 725.
[13] J’hésite à présenter comme une preuve documentaire de ma démonstration, à reléguer en une note en bas de page, l’hommage que Raymond Aron avait rendu à son ami Jean Cavaillès : « La Résistance, telle que Cavaillès l’a vécue dès 1940, était militaire et politique en ses implications et ses objectifs, mais elle était morale en son inspiration. [..] De temps à autre surgissent des situations dans lesquelles la conduite de l’individu paraît chargée d’une signification éternelle. Tout se passe comme si certains choix étaient intrinsèquement bons ou mauvais, comme si l’âme était soudain confrontée par l’alternative de se perdre ou de se sauver. La décision de résistance, chez les quelques-uns qui l’ont prise en toute conscience, était de ce type. Elle était proprement religieuse… », R. Aron, Préface à J. Cavaillès, Philosophie mathématique, Hermann, 1962, p. 15. Il faudrait citer toute la page.
[14] E. Voegelin, La nouvelle science du politique. Une introduction, (1952) Seuil, Paris 2000, p. 124. Apparue avec le christianisme, la « vérité sotériologique » a étendu « le champ d’expériences platonico-aristotélicien » sur un point décisif que permet de saisir l’élargissement, ou l’approfondissement, de l’amitié politique conçue par Aristote : à la lumière de la conception grecque, l’amitié entre Dieu et l’homme, l’idée d’une grâce divine offerte à la nature humaine, était inconcevable.