Vendredi 10 février 2023
Des Académiciens en Sorbonne
Grand Amphithéâtre de la Sorbonne
9h-10h30
La recherche de soi, de l’idéal antique aux inquiétudes de l’âme moderne
Souâd Ayada
Correspondante de l’Académie des sciences morales et politiques
Les inscriptions des classes de lycée à cette conférence-débat
sont coordonnées par le Rectorat de Paris – région académique Île-de-France
en relation avec les Rectorats de Créteil et de Versailles.
Pour toute autre information, merci d’écrire à marianne.tomi@asmp.fr
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Télécharger le choix de textes de Tchouang-Tseu et d’Avicenne
La conférencière, Souâd Ayada
Souâd Ayada est inspectrice générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche. Elle a présidé, de novembre 2017 à février 2022, le Conseil supérieur des programmes, instance chargée de l’élaboration des programmes scolaires auprès du ministre de l’Éducation nationale. Elle a préfiguré puis dirigé l’Institut français d’islamologie, groupement d’intérêt public créé au début de l’année 2022 par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le but de promouvoir l’essor des études scientifiques sur l’islam et de développer en France une recherche de haut niveau sur le sujet.
Souâd Ayada est née en 1970 au Maroc. Elle est arrivée en France à l’âge de quatre ans, a fait ses études primaires et secondaires non loin de Dunkerque avant de poursuivre en classes préparatoires au Lycée Faidherbe de Lille, puis à l’Université de Lille. Reçue à l’agrégation de philosophie en 1993, elle enseigne en lycée de 1993 à 1995. Bénéficiant d’une allocation de recherches, elle rejoint l’UFR de philosophie de l’Université de Lille de 1995 à 1998. Elle redevient ensuite professeur de lycée, d’abord dans l’académie de Lille, puis dans l’académie de Créteil jusqu’en 2009 où elle enseigne la philosophie en classes terminales et en classes préparatoires aux grandes écoles. Après avoir soutenu en 2009 sa thèse de doctorat sur L’islam des théophanies : structures métaphysiques et formes esthétiques, sous la direction de Jean-Louis Vieillard-Baron à l’Université de Poitiers, elle devient inspecteur d’académie – inspecteur pédagogique régional de philosophie dans les académies de Lyon, Grenoble, Paris et Orléans-Tours. En 2011, elle est nommée inspecteur général de l’Éducation nationale pour la philosophie.
Son œuvre savante s’inscrit dans le renouveau des études sur la pensée et la culture de l’islam, attentive à repérer et analyser en profondeur aussi bien ses résonances que ses dissonances avec la pensée européenne. Après des travaux consacrés à la lecture occidentale de l’islam (Hegel et l’islam), elle s’est vouée à l’étude et à la présentation des grandes figures de la philosophie en terre d’islam. Spécialiste d’Avicenne, elle publie en 1999 une étude sur le modèle avicennien de la subjectivité qui ouvre des perspectives très neuves sur la question du sujet en philosophie islamique, puis en 2002 un ouvrage synthétique sur le philosophe (Avicenne, Ellipses). Sa réflexion, source d’études sur l’esthétique et la métaphysique islamique, porte sur la signification du monothéisme (L’islam des théophanies. Une religion à l’épreuve de l’art, CNRS Éditions, 2010). Elle a participé à l’importante édition érudite et critique des écrits de Louis Massignon, géant complexe, fondateur de l’islamologie moderne (Écrits mémorables, Bouquins Laffont, 2009).
La conférence
La philosophie antique s’organise autour de deux maximes qui fixent un idéal éthique : le précepte delphique « connais-toi toi-même » et l’invitation socratique au « souci de soi ». Elle dessine les voies par lesquelles se constitue un rapport à soi. L’éducation (paideia), mais aussi l’amitié (philia) et un certain type de vie politique participent à l’élévation de l’âme que chacun se doit, tout au long de sa vie, de perfectionner.
De Platon à Épictète, en passant par Épicure, se forme une figure du moi qui se veut aussi un modèle de vie. Ce qui distingue, en effet, l’être humain des autres êtres vivants, c’est sa capacité à conformer son existence à un idéal de perfectionnement. La recherche de la sagesse, par la pensée rigoureusement conduite et dans l’action bien orientée, sera l’autre nom de cet idéal. Les Anciens en ont thématisé les principaux traits sous la figure du philosophe. Mais la quête de la sagesse est un motif universel qui connaît un important développement dans des cultures non-occidentales. Ainsi, le penseur chinois Zhuangzi (né vers 369 avant J. -C., aussi appelé Tchouang Tseu) fait-il le portrait du sage en des termes qui ne sont pas sans évoquer ceux d’un Sénèque ; quiétude, détachement et inaction ouvrent la voie de la perfection humaine qui doit être recherchée. Quant au philosophe iranien connu en Occident sous le nom d’Avicenne (Ibn Sina, né en 980 et mort en1037), il propose dans une suggestive allégorie, celle de l’homme volant, une conception de la nature humaine fondatrice d’un thème philosophique majeur : l’âme, qui est toute dans l’acte de penser, ne saurait douter de son existence et de sa dimension spirituelle.
Les modèles de sagesse sont encore prégnants aujourd’hui, malgré les modifications qu’ils ont subies au cours de l’histoire. Nous en trouvons des traces, par exemple, chez le penseur malien du XXe siècle, Amadou Hampâté Bâ (né en 1900 ou 1901, mort à Abidjan en 1991). La vie de celui qu’on a parfois appelé « le sage qui riait » a été un travail acharné pour recueillir et faire connaître les sagesses africaines déposées dans une immense tradition orale que la modernité risquait d’éteindre. Mais ces modèles de sagesse ont aussi fait l’objet de critiques radicales, notamment dans le monde occidental, dès lors que la cité antique et l’idéal d’humanité qu’elle portait se sont écroulés. Dans ses Confessions, Augustin ébranle en profondeur l’éthique de la sagesse et souligne, en des analyses d’une modernité saisissante, l’énigme du moi. Le retour sur soi ne donne pas accès à un centre souverain qui serait une sorte de forteresse imprenable. Il révèle plutôt la finitude d’un moi qui ne trouve son unité et le sens de son existence qu’en dehors de lui. Aussi, il s’agira pour chaque être humain non pas tant de rechercher la sagesse que de faire l’épreuve de sa liberté dans un combat intérieur dont le but est l’atteinte des biens véritables.
L’intuition augustinienne formera le foyer des représentations modernes du moi. Elle sera au principe de la revendication rousseauiste des droits de la sensibilité et sera la lointaine source des questions radicales qu’affronteront aux 19e et 20e siècles des écrivains romantiques (par exemple, Chateaubriand) et des philosophes (par exemple, Kierkegaard) : À quelle connaissance de soi le sujet est-il capable d’accéder ? L’individu peut-il, sans se trahir et sans renoncer à ce qui fait de lui un être singulier, trouver sa place dans une société en proie à des tensions et des transformations incessantes ?
Ces questions sont encore aujourd’hui les nôtres, même si elles se posent pour nous dans les termes propres à notre temps. Elles sont au cœur des humanités, au cœur d’un enseignement qui, éclairant nos représentations contemporaines à l’aune des textes et des visions du passé, fait de la nature et de la destination humaines le fil continu d’une interrogation fondamentale.
Mots-clés : Recherche de soi – Connaissance du moi – âme – éthique – sagesse – perfectionnement – vérité – humanisme – humanités.
En résonance avec les programmes
Lycée, programme de Français, classe de 1ère, voies générale et technologique
Œuvres inscrites au programme en 2022-2023 :
La Bruyère, Les Caractères, livre XI « De l’Homme » / parcours : peindre les Hommes, examiner la nature humaine.
Victor Hugo, Les Contemplations, livre I à IV / parcours : les mémoires d’une âme
Nathalie Sarraute, Enfance
Lycée, programme de Philosophie, classe terminale, voie générale :
La conscience
Auteurs : Platon, Aristote, Zhuangzi, Sénèque, Épictète, Augustin, Avicenne, Kierkegaard, Rousseau
Repères : objectif / subjectif / intersubjectif ¬ universel / général / particulier/singulier
Lycée, Spécialité Humanités, Littérature et Philosophie, voie générale
Classe terminale (semestre 1) : La recherche de soi.
Période de référence : Du romantisme au XXe siècle. Éducation, transmission et émancipation. Les expressions de la sensibilité. Les métamorphoses du moi.
Matière à penser
« Quoi ! cher ami, tu es Athénien, citoyen d’une ville qui est plus grande, plus renommée qu’aucune autre pour sa science et sa puissance, et tu ne rougis pas de donner tes soins à ta fortune pour l’accroître le plus possible, ainsi qu’à ta réputation et à tes honneurs ; mais quant à ta raison, quant à la vérité et quant à ton âme, qu’il s’agirait d’améliorer sans cesse, tu ne t’en soucies pas, tu n’y songes même pas. »
Platon, Apologie de Socrate (propos de Socrate)
« Je ne puis donc pas connaître ce que je suis ; et ainsi il paraît que tout esprit n’a pas assez d’étendue pour se comprendre soi-même.
Augustin, Confessions, X
« Je ne suis point à la mode, je pense que sans la liberté il n’y a rien dans le monde. »
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe
« On a plus perdu quand on a perdu sa passion que quand on s’est perdu dans sa passion. »
Kierkegaard
« Il ne faut jamais oublier que les hommes peuvent atteindre un but commun sans emprunter les mêmes voies. C’est tout le symbolisme du sommet de la montagne, auquel on peut parvenir par des chemins différents. »
Amadou Hampâté Bâ, Présences africaines
Pour aller plus loin
Voir la bibliographie indicative liée au thème « La recherche de soi » dans le programme de Spécialité Humanités, Littérature et Philosophie.