Communication d’Haïm KORSIA « Le rapport du judaïsme au territoire »

Communication du lundi 24 mars d’Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, membre de l’Académie

Thème de la communication : Le rapport du judaïsme au territoire

Synthèse de la séance

Haïm Korsia place au cœur de sa réflexion la relation profonde qui lie le judaïsme au territoire, qui s’articule autour de plusieurs axes.

Un lien spirituel et historique est entretenu avec la Terre d’Israël (Eretz Israël). Dès le premier commentaire de Rachi sur la Torah, la question du rapport entre le peuple juif et cette terre est posée. Dieu promet la Terre de Canaan (future Terre d’Israël) aux descendants d’Abraham. Cette promesse fonde le lien indissoluble entre le peuple juif et cette terre. Mais cette promesse interroge : les Juifs sont-ils destinés à un territoire ou à une promesse ? Sont-ils voués à la sédentarité ou au nomadisme ? Cette dualité est inscrite dans l’histoire biblique, notamment avec le fameux Lekh Lékha du chapitre 12 de la Genèse (« Pars pour toi de ta terre de ton lieu de naissance de la maison de ton père vers une terre que je t’indiquerai ») où Abraham est appelé à partir vers une terre inconnue. Ce paradoxe se retrouve dans l’attitude d’Abraham lui-même lorsqu’il achète le lieu de sépulture de Sarah et se définit comme « étranger et résident sur cette terre » (Gen. XXIII, 4). Jérusalem, avec le Mont du Temple, est le cœur spirituel du judaïsme. C’est là que se dressait le Temple et c’est vers ce lieu de culte central que convergent toutes les prières. Le lien à cette terre se manifeste jusque dans le désir d’être enterré en Israël ou d’avoir un peu de sa terre dans sa tombe. Les lois agricoles, les prières pour la pluie ou la rosée, et le cycle des fêtes rythment la vie juive en fonction de cette terre où coulent le lait et le miel. La Terre d’Israël est le théâtre des récits bibliques, de l’exode d’Egypte à l’établissement du royaume d’Israël, et les exils successifs n’ont cessé d’entretenir l’aspiration au retour, symbolisée par la formule de Pessah : « L’an prochain à Jérusalem ».

Après l’exil de Babylone (VIè s. av. J.C.), tous les Juifs ne sont pas revenus en Terre sainte, et c’est le Talmud de Babylone qui a fini par dominer. La destruction du second Temple (68 ap. J.C.) entraîne la dispersion des Juifs à travers le monde, et Rabbi Yohanan ben Zakaï échange la Terre contre la Torah à Yavné. Pourtant, bien avant cela, une diaspora existait déjà avec les tribus de Gad, Réouven et la moitié de Menaché (Nombre 32), suggérant une sacralité qui ne repose pas uniquement sur la terre, mais aussi sur le peuple lui-même. Les communautés juives en diaspora ont su préserver leur identité religieuse et culturelle en développant des communautés structurées tout en s’adaptant aux contextes locaux, avec une logique absolue. Cette dispersion a permis au monde de partager le génie du judaïsme. Comme le rappelle le Talmud Kétouvot (111a), « Lo taalou kakhoma » : les idées surpassent les frontières. En Égypte, les Hébreux sont restés juifs en conservant leur langue – ce que l’on peut comprendre en France, où une langue commune unit la communauté francophone dans le monde. Le territoire devient alors celui de la langue, au moins pour la prière. Enfin, malgré cette intégration, la nostalgie de Sion demeure intacte. La prière pour le retour à Sion et la reconstruction de Jérusalem traverse les siècles, au point que Napoléon lui-même avait envisagé de rétablir un royaume juif à Jérusalem.

En 1891, le baron Maurice de Hirsch fonde la Jewish Colonization Association (JCA) dédiée à l’acquisition de terres et à l’organisation de la migration de Juifs d’Europe de l’Est vers la pampa argentine. Ce projet voit son apogée en 1940 avec 3 609 colons avant de décliner progressivement. Plusieurs autres projets d’implantation ont été envisagés. En 1902, les autorités britanniques proposent une installation juive en Ouganda, présentée par Herzl au sixième congrès sioniste de Bâle en 1903. Bien que votée pour une étude de faisabilité, cette option est rejetée en 1905 au profit d’une solution en Palestine. De même, l’opération « Fugu » en Mandchourie, initiée par le colonel Yasue en 1934 pour accueillir des Juifs et dynamiser l’économie locale, échoue faute d’adéquation entre les attentes japonaises et la réalité des réfugiés européens. L’Union soviétique, dans les années 1930, tente d’attirer des Juifs en Sibérie au Birobidjan : les colons doivent créer des fermes collectives en échange en contrepartie d’un territoire : la région autonome juive (RAJ) du Birobidjan où le yiddish est langue officielle. Malgré la propagande, notamment à travers le film « Les Chercheurs de bonheur », sur 40 000 arrivés, la moitié repart, faute d’infrastructures et de conditions de vie adéquates. Le IIIe Reich, quant à lui, élabore le Madagaskar Projekt, visant à déporter quatre millions de Juifs vers Madagascar, alors colonie française. Évoqué dès 1936 en Pologne, puis par le ministre français Marius Moutet en 1937, le projet est repris par les nazis en 1938 avant d’être abandonné, l’Allemagne ne parvenant pas à assurer une maîtrise maritime suffisante.

Le sionisme, mouvement né à la fin du XIXe siècle, a pour objectif d’établir un foyer national juif en Terre d’Israël, notamment par l’achat de terres par le KKL. Cet engagement aboutit en 1948 à la création de l’État d’Israël, rétablissant une souveraineté juive sur cette terre. Cependant, cette renaissance s’accompagne de défis majeurs, notamment le conflit israélo-palestinien et la question des territoires disputés. La seule issue viable reste une solution à deux États, avec des prérogatives à définir, mais il n’existe pas d’autre voie.

Haïm Korsia conclue sur la dynamique complexe et riche qui unie le judaïsme au territoire, une dynamique qui entrelace dimensions religieuse, historique, culturelle et politique. Ce lien s’incarne dans l’attachement spirituel et historique à la Terre d’Israël, mais aussi à la terre où vivent les Juifs, comme la France pour ceux qui y résident. L’expérience de la diaspora illustre la capacité d’adaptation aux contextes variés, tandis que le sionisme et la création de l’État d’Israël témoignent d’un retour à la souveraineté territoriale. Enfin, Makom, qui signifie « l’endroit, le lieu », est aussi un des noms de Dieu, car Il est l’endroit du monde. Ainsi, le territoire du judaïsme est à la fois physique et spirituel : il se trouve dans la terre habitée, mais aussi dans la foi.  Nous avons toujours un territoire qui nous porte : c’est soit la Terre, soit notre foi en Dieu. Et si, comme l’affirme la Bible, l’homme est comme un arbre des champs, alors en se réunissant, les êtres humains créent ensemble un territoire cohérent : celui de la fraternité.

À l’issue de sa communication Haïm Korsia a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées A. Vacheron, L. Ravel, Th. de Montbrial, R. Brague, X. Darcos, J. de Larosière, J.D. Levitte, L. Stefanini, D. Senequier.

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