Communication de Cécile DANGLES et de Véronique SOUSSET sur la peine d’emprisonnement : « quel sens lui donner ? quel parcours vers la réinsertion ? »

Communication du lundi 17 juin 2024 de :

  • Cécile Dangles, Vice-présidente Juge de l’application des peines au tribunal judiciaire de Lille, actuellement en poste au Contrôle général des lieux de privation de liberté ;
  • Véronique Sousset, Directrice interrégionale adjointe des services pénitentiaires de Strasbourg

Thème de la communication : Regards croisés sur la peine d’emprisonnement : quel sens lui donner ? Le parcours vers la réinsertion ?

Synthèse de la séance

Le président Bruno Cotte ouvre la séance en soulignant combien l’équilibre est souvent difficile à trouver entre ceux pour qui le salut réside dans l’augmentation du quantum des peines, l’insaturation de peines planchers, la rétention de sûreté ; et ceux pour qui les permissions de sortie, la libération conditionnelle constituent des moyens utiles et adaptés pour préparer une sortie qui interviendra un jour. Puis, il donne la parole tout d’abord à Cécile Dangles pour éclairer ce qu’est l’application des peines dans notre système de droit pénal, avant d’entrer en prison avec Véronique Sousset.

Cécile DANGLES

L’application des peines est un nouveau procès. Le procès pénal, au cours duquel est débattu en même temps de la culpabilité et de la peine, ne met pas un terme au processus judiciaire. Une fois la peine fixée par le juge du tribunal correctionnel ou la cour d’assises, commence le travail du juge de l’application des peines (JAP). Depuis 1945, l’idée d’une exécution individualisée de la peine s’est imposée. Il s’agit de tenir compte des efforts accomplis par le condamné pour adapter les modalités d’exécution de la peine d’emprisonnement. La mise en application de la peine est résolument tournée vers l’avenir, elle impose de multiples réajustements, un tissage de liens et de partenariats.

La conférence de consensus sur la prévention de la récidive en 2013 a constitué un tournant pour le monde judiciaire : pour la première fois une méthode novatrice, fondée sur des études scientifiques, dressait un état des connaissances et proposait des recommandations, en reposant la question du sens et des finalités de la peine et en considérant que la sanction pénale, pour garantir efficacement la sécurité de tous, doit viser en priorité l’insertion des personnes ayant commis une infraction. Elle proposait notamment la peine de probation et une politique de limitation de l’incarcération.

L’article 707 du code de procédure pénale, qui est le credo du JAP, indique que la prison n’est pas une fin en soi et que la préparation à la sortie doit s’imaginer dès l’entrée.

Le rôle du JAP est de donner de la valeur aux efforts fournis, de les souligner et de les valoriser. L’administration pénitentiaire ne pourrait pas assurer l’ordre et la sécurité des établissements si les personnes détenues n’avaient aucune perspective. Les outils du JAP sont nombreux : réductions de peines qui valident les efforts d’engagement dans des soins ou des activités ; permissions de sortie ; libération conditionnelle qui peut être demandée à mi-peine ; travail d’intérêt général ou jours-amende. Juger c’est décider. Le juge qui refuse tout se protège lui-même mais n’assure pas la protection de la société. Les études criminologiques montrent la nécessité de prévoir des étapes dans la préparation de la sortie en s’ajustant à la réalité de la personne et à ses besoins. Le travail du juge et de ses partenaires est de s’inscrire dans un parcours d’exécution de la peine.

Mais le juge ne peut rien seul. Il doit pouvoir compter sur l’éclairage de partenaires institutionnels mais aussi sur les associations, les foyers, les structures de soins, les mairies ou les entreprises. En ce sens, la délinquance est l’affaire de tous.

Véronique SOUSSET

Véronique Sousset prend ensuite la parole en rappelant que l’ambition est de faire du temps de l’incarcération un temps utile pour les détenus et pour la société car la réinsertion sociale est un gage de sécurité publique. La question est donc celle du sens de la peine et du parcours en prison.
De l’image de l’hôtel 4 étoiles à celle du cachot, la perception ordinaire de la prison est souvent empreinte de clichés, éloignés de la réalité. Parce qu’elle est un monde clos qui recèle une part de la violence de la société, la prison cristallise les craintes et les attentes. C’est l’institution qui est sommée de réussir là où d’autres ont échoué.

La loi du 22 juin 1987 posait pour la première fois, la définition du service public pénitentiaire et ces deux missions : la garde et la réinsertion. Un code pénitentiaire composé de 7 livres et 1 650 articles est entré en vigueur le 1er mai 2022.
Poser la question du sens de la peine c’est se poser celle du sens de la prison.

Malgré le paradoxe apparent, l’enfermement doit préparer le retour à la vie libre et les hauts murs d’enceinte des prisons doivent être une frontière solide et perméable. Le nombre de détenus a atteint un niveau record au 1er mai 2024 avec 77 647 personnes incarcérées pour 61 000 places, cette situation de surpopulation contraignant 3 400 détenus à dormir sur un matelas au sol. La densité carcérale globale s’établit à 126% mais atteint 150% dans les maisons d’arrêt où sont incarcérés les détenus en attente de jugement et ceux condamnés à de courtes peines (inférieures ou égale à 2 ans). Contrairement aux maisons centrales ou aux centres de détention, il n’y a pas de numerus clausus en maison d’arrêt. Cette surpopulation, jamais connue en temps de paix, est en augmentation : en 3 ans, il y a eu plus de 17 000 détenus supplémentaires. Cette réalité des conditions d’enfermement peut venir mettre à mal l’ambition de la prison qui est de concilier l’enfermement et la réinsertion. Les conditions de détention dignes et respectueuses sont une exigence humaniste et républicaine et participent à la bonne exécution de la peine.

D’autres services publics interviennent en prison pour lui donner un sens : le service hospitalier, de l’éducation nationale, des collectivités ou des travaux pour des concessionnaires privés. Les formations professionnelles contribuent aussi à la socialisation, désormais proposées et financées par les conseils régionaux. Les liens avec l’extérieur sont assurés. Enfin, le sens de la prison est aussi très dépendant de l’architecture et des conditions de détention. De la prison construite sur le modèle du panoptique de Bentham à la fin du XIXè siècle, aux nouvelles structures comme les SAS (structures d’accompagnement vers la sortie) conçues pour s’intégrer dans l’environnement urbain, l’éventail est large.

Il y a donc non pas une mais des prisons dont la finalité, au-delà de la mission de garde et de garantie de l’effectivité de la peine, est de préparer la réinsertion dans le souci constant de reposer les bases du contrat social. Le parcours vers la réinsertion est un chemin souvent escarpé. La sortie aménagée, opposée à la sortie sèche, est le rempart le plus efficace contre la récidive

Comme il n’y a de peine utile que de peine juste, le temps passé en prison doit préparer l’avenir.

Verbatim des communicantes

Téléchargez le verbatim de la communication de Cécile Dangles
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