La racine langagière du génie français

Séance du lundi 21 mai 2001

par M. Jean-Marie Zemb

 

 

Des guillemets autour des deux noms et des deux adjectifs tiendront provisoirement lieu deéfinition. Employé au singulier, « racine » est pris comme un synonyme de provenance, alors que le pluriel évoquerait les étymons particuliers. L’adjectif « langagier » n’est pas un néologisme douteux, synonyme de ‘linguistique’, mais signifie aussi simplement que vaguement ‘qui tient au langage’. En effet, mon propos est modeste, puisqu’il ne prétend pas balayer l’horizon des causes qui produisent les manières de percevoir et de concevoir les caractéristiques de telle ou telle civilisation. Quant au « génie », prenez-le au sens du dix-huitième siècle, sans la moindre allusion à quelque effet de ‘gènes’ ethniques. Mais dégagez-le aussi des connotations historiques d’autosatisfaction de la patrie des Lumières ainsi que de l’allergie des réfractaires à telle ou telle civilisation particulière qui a prétendu transcender rationnellement toutes les autres. Enfin, l’épithète « français » ne remplace pas simplement l’expression ‘de la langue française’, car je considère que si la formation du « génie français » ne se réduit pas à l’influence de quelques traits langagiers, l’effet de celle-ci ne se limite pas au parler, mais s’étend à d’autres comportements collectifs autant qu’individuels.

Ce n’est pas à une apologie de notre langue que je vous convie. Ces temps-ci, le bicentenaire fait tenir aux médias trop de propos dithyrambiques sur Antoine Rivarol dit le Comte, alias le Chevalier de Parcieux, dont le fameux Discours sur la préexcellence du français aurait même convaincu le Roi de Prusse. En réalité, le pamphlétaire apologiste avait traité dans son Discours un sujet mis au concours par l’Académie de Prusse, plus exactement par le roi lui-même, en 1784, à savoir « Qu’est-ce qui a rendu la langue française universelle ? Pourquoi mérite-t-elle cette prérogative ? Est-il à présumer qu’elle la conserve ? » Il n’y avait pas à l’époque de thèse plus politiquement correcte. Rivarol vanta essentiellement, on le sait, l’ordre et la clarté du français: « langue sûre, raisonnable, sociale … c’est la langue humaine ». Chauvinisme ou obséquiosité? Parmi les langues européennes, l’italienne, l’allemande et l’anglaise ne sont pas ‘universelles’, car « le français est la seule qui ait une probité attachée à son génie« . Qui ne comprend pas mieux aujourd’hui la réaction du Boileau allemand, Klopstock, lequel, quittant la cour de Potsdam, francophone, pour celle du Danemark, laquelle — effet de ricochet du prestige du voisin puissant ! — était à l’époque … germanophone ? Pamphlétaire lui aussi, et merveilleux écrivain lui aussi, Klopstock mit en scène dans ses Dialogues grammaticaux, un certain « Rivarolade » [sic] qui aurait découvert les secrets de l’élégante clarté de la Wasistdaswasdasisthaftigkeit, savoir la *qu’est-ce-que-c’est-ité du « génie français ».

Pour ne pas cacher les incertitudes sous la précision apparente de la terminologie, je me garderai d’employer des mots savants, sauf deux termes qui me paraissent moins chauvins ou en tout cas moins flatteurs que les qualifications plus anciennes du fameux ‘ordre des mots’ qu’étaient, pour le type français, la construction progressive, et pour le type opposé, la construction régressive. Seraient progressifs : /académie française/, /tomber de travers/ et /devrait comprendre/  régressifs : */culturelle révolution/, */de travers comprendre/, ou */longtemps plu avait/. Au lieu de ‘progressif’, je dirai centrifuge ; au lieu de ‘régressif’, centripète. Ces termes relativement neutres sont empruntés à Lucien Tesnière. Dans les expressions citées à titre d’exemple, le centre serait /académie/, /révolution/, /tomber/, le second /comprendre/, /devrait/ et /avait/, soit, mutatis mutandis, la substance, le noyau, le « déterminé », et l’accident, le dépendant, la qualité, bref le « déterminant » étant /français-/ /culturel-/, le premier /comprendre/, les deux /de travers/ et /longtemps plu/, — subsidiarité oblige — /plu/ est déterminé par /longtemps/. La seconde série déroge à l’ordre français. Que penser de cet apparent ou prétendu désordre ? Le postulat, voire l’axiome de Paul Valéry trace la voie : le désordre est un ordre dont on ignore la loi. Bien entendu, la sémantique interdit d’interpréter, au sein du système français, ‘un désordre certain’ et ‘un certain désordre’ comme des variantes stylistiques.

Sans rejeter d’autres classifications des langues, par leur généalogie et le degré d’intégration de leurs éléments, le comparatiste Lucien Tesnière considérait dans sa syntaxe structurale [1] que la position relative du déterminé et du déterminant offrait un critère de classification intéressant, car elle est ou bien centrifuge ou bien centripète. Quand une langue ne pratique que l’un de ces deux types, Tesnière l’appelle accusée ; quand elle est admet les deux, dans des proportions différentes, il l’appelle mitigée. Sur la mappemonde annexée à son ouvrage, il distingue

  • les langues centrifuges accusées, dont l’arabe

  • les langues centrifuges mitigées, dont le basque

  • les langues centripètes mitigées, dont le grec

  • les langues centripètes accusées, dont le japonais.

Sur ce tableau, les langues dites indo-européennes figurent parmi les mitigées, mais tandis que le latin, les langues germaniques et les langues slaves relèvent du type centripète, les langues celtiques, les langues néo-latines et parmi elles le français figurent parmi les langues centrifuges mitigées. On aura noté que Tesnière ne se contente pas de trois types, le centrifuge, le centripète et le mitigé, comme le noir et le gris, mais tient à distinguer les espèces de langues mitigées. Dans la perspective ainsi ouverte, on distinguera des proportions différentes de mélange. Je m’y engouffre en disant, sans développer ici l’argumentation qui m’inspire ce jeu de mots parfaitement agrammatical, que le français est plus centrifuge que mitigé et que l’allemand est beaucoup moins mitigé que centripète. Sans doute que le jury du Prix de l’Académie royale de Prusse eût écarté une telle thèse, considérant que, comme toute provocation, elle se disqualifie d’elle-même.

Et pourtant ! Lorsqu’on examine les attendus dits logiques des grammaires scolaires, on se rend vite compte que ce qui est considéré comme une évidence a priori est souvent une soumission a posteriori à des modèles inadéquats et à des modes éphémères. Puisque le latin est centripète et le français centrifuge, il n’est ni raisonnable ni même commode de dire que le français descend du latin. Il n’est même pas du latin évolué. Il serait plutôt du ‘néo-latin’, car celui-ci, comme le rappelle Tesnière à propos de l’ensemble des langues néo-latines, est une langue centrifuge. C’est ainsi que la fresque admirable que nous devons à Françoise Waquet sur le latin du XVIIe au XXe siècle sous le titre L’empire d’un signe [2] ne parle pas du latin dit classique, mais d’une sorte de créole qui s’est constitué en un millénaire de cohabitation intégrative d’un système centripète et de systèmes centrifuges pratiqués par ses envahisseurs et autres esclaves devenus maîtres. Aux historiens de démêler ce que fut, en France et en Italie, l’influence de l’alignement gaulois ou, en Espagne, l’influence de l’alignement arabe. La tâche n’est guère plus facile que ne le fut pour les géologues la perception de la dérive des continents. D’une part il s’agit de mouvements lents et d’autre part de mouvements complexes : la production et la réception des paroles associent aux mots non seulement leur position, mais aussi leur forme et l’intonation de leurs regroupements, ce à quoi correspond, dans la langue écrite, la ponctuation. De ces divers aspects, les grammairiens ont coutume de relier la syntaxe et la morphologie dans leur morpho-syntaxe. Ce qui se dit ici par la position se dit ailleurs par la forme. Aristote donnait de ces répartitions relativement équilibrées l’exemple de la queue du cheval et de la queue du tigre : la première est courte et plantée de poils longs  la seconde est très longue avec des poils très courts. On imagine assez bien les indigènes, je veux dire nos ancêtres les Gaulois, capter chez les Romains avec qui ils commerçaient sur les ports et aux abords des castels des vocables isolés, généralement sous la forme la plus mnémotechnique, l’accusatif (le ‘cas-régime’), par exemple leonem au lieu de leo, puis, en abandonnant une désinence qui avait perdu son office, leon…, ce qui finit par donner leõ. Il ne s’agissait donc pas de nasaliser leo, mais les restes de leonem. Ces vocables isolés étaient alignés à la gauloise, « bille en tête », c’est-à-dire d’une manière centrifuge. La position des mots n’était pas la seule à changer. En effet l’éventail des formes s’est si l’on peut dire largement refermé. A été conservé dans une mesure appréciable le marquage du genre et du nombre, car les phénomènes de l’accord permettaient de signaler des solidarités bien au-delà de la contiguïté. Mais le dépérissement de la déclinaison des ‘cas’ imposait le transfert de la signalisation des fonctions de la forme des mots à leur position sur la chaîne, privant ainsi du même coup la syntaxe, la latine, d’une flexibilité logique et rhétorique capitales. Que cette paralysie relative fut appelée ‘rigueur de l’ordre’ relève de la psychologie, de la sociologie, de la politique … et de l’amour-propre.

Mais on pourrait se demander si le privilège accordé dans la classification typologique de Tesnière à la syntaxe ne dessert pas trop la synergie des différents vecteurs du sens — en la matière, il ne s’agit pas d’un néologisme, vu que Humboldt, Guillaume, le frère d’Alexandre, s’interrogeait sur les relations entre ergon et energeia —, ces ‘vecteurs’ étant des mots, leurs formes et leur position. Les types d’alignement ont-ils vraiment tellement d’importance ?

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Deux raisons me paraissent justifier ce privilège de la syntaxe. La première en est le fait que la phrase n’est pas seule à être complexe, car ce qu’on appelle un peu trop vite le ‘mot’, l’est très souvent aussi. Je parle des mots composés des <langues centripètes>. Ce sont aussi des <mots centripètes> , des mots-valises transparents dont le contrôle douanier n’a pas besoin de dispositifs spéciaux.

La seconde raison est le fait que l’activité cérébrale du déchiffrage n’attend pas pour démarrer que l’ensemble complet (excusez la surabondance des tautologies) de tous les mots, de toutes leurs formes et positions lui soit fournie. [Sinon d’ailleurs, pourquoi considérer que le point final des phrases doive déclencher l’herméneutique, et non pas la fin du discours tout entier ?]

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Avant de revenir sur ces deux raisons, je voudrais rappeler que dans son récent ouvrage sur le sort des langues [3], Claude Hagège distingue trois manières de mourir, qu’il s’agisse des langues ou des civilisations dont parlait Paul Valéry, dans le chapitre VI, trois profils de la disparition, puis dans le chapitre VII, intitulé « Le bataillon des causes », les trois groupes de causes principales de cette disparition. S’agissant de l’histoire du latin ou, si l’on préfère, de sa lente métamorphose, il faut lire les ou plutôt que comme des ou/et que comme des ou/ou.

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Le répondant empirique de la première raison, laquelle s’appuyait sur le déroulement inverse d’une langue centrifuge et d’une langue centripète, est une certaine insensibilité , voire d’une insensibilité certaine [la postposition confère à l’adjectif un rôle de ‘spécificateur’, tandis que l’antéposition le charge d’une fonction ‘évaluative’] pour l’étymologie, c’est-à-dire la syntaxe intérieure des vocables complexes hérités du latin ou fabriqués avec des formants gréco-latins disposés d’une manière centripète. Des langues strictement et purement centripètes ou centrifuges appliquent le même principe, les premières le centripète, les secondes le centrifuge, à la <politique intérieure> et à la <politique extérieure>, aux mots eux-mêmes complexes et à leur arrangement dans la phrase. Lorsque le macro-complexe et le micro-complexe suivent des lois contraires, leur usager se trouve dans la situation du danseur dont les pieds doivent avancer et, simultanément, les doigts de pied reculer ! Nombre de néologismes français furent proposés ces dernières années en vertu de ressemblances et de consonances, alors que leur articulation n’avait guère de sens, comme si cela était secondaire. Dans un ouvrage récent [4], le grand théoricien et le grand praticien de la terminologie qu’est Loïc Depecker se montre assez peu sévère à cet égard. Il prend son parti de la cécité sémantique française pour l’agencement centripète de ses termes complexes, alors que ce défaut — croissant — me paraît atténuable par une meilleure formation scolaire. Wittgenstein ne parlait pas en vain de cécité sémantique (Bedeutungsblindheit) de quiconque méprise l’orthographe. À son époque, on n’eût pourtant pas trouvé dans ces copies de bac des perles telles que

  • la recrue d’essence de la violence

  • comme souvent, le peuple s’en est pris à un bouc et mystère

  • il fut condamné en bonnet de forme.

Il me paraît urgent ne pas oublier dans l’incessante refonte des programmes et des manuels, la lecture et l’analyse … pour leurs fins comme pour leurs moyens. J’avais essayé en 1967 — le moment était sans doute mal choisi — de recommander à cet effet quelques exercices scolaires [5]. Je sais bien qu’il ne s’agit que de compenser les effets de l’inversion de l’allure. Je sais aussi que cela est fort difficile, le cheval, même le cheval de cirque, ne galopant pas en arrière au rythme du rembobinement les films dans les cinémas de patronage de jadis.

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Un seul exemple suffira pour illustrer cette absence de sens ou de conscience étymologique: l’indifférence à l’opposition entre le a privatif latin et le ad- latin qui indiquait la direction, le rapprochement, et que rappelait l’assimilation — dans le mot assimilation lui-même — la gémination dans aggraver et dans agglomérer, mais plus, hélas, dans agrandir, agresser, qui en furent privés il y a un siècle sous l’autorité de … l’Académie française (qui avait sans doute oublié les premiers sur sa liste). La patiente impatience que m’inspira pendant sa gestation la dernière réforme, qui se disait soucieuse notamment de « simplicité et de régularité », me vit souvent basculer entre deux sentiments opposés: la crainte de voir aggraver perdre son -g- témoin et l’espoir de voir rendu à agrandir son second (ou premier ?) -g- dans ce qui n’était bien sûr pas une gémination phonétique, mais une gémination sémantique. Rien ne bougea. Et les traducteurs de Kant continuent de souffrir : comment traduire en français un mot aussi correctement construite que Apperzeption : en lui laissant son dû ou en l’en privant, comme dans apercevoir ? [Il faut convenir les concurrents d’une dictée nationale, auraient sacrifié la bonne orthographe d’/apperception/, dans les graphies, apperception , et aperception en raison sans doute de l’élision de l’article, cédé à la tentation du compromis fautif * ].

Cette insensibilité a une contrepartie qui apporte à notre langue sa qualité majeure, à savoir son souci et son intelligence, pour ne pas dire sa passion ou sa hantise, en tout cas son exigence de la définition. C’est le sens unique pour chaque acception d’une unité. Quand on n’entend plus leurs formants dire ce qu’ils veulent dire, on entend les mots dire ce qu’ils doivent dire. Cette exigence qui eût parfaitement convenu à la caractéristique universelle d’un Leibniz fait du français la langue idéale du droit et de la diplomatie, y compris de la langue de bois. Les esprits chagrins songeront tout de suite, à propos de cette double racine langagière du génie français, à la taille à la française qui faisait vivre les arbres dans les parcs, mais qui les fait mourir de manque d’air le long de nos avenues.

La seconde raison empirique, dont les spécialistes de l’interprétation simultanée parleraient mieux que moi, et surtout plus longuement, consiste dans le fait — confirmé ou révélé, au choix ! — par l’imagerie médicale de l’activité cérébrale de la compréhension (du déchiffrement, du décodage) de la parole. Normalement, et cela est en soi indépendant de l’alignement centripète ou centrifuge, les neurones n’attendent pas quelque « Bip sonore » ou silence pour commencer leur travail. Ils font comme les bridgeurs impolis, lesquels, au lieu d’attendre l’achèvement de la distribution, ramassent une à une les treize cartes. En cours de distribution, ils échafaudent, puis affinent leur stratégie. Certains en profitent d’ailleurs d’une manière tactique en affichant des mines satisfaites, voire dissuasives. En principe, on attend la fin de la phase pour intervenir, surtout dans les civilisations centripètes. Dans les colloques internationaux, les Français donnent parfois l’impression d’être mal élevé, car ils coupent souvent la parole à leurs interlocuteurs. J’allais dire qu’on comprend leur impatience: pourquoi subir l’énumération des caractères spécifiques de l’onagre quand on sait que le locuteur a confondu cet équidé avec un zèbre ?

On pourrait cependant argücer de dépendances sémantiques réciproques entre les noms substantifs et les noms adjectifs: le mot suivant infléchit voire identifie le sens du mot précédent indépendamment des espèces alignées (cela vaut bien sûr également du verbe et de l’adverbe). Certes, mais la malléabilité sémantique relative est de beaucoup plus importante pour le déterminant que pour le déterminé. La physiologie cérébrale de l’entendement s’en ressent. Il est toujours convenable et raisonnable d’attendre la fin pour juger, mais il paraît statistiquement moins risqué de ne pas attendre le déterminant quand on tient le déterminé que de se prononcer dès l’audition des déterminants alors qu’on ne connaît pas encore ce qu’ils déterminent, ce que les humoristes reprochent à l’allemand. La rapidité de l’intervention de l’interlocuteur français est d’ailleurs accrue par ce que j’avais donné comme la première cause du génie fulgurant du français, à savoir l’ignorance, au moins dans l’un des deux sens du mot, de ce que pourraient bien vouloir dire les formants centripètes de la phrase centrifuge.

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Pour résumer mon propos, je dirais que la racine langagière du génie français est double. Par l’effet durable de sa macro-syntaxe gauloise, centrifuge, le français exploite par sa souveraineté définitoire l’apport sémantique de la micro-syntaxe centripète de ses composés gréco-latins, sans en être, contrairement à ce que disait en penser Roland Barthes, l’esclave. Toutes les langues sont en un certain sens universelles et comportent avantages et inconvénients. Parmi les premiers, le gain de calculabilité est important; parmi les seconds, les risques de dérives et de scléroses ne sont pas négligeables.

Des décennies de travail [6] m’ont appris qu’en la matière, presque tous les détails exigent beaucoup de précautions et d’exemples, autant pour l’inventio que pour l’expositio, pour le dire à travers des mots centripètes. Je renonce donc à m’y aventurer ici. En revanche, je voudrais évoquer les principales conséquences pratiques de la mise en évidence des ordres qui font désordre.

  1. Une théorie plus proche des faits et solidairement plus logique facilite la programmation de plusieurs types de traitements de textes, notamment de la traduction automatique, c’est-à-dire davantage assistée par l’ordinateur. C’est un enjeu économique et politique considérable à moyen terme.

  2. Une théorie plus philosophique que les grammaires scolaires et notamment que la grammaire de l’Académie de 1932 qui inspira le pamphlet-calque de Ferdinand Brunot rendrait intérêt et dignité à l’enseignement du français, notamment dans la perception des formants de ses complexes à structure centripète et réhabiliterait l’intérêt de l’étymologie et de l’orthographe.

  3. Une théorie plus adéquate du créole noble qu’est le français faciliterait aussi son apprentissage par les étrangers et notamment par les immigrés en faisant préférer au manuel unique, simplifié et néanmoins indigeste, voire décourageant, des méthodes spécifiques parce que plus attentives aux contrastes particuliers aux couples de langues concernés.

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Que nous réserve l’avenir ? Que nous apportera-t-il ? Comment le préparons-nous ? Si j’avais eu quelques velléités de prédiction, je les aurais perdues à la lecture d’un article centenaire sur lequel Françoise Prévot, responsable du service pédagogique de l’Institut de France, attira obligeamment mon attention [7]. Nous ne sommes qu’en 1901, mais il y a peu de chances que dans deux ans, l’état de notre ci-devant « langue nationale » soit celui qu’esquissa en 1903 pour 2003 le visionnaire positiviste Léon Pollak.

Pour ne pas accaparer toutes les vertus et faire du français le seul langage digne de l’ homo sapiens sapiens sapiens, j’aurais envie de dire que le français préfère le « mot juste » au « mot vivant », mais je crains qu’aucun de ces déterminants ne vise et ne touche juste. C’est bien pour cette raison que je ne suis pas davantage qu’au début de ma communication en mesure de définir le terme de /génie/ ? N’eût-il pas mieux valu de parler — savamment — d’idiosyncrasie ou — scolastiquement — d’habitus ou encore — d’une manière politiquement, voire globalement, correcte — de french way of life.

 


[1] Lucien Tesnière, Éléments de syntaxe structurale, avec une préface de Jean Fourquet, Paris (Librairie C. Klincksieck), 1959, deuxième édition revue et corrigée 1966

[2] Françoise Waquet, Le latin ou l’empire d’un signe, Paris (Albin Michel), 1998 [Prix Logos 1999]

[3] Claude Hagège, Halte à la mort des langues, Paris (Odile Jacob), 2000

[4] Loïc Depecker, L’invention de la langue : le choix des mots nouveaux, Paris (Larousse et Armand Colin), 2001

[5] Jean-Marie Zemb, Jeux et travaux de grammaire, Paris (OCDL), 1970

[6] Jean-Marie Zemb, trois volumes bilingues édités chez Duden à Mannheim : Comparaison de deux systèmes, 1978 (897 pages), L’économie de la langue et le jeu de la parole, 1984 (975 pages), L’art et la nature (en préparation)

[7] Léon Bollack, « La langue française en l’an 2003 », dans La Revue (anciennement Revue des Revues) XIV/14, 15 juillet 1903 [en exergue : « Peu de mots, beaucoup d’idées »].