La qualité de l’air : un enjeu environnemental et sanitaire majeur

Séance du lundi 25 février 2002

par M. Bernard Festy

 

 

L’expression “qualité de l’air” est souvent préférée à “pollution atmosphérique” (PA)  c’est dans l’air du temps, si j’ose dire, à une époque où il faut “positiver” ! Il n’en reste pas moins que les phénomènes de PA sont préoccupants, pour des raisons écologiques, économiques et sociales, au rang desquelles des aspects environnementaux et sanitaires considérables. Ces phénomènes affectent différemment et à des degrés divers, les pays développés et en voie de développement  ces derniers sont généralement plus touchés pour diverses raisons : parcs automobile et industriel anciens, croissance trop rapide de mégalopoles ingérables, utilisation de combustibles sales dans un habitat peu rationnel, déficit d’éducation, etc. Nous envisagerons essentiellement la situation des pays développés.

 

Les PA : des phénomènes divers, complexes et interdépendants

 

Ils sont d’origine naturelle (volcanisme, embruns, érosion, …) ou anthropique, de nature accidentelle ou non : nous privilégierons ici les PA anthropiques non accidentelles. Elles concernent des échelles environnementales variées allant du niveau (micro-) local à la planète en passant par la dimension régionale ; elles vont aussi de l’individu à la population, affectant des milieux aussi différents que les espaces domestiques, professionnels, éducatifs, publics, les zones rurales et (péri) urbaines, les transports etc …  on parlera, selon les cas, de PA extérieure ou intérieure aux locaux. L’exposition humaine à ces phénomènes est généralement subie, sauf cas du tabagisme actif, choisi dans une large mesure.

Les facteurs polluants atmosphériques ou aérocontaminants sont de nature physique (rayonnements, bruit), chimique (surtout) ou (micro)-biologique (pollens, micro-organismes, …)  ils sont susceptibles d’interagir en termes physico-chimiques et/ou biologiques (ex pollens — particules diesel, dioxyde d’azote — bactéries ou virus). Dans l’air, les aérocontaminants chimiques et biologiques, auxquels je me limiterai, sont sous forme d’aérosols, faits d’une phase particulaire liquide ou solide de taille variée en suspension dans une phase gazeuse. Le tout est en équilibre précaire dès le stade de l’émission : l’aérosol subit, selon les conditions, des étapes de dispersion et de transformation atmosphérique, de sédimentation et de remobilisation. L’atmosphère constitue à la fois un “agitateur” et un “réacteur” physico-chimique : on définit ainsi des polluants primaires (tels qu’émis par la source) et secondaires (transformés). Les polluants sont généralement associés en grand nombre (la plupart étant inconnus) dans des mélanges qui ne sont caractérisés que grâce à un nombre limité d’indicateurs (ex. oxydes de carbone ou d’azote, ozone, plomb, particules fines, …) choisis en vertu de connaissances métrologiques (savoir les mesurer), toxicologiques (leur nocivité) et en terme d’identification des sources d’émission (automobile, industrie, incinération, …). Enfin les phénomènes de PA sont le plus souvent interdépendants : ainsi tabagisme actif ou passif, PA intérieure aux locaux, PA (péri) urbaine ou rurale sont associés dans des phénomènes et effets d’intérêt principalement sanitaire  PA régionale et planétaire, avec l’excès d’ozone troposphérique, les transferts de polluants à longue distance, le déficit d’ozone stratosphérique (la “couche” d’ozone), les polluants interférant positivement ou négativement avec l’effet de serre (changement climatique), sont impliqués dans des effets préférentiellement environnementaux mais secondairement sanitaires que l’on évalue encore mal.

 

Aérocontaminants, exposition humaine et conséquences sanitaires : quelques aspects généraux

 

La respiration est un acte simple mais obligatoire, présentant des variantes fonctionnelles selon l’âge, l’activité physique et l’état de santé pulmonaire. L’air est un aliment essentiel et irremplaçable  il n’est jamais “pur” (utopie !) mais doit être le plus pur possible car le poumon constitue une porte d’entrée très efficace qui tient à sa fonction première, l’oxygénation de nos cellules. Cependant, sa maturation n’est que partielle à la naissance et notre stock d’alvéoles pulmonaires continue à se constituer pendant quelques années  le poumon est donc encore fragile à ce stade et le reste ultérieurement. Enfin, les capacités de défense pulmonaire de l’organisme vis-à-vis des intrus sont limitées, notamment vis-à-vis des gaz, mais aussi des particules, surtout si les agressions sont prolongées et répétées. Selon les cas, les aérocontaminants peuvent déclencher des effets toxiques, infectants et/ou allergiques  ils exacerbent ou induisent des symptômes et des pathologies le plus souvent non spécifiques et généralement d’origine plurifactorielle, dont les fréquences de base, dans les populations, sont importantes : manifestations cardio-vasculaires, pulmonaires, oto-rhino- laryngologiques, … N’oublions pas, cependant, que le tabagisme actif constitue un facteur de risque majeur et que le tabagisme passif est loin d’être innocent.

Pour l’évaluation des risques sanitaires, l’apport de connaissances se fait essentiellement par trois approches complémentaires : la clinique médicale en situation “normale” ou accidentelle, fondamentalement à l’échelle individuelle, l’expérimentation (exposition contrôlée) recourant au modèle humain sous conditions éthiques, au modèle animal ou aux systèmes tissulaires ou cellulaires in vitro ou ex vivo, enfin l’épidémiologie (exposition atmosphérique in situ) selon diverses modalités adaptées aux problèmes posés : à l’échelle des individus ou de populations globales, avec suivi temporel et/ou géographique.

 

La PA en milieu urbain : la situation probablement la plus étudiée et socialement très perçue

 

Quelques aspects généraux

 

C’est un phénomène très complexe qui met en jeu, dans des agglomérations urbaines plus ou moins industrialisées et en périphérie, des sources fixes (activités industrielles et artisanales, chauffage collectif ou individuel, générateurs d’énergie, incinérateurs de déchets) et des sources mobiles dont le nombre a explosé au cours des trente dernières années, sans oublier l’accroissement du nombre de kilomètres parcourus. Les sources mobiles, contrairement aux autres, sont diffuses, émettent à faible hauteur et sont collectivement moins faciles à contrôler. Les déterminants principaux de la PA urbaine sont donc les activités humaines, la hauteur des émissions et leur degré de dépollution, la topographie (micro) locale, la climatologie et, surtout, les conditions météorologiques qui jouent sur les transformations des polluants et sur leur dispersion.

Les indicateurs de PA sont suivis en France par des systèmes de surveillance : 39 Associations Agréées de Surveillance de la Qualité de l’Air (AASQA), dont Airparif en Ile-de-France, placées sous la tutelle administrative du Ministère chargé de l’Environnement, et très liées à l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME). Ces indicateurs de PA sont le dioxyde de soufre (SO2), les particules fines (PM), les oxydes d’azote (NO et NO2 = NOx), le monoxyde de carbone (CO), le plomb (Pb), l’ozone (O3), les composés organiques volatils (COV), dont le benzène.

CO, NOx et COV, majoritairement issus des effluents automobiles (malgré les “pots catalytiques”) sont à l’origine de O3, polluant secondaire type, formé ainsi que d’autres co-polluants avec le concours du rayonnement solaire. Les niveaux de PA urbaine subissent des variations notables dans le temps et l’espace : on distingue ainsi des cycles quotidiens, hebdomadaires, saisonniers et annuels, des différences entre situation de “fond” (de base) et de proximité des sources, notamment automobile (les niveaux sont les plus élevés dans les flux de circulation). La conjugaison de fortes émissions et d’une météorologie défavorable (situations calmes faiblement dispersives d’hiver ou d’été) conduit à des niveaux plus élevés de PA (“pics” ou “épisodes”) souvent surmédiatisés au détriment de la PA “habituelle”, plus importante en impact sanitaire. Néanmoins, les AASQA s’efforcent de prévoir les situations défavorables à des fins préventives dans le cadre d’alertes.

 

Evolution des émissions et des immissions

 

De plus en plus finement sont réalisés des bilans nationaux d’émissions concernant les principaux polluants. En France, tous les grands indicateurs d’émission sont en décroissance, notamment depuis 1990, sauf le dioxyde de carbone, CO2, impliqué en première ligne dans l’accroissement de l’effet de serre et qui est un reflet des “combustions”, notamment des moteurs automobiles (le catalyseur oxyde CO en CO2). Toutefois l’évolution n’est pas totalement satisfaisante pour NOx (relative stabilité) et les COV  les données sur les particules sont partielles et font l’objet d’une évaluation plus approfondie.

S’agissant des niveaux atmosphériques (immissions), les évolutions sont décroissantes pour SO2, Pb, CO et particules et pour NO et benzène (plus récemment)  par contre, NO2 et O3 sont au mieux stabilisés : des données plus complètes (en cours) s’imposent pour O3, COV et les PM fines.

On note donc, au vu de ces données, une amélioration globale de la situation avec quelques interrogations, néanmoins, concernant particules, ozone, NO2 et COV. C’est en grande partie, malgré des progrès très notables, le fait de la forte contribution automobile et de son importante fraction “diesel”, aux émissions (environ 50 % des NOx, 40 % de CO et CO2, 23 % de HC, PM 10-15 % ?) et aux immissions urbaines : à Paris, en 2000, la “Journée sans ma voiture” s’est traduite, dans certaines zones par 50 % de diminution de la PA.

Cette évolution ne tient pas compte de situations locales à spécificité industrielle, avec des implications d’alertes (Fos-Berre, Lyon, Dunkerque, le Havre, …).

On est passé, en 50 ans, d’une PA due aux sources fixes et plutôt de type acido-particulaire, à une PA mettant surtout en cause les sources mobiles et plutôt de type photo-oxydant, les particules primaires (combustion du carbone) et secondaires (sulfates, nitrates, …) étant de caractère mixte. C’est cette PA photo-oxydante qui est actuellement la plus préoccupante, surtout l’été, d’autant qu’elle est très difficile à gérer.

 

Les effets sanitaires

 

Les données sanitaires disponibles sont nombreuses, notamment aux USA et en Europe. La France dispose en particulier de deux études récentes : l’étude ERPURS de l’ORS d’Ile-de-France et l’étude des “9 villes” de l’Institut de Veille Sanitaire. De ces données, principalement épidémiologiques, il ressort les points suivants.

Les connaissances sont limitées mais préoccupantes concernant les conséquences sanitaires de l’exposition chronique à la PA urbaine. Selon trois grandes enquêtes américaines (cohortes rétrospectives), une enquête suisse et au total, une dizaine d’études, des effets délétères de la PA se manifestent aux niveaux pulmonaire (dont cancer + 15 à 20 %) et cardio-vasculaire, qu’il s’agisse de morbidité ou de mortalité  une simulation portant sur la population néerlandaise de 25 à 90 ans conduit, à partir de ces données, à attribuer à la PA une perte d’espérance de vie moyenne de l’ordre de 1 à 1,5 an.

S’agissant d’effets à court terme, on dispose actuellement de plus de 200 études réalisées depuis la fin des années 1980. Elles sont, pour la plupart, dites de “séries chronologiques” : elles comparent au jour le jour, pour une grande population considérée dans son ensemble et sur plusieurs années, les variations des séries de valeurs de PA et de diverses données sanitaires (mortalité, morbidité, absentéisme, …) avec des décalages de temps allant de zéro à quelques jours. Ces études montrent généralement des élévations de risques pulmonaire et, surtout, cardio-pulmonaire. Ces effets sont décelés le jour même ou les jours suivants et pour des niveaux de concentrations d’indicateurs atmosphériques faibles, souvent inférieurs aux normes internationales de qualité atmosphérique : cela montre qu’il ne faut pas s’intéresser qu’aux “épisodes” de PA.

Les augmentations moyennes de risques sont faibles, de l’ordre de quelques pour cent à 50 %, par exemple ~ 0,5 % de mortalité globale pour un accroissement de particules de 10µg/m3 en moyenne quotidienne. Ceci n’exclue pas que des populations à risque soient davantages affectées, ce que montrent certaines enquêtes pour des sujets âgés ou atteints de maladies cardio-pulmonaires. Ce constat n’est pas non plus incompatible avec l’existence de sensibilités individuelles. En outre, les relations dose-réponse ne permettent pas de discerner des seuils statistiques d’effet : cela signifie que l’on ne met pas en évidence des concentrations (inférieures) à “risque nul” en population.

D’autres études, dites de “panel”, suivent pour chaque individu d’un groupe restreint de sujets sains ou malades (asthmatiques légers, par exemple), au jour le jour, avec ou sans décalage de temps, les variations affectant la fonction respiratoire, des symptômes pathologiques et des consommations médicamenteuses en fonction des variations des niveaux de PA. Elles révèlent aussi des altérations de ces trois groupes d’indicateurs sanitaires en liaison avec les PM, le SO2, l’O3, plus rarement NO2.

Dans les deux types d’études, les épidémiologistes prennent en compte diverses variables susceptibles d’interférer : température et hygrométrie, variations cycliques de PA, maladies infectieuses pulmonaires, …

Si la responsabilité globale du mélange atmosphérique dans son ensemble n’est pas discutable, l’attribution des effets à tel ou tel indicateur de PA est plus difficile, tant ils sont corrélés, en général  cependant, les principaux indicateurs de PA candidats à une responsabilité spécifique sont l’ozone et les particules fines  des données toxicologiques renforcent cette hypothèse.

Au total, la PA urbaine induit, certes, de faibles augmentations de risque, notamment à court terme, augmentations qui ne sont observées que grâce à la puissance statistique considérable des enquêtes de séries temporelles portant sur de grandes populations : mais, du fait que la population exposée est très importante (80 % des Français vivent en zones urbaines), qu’elle l’est “vie entière” et que la fréquence de base des pathologies concernées est élevée, l’impact sanitaire et économique est très grand, d’où l’intérêt en santé publique.

 

De la PA urbaine aux autres échelles et formes de PA

 

La PA locale dépasse le seul périmètre urbain. Un exemple est fourni par la PA photo-oxydante d’origine urbaine (ozone, co-polluants et leurs précurseurs NOx et COV), qui se manifeste en partie à distance, en zone rurale, sous le vent des panaches urbains. En milieu rural, une préoccupation croissante concerne depuis peu l’utilisation des formulations phyto-sanitaires (“pesticides”) et ses répercussions sur la qualité de l’air, notamment au voisinage des zones agricoles traitées. Mais la problématique locale présente plusieurs autres prolongements d’intérêt.

 

Les problèmes globaux de PA : interdépendance et mondialisation

 

Les problématiques locales débouchent, surtout pour des raisons environnementales, sur des problèmes “globaux” allant du niveau régional au niveau planétaire : transfert de polluants acidifiants, eutrophisants ou photo-oxydants, modifications de la couche stratosphérique d’ozone et du climat. Ces préoccupations traduisent bien un déplacement de la problématique locale, le plus souvent considérée isolément par le citoyen non averti, vers une “mondialisation” de la PA, de ses causes et conséquences, donc de sa prévention.

L’exemple de la PA photo-oxydante et de son indicateur majeur, l’ozone, est très révélateur de cette continuité dont nous devons avoir conscience aux différentes échelles spatiales. N’oublions pas d’abord que O3 peut être produit directement à l’intérieur de locaux professionnels, par des photocopieuses. A l’extérieur, ses précurseurs (COV, CO et NOx), principalement d’origine automobile, font, d’une part, l’objet de transferts à longue distance, au moins à l’échelle régionale  d’autre part, ils conduisent par processus photo-chimique à l’ozone et à d’autres co-polluants minéraux et organiques très réactifs, formés sur le trajet des masses d’air, à proximité et à distance des agglomérations urbaines. Certains précurseurs (NOx) ou produits formés (sulfates, nitrates) sont impliqués dans des transferts atmosphériques lointains à effets acidifiants et/ou eutrophisants, aux conséquences environnementales importantes. En outre, l’accroissement progressif de la concentration de fond de l’ozone troposphérique est néfaste au plan sanitaire mais aussi environnemental car l’ozone est un gaz à effet de serre très puissant.

Les NOx, pour leur part, interviennent non seulement dans la génèse de la PA photo-oxydante et dans les processus d’acidification et d’eutrophisation, mais aussi dans l’effet de serre. Enfin, la diminution de l’O3 stratosphérique et l’accroissement de l’effet de serre sont interdépendants : l’accroissement des Gaz à Effet de Serre (GES) réchauffe la troposphère mais refroidit la basse stratosphère, ce qui entraîne une diminution d’O3 stratosphérique par une augmentation des effets vortex polaires.

De façon générale, on ne peut qu’être frappé par ces interactions et par les temps de latence considérables (en années ou dizaines d’années) nécessaires à la manifestation des impacts de ces PA “globales” et, aussi, à leur effacement éventuel sous l’influence de mesures internationales de prévention et de contrôle.

Or, au plan sanitaire, on sait peu de choses de ce que pourraient produire ces agressions des systèmes naturels. S’agissant de l’affaiblissement de la couche stratosphérique d’ozone, des effets à long terme sont hautement probables, avec augmentation de la fréquence de certains cancers cutanés et des cataractes. Pour le dérèglement climatique, des phénomènes paroxystiques (tempêtes, pluies accrues et inondations ou sécheresses …) sont prévisibles avec leur cortège de conséquences sanitaires identifiées. A plus long terme, on peut craindre l’augmentation secondaire de PA locale secondaire au chauffage et à la climatisation, une modification de la répartition géographique de végétaux (entraînant celle de pollens, donc d’allergies), mais aussi d’organismes (arthropodes) vecteurs de maladies infectieuses ou parasitaires (paludisme, leishmanioses, arboviroses …).

 

La PA à l’intérieur des locaux ( PAi) : une (re) découverte

 

La problématique urbaine trouve une autre extension vers celle de la qualité de l’air à l’intérieur des espaces clos.

La dégradation de la qualité des ambiances intérieures est cruciale mais mal connue du public. Les causes en sont individuelles ou collectives, les agresseurs étant de nature chimique, (micro)-biologique ou physique. Les altérations sont d’une grande diversité selon la typologie des locaux, eux-mêmes très divers : habitat individuel ou collectif, locaux professionnels (secteurs tertiaire ou autres), locaux ouverts au public (établissements scolaires, universitaires, hospitaliers, médico-sociaux, ludiques, …), systèmes de transports (infrastructures et véhicules).

Plusieurs raisons font qu’il convient de se préoccuper de la PAi : le temps passé dans des locaux (80 à 90 % voire plus), les nombreuses sources intérieures d’émission de polluants, le rôle pervers de l’isolation thermique et phonique, l’existence de populations à risque plus exposées ou plus fragiles, des accidents ou alertes sanitaires (allergies, intoxications ou infections), mais aussi la pénétration des polluants extérieurs.

La qualité de l’air intérieur dépend donc de sources extérieures (polluants urbains en général mais aussi radon, pollens, microorganismes) et de sources intérieures à caractère permanent ou non : dispositifs de combustion, matériaux de construction, d’aménagement ou de décoration, équipements de traitement/conditionnement d’air, occupants eux-mêmes (hommes, animaux de compagnie ou nuisibles)  les êtres humains interviennent par leurs activités diverses, professionnelles, domestiques ou de bricolage … Ces sources intérieures et les niveaux de polluants sont affectés par des facteurs physiques (température, hygrométrie, vitesse d’air, …) et, surtout, par le taux de renouvellement d’air.

Les conséquences sanitaires sont d’abord des nuisances (inconfort, gène, irritations, …) liées au déséquilibre thermo-hygrométrique et à la vitesse d’aération, à la fumée de tabac, à des fibres ou des COV (solvants, peintures, …). Des risques sérieux à court terme sont indiscutables, telles l’intoxication (sub) aiguë par CO (plus de 400 décès par an en France), la légionellose, les allergies respiratoires ; ces dernières, extrêmement préoccupantes par leur fréquence et leur gravité, sont le fait d’acariens (poussière de maison), du pelage d’animaux domestiques (chat, chien), de blattes, … A long terme, on craint les effets délétères de NO2 (risque pulmonaire), de la fumée de tabac (effets ORL et pulmonaire, dont cancer), du radon et de l’amiante (cancer pulmonaire), de nombre de COV (isolément ou un mélanges), de mycotoxines, etc…

Des études sont encore nécessaires afin de mieux connaître les facteurs de risque en cause, leurs déterminants et les expositions correspondantes. C’est l’objectif à la fois scientifique et opérationnel de l’Observatoire de la Qualité de l’Air Intérieur récemment créé en France. Il contribuera à mieux maîtriser les dangers de la PAi grâce à des actions préventives de caractère technique (construction, maintenance), comportemental (mode de vie et activités) et sanitaire (information, veille, normes).

 

La PA professionnelle : un domaine réservé ?

 

Les ambiances professionnelles sont le plus souvent (semi-) closes. En milieu industriel, on dispose de données cliniques, toxicologiques et épidémiologiques très substantielles et il n’est pas question, ici, d’en donner ne serait ce qu’un aperçu. Ces données, acquises grâce à la Médecine du Travail et/ou des organismes de recherche (INSERM, INRS), sont avant tout intéressantes pour la protection des travailleurs. Mais certaines servent aussi de modèles pour l’étude de facteurs de risque susceptibles d’intervenir en population générale. A titre d’exemple, c’est le cas pour les particules fibreuses ou non et les maladies pulmonaires, pour les allergènes chimiques ou biologiques et les maladies allergiques (dont l’asthme), pour le radon ou l’effluent diesel et le cancer broncho-pulmonaire, etc …

Les données sont, par contre, peu abondantes dans les secteurs artisanal et agricole et la situation est intermédiaire pour le secteur tertiaire où on étudie en particulier les légionelloses, des manifestations immuno-allergiques, le syndrôme des bâtiments malsains (Sick Building Syndrom ou SBS), etc … dans des locaux qui peuvent aussi recevoir du public.

On peut regretter que les données professionnelles soient dispersées et cloisonnées et peu ou pas prises en compte dans les expositions globales des individus ou des collectivités.

 

Vers l’évaluation de l’exposition globale personnalisée ?

 

Quel que soit le champ de PA étudié, on est amené à s’interroger sur la place prise, dans les manifestations sanitaires, par les diverses circonstances d’exposition : ambiances extérieures ou intérieures, ambiances professionnelles, transports et déplacements. Une vision globale des phénomènes de PA est précieuse en termes d’exposition, d’effets et de prévention, que l’approche sanitaire soit individuelle ou populationnelle.

La connaissance de l’ exposition intégrée est nécessaire au médecin pour identifier les risques, soigner et, si possible, prévenir. En général, elle est essentielle à l’épidémiologiste cherchant à caractériser les facteurs de risque et à évaluer des relations dose-effet. Sauf pour l’approche populationnelle par séries chronologiques qui est très utilisée pour identifier les effets à court terme de la PA extérieure, l’exposition globale et personnalisée est essentielle ; elle doit intégrer la contribution des différents environnements fréquentés (extérieurs/intérieurs/mixtes, domestiques/professionnels/publics …) et les variations spatio-temporelles : ainsi peut on tendre vers l’évaluation de la “dose-externe” et, mieux encore, de la “dose-interne” si on dispose de marqueurs biologiques d’exposition accessibles.

Dans quelques situations favorables et pour un nombre limité de sujets et d’indicateurs de pollution, on peut procéder à une évaluation directe de l’exposition personnelle : c’est ce que nous faisons actuellement avec une opération dénommée “Sentinelles de l’air” où des sujets volontaires portent des appareils de mesurage de certains polluants. Mais le plus souvent, l’exposition globale est reconstituée par modélisation à partir de “budgets” espace-temps-activité et de mesurages représentatifs de la qualité atmosphérique des micro-environnements fréquentés. Cette dernière approche conduit, en outre, à une meilleure connaissance des principaux déterminants des facteurs de risque et des expositions correspondantes, donc à une meilleure prévention.

 

Une approche épidémiologique plus globale

 

Pour diverses pathologies importantes comme la maladie asthmatique et les allergies respiratoires, les maladies chroniques pulmonaires dont le cancer broncho-pulmonaire, d’autres cancers, plus récemment les malformations fœtales, … les épidémiologistes étudient par diverses approches les principaux déterminants décelables : les PA extérieure et intérieure, le tabagisme actif ou passif, sont pris en considération et on essaie ainsi, non seulement de déceler des facteurs de risque atmosphériques et leurs interactions éventuelles, mais aussi de quantifier leurs contributions respectives, ce qui permet de prendre en compte la notion de risque comparé, importante pour choisir des priorités de santé publique.

 

Quelques points forts en guise de discussion

 

Les phénomènes de PA illustrent bien la complexité et les difficultés des questions touchant à l’environnement et, au delà, à la santé environnementale, avec leurs implications d’évaluation et de gestion des risques.

  • Il est nécessaire de globaliser les phénomènes de PA

Leur complexité est mise en évidence par la multiplicité des sources d’émission de polluants et des aérocontaminants, par la pluralité des échelles auxquelles se manifestent les PA et celle des milieux physiques affectés, par la diversité des effets en résultant à court, moyen ou long terme, qu’ils soient environnementaux ou sanitaires. Ces derniers sont eux-mêmes très divers et concernent le bien-être et des pathologies aggravées ou induites par la PA, mais dont l’étiologie est le plus souvent plurifactorielle. C’est dire combien ces phénomènes nécessitent des connaissances et actions de caractère multi-disciplinaire et multi-partenarial. Certes, ils doivent être traités d’abord de manière sectorielle, mais leur interdépendance oblige les spécialistes et les citoyens à avoir une vision la plus globale possible.

Ainsi d’une part, il faut être conscient de ce que toute PA locale, quelle que soit sa source, contribue certes à une exposition collective et à des effets sanitaires locaux, mais aussi, à des PA régionale, continentale et planétaire qui, finalement et de manière différée, affecteront les grands équilibres naturels et, par voie de conséquence, la sécurité et la santé de l’humanité dans son ensemble. D’autre part, la PA locale conduit à s’interroger sur l’exposition des individus telle qu’elle résulte de leurs activités et des micro-environnements fréquentés, intégrant contributions extérieures et intérieures aux locaux  c’est cette exposition personnelle qui est, pour partie, comptable de notre confort et de notre santé individuelle, qui intéressent au premier chef chacun de nous, plus sans doute que le sort de l’humanité face aux grands périls planétaires.

  • L’évaluation des risques progresse mais crée de nouveaux problèmes

Il faut souligner les progrès considérables réalisés dans la mise en évidence de “signaux” physico-chimiques et biologiques intéressant respectivement la détection des aérocontaminants dans l’environnement et de leurs effets. La caractérisation des aérocontaminants est certes indispensable mais insuffisante en elle-même, surtout à l’état de traces, car la présence ne fait pas systématiquement le poison, contrairement à une idée de plus en plus répandue et excessive. Encore faut-il disposer, pour aller plus loin, de données toxicologiques et épidémiologiques fiables et représentatives.

Pour la PA urbaine, il ne fait plus de doute que des augmentations de risque faibles mais très significatives se manifestent après exposition de courte ou longue durée. Ces accroissements de risques, surtout cardio-pulmonaires, n’intéressent pas seulement des sujets sensibles, et concernent la PA “habituelle” et pas uniquement les épisodes de PA. On commence à savoir évaluer leurs impacts collectifs en termes sanitaires et économiques, ce qui est de nature à orienter objectivement les décideurs techniques et politiques ; et ces impacts, sans dramatiser, sont loin d’être négligeables, comme le montre une étude récente menée en Autriche, France et Suisse sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : 6 % de la mortalité française seraient dus aux particules fineS, dont la moitié attribuable au trafic automobile. Ce type d’approche reste à développer, en affinant les hypothèses et modélisations utilisées.

Les approches toxicologique et épidémiologique contribuent aussi à mettre en doute, au moins dans certains cas, la notion de “risque nul”  il faudra donc lui substituer celle de “risque acceptable” avec toutes les difficultés sociales s’attachant à la définition de normes si possible consensuelles et intégrant la démarche de précaution. Par ailleurs, la très forte contribution épidémiologique récente, ne doit pas, pour autant, faire oublier les limites de cette discipline d’observation  outre la sensibilité des réponses et les interférences potentielles de facteurs de confusion, elle a ses limites en termes d’imputabilité. Or cet aspect est essentiel pour définir et quantifier le “risque attribuable”, dont l’intérêt est évident pour chiffrer l’impact sanitaire et économique, donc pour définir les stratégies de lutte et de prévention.

La gestion des risques est difficile mais doit être multi-partenariale.

La gestion des risques atmosphériques est un modèle complexe d’action multi-disciplinaire et multi-partenariale fondée sur la connaissance scientifique et médicale (l’évaluation des risques) mais aussi technologique (l’innovation , la dépollution …) et sur des aspects économiques, sociaux et politiques intégrant préoccupations sanitaires et réglementaires. Ces divers aspects sont très intriqués et de plus en plus soumis à de fortes exigences sociales et internationales. Retenons en quelques aspects significatifs.

Il convient d’abord de tenir le plus grand compte de la connaissance, de la perception et de l’acceptabilité sociales. Le public ressent la PA urbaine comme subie. Or nous n’attachons pas assez d’intérêt aux manifestations et objectives que sont les odeurs, l’altération de la visibilité, les retombées atmosphériques  elles sont liées aux PA (et à la météorologie) et donnent au citoyen une image défavorable de la qualité de l’air, souvent éloignée des valeurs ou évolutions rassurantes affichées par les pouvoirs publics pour la pollution de “fond”  ceci est à rapprocher, d’ailleurs, de l’insuffisance du mesurage des niveaux de polluants indicateurs en situation de proximité des sources mobiles ou fixes, industrielles ou autres. Au moins pour les odeurs, dont il est vrai, l’évaluation est difficile, rien ne montre, d’ailleurs, qu’elles ne jouent pas un rôle néfaste pour la santé, au delà de l’altération du bien-être.

De même, il faut prendre en compte l’acceptabilité par le public des normes ou des solutions proposées, avec leurs contraintes économiques et sociales : le prix des carburants, les restrictions de circulation en sont des exemples. Cela nécessite formation et information, donc des efforts de communication, de manière à rendre compréhensibles les phénomènes en cause, leurs déterminants principaux, leurs conséquences sanitaires et environnementales et, par conséquent, les règles de prévention ou de précaution souhaitables.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’avis médical constitue, en matière de santé et de risque, une référence incontournable. Le médecin est, envers et contre tous, le conseiller idéal des Français. Il joue évidemment un rôle majeur en termes de diagnostic et de traitement des affections respiratoires ou autres associées à la PA. Il peut même s’impliquer dans des enquêtes portant , par exemple, sur les relations entre habitat et allergies respiratoires ou PA urbaine et santé… Mais au delà, il porte aussi, pour le public, une certaine vérité sanitaire, qu’il s’agisse d’information, de conseils de prévention, par exemple en cas de “pics” de PA. Sa formation, son information et sa participation sont donc essentielles au développement de la santé environnementale, en général.

Les progrès technologiques sont réels mais ne doivent pas, pour autant, masquer certains effets pervers. D’abord, au plan technique, il n’est pas rare qu’un produit ou process nouveau manifeste à retardement des inconvénients ou dangers sanitaires ou environnementaux non envisagés à priori et se substituant à ceux que l’on a voulu éliminer. Cette éventualité devrait être systématiquement testée avant toute large diffusion sociale, par des approches combinées, physico-chimiques et biologiques. Cette démarche a été pratiquée avec succès pour les traitements des eaux d’alimentation  elle ne l’a pas été suffisamment pour les carburants, les moteurs et les dispositifs de dépollution des effluents, dont l’intérêt est le plus souvent jugé sur des critères technologiques, économiques et vis-à-vis de rares indicateurs environnementaux dits “réglementés”. Ce type de démarche, de la responsabilité des industriels, devrait être encouragé par les Pouvoirs publics et leurs instances d’évaluation des risques, au même titre que pour les aliments ou les médicaments, toutes proportions gardées.

Un second effet pervers des progrès technologiques est de laisser croire qu’ils règleront tout à eux seuls. En fait, il faut rester vigilant et faire prendre conscience au citoyen, pour reprendre l’exemple précédent, que les problèmes de PA automobile en agglomération, certes améliorés, ne seront pas pour autant réglés par les seules avancées technologiques, aussi indiscutables soient-elles. Nous ne pouvons ignorer, en outre, les questions de bruit, d’accidents et d’encombrement des espaces urbains. Ces problèmes ne trouveront de solution à terme que par une remise en cause raisonnée de nos modes de vie, comportements et usages.

Face à la mondialisation des phénomènes de PA, la concertation et l’action internationales sont impératives en matière de lutte et de contrôle. Elles existent déjà pour les connaissances scientifiques et sanitaires touchant, entre autres, aux effets des PA extérieures et intérieures : l’OMS joue un rôle fondamental dans tout ce qui concerne la santé publique et c’est elle qui a formulé le concept de “santé environnementale”. L’OMS intervient aussi auprès de tous les Etats, notamment en développement, en proposant des stratégies d’action adaptées à leurs moyens humains et techniques. Chacun connaît le poids des recommandations de l’OMS dans l’établissement des “normes” réglementaires au niveau des Etats et de l’Union Européenne. Cette dernière intervient fortement par l’ensemble de ses directives traduites ensuite en droit national par les Etats membres. La France, pour sa part, a promulgué en 1996 une “loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie”. Cette loi intègre les concepts de santé publique et de développement durable et s’appuie, en particulier, sur des outils de planification (PRQA, plans régionaux de la qualité de l’air, PDU, plans de déplacements urbains et PPA, plans de protection de l’atmosphère)  une évaluation vient d’en être publiée.

Par ailleurs, face aux défis des PA globales, des actions internationales ont été lancées et se poursuivent sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Rappelons le protocole de Montréal (1974) relatif à la protection de l’ozone stratosphérique, la convention de Genève (1984) pour la PA transfrontière à longue distance, la déclaration de Göteborg (1999) concernant les polluants acidifiants, eutrophisants, persistants et l’ozone troposphérique, mais aussi la convention de Rio (le “Sommet de la terre”, 1992), le protocole de Kyoto (1997) pour la protection du climat, et la prochaine conférence de Johannesburg qui sera consacrée plus largement au Développement durable. On sent bien le souci international de globaliser l’approche des pollutions et de les placer dans un cadre très général, avec des motivations environnementales, sanitaires, sociales et économiques, centrées sur une “mondialisation” acceptable, encore largement en débat.

Cette philosophie du Développement durable ne peut pas être seulement une mode ou un alibi. C’est la nécessité d’une triple solidarité, internationale, inter-générationelle et nationale, pour lutter contre les égoïsmes et les abus collectifs ou individuels. Les phénomènes de PA auront contribué fortement à cette prise de conscience. Les domaines de l’énergie et des transports vont évidemment constituer des tests essentiels, difficiles mais démonstratifs pour vérifier notre bonne volonté. Je crains fort que nous n’allions vers quelques raidissements sociaux, tant est forte notre boulimie de consommation, de mobilité, de confort et de croissance. Il va falloir essayer de concilier les égoïsmes individuels et nationaux avec les soucis d’intérêt général, dans une démarche tournée vers le long terme. Quelle gageure et quel effort de pédagogie à faire ! Peut être que la PA pourra encore nous y aider, dans le champ de l’habitat où il sera plus facile de démontrer aux partenaires et, surtout, à l’usager, que la politique de développement durable peut se traduire rapidement, à l’échelle individuelle, par des gains de consommation (énergie, eau …) dont la répercussion sera perceptible dans l’évolution des charges financières. C’est le terrain et le pari récemment choisi en France par le plan Habitat-Construction et Développement Durable.

Texte des débats ayant suivi la communication