Remise du Prix Édouard Bonnefous 2007 à MM. Alain Lambert et Didier Migaud

Institut de France, lundi 31 mars 2008

Le Prix Édouard Bonnefous, attribué cette année à une œuvre qui « récompense une œuvre qui aura allégé le poids de l’Etat sur le citoyen », a été décerné à MM. Alain Lambert et Didier Migaud pour leur rôle dans l’adoption de la Loi organique relative aux Lois de Finances (LOLF).

Le sénateur Alain Lambert, ancien ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, et le député Didier Migaud, Président de la Commission des Finances, sont les concepteurs de la LOLF, votée par le Parlement en 2001, qui renforce les pouvoirs budgétaires du Parlement et améliore l’efficacité de l’action de l’État en substituant à la logique de moyens une logique d’objectifs et de résultats. En mettant en place une gestion plus démocratique et plus performante, la LOLF apparaît profitable à tous citoyens, usagers du service public, contribuables et agents de l’État.

Elle s’applique à toute l’administration depuis le 1er janvier 2006. Elle implique une nouvelle architecture, du budget de l’État permettant aux agents de l’Etat d’avoir une meilleure vision de leur contribution aux missions dont ils ont la charge et aux contribuables de savoir à quoi sert l’argent de leurs impôts. La LOLF offre aussi aux parlementaires la possibilité de réellement contrôler l’efficacité de la dépense publique, l’administration étant désormais tenue d’expliquer ses objectifs et sa stratégie et de rendre compte de son action, évaluée par des indicateurs précis.

Il apparaît d’ores et déjà qu’en concevant la LOLF, Alain Lambert et Didier Migaud ont donné à l’Etat un outil permettant d’agir plus efficacement pour le citoyen, de rendre des services de meilleure qualité aux usagers et d’utiliser de façon plus performante l’argent des contribuables.

Discours de Monsieur François Terré, Président de l’Académie,
à l’occasion de la remise du Prix Édouard Bonnefous 2007 à MM. Alain Lambert et Didier Migaud.

Monsieur le Premier Président de la Cour des Comptes,
Monsieur le député,
Monsieur le sénateur,
Mes chers Confrères,
Mesdames, Messieurs,

La cérémonie de remise du Prix Édouard Bonnefous à laquelle nous participons ce soir revêt cette année un caractère particulier. S’y mêlent en effet plaisir, gratitude et tristesse.

Plaisir, car chaque remise de Prix est l’occasion de reconnaître des mérites remarquables et de saluer une œuvre ou une action qui a contribué à l’accroissement de la science ou à l’amélioration des institutions et de la vie des gens. Tel est parfaitement le cas de l’action couronnée ce soir dans les personnes de MM. Alain Lambert et Didier Migaud.

Gratitude, car chacun de nos prix est le fruit de la générosité d’un fondateur. En l’occurrence, notre confrère Édouard Bonnefous, Chancelier honoraire de l’Institut de France, qui fut élu dans notre Compagnie en 1958. Sa générosité fait d’ailleurs que trois nouveaux Grands Prix seront remis dès cette année par l’Institut de France.

Mais tristesse toutefois, car, pour la première fois en onze ans, Édouard Bonnefous est absent de cette cérémonie, dans ce salon qui porte son nom, puisque nous lui devons d’avoir dans les années 80 amélioré notre cadre de travail. Mais celui qui fut notre confrère pendant près d’un demi-siècle nous a en effet quittés, il y a un an, dans sa 100e année.

Je ne vais pas ici retracer sa longue et brillante carrière. Ce soin incombera, selon les traditions académiques – traditions dont Édouard Bonnefous était le vigilant gardien – à son successeur.

Je n’évoquerai donc ni le critique de théâtre qu’il fut à ses débuts, ni le député, ni le ministre, ni l’homme politique, Européen engagé, ni le sénateur, ni le professeur, ni le grand voyageur, ni le président de la Fondation Singer-Polignac, ni l’auteur prolifique de quelque vingt ouvrages, ni le directeur de la très remarquable Année politique. Qu’on me pardonne cette bien longue prétérition que la vie hors du commun de mon regretté confrère m’imposait.

Il y avait du Janus dans cet homme. On le sait, ce roi légendaire du Latium avait reçu de Saturne la faculté de connaître à la fois le passé et l’avenir.

Le passé, Édouard Bonnefous le connaissait parfaitement pour l’avoir souvent vécu aux premières loges. Sa mémoire, à la précision non émoussée par les ans lui permettait d’évoquer la signature du traité de Versailles à laquelle il avait assisté, mais aussi les grands hommes qu’il avait rencontrés ou côtoyés : Atatürk, Adenauer, Churchill et bien d’autres grands dirigeants de notre planète.

Quant à l’avenir, s’il ne le connaissait évidemment pas, il s’efforçait néanmoins avec perspicacité de le prévoir. Loin de garder le regard fixé sur un imposant passé, il s’est en permanence distingué par son souci de l’avenir. Quelques semaines seulement avant son décès, il se préoccupait encore du rôle futur de notre Académie. Et c’est également par souci de l’avenir qu’il avait créé, en 1997, le prix qui porte son nom et dont la remise nous réunit ce soir.

Dans l’intitulé du Prix Édouard Bonnefous, on retrouve la complémentarité de ce qui a été accompli et de ce qui doit advenir. Il s’agit, par l’attribution d’un prix annuel, de récompenser – je cite – « alternativement une œuvre qui aura contribué à alléger le poids de l’État sur les citoyens et une œuvre consacrée à la défense de l’homme et de son environnement ».

En ce qui concerne le volet environnemental, nous savons qu’Édouard Bonnefous fut un précurseur en publiant, dès 1970, un ouvrage dénonçant une trompeuse alternative et intitulé L’homme ou la nature. Le souci de notre confrère était en effet de préserver l’homme ET la nature, un souci dont la dramatique urgence est aujourd’hui perçue par tous.

Quant au premier volet, l’allègement du poids de l’État sur les citoyens, il ne faut pas y voir une quelconque volonté de démembrement de l’État, mais bien plutôt l’aspiration à un État bien géré, plus efficace au service des citoyens. Édouard Bonnefous qui, pendant quatorze années, fut président de la commission des finances du Sénat, savait bien que le lourd centralisme étatique et la pesanteur bureaucratique constituent deux des maux essentiels de la société française.

C’est bien sûr à ce premier volet que nous nous attachons ce soir, puisque je vais remettre dans un instant le Prix qui leur revient à nos deux éminents lauréats : Messieurs Alain Lambert, sénateur UMP et ancien Ministre du Budget, et Didier Migaud, député socialiste, premier Président de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale appartenant à l’opposition. Ce prix, vous le recevez pour le rôle que vous avez joué, comme rapporteur notamment, dans l’adoption de la LOLF, ce nouvel acronyme qui s’est imposé dans notre langue et qui désigne la Loi Organique sur les Lois de Finances.

Cette loi, promulguée le 1er août 2001, s’applique entièrement depuis 2006. Elle remplace l’ordonnance du 2 janvier 1959 qui régissait auparavant les finances de l’État. Loin de n’être qu’une simple adaptation technique, elle introduit un total bouleversement dans le budget de la Nation, en y introduisant les principes de responsabilisation des acteurs et de contrôle de la performance des dépenses publiques. Je ne développerai pas plus avant, vous laissant le soin, Messieurs, de revenir sur l’esprit et sur l’application de cette loi, qui est l’un des plus puissants leviers de la réforme de l’État.

Je souhaiterais simplement, avant de remettre le Prix, préciser qu’Édouard Bonnefous fut consulté peu avant son décès sur le choix de notre Compagnie et qu’il s’en est montré fort satisfait. Trois faits en particulier avaient tout pour le séduire.

  • L’origine de la LOLF est — fait rarissime — une proposition de loi.

  • Elle renforce la capacité de contrôle du Parlement. Ces deux points ne pouvaient que retenir l’attention d’un homme qui voua 40 ans de sa vie au service de la représentation nationale.

  • Enfin, la LOLF a été adoptée dans un climat de consensus inédit, dont vous avez été les acteurs, Messieurs, et dont vous demeurez les symboles.

Voilà pourquoi, au nom de l’Académie et en mémoire de notre confrère Édouard Bonnefous, j’ai le plaisir de vous remettre ce prix, avant de vous laisser la parole.

 

Remerciements d’Alain Lambert,
Sénateur de l’Orne
Ancien Ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire

Monsieur le Président de l’Académie
Monsieur le Secrétaire perpétuel
Monsieur le Chancelier de l’Institut de France
Mesdames et Messieurs les académiciens
Mesdames, Messieurs

La nation vous reconnaît, Mesdames et Messieurs, membres de l’Institut de France, une part d’éternité. Vous, « immortels », du mot même du Cardinal de Richelieu, avez façonné l’Histoire au gré d’actions, de réflexions, de réalisations qui nourrissent, sans cesse, le feu du savoir, du progrès et de la démocratie.

Vous nous remettez, ce jour, le prix Édouard Bonnefous. Didier Migaud et moi-même en sommes profondément honorés et touchés. Cette prestigieuse distinction frappe du sceau de votre confiance, une réforme budgétaire nécessaire, préalable indispensable à la modernisation de l’Etat. Nous poursuivrons ensemble notre route pour nous en montrer dignes. Nous veillerons notamment à ce que ce texte puisse évoluer, sereinement, au fil des ans avec les ajustements qui lui seront apportés.

La réforme que nous avons voulue vise à doter le Pays d’une gestion publique qui évite à chaque Français, de provoquer, à son insu, la ruine de sa descendance. L’Ordonnance de 59 a vécu 42 ans. Je forme le vœu qu’il en soit au moins de même pour la loi organique, et que son esprit de responsabilité se diffuse désormais dans l’appareil d’Etat.

Édouard Bonnefous fut un grand président de la commission des finances du Sénat. Il fut mon prédécesseur, juste avant Christian Poncelet, qui siège aujourd’hui, parmi vous (et que je salue). J’avais eu l’honneur de recevoir Édouard Bonnefous, dans le bureau qu’il avait occupé jadis, avec tant d’autorité, de finesse et de sagesse. Il vint m’encourager à mener à son terme, cette réforme essentielle, dont Didier Migaud, à l’Assemblée Nationale, avait pris l’initiative.

Cette Loi organique comporte un aspect résolument révolutionnaire, dans la gestion des finances publiques, un renversement de perspectives : une logique de résultats, d’évaluation et d’efficacité l’emporte enfin sur une gestion aveugle, boulimique et insatiable de moyens.

Sous l’empire de l’ordonnance de 1959, les crédits n’étaient structurés que par nature de dépenses et par ministère, éternellement reconduits sans référence aux objectifs qu’ils étaient supposés servir.

L’adoption de cette réforme, unique en son genre, devait bousculer durablement des habitudes et réflexes archaïques et contre-productifs. Des vents finalement vifs et cléments ont porté notre projet.

Un consensus était primordial. Les administrations, le Ministère des finances en particulier, devaient être convaincues que la réforme résisterait aux alternances démocratiques et poursuivrait imperturbablement sa progression. Pour cela, chacun devait prendre une part active à l’œuvre commune et y impliquer très fortement son camp. Je crois pouvoir dire qu’avec Didier Migaud, nous y sommes parvenus.

Nous avons exercé notre entière responsabilité de parlementaires, grâce au ministre des finances de l’époque, Laurent Fabius. Dans une cinquième République où l’exécutif conserve la totale maîtrise du processus législatif, le gouvernement nous a laissé totalement « la main ».

En juillet 2000, Didier Migaud dépose, sur le bureau de l’Assemblée nationale, une proposition de loi organique relative aux lois de finances. Folle tentative ?

De mon côté, je sollicite Pierre Joxe, alors premier Président de la Cour des comptes, en vue de proposer des pistes de réformes. Car l’ordonnance de 1959 n’était pas seulement antiparlementaire, elle était également opaque et inadaptée aux exigences de gestion et de comptabilité d’un Etat moderne.

L’aboutissement de la réforme nécessitait, de même, des conditions politiques favorables. Ce qui n’était pas le cas en 1999. Le Ministère des finances se montrait réticent à un changement de cette envergure. En outre, la cohabitation battait son plein avec Jacques Chirac à l’Elysée et Lionel Jospin, à Matignon. La confrontation présidentielle de 2002 se dessinait.

Plusieurs évènements ont pourtant radicalement bouleversé un climat assez tendu, et ont conféré au débat législatif, une originalité et une densité, jamais retrouvées depuis.

Premier tournant, le 27 mars 2000. Laurent Fabius, Président de l’Assemblée nationale, est nommé ministre de l’économie et des finances. Il parvint à convaincre Lionel Jospin de la nécessaire mise en œuvre de cette réforme. La décision est prise de ne pas lui opposer d’obstacle. L’ordonnance de 1959 était un texte purement gouvernemental, la LOLF serait un texte purement parlementaire.

Deuxième tournant, le 21 décembre 2000 : le Conseil d’État remet un avis sur la proposition de loi de Didier Migaud.

Coup de théâtre : le juge administratif considère la proposition de loi organique, dans son intégralité, « comme relative » au Sénat. La chambre haute dispose ainsi d’un véritable droit de veto. Cette décision me fait obligation d’emporter la conviction de mes collègues sur cette réforme dont l’initiative appartenait à un député de gauche et à laquelle il serait tellement tentant de s’opposer.

Restait à convaincre Jacques Chirac dont la parole devenait déterminante. Cette mission me fut facile. Il accepta sans barguigner.

Troisième tournant, le 6 février 2001. La réforme tangue. Les prémices de la campagne présidentielle à venir agitent le microcosme. Nous devions marquer les esprits. Le journal « Les Echos » nous en donne l’occasion. Nous publions, avec Didier Migaud, un entretien intitulé : « Malheur à qui fera échouer la réforme budgétaire ». Cette « malédiction » annoncée est mal perçue, mais elle a le mérite de mettre en garde, de farouches opposants.

Après de longs débats en séance publique, le texte est voté à la quasi-unanimité.

Dernière procédure inédite : Didier Migaud et moi-même sommes auditionnés par le rapporteur du Conseil constitutionnel, Michel Ameller. Saisi de droit, le Conseil devait procéder à l’examen détaillé de la loi organique. Il ne censurera finalement que deux dispositifs mineurs.

L’adoption de la LOLF demeurera un moment d’exception dans la vie législative de la 5ème République. Mais ce vote, majeur n’est qu’une étape d’un processus lent, complexe, impliquant des milliers d’acteurs : il a besoin de stabilité.

L’accord des partis de Gouvernement et leur soutien constant reste le meilleur gage de son aboutissement. Didier Migaud et moi-même, unis et solidaires, depuis l’origine, dans cette aventure historique, continuons à y donner le meilleur de nous-mêmes, ensemble, et à nous en porter garants. Merci de nous permettre de pouvoir le faire désormais avec le concours précieux de votre Académie.

Remerciements de Didier Migaud,
Député de l’Isère
Président de la commission des Finances, de l’Économie générale et du Plan à l’Assemblée nationale

En choisissant de décerner le Grand Prix Édouard Bonnefous 2007 à Alain Lambert et à moi-même, l’Académie des Sciences morales et politiques, au-delà du grand honneur qu’elle nous a fait et auquel je suis très sensible, a sans nul doute voulu souligner le caractère novateur – le mot est un peu faible – de la loi organique relative aux lois de finances.

Mon ami Alain Lambert vient de rappeler les conditions dans lesquelles a pu être enclenchée et conduite à son terme l’initiative parlementaire qui a, malgré le scepticisme initial et dans une période dite de cohabitation considérée comme peu propice aux réformes, débouché sur la loi du 1er août 2001.

Une fois cette loi définitivement adoptée par le Parlement, et malgré les obstacles rencontrés et surmontés dans les conditions qui viennent d’être rappelées, le plus facile ne restait pas à faire. Les fondations étaient en place, mais il restait à bâtir un nouvel ensemble, complexe et nécessitant la mobilisation de très nombreux acteurs.

On ne passe pas facilement d’une culture de moyens à une culture de la performance. La tâche était ardue et les difficultés à la hauteur des enjeux.

L’une des clés de la réussite – et celle-ci n’est pas encore acquise – est que la LOLF a été perçue comme l’indispensable moteur de la modernisation de l’action publique.

La LOLF n’est qu’un outil destiné à rendre plus lisible l’action publique et à améliorer l’efficacité de la dépense.

Dans un contexte budgétaire et financier difficile, la LOLF n’est ni un vecteur de réduction de la dépense publique, ni un facteur de son augmentation.

Elle a pour objet, et l’ambition est grande, de redonner tout son sens à l’action publique, de la rendre plus lisible et par la même d’en renforcer la légitimité.

Alors qu’elle a été adoptée il y a près de 7 ans et qu’elle n’est entrée pleinement en vigueur que depuis 3 ans, beaucoup a été fait. Mais, il ne faut pas le dissimuler, beaucoup reste à faire.

Le consensus politique autour de la LOLF et de sa mise en œuvre a continué à produire ses effets bénéfiques.

Il s’est ainsi manifesté lors de l’adoption de la loi de juillet 2005 qui a modifié et complété la LOLF sur des points aussi importants que la régulation budgétaire ou que les pouvoirs de contrôle des parlementaires.

Il a également pu s’exprimer à deux reprises lorsque le Premier ministre a bien voulu nous confier, à Alain Lambert et moi, en 2005, puis en 2006, le soin de faire le point sur l’état d’avancement de la réforme budgétaire et comptable.

Nommés parlementaires en mission, nous sommes allés à la rencontre des principaux acteurs de cette réforme, aussi bien dans les administrations centrales que dans les services déconcentrés.

Ces rencontres ont été très fructueuses et nous ont permis de mieux appréhender les progrès déjà réalisés et les difficultés qui restent à surmonter. Elles nous ont permis de voir le vif intérêt que suscitait – et que suscite encore j’espère – la LOLF dans les services déconcentrés. Nous y avons également constaté que les réticences provenaient surtout des échelons centraux.

Nous avons ainsi identifié trois sujets majeurs de préoccupation :

    • un risque de « bureaucratisation » de la LOLF qui entrave la liberté d’action qu’elle accorde aux gestionnaires et traduit certaines réticences dans le passage d’une logique de moyens à une logique de résultats ;

    • la seconde préoccupation concerne les changements structurels et culturels qui restent à accomplir pour que les pratiques administratives s’infléchissent progressivement et intègrent par exemple la démarche de performance qui est au cœur de la réforme ;

    • la troisième préoccupation, et j’y reviendrai dans quelques instants, est relative au dépassement du cadre actuel de la réflexion en matière de finances publiques. Celle-ci doit notamment s’inscrire dans le cadre d’une programmation pluriannuelle et clarifier le débat sur les prélèvements obligatoires en fusionnant les parties « recettes » de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale.

Si elle a créé un cadre nouveau pour la gestion financière fondé sur une liberté accrue et une responsabilisation de ses acteurs, la LOLF a également rénové les conditions dans lesquelles le Parlement peut exercer son pouvoir en matière budgétaire.

Il y a dix ans, lorsque le Président de l’Assemblée nationale, Laurent Fabius, a mis en place un groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur, l’axe majeur de la réflexion ainsi engagée était de placer l’évaluation et le contrôle au cœur de l’activité budgétaire du Parlement.

À ceux qui estiment souvent encore avec raison qu’aujourd’hui encore les parlementaires ne s’impliquent pas assez dans le contrôle budgétaire, je voudrais répondre en rappelant à grands traits le chemin déjà parcouru.

Il n’y a pas si longtemps la publication de la loi de finances au Journal officiel à la fin décembre marquait la fin d’une période d’intense activité des députés et des sénateurs en matière budgétaire et le début d’une longue parenthèse qui ne se refermait qu’au mois de septembre suivant avec le dépôt du nouveau projet de budget.

Ce temps est révolu. Depuis 1996 et l’institution du débat d’orientation budgétaire, les parlementaires sont mieux informés des conditions d’élaboration du budget.

Surtout, la loi de règlement est désormais examinée dès le mois de juin de l’année suivant la clôture de l’exercice et non plus, comme c’était encore le cas il y a plusieurs années, après le vote du budget suivant dont la discussion se déroulait sans que l’on ait une connaissance précise des résultats du dernier exercice clos.

Les activités de contrôle et d’évaluation se sont multipliées. Elles se déroulent tout au long de l’année.

La mise en place à l’Assemblée nationale, dès 1999, de la Mission d’évaluation et de contrôle a permis de doter les députés d’un outil de travail tout à la fois original et efficace.

Original, car la MEC est, depuis sa création, coprésidée par un membre de la majorité parlementaire et par un membre de l’opposition et que ses travaux confiés le plus souvent à des co-rapporteurs associent également majorité et opposition.

Certains pourraient fort justement trouver dans cette initiative la source d’inspiration des propositions qui ont conduit à mon élection à la présidence de la commission des Finances.

On retrouve là la méthode de la recherche du consensus qui, dans le domaine de l’évaluation et du contrôle, est non seulement souhaitable mais le plus souvent possible et gage d’une plus grande efficacité .Je regrette pour ma part de ce point de vue là que la révision générale des politiques publiques ne soit pas une démarche davantage partagée avec le Parlement. Le contrôle parlementaire est par essence un contrôle politique, mais ne doit pas, à l’évidence être un contrôle partisan.

Cette efficacité est accrue par la collaboration étroite nouée au sein de la MEC avec la Cour des Comptes. Là encore le mode de fonctionnement est très original puisque les magistrats de la Cour participent directement aux travaux des parlementaires. Cette coopération est fructueuse et extrêmement enrichissante.

Les pouvoirs de contrôle réaffirmés et étendus par la LOLF au bénéfice des membres des commissions des Finances sont de plus en plus souvent effectivement exercés.

J’en veux notamment pour preuve les travaux que notre commission a menés sur l’affaire EADS, ou les informations obtenues à ma demande sur les restitutions opérées dans le cadre du bouclier fiscal en 2007 ou encore la réunion de travail qui s’est déroulée à Bercy à propos de la liste des détenteurs d’un compte bancaire au Liechtenstein et à l’occasion de laquelle le Rapporteur général et moi-même avons pu prendre connaissance du contenu de cette liste, soumis au secret fiscal.

Au-delà de ce regain d’activité qui démontre l’ambition qu’a le Parlement de jouer un rôle central dans l’évaluation et le contrôle des politiques publiques, il reste encore à conduire le changement à son terme en renouvelant les conditions du débat budgétaire.

Cela passe d’abord, selon moi, par la création d’un nouveau temps fort du débat démocratique, à savoir l’examen de la loi de règlement.

Ce texte a changé de nature. Il doit être désormais l’occasion privilégiée de passer au crible les résultats effectifs des politiques publiques et de soumettre à un feu roulant de questions les ministres et les responsables de programme.

Le lieu le plus favorable à un tel débat n’est pas nécessairement l’hémicycle.

La voie à suivre, dans le droit fil des expériences passées, est plutôt celle du travail au sein des commissions élargies où le dialogue direct, sans échappatoire, est possible entre les élus et les responsables de la gestion publique.

De même le traditionnel marathon budgétaire qui occupe nombre d’heures de débat chaque automne doit continuer à évoluer pour devenir plus vivant et plus efficace.

Mais au-delà de cette conduite du changement dont tous les acteurs de la gestion publique doivent assumer leur part, je voudrais revenir pour conclure au changement de perspective que j’évoquais il y a un instant.

Je vous parle de la programmation pluriannuelle des finances publiques.

Dans le dernier rapport que nous avons remis au Premier Ministre, nous préconisons d’« oser la pluriannualité ».

Je suis plus que jamais persuadé qu’il y a là une absolue nécessité. Cette pluriannualité est l’aboutissement de la logique qui a inspiré la LOLF.

Il s’agit ni plus ni moins de concilier l’impératif démocratique d’un vote annuel des autorisations budgétaires et l’inscription des décisions budgétaires dans une perspective de moyen terme.

Situer les choix budgétaires et fiscaux dans une perspective pluriannuelle de moyen terme devrait permettre de mieux cadrer le pilotage de l’ensemble des finances publiques dans le respect des engagements européens de la France.

Mais la pluriannualité doit aussi donner une plus grande visibilité aux gestionnaires afin de leur permettre de mieux planifier leurs actions et d’améliorer ainsi l’efficacité de la dépense.

On se doterait ainsi, sans se priver des marges de manœuvre pour faire face aux inévitables aléas de la gestion, d’un outil assurant une certaine stabilité des choix et évitant les à-coups de décisions politiques insuffisamment réfléchies.

Enfin, il est à nos yeux – je dis nos car c’est une préoccupation qui nous rassemble avec Alain Lambert – essentiel de clarifier le débat sur les prélèvements obligatoires en fusionnant les parties « recettes » de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. Nous l’avons écrit au président de la République et au Premier ministre : la révision constitutionnelle peut être l’occasion de renforcer la cohérence du pilotage global de nos finances publiques et d’éviter le chevauchement des mesures fiscales et sociales ayant une incidence sur le budget de l’État et sur celui de la sécurité sociale.

Nous proposons donc une modification de l’article 34 de la Constitution visant à fusionner la première partie du projet de loi de finances et la troisième partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cette réforme présenterait l’avantage de faire figurer en première partie du projet de loi de finances l’ensemble des dispositions ayant une incidence sur les recettes de la sécurité sociale de l’exercice concerné et d’introduire dans l’article d’équilibre du budget un tableau d’« équilibre social » évaluant chacune des recettes sociales et fixant un plafond global des dépenses.

Bien entendu, la répartition de ce plafond par objectif et les mesures relatives aux dépenses continueraient à relever du domaine exclusif du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Il va de soi qu’une telle réforme ne remettrait nullement en cause la participation des partenaires sociaux à la gestion des organismes de sécurité sociale.

En conclusion, je voudrais vous redire à quel point j’ai été sensible au fait que l’Académie des Sciences morales et politiques ait choisi de décerner le prix Édouard Bonnefous à deux parlementaires pour le rôle qu’ils ont joué dans l’adoption et la mise en œuvre de la LOLF. Mais plus qu’une reconnaissance de l’action passée, j’y vois un encouragement précieux à poursuivre l’œuvre entreprise.

Je puis vous assurer que, dans les fonctions qui sont aujourd’hui les miennes, j’ai le souci constant de poursuivre sur la voie ainsi tracée.

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