La démocratie au risque des élections

Séance du lundi 28 juin 2010

par M. Jean Bastié,
Président d’honneur de la Société de Géographie

 

 

Monsieur le Chancelier,
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Perpétuel,
Mesdames et Messieurs les Académiciens,
Mesdames et Messieurs,

Cette communication est la 22ème du cycle sur le thème de « LA DÉMOCRATIE », que vous avez ouvert le 11 janvier dernier, il y six mois. Je n’ai pu assister qu’à trois de vos séances, la première à écouter le Professeur Jean Baechler sur « Les origines de la démocratie », qui m’a beaucoup appris, et les deux qui viennent de précéder celle-ci, auxquelles j’ai assisté, afin de m’imprégner de l’atmosphère de vos séances. Je vous prie de m’excuser d’être venu si peu souvent et merci de me faire l’honneur de m’inviter à parler devant votre Académie.

J’ai commis l’imprudence de dire à votre Président mon ami le Professeur Jean Mesnard que le concept d’élection n’avait pas été, à mon sens, suffisamment évoqué car les deux me semblaient inséparables. Pas de démocratie sans élections, pas d’élections fiables sans démocratie. Il m’a alors suggéré de le traiter et j’ai accepté le titre qui m’a été proposé : « La démocratie au risque des élections », un peu lapidaire, énigmatique, imprudent et peut-être même provocateur.

Pour moi « au risque des élections » souligne le fait qu’elles n’aboutissent pas toujours à des résultats indiscutables, souvent aléatoires, surtout si ceux-ci ne révèlent que des écarts minimes. Or, pourquoi 51 vaudrait-il 100 ? et 49 zéro ? du moins au scrutin majoritaire. C’est le principe même de l’élection à la majorité, qui peut être corrigé, mais en partie seulement, par la proportionnelle,  au plus fort reste ou à la plus forte moyenne, mais elle-ci a aussi ses inconvénients ! Les résultats varient donc en fonction du mode de scrutin. Cas extrême : le vainqueur peut même avoir moins de voix et plus de sièges que le vaincu. Ce fut le cas en France avec la loi PLM en 1983 pour les municipales à Marseille. Il est vrai que le Maire sortant était aussi Ministre de l’Intérieur et auteur de la loi dite P.L.M. (Paris, Lyon Marseille) !

Est presque analogue le cas des municipales à Paris en 2001, la première fois où le maire actuel Bertrand Delanoë fut élu au second tour par un collège électoral de plus d’un million d’inscrits répartis en 20 arrondissements, qui se partageaient 163 sièges, avec 1424 voix de moins que ses adversaires. Il est vrai, divisés au second tour dans quatre arrondissements sur vingt, soit 0,08 % du corps électoral. Ceci tint aussi à la répartition des électeurs et des 163 sièges à pourvoir entre les 20 arrondissements. La droite l’aurait alors emporté par 82 sièges contre 71 et 10 divers, mais elle fut officiellement battue.

Bien plus grave, un parti totalitaire peut accéder au pouvoir après des élections à peu près régulières, à part des voies de fait sur ses adversaires. Ce fut le cas du parti fasciste italien en novembre 1922 et du parti hitlérien en janvier 1933. Toute manifestation ou violence le jour du vote devrait entacher de doute le résultat. Le maréchal Pétain reçut les pleins pouvoirs à Vichy en juillet 1940 des Chambres du Front Populaire. Certes, ce résultat était dû à des circonstances tout à fait exceptionnelles. Il n’y eut que 80 voix contre face à 569 pour, sur 649 votants et 849 inscrits députés et sénateurs.

En matière électorale, l’erreur n’est pas toujours innocente. Elle peut avoir de multiples causes :

  1. Le système électoral et le découpage des circonscriptions adoptés peuvent avec la même répartition des voix, aller jusqu’à inverser les résultats ;

  2. Les résultats officiellement proclamés peuvent présenter des différences avec les résultats réels, du fait des inscriptions ou radiations d’électeurs injustifiées sur les listes électorales, qui lorsqu’elles sont massives, peuvent modifier sensiblement ces résultats ;

  3. Lors du dépouillement, peut se produire ce que l’on appelle « le bourrage des urnes » qui peut entraîner des résultats officiels très différents des chiffres réels. Mais cette pratique est difficile. Il faut pouvoir remplir rapidement les urnes avec de faux bulletins préparés et les cacher jusqu’au moment où ils seront utilisés. Ceci exige des complices et de la rapidité, la neutralisation physique des adversaires présents.

  4. Les sondages incessants, les campagnes de signatures, les défilés, la médiatisation à outrance avec la télévision, toutes ces pratiques concurrencent les élections qui se multiplient et encouragent l’abstention.

  5. Le vote en Assemblée Générale, donc en public, et à main levée, non secret, sans aucun contrôle, est la négation de la démocratie.

Nous avons eu dès 1913 André Siegfried, qui le premier a étudié les rapports entre l’espace géographique et le comportement politique et électoral dans son « Tableau politique de la France de l’Ouest sous la 3ème République (1871-1910) » qui a paru en 1913 chez Colin, un pavé de 530 pages ! L’auteur a aussi écrit à la même époque des ouvrages analogues sur la Nouvelle Zélande et le Canada. On appelait cela « La géographie électorale » !

A succédé en quelque sorte à André Siegfried mais seulement en 1986, Yves Lacoste avec une « Géopolitique des Régions françaises », gros pavé de trois volumes, 2000 pages, mis à jour en 2005, avec une deuxième édition et la collaboration de Béatrice Giblin, ouvrage de valeur inégale, ce qui s’explique en partie par le grand nombre d’auteurs : plus de 50 ! L’étude est faite surtout par circonscription législative et par département. Je conseille de lire le chapitre sur la haute Corrèze, l’un des meilleurs. Y est bien démontré l’effet électoral des emplois créés et des votes des pensionnaires des maisons de retraite. On sait bien aussi aujourd’hui que par le choix des programmes de logements neufs, le maire, en quelque sorte, choisit ses électeurs et non l’inverse.

Pour André Siegfried, au début du XIXe siècle, le facteur essentiel de la carte électorale dans le monde rural, était le type de propriété dominant, conséquence de facteurs physiques qui déterminent les systèmes de culture, d’où les catégories sociales et les rapports sociaux. Voyez les cartes de l’ouvrage d’André Siegfried avec dans les villes, et même à la campagne, des analyses très fines par quartier ou bureau de vote ou par commune rurale. Une boutade circula dès lors parmi les géographes « le granit vote à droite, le calcaire vote à gauche ». Evidemment, c’était tout à fait caricatural. Aujourd’hui, les facteurs du vote se sont multipliés et diversifiés, sans compter les surprises de dernière heure. Le nombre de circonscriptions qui change de couleur d’un scrutin à l’autre en général se multiplie dans la plupart des pays. C’est l’usure du pouvoir, raison principale de l’alternance. Celle-ci est la meilleure preuve de la démocratie.

 

I

 

En ce qui concerne donc ce que j’appelle la « mécanique électorale » fonction des “systèmes électoraux” qui met en jeu de multiples facteurs et sur laquelle nous allons nous pencher, je vous propose un plan en trois parties basé sur l’évolution des multiples facteurs du vote.Je discerne trois séries de problèmes :

  1. les problèmes apparemment résolus dans les démocraties modernes comme la France : par exemple le vote féminin, mais lequel ne garantit pas la parité des élus entre hommes et femmes ; ou le vote secret qui exige qu’un certain nombre de conditions soient réunies.

  2. les problèmes qui subsistent, même dans les pays les plus démocratiques, comme l’inscription sur les listes électorales, leur mise à jour, le découpage des circonscriptions, les modes de scrutin, etc.

  3. les problèmes nouveaux résultant de l’évolution des techniques et des mœurs, qui deviennent aujourd’hui les plus importants : par exemple, la place de la radio et de la télévision, le rôle d’Internet, des sondages, le financement des partis par l’État, etc.

Je vous conseille pour le rôle des médias de vous reporter à Francis Balle : « Médias et Société » chez Montchrestien, 830 pages.

Mais tout d’abord, il nous faut rappeler qu’il y a bien des sortes d’élections et que leur nombre va en se multipliant avec des points communs et des spécificités :

  1. une première attitude qui, à priori, nie la valeur de l’élection, c’est la vieille opposition marxiste : entre démocratie formelle et réelle. La rue contre les urnes qui s’exprime dans le mot d’ordre nanterrois de 1968 : « élections, piège à cons » ;

  2. les élections traditionnelles municipales, législatives, territoriales (conseils généraux et régionaux), sénatoriales (à deux ou trois degrés), présidentielles, les referenda ;

  3. les élections primaires : internes à un parti pour désigner son candidat, traditionnelles et anciennes aux USA, en France seulement depuis environ l’an 2000, en particulier au parti socialiste ;

  4. les élections nouvelles : européennes, régionales, aujourd’hui le projet des Conseillers territoriaux, (anciens Conseillers généraux par canton,  et régionaux), les européennes ;

  5. les élections parapolitiques ou sociales. Conseil des prud’hommes, Organismes de gestion des diverses branches, de la Sécurité Sociale etc., qui mobilisent des millions d’électeurs mais avec un fort taux d’abstention, dont on parle peu, et pourtant dont l’enjeu est la gestion de budgets considérables.

Dans un pays comme le nôtre, elles se multiplient. Depuis 1945, nous avons eu une élection générale en moyenne par an, ce qui est générateur d’un certain désintérêt, qui va croissant, comme pour l’impôt : trop d’élections tue l’élection, d’où l’idée du Vote obligatoire (en Belgique par exemple). Mais les sanctions, trop légères, sont inefficaces.

Chaque pays a ses traditions : tels la Grande Bretagne avec son tour unique, la Suisse avec ses “votations”, l’Allemagne avec son double vote, les Etats-Unis. En France, comme pour les Constitutions, nous sommes les champions du changement de mode d’élection. Depuis la dernière guerre, nous en avons changé cinq ou six fois, aussi bien pour les présidentielles, que pour les législatives ou les municipales. Les champions dans l’autre sens sont les anglais : pas de présidentielles, puisqu’il s’agit d’une monarchie constitutionnelle, des législatives à un tour avec un système séculaire. Mais cela pourrait changer après les dernières élections de 2010 à la suite desquelles aucun parti n’aurait de majorité à lui seul !

 

Quelques-uns des problèmes apparemment résolus ou qui ne se posent plus

 

La limite d’âge : en France 18 ans après 21, pour le moment, il n’est pas question de 17 ou 16, mais cela pourrait venir ;

  • le suffrage censitaire : on n’en parle plus, il est trop anti-égalitaire ;

  • les candidatures multiples du même candidat dans plusieurs circonscriptions à travers tout le pays. Voir Gambetta, le Général Boulanger : elles favorisaient ainsi des sortes de plébiscites ;

  • le vote féminin, mais qui ne signifie pas la parité d’où l’idée du vote binominal dans des circonscriptions à deux sièges : un masculin, un féminin ; mais avec un seul collège électoral.

  • la candidature officielle n’a plus cours en France, mais subsiste dans beaucoup de pays de manière plus ou moins déguisée, surtout dans les régimes autoritaires ;

  • les mesures à prendre le jour du vote : contrôle des listes électorales qui peuvent comporter des erreurs, carte d’électeur, mode de vote, émargement, dépouillement et proclamation des résultats publiés, les sanctions : l’inéligibilité et sa durée pour les candidats qui est, en général, plus redoutée que la privation du droit de vote.

Conclusion :

En France, à Paris notamment, plus il y a d’élections, moins il y a de votants, mais plus il y a de candidats. On a atteint 20 listes aux élections européennes en 1999 et une de ces listes a eu à Paris 0 voix sur plus d’un million d’inscrits, même les candidats n’ont pas voté pour eux !

 

Les questions qui continuent à se poser

 

  1. vote obligatoire ou non, déjà cité, par exemple en Belgique. Il n’y a en fait pas de sanction, donc aucun effet ;

  2. le découpage des circonscriptions. Toujours à refaire en raison de l’évolution démographique, pertes de sièges toujours dans les campagnes, gains de sièges toujours dans les villes, une exception en France ; les sièges pour les français de l’étranger au Sénat avec un vote à 2 degrés ; le découpage est révisé en fonction des recensements de population mais ceux-ci sont appelés à n’être plus que des sondages ! ;

  3. le mode de scrutin : il est important surtout pour les petits partis qui sont attachés à la proportionnelle, directe ou à un degré, indirecte à deux ou trois degrés (pour les sénateurs). Il y a deux grandes familles de scrutins : l’uninominal et le proportionnel donc plurinominal, celui-ci au plus fort reste ou à la plus forte moyenne. Le second avantage les grands partis, le premier les petits. Bien évidemment, les petits partis sont pour la proportionnelle dite intégrale, apparemment le système le plus juste mathématiquement, mais plein d’effets pervers. Les assemblées ainsi élues n’ont en général aucun majorité solide et permanente. Elles sont plus incapable encore que les autres de prendre des décisions rapides, claires, efficaces. Également, plus encore qu’avec les autres systèmes, les élus sont choisis davantage par les partis que par les électeurs, les apparatchiks l’emportent sur les fortes personnalités. C’est le triomphe du système dit “des partis” mais ceux-ci sont indispensables à la démocratie ! Le système proportionnel à la plus forte moyenne peut être en quelque sorte remplacé par un système de prime : la liste arrivée en tête, quel que soit son pourcentage, que ce soit au premier ou au deuxième tour, peut automatiquement se voir attribuer la moitié des sièges plus un et en outre participer à la répartition proportionnelle de la seconde moitié.

  4. le vote des étrangers, dans beaucoup de pays, celui-ci n’est envisageable qu’avec la réciprocité dans les pays dont ces étrangers sont originaires. Mais ses effets sont très inégaux en fonction des pourcentages obtenus ;

  5. la parité, il s’agit du problème plus général de la répartition des sièges par catégorie : non seulement sexe, mais tranches d’âge, etc. On pourrait en envisager d’autres ; les catégories socio-professionnelles par exemple ; ce qui pourrait éviter d’avoir une majorité de députés fonctionnaires ou même énarques. La proposition du général de Gaulle sur la modification du Sénat dans le référendum de 1969 allait un peu dans ce sens.

  6. Les problèmes du deuxième tour sont les plus complexes : quel sera le candidat ou la troisième liste du deuxième tour ? et à quelle condition pourront-ils se maintenir ? et entraîner un vote triangulaire, plus rarement quadrangulaire ?

 

Quotas et seuils ont des effets importants sur le deuxième tour. En France :

  • pour la présidentielle : deux candidats seulement demeurent en lice ;

  • pour les législatives : il faut avoir plus de 12,5 % des inscrits ;

  • pour les municipales : plus de 10 % des exprimés (plus difficiles à obtenir) ;

  • pour les régionales et pour les cantonales : plus de 10 % des inscrits.

On peut aussi décider que de toute manière le 3e dans l’ordre d’arrivée au 1er tour peut se maintenir au second ou non.

Pour les municipales ou les régionales, on peut, au deuxième tour, ou fusionner ou se désister, par exemple pour fusionner, il faudra avoir réuni au premier tour 12,5 % des inscrits, pour se désister, il suffira de 10 %.

Pour le re-découpage des circonscriptions, le terme de comparaison le plus usité est le nombre moyen d’électeurs pour un siège à pourvoir ou par circonscription s’il s’agit de l’uninominal. Dans la plupart des pays, comme en France, on admet pour le nombre d’électeurs peut présenter une différence du simple au double et la révision générale est obligatoire après deux recensements de population sans remaniement. Mais qu’adviendra-t-il si ceux-ci sont de moins en moins fiables ?

 

Les problèmes nouveaux nés de l’évolution des techniques et des mœurs, les plus importants sans doute !

 

1) La télévision et la radio, avec chacune son public

En matière de propagande électorale, la télévision est devenue l’arme absolue. Même le Général de Gaulle avait dû s’entraîner à utiliser « les étranges lucarnes ». Il est question de temps de parole, de sa répartition, de la part du gouvernement, c’est une réglementation qui favorise les grands partis mais parfois aussi les petits partis qui, sans cela, resteraient méconnus. Avant la télé, ce fut la radio. Par exemple, les discours enflammés d’Hitler entre 1933 et 1940 dont se souvient encore ma génération.

Bientôt, ce sera sans doute le Web. L’électeur est cerné par les médias. Mais leur influence est peut-être exagérée, chacun n’y trouve que ce qu’il souhaite y trouver ? (V. Francis Balle dans « Médias et Sociétés »). Je vous rappelle que l’ampleur du rôle de la télé en démocratie est né à la suite du sacre de la Reine d’Angleterre qui en peu de temps a fait doubler le nombre d’auditeurs ;

2) Internet : au sein du parti socialiste en 2007, a joué un rôle important dans la victoire aux primaires de Ségolène Royal, grâce surtout à un électorat très jeune ;

3) Le financement des partis par l’Etat a ses effets pervers, pour avoir la subvention, les petits candidats se multiplient. Si vous avez quelques amis bien répartis en province dans une trentaine de départements et s’ils arrivent à trouver des candidats et à constituer des listes, vous pourrez grappiller ainsi quelques dizaines de milliers d’euros, le cas s’est déjà présenté. De plus en plus, on a jusqu’à 20 candidats pour un seul siège et parfois davantage ;

4)  Les sondages peuvent aussi constituer une préfiguration des votes et influencer ceux qui n’ont pas encore voté. Pour éviter une divulgation précoce, des limites dans le temps sont posées au moins pour les médias français, mais nous ne pouvons imposer des règles aux médias étranger ainsi qu’aux télévisions, cette limitation de la publicité des sondages dans le temps, a peu d’effets ;

5) On pourrait aussi utiliser le sondage pour remplacer un vote général, ce qui a des avantages pour la rapidité et le coût, mais avec des risques de trucages, donc ce procédé n’est pas encore envisagé sérieusement. Mais il n’est pas exclu qu’il soit un jour adopté pour des raisons de facilité, de rapidité et d’économies ;

6) La tenue des listes électorales avec leur mise à jour n’est pas un long fleuve tranquille pour les services municipaux surtout dans les grandes villes comme Paris. La première cause d’erreur est la négligence des électeurs qui oublient de déclarer leur changement de résidence. Un Parisien déménage en moyenne une fois tous les dix ans, il s’y ajoute la multiplication des résidences secondaires : 300 à 400 000 aujourd’hui pour Paris. Il est plus valorisant d’être inscrit dans un village où l’on peut espérer être conseiller municipal ou électeur-sénatorial et pouvoir plus facilement faire empierrer le chemin qui dessert sa résidence secondaire. L’anonymat de la grande ville est moins valorisant.

A Paris, il n’y a pas eu que des problèmes d’inscriptions abusives dans le Ve, mais aussi des problèmes de radiations abusives par exemple, dans le XVIIe. Il n’est pas rare que le matin du second tour, il y ait presque des émeutes dues aux électeurs qui ont été radiés sans être prévenus et qui ont la surprise de ne pouvoir voter, là où ils avaient l’habitude. Sachez qu’à Paris, des maires et des conseillers des arrondissements du centre ou de l’est habitent à l’ouest en toute légalité car Paris est à la fois une seule commune et un seul département. C’est tout à fait légal.

7) Vous vous souvenez peut-être des erreurs relevées pour les élections américaines présidentielles, principalement dans les Etats du Sud (Louisiane, Alabama, Floride) à deux reprises durant les deux élections qui ont encadré le premier mandat de George Bush. Comme pour les recensements de  l’INSEE en France vers 1950, on utilise des cartes perforées mais ici perforées par l’électeur lui-même. On émet plusieurs votes à la fois (shérif, juge, procureur etc.) sur la même carte, d’où des confusions possibles. Les trous sont mal faits, mal placés, d’où erreurs, recomptage, élections contestées, résultats retardés, parfois de plus de 15 jours.

 

Voici trois exemples de modes de scrutin parmi les plus complexes

  1. Un système mixte à la fois uninominal et proportionnel est pratiqué souvent pour les élections législatives en Allemagne. L’électeur dispose en quelque sorte de deux voix, l’une avec laquelle il vote pour un candidat qui se présente à un scrutin uninominal à deux tours. La seconde sert dans un scrutin proportionnel à un tour avec laquelle il vote pour un parti et il sert à attribuer un nombre de sièges moins élevé certes mais qui joue un effet correctif, surtout pour les petits partis aux candidats moins connus.

  2. Un autre système, plus compliqué, peut jouer un rôle assez semblable. L’électeur est invité à classer les candidats, ou tout au moins ceux qu’il retient, par ordre décroissant de préférence. Les points qu’il leur attribue ainsi par leur rang sont additionnés. Ceci leur donne un rang qui déterminera leur élection. Le système s’accorde mieux avec la proportionnelle qu’avec l’uninominal. Mais le dépouillement est plus long et comporte des risques d’erreur.

  3. En France, en 1953, aux législatives du temps du tripartisme, on a imaginé un système dit des apparentements. Les partis dits apparentés – trois ou quatre – totalisèrent leurs voix du 1er tour. S’ils avaient la majorité absolue, ils se partageaient tous les sièges, avec application de la proportionnelle à la plus forte moyenne. C’était un système de circonstance ! Il n’a servi qu’une fois. Dans ce domaine, l’imagination humaine est sans limites ! C’est à la suite de ce scrutin que plus de 50 députés poujadistes ont été invalidés pour des motifs discutables.

  4. Je vais vous donner un scoop rétrospectif : aux élections municipales de 1973 à Paris, il y avait 163 sièges à pourvoir répartis entre les vingt arrondissements selon leur population. Au 1er tour, la droite était divisée entre Michel d’Ornano proclamé candidat officiel sur le perron de l’Elysée, ce qui était maladroit, et Jacques Chirac qui s’autoproclama candidat. A l’époque les socialistes avaient à Paris moins d’électeurs que les communistes d’où leurs listes communes du 2ème tour étaient menées et identifiées le plus souvent par un conseiller du PC, M. Fizbin. Si sur 1 300 000 électeurs, 3 000 seulement, soit 0,30 % du corps électoral s’étaient autrement répartis dans les trois arrondissements où les écarts étaient les plus faibles, au lieu d’avoir 40 sièges pour la coalition de gauche on en aurait eu 70 et la droite 67, le reste allant à des divers. Il s’en est fallu de très peu que le 1er maire de Paris fût Fizbin et non Chirac. On peut penser que toute l’histoire de France récente en aurait été modifiée pour une très faible différence de voix.

 

Ma conclusion générale sera :

 

  • les élections, quelles qu’elles soient, posent de plus en plus de problèmes, qui sont de plus en plus complexes ;

  • les systèmes électoraux sont de plus en plus nombreux et variés ;

  • les risques d’erreurs se multiplient ;

  • les progrès techniques, telle l’informatique, au lieu d’améliorer le fonctionnement, le rendent de plus en plus difficile :

  • le financement des partis, l’inscription dans les communes de résidences secondaires ont des effets pervers non prévus ;

On peut se demander s’il n’y aura pas blocage le jour où, pour le moins, il y aurait des doutes sérieux et croissants sur la fiabilité des résultats et sur celle de tout système électoral ; mais l’élection est consubstantielle à la démocratie. Il faut donc améliorer le système. On peut le faire sur de nombreux points. Il est urgent de revoir tous les textes relatifs aux modalités de nos élections pour les rendre plus fiables, et ensuite de bien faire appliquer les règles édictées et de bien prévoir les effets pervers.  Enfin, il faudrait que les services électoraux communaux soient davantage contrôlés par un service national.

Enfin une partie du monde politique, à la suite des médias, a de plus en plus tendance à vouloir remplacer la démocratie dite politique, basée sur des élections très régulières par la démocratie dite sociale basée sur la grève, l’agitation syndicale, les défilés, les assemblées dites générales et le vote à main levée sans liste électorale. C’est une conception tout à fait différente et incontrôlable de la démocratie. Mais le rôle croissant des médias et leur superficialité nous poussent dans cette direction. La démocratie politique ne sera peut-être pas éternelle !

Texte des débats ayant suivi la communication