Séance du lundi 6 février 2012
par Didier Julienne,
Expert matières premières
Les ressources naturelles sont source de dynamisme industriel pour les pays producteurs tandis que les pays consommateurs sont rentrés dans une consommation compétitive.
C’est pourquoi, je propose sans tarder de parcourir ce que doit être, à mon sens, une doctrine nationale des matières premières minérales avant d’approfondir ensemble un scénario lié à la politique énergétique allemande.
Doctrine nationale des matières premières
Définitions
Trois éléments fondent une doctrine nationale matières premières : l’indépendance énergétique, l’autosuffisance alimentaire et l’indépendance minérale. L’absence de l’un d’entre eux interdit un développement économique durable.
Pour les métaux, cette doctrine obéit a une thèse qui sera active (Asie) ou passive (Europe) :
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Le Japon et la Corée cherchent un approvisionnement stable pour l’économie du pays.
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La Chine cherche à maintenir un approvisionnement domestique stable via une centralisation des besoins, une consolidation industrielle et moins de contrebande.
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Les États-Unis cherchent à diversifier des approvisionnements, substituer et recycler pour industrialiser.
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L’Europe cherche à éviter une pénurie.
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Naturellement, un pays producteur, l’Australie ou le Canada, encouragera l’investissement pour maximiser la rente.
Les pays importateurs de ressources naturelles mettront en œuvre une doctrine grâce à plusieurs outils : une définition précise des matières, des sociétés minières dynamiques, des partenariats privilégiés avec les états producteurs, des stocks stratégiques, des sociétés de négoce publiques ou privées en charge de l’approvisionnement national.
Qu’est ce qu’une matière première critique ?
C’est une ressource pour laquelle les risques industriels liés à un déficit de l’offre sont élevés et pour laquelle il n’y a pas de substitution possible.
Une matière sera critique dans une industrie mais pas dans une autre, dans un pays mais pas dans un autre et cela évolue avec le temps.
Qu’est ce qu’une matière première stratégique ?
C’est une ressource indispensable à une politique de l’État ou bien à la défense nationale.
Là aussi, une matière sera stratégique dans un pays, mais pas dans un autre et cela évolue dans le temps.
En France, il n’y a pas de matière stratégique à l’exception de l’uranium qui bénéficie d’une loi, d’un décret et de directives classifiées.
À l’échelle européenne je ne trouve pas de politique commune ni de défense commune qui justifieraient cette liste. La Chine, les USA la Corée et le Japon ont une liste de métaux stratégiques.
Dans le désordre, ces matières sont : le cuivre, le nickel, le fer , le charbon, le platine, le palladium, le rhodium, le rhénium, l’antimoine, le béryllium, le cobalt (solo, nickel, cuivre), le gallium (bauxite et zinc), le germanium, le graphite, l’indium (zinc), le magnésium, le niobium, les terres rares (cérium, lanthane, néodyme, terbium, europium, yttrium, terbium, lutétium…) le tantale, le tungstène, le lithium, le tellure, etc.
Quelles industries consomment ces matières ?
Nous connaissions tous le modèle de contagion lente pour la consommation de l’acier, de la construction de la tour Eiffel aux tours des villes chinoises. Ici, pour ces matières, nous assistons à une épidémie galopante. C’est unique. Tout le monde en veut pour tout et en même temps : dans la voiture électrique, les nouveaux modèles d’avions, les diodes électroluminescentes, les puces électroniques, les téléphones intelligents, les écrans OLED, les panneaux solaires, les éoliennes, le stockage de l’électricité, les piles à combustible, la défense nationale, l’acier, l’optique, le laser, la pétrochimie, le nucléaire, etc.
L’exemple des aimants permanents à base de terres rares illustre cette consommation grandissante. Composés principalement de néodyme, dysprosium et praséodyme leurs demandes étaient de quelques grammes dans les ordinateurs, mais à présent ce sont 200 grammes pour un vélo électrique, 1-2 kg pour une voiture électrique et près de 200 kg/MW pour les éoliennes à entrainement direct.
On le comprendra immédiatement, ces consommations seront en compétition les unes avec les autres et c’est le producteur de matières premières qui orientera les flux en fonction de critères de prix – les différentes criticités seront en compétition – ou bien de notions stratégiques des états producteurs.
Ces choix seront sans danger s’il faut choisir entre un téléphone ou bien un ordinateur qui fasse aussi téléphone. Mais que faire lorsque qu’il faudra choisir entre une production énergétique dépendante de métaux rares, ou s’il y a une dimension de sécurité nationale ?
Pourquoi l’offre de métaux critiques ne répond-elle pas immédiatement à la demande ?
Dans les prévisions de production, des raisonnements simplistes comptabilisent les ressources disponibles dans la croûte terrestre sans se préoccuper des réserves économiques à découvrir, ni des modèles d’extraction. Bien que parfois ces métaux ne soient pas rares, ils sont des coproduits d’autres métaux majeurs et certaines de ces filières de production sont opaques. Ainsi, il n’y a pas de mine d’indium mais de zinc, de tellure mais de cuivre, de molybdène mais de cuivre, de gallium mais de bauxite, de rhodium mais de nickel ou de platine. Bien entendu, ces métaux sont dépendants de la dynamique du métal majeur, ils ne sont pas rentables par eux-mêmes et, s’ils ne sont pas produits pour des raisons techniques, cela peut être pour des raisons économiques.
Parfois les mines des métaux majeurs sont insuffisantes, ou en fin de vie, et le renouveau minier n’a pas été préparé : les futurs nouveaux gisements n’ont pas été cherchés, donc pas encore découverts, une mine c’est 10-20 ans de travail avant de produire, mais des pays refusent l’ouverture de mines.
Le recyclage de ces métaux dans le cycle industriel est l’étape la plus simple. Ensuite, une attente de parfois 20 ans précédera le recyclage des produits porteurs. En outre, sur ces derniers, les dépôts de matériaux sont parfois si fins, les alliages si complexes ou les teneurs si faibles, voire le tout à la fois, que nous ne saurons pas bien les récupérer. Le recyclage ne satisfera donc pas seul les besoins des consommateurs.
Les outils pour remédier aux déficits
L’industrie minière
Le dynamisme des sociétés énergétiques et minières se mesure à travers leurs investissements dans l’exploration et/ou l’acquisition de nouveaux gisements. L’industrie minière française est une déception. Par manque de vision, elle est restée prostrée, petite et figée alors que des géants miniers naissaient ailleurs. Cette semaine deux sociétés qui n’existaient pas il y a vingt ans, Glencore et Xstrata, annonçaient une fusion de 90 milliards de dollars tandis que nos sociétés minières, plus anciennes, sont trente fois plus petites. En outre, nos projets miniers sont moins dynamiques.
Un nouveau point de départ sur notre territoire serait encore possible. Le fait d’ouvrir des petites mines par des PME exploratrices innovantes dans les Pyrénées, le Massif Central, la Bretagne pour du cuivre, du zinc, de l’étain du tungstène, permettrait la production moderne de coproduits «métaux stratégiques» tout en respectant l’environnement.
De plus, à l’exception des zones charbonnières on ne connaît pas l’horizon géologique français sous les 100 mètres. La mine de cuivre de KGHM en Pologne est à 1000-1200 mètres, la mine de cuivre de Las Cruces en Espagne est sous un stérile de 150 m, la mine de cuivre et de zinc de Neves-Corvo au Portugal est à 700 mètres. Dans le reste du monde les mines vont couramment à 1000-2000 mètres, voire 4000 mètres en Afrique du Sud. En France le contexte géologique de la Bretagne, du Massif Central et des Vosges est favorable, une exploration en profondeur du sous-sol a des chances de nous faire découvrir des gisements plus importants.
Pour ce qui est des petites mines, une première étape peut représenter 5 000 emplois directs, la seconde, de grands gisements, deux fois plus pour chaque découverte. Il existe un facteur 5 entre les emplois directs et les indirects.
Mais il faut du courage car la question de la prospection se pose : l’abandon de l’exploration de l’huile et du gaz de schiste en France, et de son potentiel de centaine de milliers d’emplois avec les indirects, nous interroge.
Le premier frein aux prospections en France est qu’aujourd’hui on n’écoute plus la parole de l’ingénieur. Le second est administratif : le nouveau Code Minier adoptera le principe des enquêtes publiques du Code de l’Environnement, mais ces innovations ne sont pas encore formalisées. De plus, l’activité minière est esseulée au Ministère de l’Environnement et non pas intégrée au Ministère de l’Industrie. Enfin, les Directions régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement qui reçoivent les demandes minières ne sont plus formées à cette activité. Cette perte d’aptitudes techniques complexifie l’instruction des dossiers. En effet, la génération de géologues, de mineurs et d’énergéticiens des années 1950-1960 qui avait la connaissance parce qu’elle avait exploité ce qui pouvait l’être en France, avant de gagner des territoires à l’étranger, n’est plus en activité ; la prochaine génération qui sort des formations n’est pas encore en fonction. C’est pourquoi, les étudiants géologues français recherchent une dynamique professionnelle dans des sociétés minières étrangères, voire chez de grands industriels consommateurs de métaux qui souhaitent compléter leurs compétences.
Faut-il rappeler que le cycle industriel c’est : exploration, exploitation et transformation de ressources naturelles, ensuite fabrication industrielle, marketing, puis service et enfin recyclage. Sommes-nous préparés à des emplois miniers en France pour des produits fabriqués en France ? Il faut rappeler que le modèle industriel des produits grand public de l’électronique nomade mondiale a été largement bâti sur l’extraction, irrespectueuse de l’environnement, de terres rares chinoises (97% de la production, 49% des réserves connues). Dans ce contexte il est difficile de blâmer les autorités chinoises qui y mettent de l’ordre en dépit de l’épanouissement d’une ridicule hystérie « complotiste » antichinoise. Nous devrions pouvoir faire différemment avec des productions locales immédiatement respectueuses de l’environnement.
Résumons cette première idée en une question : Pourquoi la Mongolie connait-elle un eldorado minier et pas la France ?
Les partenariats privilégiés entre États producteurs et consommateurs
Les producteurs sont souverains sur un sol ou bien un sous-sol et exercent des stratégies de puissance.
Les consommateurs sont souverains des filières industrielles et des stratégies d’influences qui y sont associées. À l’avenir, des producteurs de métaux, de produits agricoles et d’énergies exporteront moins et consommeront plus localement. Cette dernière idée, le nationalisme des ressources, est illustrée dans un petit article au titre provocateur : « Quand le consommateur africain se réveillera la Chine tremblera » (Voir www.lesechos.fr et La Revue Internationale et Stratégique N°84 hiver 2011)
Et, si les producteurs consomment plus, nous devons trouver une profondeur géologique stratégique. Nous y reviendrons en conclusion.
Les stocks stratégiques
Ils sont une offre fragile pour plusieurs raisons. C’est une proposition temporaire, que l’on ne peut pas mutualiser, nécessitant une mise de fond importante et un dialogue permanent entre administrations et entreprises. Ils sont constitués pour le long terme, mais leurs gestionnaires ont le devoir de naviguer à vue en anticipant un environnement de marché où la spéculation règne en raison d’être. Il faut des professionnels expérimentés pour assurer cette gestion.
Qui a des stocks ? La Chine, le Japon, la Corée du Sud, les États-Unis, mais aussi des États du Moyen-Orient ou d’Asie pour les denrées alimentaires…
La France avait pour sa part constitué un stock stratégique de métaux, mais il fut soldé dans la dernière décennie du vingtième siècle. On aurait, dit-on, oublié de prévoir des règles d’engagement et l’approvisionnement par le marché était l’un des dividendes de la paix après la chute du mur de Berlin. La guerre économique n’avait pas été anticipée.
Les sociétés de négoce publiques ou privées
Les sociétés de négoce en charge de l’approvisionnement national offrent les bénéfices d’une invasion sans la guerre militaire, c’est la guerre économique. Dans ce domaine de la métallurgie et du trading, la France porte un récent et lourd handicap depuis l’étonnante, mystérieuse et subite disparition des usines, des emplois et des métaux de son leader, le Comptoir Lyon-Alemand-Louyot après 200 ans d’existence.
Lorsque ces quelques notions simples sont ignorées, mal utilisées ou mal interprétées, les filières industrielles se plaignent de pénuries de minéraux à partir du moment où elles sont amenées à se précipiter toutes ensemble vers les mêmes solutions sans se préoccuper de l’offre minière.
Politique énergétique allemande
Nous arrivons dans mon exposé au scénario que je souhaite rapidement approfondir : la politique énergétique allemande. J’ai bien conscience que la simplification comporte des imperfections, mais c’est ici le moyen d’illustrer quelques idées dans un temps si court.
En 2011, l’Allemagne a environ 102 GW de puissance installée et un mix électrique de 58% carboné (lignite, charbon, gaz), 20% énergie renouvelable et 21% nucléaire. D’ici à 2022 elle compte fermer ses 21 centrales nucléaires, tout en réduisant la consommation et en augmentant la part du charbon, du gaz mais aussi des énergies renouvelables (35%), notamment de l’éolien.
Le film des dernières semaines est, à cet égard, instructif.
Cet hiver, le numéro un mondial de la fabrication des éoliennes est en difficulté financière, il licencie 10% de ses salariés mondiaux : le mauvais temps en mer l’empêchait d’installer autant d’éoliennes qu’il le souhaitait, les subventions des États ont parfois disparu, la conjoncture est difficile.
À l’avenir, les éoliennes surpuissantes seront majoritaires : en 2009, 60% des éoliennes étaient inférieures à 2 MW ; en 2012, 70% sont supérieures à 2MW. Les grandes éoliennes maritimes sont en plein développement et chacune utilise des terres rares qui permettent des nacelles compactes et une maintenance réduite.
L’Allemagne prend conscience de sa dépendance en métaux critiques et, l’an dernier, une junior minière exploratrice était constituée par de grands groupes allemands dans le but de découvrir et réserver de futurs gisements de trois éléments (terres rares, tungstène, charbon coke). Le gouvernement allemand financera l’exploration minière, mais les entreprises se chargeront de l’exploitation.
Deux questions s’imposent :
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Comment gérer les dépannages des éoliennes maritimes dans les tempêtes d’hiver? Quel en sera le coût ? À 35% d’énergies renouvelables, nous sommes dans le ruban électrique et non plus dans la dentelle.
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La junior allemande se heurtera-t-elle au nationalisme des ressources naturelles des pays qu’elle prospectera ?
Deux idées ouvrent deux discussions.
Dans l’esprit de certains, les voitures électriques, les éoliennes ou les panneaux solaires signifient l’indépendance partielle ou totale vis-à-vis de l’uranium, du charbon, du pétrole ou du gaz. Mais ils ne se rendent pas compte qu’ils deviennent dépendant du lithium, de l’indium, du gallium, des terres rares, etc. Ce sont bien de nouvelles dépendances encore mal comprises, voire pour certaines inconnues.
Deuxièmement, je livre une question – et l’on me dira si elle a un sens – à prononcer lentement et à méditer longuement : fonder son développement économique sur des énergies renouvelables encore immatures, notamment l’éolien, avec des modèles météorologiques qui deviennent obsolètes au fur et à mesure que le climat se dérègle, est-ce une politique énergétique plus risquée que le nucléaire ?
Une réponse est évidemment le refus du bipolaire – avec ou sans nucléaire, avec ou sans énergies renouvelables– et l’acceptation du multipolaire : les énergies renouvelables doivent progresser, surtout le solaire, et l’atome conserve un avenir qui est dans l’atome lui-même.
Conclusion
S’il n’y avait que deux éléments à retenir de mon intervention, ce seraient indépendance et accès aux ressources.
Si la consommation française de métaux critiques augmente, la France devra conquérir une indépendance, se prendre en main et ouvrir des mines sur son territoire.
Le secteur minier de demain, ce seront de nouvelles campagnes d’exploration, des teneurs en baisse, des coûts en hausse à cause d’une augmentation des consommations énergétiques et de la consommation d’eau, et à cause des réglementations environnementales plus strictes. En France l’énergie, l’eau, les infrastructures et l’écologie, nous les avons. Chez nous, les mines seront surtout des emplois, elles seront profondes, non polluantes et elles proposeront une solution au renouveau de l’industrie.
Si les mines françaises sont insuffisantes, il faudra accéder à des ressources dans une nouvelle profondeur géologique. C’est-à-dire un territoire sans tension démographique, dépeuplé, disposant de matières premières et dont nous accepterions les conditions d’accès. Je n’en vois qu’un seul : la Russie. C’est l’objet d’un petit article « Russie et matières critiques » (Revue Géoéconomie N°59 automne 2011) ou je croise mes connaissances en ressources naturelles et ma compréhension politique de la Russie.
Enfin le concept de nation s’incarne si les hommes d’État décident des dépendances ou des indépendances minérales, agricoles et énergétiques équitables en prix et en disponibilité pour des populations, qu’elles soient urbaines ou rurales.
N’ayons pas peur de choisir nos indépendances et nos dépendances en ressources naturelles, librement et avec raison.