Comment encourager l’innovation en France pour créer des emplois et de la croissance ?

Séance du lundi 29 mai 2017

par Mme Anne Lauvergeon,
Présidente d’ALP, Présidente de la commission innovation 2030

 

 

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Mesdames et Messieurs les académiciens,
Mesdames, Messieurs,

Je suis heureuse et honorée d’être parmi vous pour cette session.

Merci cher Michel Pébereau de m’avoir offert l’occasion d’intervenir aujourd’hui devant la prestigieuse Académie des Sciences morales et politiques. Merci à tous et à toutes d’être ici.

L’Académie des Sciences morales et politiques s’intéresse à l’humain, à son fonctionnement, à son étude. Cette connaissance permet, comme vous le précisez sur votre site « de trouver les formes d’organisation politique les plus favorables au bien public et à l’épanouissement de l’individu ». Vous êtes donc aux premières loges pour anticiper les évolutions de notre société et comprendre les raisons de ces transformations.

La nouvelle dynamique pour l’entrepreneuriat avait démarré avec le déploiement d’internet à la fin des années 90, début des années 2000. Elle s’est intensifiée de manière très significative ces 10 dernières années. Les raisons sont multiples : l’envie d’avoir un rôle dans le monde qui nous entoure, essayer de l’améliorer, des succès internationaux qui inspirent, l’avènement d’une société de l’immédiateté et de l’accès où chaque besoin, aussi futile soit-il, doit avoir une solution pour éviter la frustration…

Pour prendre la mesure de cette ambition qui touche les populations du monde entier, jeunes et moins jeunes, il suffit de regarder :

  • le nombre de jeunes diplômés qui préfèrent créer leur entreprise dès la fin de leur formation, parfois même avant la fin ;

  • les salariés des grands groupes aussi souhaitent quitter leur confort quotidien pour tenter l’aventure entrepreneuriale ;

  • même les fonctionnaires se laissent parfois séduire par le plaisir de créer leur propre projet ou rejoindre une nouvelle équipe qui souhaite proposer de nouvelles solutions.

Je pense que l’innovation n’est pas seulement un facteur de croissance pour notre économie. C’est un souffle pour notre société toute entière, un formidable élan de positivisme pour répondre aux besoins de notre pays. Pour reprendre le parallèle entre l’envie de renouveau en politique et l’innovation, l’élection d’Emmanuel Macron n’est-elle pas le signe de cette envie d’innover ? C’est en tout cas la dynamique qu’il a souhaité entretenir pendant la campagne et qu’il essaye de mettre en œuvre depuis qu’il est entré en fonction.

Comme je l’ai évoqué, l’innovation est un pilier pour construire l’avenir de notre société, au niveau économique, mais aussi morale et politique. C’est un honneur d’en parler avec vous aujourd’hui et je tiens à vous remercier de nouveau de cette invitation et de cet accueil.

La problématique qui se pose est donc : comment encourager l’innovation ?

 

Commission Innovation 2030 : Diagnostics et solutions opérationnelles

 

En avril 2013, le Président a installé la Commission Innovation avec pour mission de faire des choix et déterminer des secteurs stratégiques pour l’innovation en France à horizon 2030.

Pourquoi la France a-t-elle besoin d’innover ?

Il ne s’agit pas d’innover pour innover. La France a besoin d’innover pour deux raisons essentielles :

  • l’innovation est la condition nécessaire pour stimuler la croissance, restaurer notre commerce extérieur, en somme créer des richesses qui permettront de générer des emplois et de préserver notre modèle social ;

  • innover, c’est aussi essentiel pour améliorer la qualité de vie au quotidien de nos concitoyens ; c’est donc un enjeu qui n’est pas seulement macroéconomique, ou propre à l’équilibre de nos comptes publics ; innover, c’est un impératif très concret pour le bien-être des Français.

Nous nous sommes donc attachés à l’innovation concrète.

L’innovation in concreto se traduit par de nouveaux produits, bien sûr, de nouveaux services, mais aussi par de nouveaux usages, de nouveaux comportements qui prennent en compte les tendances de fond, les aspirations fortes de notre société.

Par innovation, on entend souvent innovations technologiques, laboratoires, R&D. C’est juste mais restrictif. Nous avons voulu aller plus loin et considérer toutes les innovations.

Notre démarche s’est fondée sur deux axes.

Nous sommes partis des besoins de la population mondiale tels que nous pouvons les anticiper aujourd’hui.

L’objectif est que l’ensemble des innovations que nous voulons aider à susciter puisse satisfaire une demande au moment où ces innovations seront sur le marché. Là encore, il ne faut pas innover pour innover : la meilleure des innovations, de service, technologique, d’usage, est stérile si elle ne rencontre ni marché, ni clients, ni besoins.

Les tendances sociales que nous voyons émerger aujourd’hui sont des mouvements de fond. L’allongement de la durée de la vie à l’échelle planétaire, l’urbanisation croissante dans les pays du Sud, l’émergence d’une classe moyenne mondiale, la prise de conscience sur le changement climatique, la révolution du numérique et  les tensions grandissantes sur l’approvisionnement en eau, en énergie, en nourriture, en matières premières, l’évolution des comportements de consommation qui demandent plus de personnalisation des produits et des services – ce que les Anglo-saxons appellent la mass-costumization – sont autant de facteurs qui vont bouleverser les sociétés et les économies des années à venir.

C’est dans ces domaines que l’innovation doit porter ses fruits pour trouver des solutions.

Ce diagnostic établi, nous avons choisi de cibler des domaines dans lesquels la France dispose d’atouts majeurs. C’est le second axe de notre démarche.

Ces atouts sont le fruit d’une histoire culturelle et industrielle.

Au titre de ces atouts, il faut citer :

  • le tissu productif français, fort de grands groupes puissants et reconnus internationalement et de PME innovantes très dynamiques,

  • une recherche publique d’excellence, en particulier sur les matières fondamentales,

  • un niveau de formation élevé grâce à un système éducatif de qualité,

  • un dynamisme démographique que l’Europe nous envie

Pour parfaire l’analyse, nous avons également étudié les politiques ciblées menées sur l’innovation par les autres pays. De nombreuses auditions ont permis d’établir un diagnostic partagé. Nous avons ainsi reçu :

  • des chefs d’entreprises innovantes,

  • des scientifiques et des chercheurs,

  • des économistes et des sociologues,

  • des penseurs,

  • des représentants des organisations professionnelles, syndicales et patronales.

Nous avons auditionné également des jeunes étudiants en école d’ingénieur, de commerce, de design.

Enfin, la contribution de chacun des membres de la Commission a été décisive. Venant d’horizons très variés, les membres de la Commission ont pu faire part de leurs expériences, en France et à l’étranger, des innovations réussies.

Au terme de cette première étape, nous avons préconisé d’instaurer un principe, de retenir 7 ambitions stratégiques et d’appliquer une méthode.

Le principe, d’abord.

Ce principe, c’est un « Principe d’Innovation » qui se pose en complémentarité du principe de précaution inscrit dans notre Constitution.

Le principe de précaution a une fonction de protection importante pour notre société. Mais il ne doit pas être un obstacle à l’expérimentation et à l’innovation.

Le Principe d’innovation que nous souhaitons mettre en œuvre doit se traduire à tous les niveaux :

  • à l’école, par l’éducation à la prise de risque,

  • dans les laboratoires et les entreprises, par le droit à l’expérimentation,

  • au niveau du Parlement et de l’administration, par la recherche constante de procédures simplifiées, de normes harmonisées qui encadrent mais n’entravent pas,

  • au niveau des mentalités, enfin, par une autre vision de l’échec, un échec qui ne stigmatise pas un projet ou une personne mais pave le chemin de la réussite.

Après la remise de notre rapport au Président de la République, l’Office Parlementaire d’Evaluation de choix scientifiques et technologiques a organisé une journée d’auditions à l’Assemblée Nationale afin de définir l’essence de ce principe. Cela a montré le soutien de beaucoup de parlementaires pour ce principe d’innovation.

Ce principe est une brique essentielle pour favoriser l’innovation, arrêter la stigmatisation de l’échec et encourager la prise de risques raisonnée.

Nous avons proposé également au Gouvernement 7 ambitions stratégiques qui doivent mobiliser les efforts privés et publics pour prendre une longueur d’avance sur ses concurrents dans le jeu de l’économie mondiale.

Ces 7 ambitions sont :

  • Le recyclage des matières
  • Le stockage de l’énergie
  • La valorisation des richesses marines avec les métaux et le dessalement de l’eau de mer
  • Les protéines végétales et la chimie du végétal
  • La médecine individualisée
  • La « silver economy », c’est-à-dire l’innovation au service de la longévité
  • La valorisation des données massives et ouvertes que l’on appelle plus communément le « Big data »

Ces 7 ambitions doivent mobiliser tous les leviers de l’action publique : l’investissement bien sûr, mais surtout le pouvoir de normalisation de l’Etat ou encore la commande publique qui avec ses 200 milliards d’euros de dépenses a une force de frappe que l’on a un peu oubliée.

J’en viens à la méthode. Pour déployer ces ambitions, nous avons lancé avec le Président de la République, moins de 2 mois après la remise du rapport, 7 concours mondiaux d’innovation, soit un concours pour chacune des ambitions stratégiques retenues.

Les concours mondiaux sont ouverts à tous, Français ou non, jeunes créateurs en train de mûrir leurs projets et start-up innovantes, PME confirmées et grands groupes internationaux à la réputation solidement établie. Pour tous, un seul engagement est requis : celui de créer et développer leur projet en France ou aussi en France, de créer de la richesse et des emplois dans notre pays.

Ce concours se démarque des autres concours qu’on connaît. La sélection est rapide pour répondre aux besoins de l’innovation. Nous voulons parier sur des projets mais aussi sur les porteurs de ces projets. C’est aussi un concours de personnes.

Nous avons d’ailleurs été copiés par l’Ademe et le Concours d’Innovation Numérique.

Ces concours se déroulent en 3 phases pour répondre aux besoins des innovateurs :

  • 1ère phase :  L’objectif fixé était de sélectionner environ 100 projets, dans les 7 ambitions confondues, qui seront aidés financièrement. Jusqu’à 200 000€ par projet pour les aider dans leur développement et notamment dans leur R&D.

  • 2ème phase de levée de risque pour sélectionner une quarantaine de projets et les aider jusqu’à 2M€ chacun. Les candidats à cette deuxième phase ne sont pas nécessairement des gagnants de la 1ère phase.

  • 3ème phase de développement : sélection d’une dizaine de projets avec un investissement en capital allant jusqu’à 20M€ pour chaque projet lauréat, de quoi booster leur industrialisation et commercialisation à grande échelle.

Ces financements publics constituent une aide importante et nous attendons aussi beaucoup des financements privés. Il faut sélectionner et concentrer nos ressources sur les meilleurs, donner un avantage déterminant aux meilleurs projets plutôt que de saupoudrer les aides sur l’ensemble des bons.

L’ensemble du processus permettra d’accorder au total 300M€ de fonds publics, sans compter les financements privés potentiels.

Ces sujets sont majeurs pour notre pays. Ils méritent que les priorités qui sont arrêtées le soient sur le long terme indépendamment du temps politique qui est par définition un temps court. Le consensus que nous avons souhaité bâtir autour de ces ambitions stratégiques, qui engagent l’ensemble des décideurs publics et des acteurs, a permis d’obtenir des résultats concrets et positifs très rapidement.

 

Quels sont ces résultats après 4 ans de travail de la Commission Innovation ?

 

Parmi les propositions remises au Président de la République en octobre 2013, beaucoup sont aujourd’hui opérationnelles.

D’abord les ambitions stratégiques que la France ne doit pas rater à l’horizon 2030. Nous avions défini 7 ambitions stratégiques (stockage de l’énergie, recyclage des matières, valorisation des richesses marines, protéines végétales, médecine individualisée, silver economy et valorisation des données massives ou big data). Elles sont à la croisée des forces de la France (tissu productif, formation et recherche) et des besoins de notre planète à l’horizon 2030. Chose unique en France, ces 7 ambitions n’ont fait l’objet d’aucune remise en question. Mieux encore, elles font l’objet d’un consensus.

Puis nous avons dû nous adapter aux épreuves qui ont frappé la France. Depuis les attentats de janvier 2015, la France fait face à des menaces inédites. Il nous semblait alors indispensable d’ajouter une nouvelle ambition stratégique : « sécurité collective et protection contre les actions malveillantes » et faire de l’innovation une force pour notre politique de sécurité. Cette ambition est devenue la 8ème de notre dispositif. Le vif intérêt des experts du secteur et le consensus national suscité par cette nouvelle ambition stratégique, ont fait de cette 8ème ambition un atout pour la sécurité de notre pays.

Notre recommandation d’une commande publique innovante a également trouvé sa place. Une priorité est maintenant donnée à l’achat public de solutions innovantes issues de TPE et de PME. Notre service public profite des talents de la France et de ses innovations. C’est un message fort.

Enfin, notre méthodologie, celle du concours, a été adoptée par tous et même copiée ! Le Concours mondial d’innovation est devenu un rendez-vous régulier que l’écosystème attend et une étape pour les start-ups qui se créent.

Conscient de cette réalité, nous avons même décidé de renouveler ce concours tous les deux ans.

 

Le Concours en quelques chiffres

 

En tout sur 3 ans et demi, nous avons reçu près de 2000 dossiers. Nous avons auditionné plus de 453 projets innovants.

La 1ère édition du Concours nous a permis de sélectionner :

  • 110 projets en Phase 1 ;
  • 36 projets en Phase 2 ;
  • Aujourd’hui, 12 projets sont qualifiés en phase 3.  Ces 12 projets font l’objet d’une instruction approfondie par BPI France pour investir jusqu’à 20M€ en capital dans chaque projet.

La 2ème édition du Concours a vu émerger de nouveaux lauréats :

  • 72 en Phase 1 ;
  • 30 en Phase 2.

Français ou étrangers, portés par des femmes et des hommes de talent, ces projets illustrent l’excellence dans les ambitions de la Commission. Leur diversité est remarquable et les réponses qu’ils apportent peuvent changer nos vies.

Selon les quelques retours reçus, le Concours a permis de créer des centaines d’emplois, des levées de fonds cumulées de plus de 100 millions d’euros et de générer une augmentation significative du chiffre d’affaires des entreprises lauréates.

Tous les candidats ont apprécié la rapidité et la transparence de la sélection du Concours Mondial d’Innovation. Naturellement certains ont été déçus. Les autres ont pu bénéficier, au-delà de l’aide financière, d’une visibilité et d’une crédibilité renforcées, vis-à-vis de leurs clients, leurs investisseurs et leurs partenaires ; de quoi transformer leur projet en succès.

Cette aventure est aussi le travail d’une équipe. Celui des membres de la Commission dont je veux saluer le travail et la passion sérieuse. Celui aussi des administrations (le CGI, la BPI et la DGE) avec qui nous avons construit tout cela. Tous ces propositions mises en œuvre permettent d’encourager l’innovation en France par l’intermédiaire de leviers d’action publics.

Ces solutions pour encourager l’innovation sont très appréciés par les innovateurs. J’ai la chance de le constater quotidiennement dans le cadre de mes activités privées

Vous êtes des décideurs qui influencez au quotidien notre société dans ses orientations et ses transformations, il me semblait nécessaire de partager avec vous l’avis de ces innovateurs. Il se concentre sur 3 dimensions :

La rapidité de sélection du Concours : les start-ups ne sont pas dans le même espace-temps que l’administration ou les grands groupes. Dans une start-up, lorsqu’on envoie un e-mail, on espère la réponse sous 24h. Lorsqu’on négocie un contrat, un partenariat, on attend la décision dans la semaine. Dans l’administration ou les grands groupes, l’inertie et les processus de décision rendent impossible de respecter ces délais. Le temps caractéristique de réponse à un e-mail est davantage de l’ordre de la quinzaine de jours.

L’engagement qui a été tenu par la Commission de sélectionner les lauréats en 6 semaines pour la 1ère phase et 10 semaines pour la 2ème a été très bien accueilli par les innovateurs. A leurs yeux, nous avons réussi à installer ce concours dans l’espace-temps de l’innovation.

La deuxième dimension souvent évoquée est le soutien public de l’Etat et de ses administrations pour une visibilité et une crédibilité inégalées. Le label du Concours Mondial d’Innovation a permis aux lauréats de lever plus de fonds, de le faire plus vite, d’embaucher des profils plus intéressants, et de trouver des clients plus nombreux. Comme avec la Commande Publique innovante, au-delà d’un soutien simplement financier, le label d’une sélection par l’Etat est souvent un accélérateur significatif pour les projets innovants. L’Etat reste donc un acteur clé pour encourager le développement de l’innovation.

Enfin, et je conclurai sur cette troisième et dernière dimension, la confiance des grandes entreprises est nécessaire pour permettre aux innovations de se développer. Trop d’innovateurs nous disent que les entreprises appliquent le principe de précaution et préfèrent un fournisseur connu. Avec le principe d’innovation et la confiance que nous avons dans les entreprises innovantes au sein du Concours Mondial d’Innovation, les entrepreneurs nous confirment qu’ils ressentent une nouvelle dynamique des grandes entreprises pour prendre le risque de l’innovation et faire confiance aux entrepreneurs.

Je vous remercie.