Allocution de présentation de Laurent Petitgirard
par M. Georges-Henri Soutou, Président de l’Académie
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Je suis heureux de vous retrouver cet après-midi après la matinée que nous avons consacré à un Entretien très productif sur le « rayonnement artistique de la France », auxquels plusieurs de vos confrères de l’Académie des Beaux-Arts ont contribué. Vous en avez déjà présenté les premières conclusions ce matin, mais votre communication d’aujourd’hui est l’étape ultime des réflexions que nous avons eues ce jour.
Je pense qu’il est superflu que je vous présente avant de vous laisser la parole. Pianiste, chef d’orchestre, compositeur de musique symphonique et d’opéras — Elephant Man et Gûrû — aussi bien que de musiques de film ou pour la télévision, vous avez été directeur musical de l’Orchestre Symphonique Français de 1989 à 1996. En 2005 vous avez été élu directeur musical par les musiciens de l’Orchestre Colonne, fonction que vous avez assurée jusqu’à l’an dernier. Vous avez été chef invité pour diriger de très nombreux orchestres à l’étranger parmi les plus prestigieux. Élu à l’Académie des Beaux-Arts en 2000 au fauteuil de Marcel Landowski, vous en êtes le Secrétaire perpétuel depuis 2017.
Je vous cède donc la parole afin que vous nous dressiez le tableau du rayonnement des « arts français » à l’étranger.
Les arts français à l’étranger : rayonnement et disparités
Laurent Petitgirard[1]
Secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts
Mon propos aujourd’hui traitera essentiellement de la présence de l’art français dans le monde, en posant la question des moyens à mettre en œuvre pour en favoriser la diffusion. J’examinerai les situations très différentes des disciplines artistiques, ainsi que celles des créateurs et interprètes qui les composent.
Mais lorsque l’on observe que l’un des critères essentiels pris en considération par un organisateur étranger pour programmer un artiste français est la notoriété dont il dispose dans son propre pays, il devient incontournable de faire précéder une réflexion sur la place de l’art français dans le monde par un constat sur la place de nos artistes dans l’hexagone.
Le financement de l’art en France est assuré en grande partie par de l’argent public, qu’il provienne de l’État, des régions ou des collectivités locales. Le mécénat, certes important et parfois spectaculaire, reste néanmoins marginal.
Le soutien de la puissance publique a pu produire des effets pervers. Un grand orchestre symphonique parisien, dont les recettes propres représentaient à peine 10 % de son budget et qui avait vu ses abonnements baisser de 30% en quelques saisons, n’affichait en fait que 3 % de pertes. Il pouvait ainsi éviter la remise en question que toute entreprise privée, qui se serait retrouvée dans la même situation, aurait dû mettre en œuvre.
Mais il est vrai que si nos élites ont souvent une bonne connaissance de la littérature française, leur incroyable inculture en matière de musique classique ou contemporaine est très lourde de conséquences. La plus évidente se voit dans le taux de TVA à 5,5% pour le livre et à 20% pour le disque, ce qui est discriminatoire et parfaitement anormal.
Une caractéristique de la création artistique dans notre pays est qu’elle s’inscrit dans la continuité d’un patrimoine exceptionnel. Cela contribue puissamment à lui donner un socle commun dont il restera une trace, quelles que soient les esthétiques des divers créateurs, ainsi qu’une certaine légitimité. Malheureusement la détestable habitude d’autodénigrement à la française n’épargne pas l’art.
Lors de la 80e cérémonie de remise des Oscars à Los Angeles en 2008, Marion Cotillard recevait la célèbre statuette pour sa bouleversante prestation en français dans le film La Môme d’Olivier Dahan, presque 50 ans après Simone Signoret, récompensée en 1960 pour son rôle, interprété en anglais, dans Les Chemins de la Haute Ville de Jack Clayton.
Le lendemain, dans le journal de France 3, la présentatrice recevait un journaliste des Cahiers du Cinéma pour commenter l’événement. Sa première question a été : « Alors, Marion Cotillard oscarisée pour La Môme, c’est peut-être un peu trop, n’est-ce pas ? ». Et le critique de répondre qu’en effet il ne s’agissait en l’occurrence que d’un biopic, ce qui est très différent d’une véritable fiction dans laquelle l’actrice ou l’acteur aura à créer un personnage.
Francis Bacon et Olivier Messiaen sont morts le même jour en avril 1992. Bacon a eu droit à la pleine première page du journal Libération, Messiaen à un petit encadré en haut à droite de la même page. Et pourtant c’était probablement, dans leurs disciplines, les deux plus grands qui disparaissaient. Francis Bacon était certes bien plus sulfureux que le très catholique Olivier Messiaen, ce qui n’était pas pour déplaire à ce journal, mais il était de surcroît britannique. De rage je me serais volontiers désabonné, mais encore eût-il fallu je le fusse, ce qui n’était pas le cas.
Lors du décès de Gabriel Fauré en 1924, des obsèques nationales avaient eu lieu dans l’Église de La Madeleine alors qu’en 2013 aucun représentant de l’État n’était présent pour honorer Henri Dutilleux. Tous étaient à l’enterrement de Georges Moustaki, décédé le même jour.
Sans aucunement souhaiter aller jusqu’au statut de « Trésor national vivant » accordé par le gouvernement japonais aux personnalités nippones les plus remarquables, on pourrait espérer une meilleure prise en compte de l’impact des grands créateurs dans le rayonnement culturel de la France. Ces quelques exemples peuvent sembler anecdotiques mais ils reflètent malheureusement un état d’esprit qui se retrouve trop souvent chez les grands décideurs.
Car ce ne sont que très rarement des artistes qui inspirent ou conduisent la politique culturelle de notre pays. Certes, beaucoup de créateurs n’en ont ni l’envie, ni le temps, ni même les capacités mais les grands élans qui ont forgé une dynamique capable de perdurer durant des décennies ont toujours été lancés par des artistes, de Jean Vilar à André Malraux, de Marcel Landowski à Rolf Liebermann.
La prétention et la suffisance de nombreux responsables de grandes structures, de musées ou de festivals nationaux n’ont trop souvent d’égal que leur parti pris et leur mépris pour la plupart des créateurs hexagonaux.
Lorsque nous avons rendu hommage le 2 octobre dernier au grand Vladimir Vélikovic dans l’Auditorium de l’École des beaux-arts, en présence de très nombreux de ses anciens élèves et confrères, le directeur d’un très important musée parisien, responsable de très grandes institutions depuis plus de 30 ans, est venu pour expliquer à toutes et à tous l’importance de ce grand peintre qui venait de disparaître.
Le problème est qu’il n’a jamais une seule fois programmé une exposition des tableaux ou des dessins de Vladimir Vélikovic. « Nos chemins professionnels ne se sont pas croisés » a déploré ce directeur réputé, mais cela ne tenait qu’à lui. La décence aurait tout de même dû le pousser à la discrétion.
Reste que de nombreux créateurs ont compris qu’ils devaient être les premiers ambassadeurs de leur travail, créer leurs propres contacts au niveau international (en commençant par maîtriser un minimum de langues étrangères) et ne surtout pas attendre tout de l’État, ce d’autant plus que l’image « d’artiste officiel » est dévalorisante et dévastatrice pour un créateur. Mais tous n’ont pas le tempérament, ni le goût d’assurer eux-mêmes la promotion de leur travail. Les artistes qui s’exportent le mieux le font le plus souvent par le biais des contacts qu’ils se sont créés et grâce à l’entreprise privée.
Du côté des universités, on peut aisément définir un « corps enseignant » composé certes de fortes personnalités, mais formant un ensemble relativement homogène, ne serait-ce que du fait des cursus dans lesquels ces grands professeurs se sont formés.
Dans le domaine de la création artistique, c’est extrêmement différent, les parcours sont beaucoup plus hétérogènes. On parlera dans telle ou telle branche d’une « École française », terme que je préfèrerai à une « French Touch » pour ne pas altérer la chaleureuse relation que nous entretenons avec Madame le Secrétaire perpétuel de l’Académie française.
C’est le cas en musique avec, quelle que soit l’esthétique des compositeurs, une finesse de l’orchestration, héritage des XIXe et XXe siècles, qui ne s’est jamais démentie.
Même constat lors de l’apparition de la « Nouvelle Vague » cinématographique, mais il semble que désormais, avec la multiplication des moyens de diffusion, l’attention se focalise sur des personnalités et non pas sur un concept d’art français qui semble dépassé lorsque l’on parle d’art contemporain.
C’est donc branche par branche que je vais tenter de vous donner un aperçu de la situation de nos artistes dans le monde et je remercie chaleureusement mes consœurs et confrères qui m’ont aidé à préparer ce texte, qu’il faudrait presque considérer comme un texte collectif de notre compagnie.
D’emblée se pose un problème. Peut-on encore parler séparément de peinture, de sculpture, de gravure alors que de nombreux artistes, y compris des académiciens récemment élus dans notre compagnie, se définissent plutôt comme des « plasticiens » et s’expriment indifféremment dans ces trois disciplines, sans parler de la photographie ou des installations ?
Les arts plastiques
Lorsque l’on entre dans le monde des arts plastiques et dans une moindre mesure dans celui de la photographie, on est confronté au « marché », qui déclenche une spéculation, fausse toutes les valeurs et génère une grande confusion.
La Biennale d’art de Venise constitue un baromètre intéressant de la reconnaissance internationale des artistes plasticiens. Depuis la première édition en 1897, la présence de la France s’est imposée d’abord avec autorité. La France est alors reconnue comme un des grands pays créateurs et innovants par ses mouvements modernistes et avant-gardistes.
En 1948 Georges Braque reçoit le Grand Prix de la Biennale de Venise, en 1960 c’est Jean Fautrier. Récompenses ultimes couronnant l’œuvre de deux grands maîtres français.
L’absence, depuis cette date, d’artistes français sur la plus haute marche du palmarès de cette manifestation vient probablement du fait qu’à partir du tournant des années 1950, Paris n’est plus à la fois le cœur de la création artistique et l’épicentre de son marché. L’hégémonie de l’art contemporain s’est concentrée outre-Atlantique, à New York.
La France ne représente aujourd’hui que 7 % du marché global de l’art contemporain aux enchères nous indique Guillaume Cerrutti, président de Christie’s et que je remercie pour les informations détaillées qu’il nous a transmises. Néanmoins, ce constat est à nuancer car si nos artistes contemporains souffrent de manière générale d’une présence insuffisante à l’étranger, il n’en demeure pas moins qu’un petit nombre d‘entre eux bénéficie d’une visibilité au sein d’institutions internationales prestigieuses.
C’est le cas bien évidemment de Pierre Soulages, le doyen des artistes contemporains français, qui aura 100 ans en décembre prochain. Soulages est présent dans les plus grandes collections publiques et privées depuis près de soixante-dix ans. On ne le sait pas forcément mais sa toute première exposition personnelle eu lieu dès 1949 à la Betty Parson Gallery de New York. Dès le milieu des années 1950, les musées américains acquièrent ses œuvres, que ce soit le Museum of Modern Art (MoMA) ou le Guggenheim.
Le Centre Pompidou lui a consacré une importante rétrospective en 2009 et l’ouverture de son musée à Rodez a inscrit pleinement son œuvre dans l’histoire de l’art. Mais si ses galeries lui assurent une grande visibilité aux États-Unis et en Asie, Pierre Soulages n’a pas encore bénéficié d’une grande rétrospective à l’international.
La rétrospective à la DIA Foundation de New York, consacrée à François Morellet, a été saluée par la critique, mais cet artiste majeur de la scène artistique minimale avait disparu deux ans plus tôt.
Plusieurs artistes plasticiens français ont reçu le célèbre prix japonais Praemium Imperiale, au cours des vingt dernières années : Pierre Soulages, Christian Boltanski, Pierre Alechinsky, Daniel Buren, Annette Messager, Martial Raysse.
Paradoxalement, certains artistes français contemporains tels Pierre Huyghe ou Philippe Parreno possèdent une visibilité plus importante à l’international qu’en France.
Le Centre Pompidou, le Palais de Tokyo ont pour mission de faire connaître les artistes français. Le Centre Pompidou entend d’ailleurs créer des antennes à Shanghai et à Bruxelles mais les expositions consacrées à des artistes français de ces deux musées ne sont pratiquement jamais présentées à l’étranger. Encore faudrait-il que ce soit le souhait profond des directeurs de ces établissements.
Le Prix Marcel Duchamp, qui récompense chaque année pendant la FIAC un artiste, est aujourd’hui un prix extrêmement reconnu à l’international et un passeport pour voir une carrière se développer à l’étranger. Il faut aussi saluer bien sûr l’impact de la Biennale de Lyon.
Quelques très grands collectionneurs français jouent un rôle primordial : chaque fois qu’un jeune artiste français entre dans leur collection, cela envoie un signal fort au monde de l’art. C’est le cas en particulier pour François Pinault, qui a offert à Martial Raysse une rétrospective internationale au Palazzo Grassi à Venise.
L’apparition depuis deux décennies de fortunes colossales dans des pays comme la Chine ou la Russie a contribué à une inflation des cotes de certains artistes, phénomène plus souvent lié à la spéculation qu’à un réel intérêt pour les œuvres.
L’art contemporain international est aujourd’hui lié à sa reconnaissance par le marché de l’art. On peut certes le regretter, mais certainement pas l’ignorer. Il est donc vital pour les artistes français de pouvoir trouver une place dans ce marché pour accéder aux collectionneurs étrangers.
Les galeries françaises d’art contemporain ont parfaitement saisi l’importance d’ouvrir des antennes dans les villes aux économies les plus dynamiques, telles la Galerie Perrotin à Paris, New York, Hong Kong, Séoul, Tokyo, Shanghai ou la Galerie Kamel Mennour à Paris et Londres.
Les galeries internationales d’art contemporain s’implantent de plus en plus en France et contribuent à renforcer la visibilité de Paris comme une place internationale : Gagosian Gallery, Thaeddeus Ropac Gallery, David Zwirner Gallery…
Mais les galeristes, dont certains peuvent être tout-puissants, vont mettre en place des stratégies parfois incompatibles avec le rythme de travail des créateurs. Leurs propriétaires sont disposés à investir sur un peintre à la condition d’avoir la certitude d’un rythme de création soutenu de plusieurs dizaines de tableaux par an. On imagine mal Balthus dans une telle situation.
Certains artistes n’hésiteront pas, par intégrité, à perdre le bénéfice d’être représentés par une grande galerie, ce qui a été la décision de notre cher confrère Gérard Garouste avec la célèbre galerie américaine de Léo Castelli, qui l’avait fait connaître avec succès aux États-Unis.
Notons que lors du vernissage de sa première exposition chez ce grand galeriste, le directeur du Musée Beaubourg de l’époque s’était empressé d’expliquer à Léo Castelli que Gérard Garouste n’était en aucun cas représentatif des peintres français. Ceci ne l’a pas empêché d’avoir la magnifique carrière internationale que l’on sait et un fraternel parcours avec le courageux galeriste français Daniel Templon.
Mais d’autres artistes se noieront dans des concessions qui les affaibliront, rares seront ceux dont la notoriété leur permettra d’imposer leur mode de travail.
Les foires comme la FIAC sont devenues des moments importants du calendrier de l’art contemporain, les magnifiques musées de Frank Gehry pour la Fondation Vuitton et prochainement de Tadao Ando pour la Fondation Pinault vont contribuer à attirer l’attention du monde de l’art sur Paris.
Les grandes maisons de vente aux enchères, lorsqu’elles choisissent de mettre en avant des œuvres majeures d’artistes français dans des ventes internationales, leur donnent elles aussi une présence à l’étranger.
Pourtant, la visibilité reste encore insuffisante, pour des jeunes artistes ou des créateurs en milieu de carrière. Peu d’entre eux parviennent à se faire reconnaître par le seul biais d’expositions en France. Ceux qui atteignent ce statut sont souvent ceux qui ont pris le risque de s’expatrier, partiellement ou totalement, afin de bénéficier de villes ou de pays où il existe une dynamique de création et d’exposition plus forte qu’en France.
Leur démarche a plus souvent été de se rapprocher des entreprises plutôt que d’attendre un soutien de l’État français. L’initiative individuelle reste essentielle, le grand succès à l’étranger de nos confrères Jean-Michel Othoniel ou Fabrice Hyber en constitue une parfaite démonstration.
Parmi les quelques leviers d’action possibles, signalons l’importance des résidences d’artistes comme la Villa Médicis à Rome, la résidence Triangle à Marseille, la résidence de la Villa Kujoyama au Japon ou encore la Casa de Velázquez qui jouent un rôle clef dans la diffusion des œuvres. Le festival ¡ Viva Villa !, initié par notre consœur Muriel Mayette-Holtz, qui présente au public les œuvres des pensionnaires de ces diverses résidences est un parfait exemple de l’impact de ces lieux privilégiés sur la création.
Les Écoles des beaux-arts sont également impliquées dans le rayonnement des artistes contemporains. Notre confrère Jean-Marc Bustamente a insufflé un bel élan aux Beaux-Arts de Paris et son successeur Jean de Loisy prend en compte lui aussi la nécessaire ouverture vers l’international, dans un établissement qui accueille beaucoup d’étudiants étrangers.
La notoriété de certaines structures peut favoriser l’exportation des œuvres des artistes qui les composent. C’est ainsi qu’en 2015 et en 2019 le Musée des beaux-arts de Pékin a successivement exposé, avec un grand succès, les œuvres des membres de la section de peinture, de la section de sculpture et de photographie de notre académie.
Alors que persiste une certaine difficulté à exporter les œuvres françaises à l’étranger, les jeunes artistes du monde entier se pressent pour venir étudier les arts en France, que ce soit pour les arts plastiques, la musique, la photographie. Cette situation paradoxale doit nous faire réfléchir, mais elle est de nature à nous faire garder confiance dans l’avenir.
La gravure
En ce qui concerne la gravure et toutes les techniques de l’art de l’estampe, les artistes qui sont le plus connus à l’étranger sont en majorité ceux qui le sont déjà par la peinture ou le dessin, défendus et promus par des galeries telles que Maeght, Bernard Jordan, Lelong, qui participent à toutes les grandes foires internationales.
Le vingtième siècle a vu de très grands marchands français promouvoir les arts graphiques à l’étranger : Durand-Ruel, pionnier à la fois dans le choix des artistes et dans les méthodes managériales, puis Ambroise Vollard qui avait un goût particulier pour l’estampe et aussi pour le livre d’artiste qui en est le corollaire. Les choses ont changé…
Ce qui, après les grands marchands du début du XXe siècle, a persisté est l’excellence et la réputation internationale des ateliers d’impression d’estampes en France et en particulier à Paris, à la suite de l’atelier Lacourière-Frélaut, imprimeur de Picasso, Matisse, Derain, Bernard Buffet, Trémois et tant d’autres ou de l’atelier des frères Crommelynck diffusant Tapiès, Miro, Hockney, Jasper Jones, Jim Dine.
L’Institut Français, Xavier Darcos le sait mieux que personne, organise des expositions et aide à la connaissance de nos artistes à l’étranger, mais dans une économie de plus en plus mondialisée, c’est une action peut-être moins visible.
Enfin, il faut signaler la création récente du Prix de gravure Mario Avati de l’Académie des beaux-arts, qui semble peu à peu s’imposer comme un événement majeur dans le monde de l’estampe. Ce prix, à vocation internationale, doté de 40 000 dollars, attire de plus en plus d’artistes étrangers de renom.
Depuis sa première édition en 2013, il a été attribué à deux artistes de nationalité française, une Allemande, une Américaine, un Tchèque, une Néerlandaise, une Britannique … Soit cinq femmes et deux hommes, mais ceci est une autre histoire …
L’architecture
L’architecture a toujours été un domaine dans lequel la France a brillé et notre Académie peut s’enorgueillir d’avoir toujours compté dans ses rangs des architectes mondialement reconnus. La radicalité du début du XXe siècle ne s’est jamais complètement appliquée en France et cette indépendance d’esprit dont ont fait preuve nos architectes en créant un style français, mélange de modernité et de classicisme, a certainement aidé à augmenter leur attractivité au-delà de nos frontières.
Mais « l’architecture à la française » que, dans un fameux discours à l’Unesco, le président Giscard d’Estaing voyait « faite d’harmonie des volumes, de simplicité, d’une certaine rigueur, et tournant le dos assez nettement aux modèles nés outre-Atlantique, froids, impersonnels et volontiers imposants », a été contestée par une partie du milieu professionnel qui s’est toujours déclarée réticente face aux références nationales ou du régionalisme : c’est l’un des grands, des violents débats de l’entre-deux-guerres.
Cette discipline est la seule dans laquelle l’obtention d’une commande publique passe quasi systématiquement par un concours, de surcroît anonyme depuis quelques années, ce qui frustre terriblement les compétiteurs du contact oral avec le jury et place les jurés dans une position désagréable avec, d’un côté ceux d’entre eux qui, experts, reconnaissent ou pensent identifier les divers concurrents et de l’autre ceux qui errent dans cet anonymat et les envient.
Se remettre ainsi perpétuellement en question, alors que l’on est au fait de sa carrière et de son savoir, reste une épreuve à laquelle les architectes doivent se plier et qui est cause de bon nombre de frustrations. Mais c’est aussi un incessant entraînement.
Les architectes sont également les seuls des artistes de notre compagnie à diriger des bureaux pouvant compter de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de collaborateurs.
Certaines des constructions récentes les plus renommées, élégantes et spectaculaires de ces dernières années ont été réalisées par des architectes français, l’Opéra de Pékin de notre regretté Paul Andreu, le Louvre Abou Dabi de Jean Nouvel, le Stade de France d’Aymeric Zubléna, les gratte-ciels de Portzamparc à New York, l’université cachée dans une colline de Séoul de Dominique Perrault, et je pourrais aussi évoquer un grand nombre de jeunes professionnels de talent.
L’architecture sous-marine visionnaire de notre confrère Jacques Rougerie l’a fait intervenir dans le monde entier.
La richesse de son patrimoine fait que la France a également toujours disposé d’architectes d’une grande expertise dans la restauration et la sauvegarde des monuments en péril.
Les conditions de travail des architectes en France sont très spécifiques car depuis 1977 l’architecture est déclarée d’intérêt public, d’où les concours et la loi MOP qui garantit l’indépendance de l’architecte qui se retrouve responsable de la gestion financière du projet et de sa réalisation.
Pour travailler hors de France, l’architecte aura la nécessité de disposer d’une agence importante et très structurée, sauf bien évidemment dans le cas d’une commande directe, ce qui n’empêche pas quantité de jeunes équipes de se lancer maintenant à l’étranger, en Europe d’abord, en Chine, parfois en Afrique avec succès, mais souvent au prix d’une alliance avec des agences locales.
Des critères nouveaux sont apparus. L’influence écologique, qui est devenue l’un des déterminants contemporains essentiels, pour les matériaux utilisés bien sûr, mais aussi du point de vue de la forme. C’est l’une des grandes ‘causes’ susceptibles de modifier profondément l’architecture de demain, l’une des rares qui, aujourd’hui, soient capables de faire naître une nouvelle doctrine, l’usage de matériaux neufs ou reconquis et l’invention de nouvelles sensibilités, de nouvelles esthétiques.
Compte également de plus en plus la transition numérique, avec les nouveaux outils, la 3D et les simulations de plus en plus spectaculaires, et certainement l’intelligence artificielle avec la question de définir ce qui est ou non reproductible dans le savoir de l’architecte.
Les nouveaux instruments numériques très puissants permettent en temps réel la manipulation de maquettes virtuelles et autorisent une conception dans l’espace. Les architectes sont désormais capables “en quelques clics” de composer, de dessiner, de mettre en images, de gérer tous les réseaux internes qui irriguent le bâtiment et de mesurer l’incidence économique des choix.
Reste que nos éminents confrères nous précisent que tout commence toujours par un dessin, par une esquisse, sorte de condensé des possibles. Espérons qu’en dépit des progrès incessants des outils, ce geste initial perdurera dans les nouvelles générations d’architectes.
La musique
En ce qui concerne la musique, il convient de distinguer quatre domaines :
- les musiques actuelles et le jazz
- la musique de film
- les compositeurs de musique « contemporaine »
- les interprètes (orchestres, ensembles solistes)
Je n’évoquerai que très rapidement les musiques actuelles car c’est évidemment un domaine lié à la grande industrie du disque et aux multinationales. La chanson française est certes présente à l’étranger, mais à part quelques pays de langue française et quelques implantations locales, c’est sans comparaison avec ce qu’elle représentait au niveau international il y a quelques décennies.
Le rap, genre musical préféré des Français, ce qui donnerait presque envie de demander la nationalité islandaise, reste limité par la langue.
C’est l’électro qui domine désormais avec quelques Français qui connaissent une renommée planétaire, le pionnier ayant été Jean-Michel Jarre, suivi maintenant par le groupe Daft Punk et David Guetta qui ont acquis une très importante stature internationale.
Le jazz reste par nature très confidentiel et, quel que soit l’indéniable talent des musiciens français dans ce domaine, aucun n’a une reconnaissance internationale auprès du grand public comparable à celles de Chick Corea, Keith Jarrett ou Herbie Hancock.
La France dispose d’un Bureau Export pour la musique, mais il faut noter qu’il est six fois moins doté par l’État que ne l’est UniFrance pour le cinéma et que l’essentiel des soutiens va aux musiques actuelles.
La musique de film a évolué. Les compositeurs de musique contemporaine comme Antoine Duhamel ou Pierre Jansen qui, dans la continuité de Prokofiev ou Honegger, l’ont pratiquée jusque dans les années 1970-1980, ont été tellement ostracisés et méprisés par les instances musicales d’avant-garde qu’elle est progressivement tombée dans les mains de musiciens souvent peu formés, cachant leur incompétence grâce à l’électronique et à leurs nombreux collaborateurs.
Heureusement, il reste quelques compositeurs de talent qui font honneur à cette « École française » évoquée plus tôt, citons Gabriel Yared ou Alexandre Desplat, qui ont reçu plusieurs Oscars et qui tous les deux ont écrit des œuvres pour le concert, tout comme Bruno Coulais que notre Académie a primé il y a quelques années. Il aura fallu attendre l’arrivée de Bruno Mantovani à la direction du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris pour que cette discipline y soit enfin enseignée.
Pour les compositeurs de musique contemporaine, les problématiques sont diverses entre l’opéra, la musique symphonique, les ensembles et la musique de chambre.
Les coproductions entre théâtres permettent la diffusion d’opéras français à l’étranger ; la Monnaie à Bruxelles est par exemple un théâtre très ouvert à la création ; Pascal Dusapin, dont les nombreux opéras ont été largement diffusés, vient d’y créer son 8e opéra Macbeth UnderWorld.
Le coût très important des productions d’opéras nécessite des coproductions, essentiellement internationales, car si les directeurs de théâtres souhaitent afficher une création mondiale, a minima nationale, ils rechignent souvent à se borner à la reprise d’une production déjà présentée dans leur pays et donc à ne pas bénéficier de la présence de la presse.
N’oublions pas que le Dialogue des Carmélites de Francis Poulenc d’après Georges Bernanos a été créé en italien à la Scala de Milan en 1957 avant d’être présenté en français à Paris la même année.
Le premier partenaire du compositeur devrait être son éditeur, en charge de l’établissement et de la diffusion des partitions, puis de la promotion internationale des œuvres. Un regrettable regroupement de sociétés a fait que les plus grandes éditions françaises ont été rachetées par une structure multinationale. Dans un groupe d’une telle importance, qui est à la fois diffuseur, producteur, éditeur et dont l’écrasante majorité de l’activité éditoriale est liée aux musiques actuelles, la musique contemporaine demeure marginale. Le service chargé de la promotion du secteur de la musique contemporaine de cette édition, qui regroupe plus de cent-vingt compositeurs, comprend une personne en interne et un renfort occasionnel en externe.
Ce sont donc les compositeurs qui sont en permanence en première ligne. Restent deux ou trois petites sociétés d’édition courageuses qui font un travail honorable, à la mesure de leurs moyens, forcément limités.
Il y a de véritables circuits, des festivals importants souvent liés à l’origine à des critères esthétiques, qui permettent la diffusion des œuvres symphoniques. Pierre Boulez a ainsi contribué à créer des échanges très forts avec l’Allemagne, où il a longtemps résidé.
Les ensembles spécialisés dans la musique contemporaine s’adressent à un public d’initiés et la souplesse de leurs structures facilite leur accès à de nombreux festivals internationaux. Le rôle de Radio France est central ; force est de constater que la mission initiale liée à la création contemporaine de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, dont notre confrère Gilbert Amy a été le premier directeur musical de de 1976 à 1981, a été dévoyée pour en faire, en termes de répertoire, un clone de l’Orchestre National de France.
Reste que le premier gage de diffusion et de pérennité d’une œuvre est l’intérêt que vont lui porter les interprètes. C’est là le meilleur moyen de la faire entrer dans le répertoire et de contrer la détestable habitude des organisateurs de ne vouloir que des créations.
Le fait qu’une commande signifie souvent pour l’artistecent fois plus de revenus que les droits d’auteur issus d’un concert incite les compositeurs à proposer en permanence des œuvres nouvelles et pour certains à écrire trop, au détriment du suivi de leur création. Mstislav Rostropovitch a été exemplaire, suscitant plus de cinquante commandes de concertos dont la célèbre Symphonie concertante de Serge Prokofiev ou encore Tout un Monde lointain d’Henri Dutilleux, créé en 1970 et qui du vivant du compositeur a été joué plus de trois cents fois et enregistré par une dizaine de solistes différents.
Mais encore faut-il que les interprètes jouissent d’une notoriété suffisante pour imposer une œuvre contemporaine alors que l’organisateur attend Beethoven ou Tchaïkovski. En cela, le soutien du directeur musical d’un orchestre, qui sera donc en capacité de programmer les œuvres de son choix, est primordial.
Il y a enfin le cas spécifique des compositeurs qui mènent parallèlement une carrière de soliste ou de chef d’orchestre susceptible éventuellement de soutenir leur création. Dans notre académie, Thierry Escaich à l’orgue, Michaël Levinas au piano, Bruno Mantovani à la baguette combinent les deux activités, même si la création reste leur axe principal.
La vie des compositeurs sera toujours difficile, il n’y a toujours eu que quatre ou cinq compositeurs pouvant vivre uniquement des droits d’auteur issus de leurs œuvres de musique contemporaine – et jamais avant cinquante ans. Pratiquement tous ont doublé leur vie de compositeur par une ou plusieurs activités de directeur de conservatoire, de professeur, d’interprète, de responsable de structures ou de festivals qu’ils ont même parfois contribué à créer comme l’ont fait tous les membres de notre section.
En ce qui concerne les instrumentistes, l’excellence de l’enseignement professionnel prodigué en France a donné naissance à de très nombreux talents avec des carrières internationales. Ils sont si nombreux qu’il serait vain de n’en citer que quelques-uns. Les chefs d’orchestre français dirigent dans le monde entier et l’on constate avec plaisir la féminisation de cette profession.
Notons cependant qu’il aura fallu attendre 2016 pour voir enfin un chef français, Emmanuel Krivine, nommé directeur musical de l’Orchestre national de France, le dernier Français à avoir occupé cette fonction étant Jean Martinon en 1973.
Les tournées internationales de l’Orchestre national de France comportent assez rarement un soliste français et jamais une œuvre d’un compositeur français vivant, le concept de « musique française » s’arrêtant pour l’international à la première moitié du XXe siècle.
Lors de la tournée en Chine que ce magnifique orchestre va effectuer en octobre 2019 sous la direction de son directeur musical, deux programmes comprendront la symphonie en ré mineur de César Franck, La Mer de Claude Debussy, La Barque sur l’océan de Maurice Ravel ainsi que le premier concerto de Tchaïkovski et le second concerto de Rachmaninov, avec l’excellent pianiste russe Nicolaï Lugansky en soliste.
Un soliste français sera tout de même présent lors d’un troisième programme, le génial flûtiste Emmanuel Pahud, flûte solo de la Philharmonie de Berlin, mais pour jouer le concerto de Khatchatourian.
La Philharmonie de Paris de Jean Nouvel a heureusement doté notre capitale d’un outil exceptionnel susceptible d’accueillir les grandes phalanges internationales.
Les compositeurs ont compris qu’il n’y a pas de « marché de la musique contemporaine », que personne ne sera un meilleur ambassadeur de leur musique qu’eux-mêmes. Beaucoup se sont depuis longtemps entraînés à créer les évènements ou encore à produire les enregistrements qui leur permettront de diffuser leurs œuvres.
Le cinéma
La France fournissait 80 % du cinéma mondial avant la Première Guerre mondiale. Cet art a été décapité par la Grande Guerre et, dès les années 1920, ce sont les États-Unis avec Hollywood qui sont devenus le centre du cinéma mondial.
Le premier problème reste évidemment celui de la langue. Aux États-Unis qui, avec le Canada, constituent la deuxième zone d’accueil du cinéma français, le sous-titrage est honni et ce même à Los Angeles où ne subsiste qu’un malheureux cinéma d’art et d’essai, totalement excentré. L’éventuel doublage coûtant beaucoup plus cher que ce que la plupart des films peuvent espérer rapporter, la diffusion des films français reste confidentielle. Seul le festival consacré au cinéma français « City of Lights » à Los Angeles a un réel impact.
En achetant les droits de distribution d’un film, les studios américains négocient souvent la possibilité d’en faire un remake – c’est probablement en fait leur seul but dès le départ. The Upside, le remake des Intouchables, qui avait réalisé 20 millions d’entrées en France et 30 millions à l’étranger, est bien loin d’avoir la poésie et la profondeur du film d’Olivier Nakache et Éric Toledano ; il a cependant obtenu un bon succès commercial aux États-Unis.
Mais il faut bien comprendre que ce film constitue une absolue exception. Seul Lucy de Luc Besson, mais tourné en anglais, le dépassera avec 53,5 millions d’entrées à l’étranger. L’excellent film Trois hommes et un couffin de notre consœur Coline Serreau, qui a connu un très grand succès mondial, n’a pas échappé à un remake réalisé par Leonard Nimoy.
La réussite du cinéma français à l’étranger reste extrêmement liée à certaines importantes productions tournées en anglais, à des films d’animation, domaine d’excellence française, ou encore des films très identifiés à l’image que les étrangers ont de la France.
Les coproductions avec les pays ressortissants de l’Union européenne apportent la garantie d’une bonne diffusion des films. Ainsi, la Belgique est un pays extrêmement attractif pour le cinéma grâce à une politique de crédit d’impôts. Les coproductions avec les États-Unis restent très compliquées : à l’exception de Roman Polanski ou de Jean-Jacques Annaud, dont le talent a imposé le strict respect de leurs œuvres, la greffe prend souvent mal pour des réalisateurs français, car c’est une toute autre façon de travailler et d’envisager l’auteur de la réalisation qui se retrouve souvent cantonné au rôle de « faiseur » au service du producteur-studio. Il convient d’évoquer une exception : Luc Besson, dont les films « français » réalisés en langue anglaise et donc solubles dans le marché anglo-saxon ont d’ailleurs quelque peu tendance à biaiser les chiffres du cinéma français à l’exportation.
Malgré les velléités du CNC et d’Unifrance visant à encourager nos liens avec la Chine qui connaît une croissance hallucinante de son parc de salles de cinéma, les coproductions restent rares de ce côté du monde et difficiles, notamment pour les problèmes de censure et de complexité des contrats. L’image de la France est par ailleurs réduite à quelques talents (Sophie Marceau, Christophe Lambert). Notons quelques exceptions notables, notre confrère Jean-Jacques Annaud bien sûr, ou encore Philippe Muy, qui tournera en chinois et avec des acteurs chinois Le Rossignol en 2012. Ce sont toujours des sujets universels et donc consensuels pour la Chine. La Chine produit 400 films par an. Une dizaine de films américains y sont exportés et très rarement un film français, tous les trois ou quatre ans.
La culture cinématographique française s’exporte heureusement grâce aux écoles de cinéma et de nombreux réalisateurs (Scorsese, Tarantino, Gray, Chazelle…) n’ont de cesse d’en citer les références dans leurs œuvres.
L’efficacité du système de financement du cinéma français a toutefois certains effets pervers, un nombre exagéré de films étant produits sur des sujets identiques, trop souvent destinés à n’être diffusés en salle que quelques jours, pour justifier leur financement. N’oublions cependant pas que Cannes reste le plus grand festival de cinéma au monde et qu’une nouvelle génération de cinéastes français comme Arnaud Desplechin, François Ozon, Cédric Kahn sont régulièrement invités au Festival de Tellu-Ride de Robert Redford.
La photographie
Si la photographie française du XIXe siècle occupe encore une place importante avec notamment les œuvres de Baldus, Legray ou Bayard et des expositions dans le monde entier, si la photographie moderne continue à susciter l’intérêt avec Atget, Henri Lartigue, Brassaï, Henri Cartier-Bresson, il n’en va pas de même avec la photographie contemporaine. Malgré la multiplication, depuis une vingtaine d’années, des festivals (Arles, Perpignan, Mois de la Photo à Paris), l’ouverture de grandes institutions consacrées à la photographie (Jeu de Paume, Maison Européenne de la Photographie, Le Bal à Paris) et la consécration du marché avec Paris Photo au Grand Palais, ce sont toujours les photographies américaine, allemande, japonaise ou chinoise qui font courir les collectionneurs et les conservateurs de musées.
De même pour le photojournalisme. Dans les années 1960-1970 c’était au travers des grandes agences françaises (Sipa, Sygma, Gamma, Magnum) et de l’œil des photographes français que le monde se regardait vivre. Avec la crise des magazines ou de la presse et l’arrivée d’internet, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Peu d’artistes français sont connus à l’étranger. Malgré la grande notoriété de grands photographes tels Pierre et Gilles, Sebastião Salgado, Sarah Moon ou Yann Arthus-Bertrand, la cote des œuvres de nos grands photographes reste limitée au regard des sommets atteints par l’Allemand Andreas Gursky, l’Américaine Cindy Sherman ou le Canadien Jeff Wall dont les photos ont avoisiné ou dépassé les 4 millions de dollars.
Comment expliquer cette dichotomie ? Certes, la puissance économique assure souvent une primauté du culturel et de l’art en particulier mais Gursky est allemand et Wall canadien. Le faible nombre de collectionneurs français et le fait que, contrairement aux collectionneurs étrangers, ils achètent peu d’œuvres de leurs compatriotes constituent l’une des explications de ce phénomène.
Il en va de même pour nos grandes institutions, Centre Pompidou, Palais de Tokyo, Jeu de Paume qui font peu de place aux artistes français, les conservateurs préférant exposer des photographes étrangers, triste constat déjà évoqué au début de cet exposé.
Malgré les efforts des galeries Templon, Nathalie Obadia, Perrotin, l’absence de puissantes structures telles Gagosian ou Pace/MacGill, qui assurent la promotion de leurs artistes dans les grandes foires internationales, handicape la présence de la photographie française à l’étranger.
En attribuant deux grands prix de photo, celui de Marc Ladreit de Lacharrière pour un projet et le prix de consécration William Klein, qui est le mieux doté au monde, notre Académie contribue à redonner une place majeure à la France dans le domaine de la photographie.
La danse
Colosse du patrimoine culturel mondial, le chorégraphe Marius Petipa est aujourd’hui à l’affiche des grandes compagnies internationales, mais de son vivant, il ne signa qu’un seul ballet à Paris, le Marché des innocents en 1861. C’est principalement la Russie qui aura sauvegardé son œuvre.
Un siècle plus tard, en 1969, venant de la danse classique, mais ouvert aux formes nouvelles, Jaques Chaurand, las d’entendre qu’il n’y avait pas de chorégraphes en France, lança à Bagnolet le concours « le Ballet pour demain ».
À quelques exceptions près, comme la création en 1968 du Ballet Théâtre Contemporain à la Maison de la Culture d’Amiens, puis du Concours de Bagnolet, haut lieu de la création contemporaine, la danse dans son ensemble était partout considérée comme secondaire. C’est l’explication du très regrettable départ pour la Belgique en 1959 de Maurice Béjart auquel on refusait un lieu d’accueil pour sa troupe.
En 1984 se constitue le réseau des Centres chorégraphiques Nationaux, mais on assistera parallèlement au démantèlement de plusieurs troupes de théâtres lyriques, sans parler d’un abandon de l’exigence au niveau de l’enseignement de la danse classique.
Attachée à promouvoir la création artistique française dans le monde, l’Association française d’action artistique, désormais Institut français, sera le porte-drapeau de ces nouvelles structures. Le Festival FranceDanse, créé par l’Institut français en 2007, a permis de susciter d’importantes synergies à l’international, notamment avec l’Allemagne qui, forte de ses soixante-dix compagnies d’excellent niveau, s’est révélée une véritable terre d’accueil pour les compagnies françaises.
Après la Chine, le Québec et New-York, c’est en Angleterre que jusqu’à la mi-novembre ce Festival se déroule dans neuf villes avec en tout cinquante représentations. Mais on mélange allègrement, dans les diverses statistiques, les prestations d’un danseur seul avec celles d’une compagnie, sans parler de la place grandissante prise par le hip-hop et le cirque.
Force est également de constater que rares sont les chorégraphes d’aujourd’hui qui collaborent avec des compositeurs de musique contemporaine et que bon nombre de chorégraphies sont montées sur des musiques dites « actuelles » d’une affligeante banalité, généralement diffusées à un niveau sonore insupportable.
Il y a en France 1 400 compagnies de danse de toutes sortes, produisant 700 spectacles différents par an, dont 75 % sont consacrés à la danse contemporaine. L’essentiel de l’activité se concentre d’une part sur des compagnies permanentes attachées à un théâtre national ou municipal : le prestigieux Ballet de l’Opéra national de Paris qui, avec ses 153 danseurs, se produit au moins une fois par an dans des grandes capitales étrangères, puis les ballets de Bordeaux, Toulouse, Lyon, Nice-Méditerranée, Metz, Avignon.
L’autre pôle de création est constitué par les 19 centres chorégraphiques. À géométrie et subventions variables, ces compagnies disposent d’un lieu de répétitions et d’un personnel administratif permanents, mais emploient majoritairement des danseurs intermittents à l’exception de 5 d’entre eux qualifiés de ballets, non pas en raison du style chorégraphique, mais pour employer des danseurs permanents avec des effectifs de 20 à 33 danseurs : Ballet National du Rhin, de Lorraine, Preljocaj, Malandain-Biarritz, Marseille.
Mais avec une importante programmation à domicile et des contraintes réglementaires souvent assez lourdes, ces compagnies sont confrontées à d’importantes difficultés pour s’exporter. Le mécénat peut bien sûr soutenir la tournée d’une compagnie à l’étranger mais, immatérielle et éphémère par essence, la danse ne fait pas le poids vis-à-vis d’une œuvre plastique ou d’une œuvre d’intérêt patrimonial. Ce mécénat ne représente qu’à peine plus d’un million d’euros et c’est souvent sous le prisme de l’éducation et du renforcement du lien social que ces aides sont accordées.
Comme dans d’autres arts, la présence de la danse française à l’étranger se concrétise souvent plus par l’éclosion de ce que nos créateurs ont semé que par une effective présence des compagnies.
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Cet état des lieux de l’impact de l’art français à l’étranger ne prétend pas à l’exhaustivité, il faudrait commencer par saluer le théâtre et le Festival d’Avignon.
Dans bien des domaines qui touchent à l’art, la France est au premier plan, il suffit de constater l’aura des grandes maisons de couture française, Paris restant la capitale mondiale de la mode. Notre compagnie se réjouit de compter parmi ses membres Pierre Cardin dont le parcours exceptionnel est planétaire et a rejailli sur notre pays.
Dans des mondes aussi divers que la bande dessinée, la lutherie, la joaillerie, la gastronomie ou le design, les créateurs français ont su trouver leur place au niveau international.
Au terme de cet exposé on constate que, si les disparités entre les arts sont très importantes et induisent donc le recours à différents modes de soutien, la réussite des artistes français dans le monde dépend en premier lieu de leur capacité d’attirer, d’intéresser puis de convaincre les interlocuteurs étrangers influents dans leur domaine d’expression.
Mais cette importance des artistes français, qui fleurit si souvent dans les discours de nos dirigeants, doit être mieux prise en compte dans leurs actes. Cela devrait commencer par une plus grande attention dans le choix des dirigeants de nos grandes institutions culturelles en veillant à nommer des personnalités ouvertes et éloignées de tout sectarisme.
On résume trop souvent le soutien de la puissance publique à la création artistique à une froide analyse des chiffres du budget de la culture, alors que la dimension affective est essentielle. On attend avec impatience de voir un président de la République se déplacer avec tel grand plasticien, compositeur, architecte, chorégraphe ou photographe et pas seulement avec une star de cinéma.
Je ne souhaite pas terminer ce propos dans une attitude passive ou revendicative. Nous devons prendre nos responsabilités et savoir constater nos manques.
Les académies d’art des différents pays n’ont pas su établir des collaborations internationales comme l’ont fait les diverses académies des sciences. Elles souffrent de la confusion entre académie et académisme, alors que du fait de la grande diversité des choix esthétiques de leurs membres, ces compagnies sont désormais des lieux d’ouverture d’esprit et jamais de censure.
L’Académie des beaux-arts va prendre l’initiative de relations avec les académies étrangères les plus représentatives, développer considérablement ses résidences d’artistes toujours ouvertes à des créateurs de toutes nationalités, augmenter et embellir ses lieux d’exposition, soutenir fermement les initiatives visant à exporter les œuvres des créateurs français. Ses membres, heureux d’appartenir à une institution où tous les domaines de l’art dialoguent en permanence, savent que la création est un flux constant qui s’enrichit de la découverte et du partage avec les artistes du monde entier. Nous sommes tous ici déterminés à agir ensemble afin d’aider notre pays à voir plus grand, à aller plus loin, à avoir confiance dans sa capacité à étonner le monde. Le panorama des réalités que je viens de brosser devant vous ne bridera jamais nos rêves.
[1] Laurent Petitgirard est compositeur et directeur d’orchestre. Il est l’auteur de nombreuses œuvres symphoniques ou concertantes, de musique de chambre, de musiques de film ainsi que de deux opéras. Il a dirigé l’Orchestre Colonne de 2004 à 2018. Il a une importante activité de chef invité en France et à l’étranger.