Philippe Levillain s’est éteint à Paris le 4 octobre 2021.
Lors de la séance du 11 octobre, le président André Vacheron a prononcé une allocution en sa mémoire et fait observer une minute de recueillement.
Séance ordinaire du 11 octobre 2021
Allocution en hommage à Philippe Levillain
par André Vacheron
Président de l’Académie des sciences morales et politiques
Mes chers confrères,
Notre confrère, le professeur Philippe Levillain, nous a quittés lundi dernier 4 octobre, foudroyé par un AVC survenu le vendredi précédent, pour reprendre l’adjectif qui se trouve dans le titre de l’ouvrage qu’il consacra à la renonciation de Benoît XVI. Cette disparition brutale est un choc pour notre Compagnie.
Depuis son élection dans notre Académie, le 19 novembre 2011, au fauteuil laissé vacant par le décès de Pierre Chaunu, dans la section Histoire et Géographie, Philippe Levillain fut fidèlement présent à nos séances, répondant régulièrement aux sollicitations de ses confrères de prendre la parole sur le sujet de sa compétence : l’Église catholique. Philippe Levillain aimait le monde académique et ne faisait pas mystère que son élection était pour lui un projet de longue date. Il en appréciait par-dessus tout les rites et le caractère policé des échanges qui s’y tenaient.
Toute qualité qu’il aimait aussi dans le monde feutré de la Curie romaine. Le monde romain, il l’avait découvert en 1965, alors que, jeune normalien et nouvellement agrégé, il fit un stage de 4 mois comme attaché de presse auprès de René Brouillet, récemment nommé ambassadeur de France près le Saint-Siège. L’effervescence était intense en cette année de conclusion du second concile œcuménique du Vatican. Philippe Levillain noua à l’époque des relations durables qui lui permirent par la suite d’être l’un de meilleurs « vaticanologue » — terme qu’il préférait à « vaticaniste » — de notre pays.
Il consacra sa thèse au concile et la réalisa sous la direction de René Rémond. Il en sortit un ouvrage : La mécanique politique de Vatican II. Majorité et unanimité dans un concile, paru en 1975.
C’est à l’Université de Nanterre qu’il débuta sa carrière d’enseignant, auprès de son directeur de thèse : tout d’abord assistant de 1967 à 1975, puis maître-assistant de 1975 à 1981. Mais, au cours de cette période, il fut détaché à l’École française de Rome, où il occupa le poste de directeur des études en histoire moderne et contemporaine. Il y acheva, en 1979, sa thèse d’État sur Albert de Mun, qu’il publia, en 1983, sous le titre Albert de Mun. Catholicisme social et catholicisme romain du Syllabus au Ralliement. S’il aimait la Villa Bonaparte, Philippe Levillain avouait une égale dilection pour le Palais Farnèse. Il y revint très fréquemment par la suite, y organisant des colloques internationaux importants, comme le colloque sur le pontificat de Léon XIII en 2003.
De retour en France, il fut élu professeur titulaire d’histoire contemporaine à l’Université Lille III. Il n’y resta que 4 ans avant de revenir à Nanterre, en 1986 pour succéder à son maître René Rémond. Il y vécut les grandes années de l’UFR d’Histoire, aux côtés de Jean-Jacques Becker et d’André Vauchez. À la fois apprécié et parfois redouté des étudiants et de ses collègues, il y imposait sa note particulière faite d’une élégance toute anglaise dans un environnement de plus en plus éloigné de ce genre de beauté.
De 1998 à 2008, il fut membre de l’Institut universitaire de France.
Il joua également un rôle important de vulgarisation de la connaissance historique à la radio où il anima sur une base régulières les Lundis de l’Histoire sur France Culture de 1982 à la suppression de l’émission en 2014.
Parmi les ouvrages de Philippe Levillain, il en est un qui, par sa monumentalité, demeurera pour longtemps encore comme une somme indépassable : le Dictionnaire historique de la Papauté, paru chez Fayard en 1998. Au cours de 7 ans de labeur, il sut faire travailler une équipe de 207 spécialistes venus de toute l’Europe pour rédiger les 912 articles que contient ce dictionnaire qui couvre tous les aspects du sujet sur une durée de presque deux millénaires.
Chacun d’entre nous gardera sans doute une image différente de notre confrère, tant les facettes de l’homme étaient multiples. « On m’a prêté des mystères, je n’en ai pas, je parle trop, je parle trop fort et donc il n’y a rien à espérer de moi » disait-il le 2 octobre 2012 alors que lui était remise son épée d’académicien dans le petit théâtre palermitain de l’ambassade d’Italie à Paris. Sans doute, n’était-ce pas là vaine parole ou pirouette éloquente ; il n’en demeure pas moins que, souvent, dans une discussion, son interlocuteur avait le sentiment de n’avoir saisi qu’une petite partie des choses qui lui étaient présentées. Il est certain que Philippe Levillain aurait pu faire sienne la phrase de Balthasar Gracian, dans son ouvrage L’homme de cour, pour accepter la traduction erronée du titre de cet ouvrage : « Les vérités qui nous importent davantage ne sont jamais dites qu’à demi ». (Balthasar Gracian, Oracle portatif XXV). Philippe Levillain aimait l’art de la conversation, qui est aussi un art de l’amitié ; il y goûtait jusqu’à l’éloquence des silences et laissait toujours, dans ses paroles, se dessiner une ligne de fuite. Histoire peut-être de ne pas conclure.
Notre confrère aimait les signes, les décrypter et les utiliser. L’un des derniers textes qu’il donna pour le site internet de notre Académie au moment du confinement — « Il était une fois… une mouette romaine » — se donne à lire comme une méditation à clés sur l’Église de Rome. Méditation mélancolique sur une période qu’il voyait avec un certain pessimisme. Faut-il voir dans ce goût des signes la pente d’un esprit marqué à l’adolescence par l’idée de la prédestination, comme il le confie dans son dernier ouvrage Le tableau d’honneur ? Peut-être…
Parmi les signes qui jalonnèrent son histoire, il remarquait la récurrence du chiffre 5 : 1965 à Rome, le 45 rue d’Ulm, elle-même bataille datant de 1805… Mais Philippe Levillain est mort le 4 octobre. S’il avait dû écrire au sujet de sa propre mort, une fois celle-ci survenue, je ne doute pas qu’il aurait noté qu’il était la veille de la parution du rapport Sauvé et que la Providence l’avait sans doute rappelé afin de lui éviter d’avoir à le commenter.
Permettez-moi, pour conclure, de citer les dernières de son dernier ouvrage : « Implacables, les montres tournaient. Trop tard. Fait ! Pendant ce temps immobile, l’heure avait tourné, tourné, tourné. Et s’était arrêtée, comme le cœur pendant le passage de la vie à la Vie, pour ce temps statique, brutal, que l’on nomme la Mort. Du mobile et aléatoire Tableau d’honneur à l’immobile et certaine Sérénité ».
C’est cette sérénité enfin trouvée que nous vous souhaitons, Cher Confrère.
Je vous demande de bien vouloir respecter en sa mémoire une minute de silence.
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Photo : © Juliette Agnel