Introduction au thème de l’année 2022 : Sauver ?

 

Introduction au thème de l’année 2022 : « Sauver ? »

par Rémi Brague
Président de l’Académie des sciences morales et politiques

 

Le thème pour 2022 sera : « Sauver? ».

Je l’ai choisi, je dois l’avouer, peut-être en cédant un peu trop à un tempérament morose qui me fait voir la réalité à travers des lunettes grises, et le monde occidental dans lequel il nous faut bien vivre comme entré dans une crise qui pourrait déboucher sur sa destruction pure et simple.

Mes questions directrices se déploieront donc sur deux lignes parallèles qu’il faudra tenir ensemble: D’une part : y a-t-il encore quelque chose à sauver, dans l’homme, dans la culture, et dans notre civilisation en particulier ? Mais aussi, et tout aussi décidément, d’autre part, y a-t-il encore quelque chose qui soit capable de sauver, dans l’homme, dans la culture, et dans notre civilisation en particulier ? Dans les deux registres, passif et actif, il faudra se demander : Si oui, quoi ? Si oui, comment ?

Il conviendra de se garder de la tentation qui consisterait à dresser une liste de ce qui semble menacé dans la culture actuelle ou, si l’on veut, de « chefs d’œuvres en péril ». Même si les raisons de souci ne manquent pas, les lamentations, pleurnichages, délectations moroses, outre leur côté désagréable, quand ce n’est pas risible, ne mènent à rien de concret.

L’ordre chronologique des conférences tient davantage aux disponibilités des orateurs qu’aux exigences du contenu à traiter. Je présente ici une esquisse de la façon dont je vois s’articuler le contenu à traiter.

Il faudrait commencer par s’interroger sur la notion même de « salut » en son sens le plus large, sur les dangers réels ou supposés qui nous menacent, sur les vertus intellectuelles et morales à déployer, sur d’éventuels remèdes concrets et décisions à prendre, sur des auteurs susceptibles de nous éclairer, etc. J’ai voulu en convoquer trois : un Français, Philippe Muray, un Anglais, Sir Roger Scruton, un Allemand, Martin Heidegger.

Sauver, est-ce seulement sauvegarder, c’est-à-dire restituer ce qui était ou semblait en danger à son état initial, de sorte que l’on puisse continuer comme avant, sans avoir à opérer des choix décisifs et des réformes radicales ou, comme on dit : business as usual ? Un simple sauvetage, le travail d’un sauveteur, peut-il être un salut que seul un sauveur peut assurer ?

L’attitude conservatrice, en politique, dans les arts, devra donc être interrogée quant à sa légitimité intrinsèque et sa faisabilité.

La notion de salut évoque irrésistiblement le religieux. Et de fait, les théologiens parlent volontiers d’une « économie du salut ». Ils empruntent à la patristique grecque l’image dont est grosse le mot oikonomia, ce que l’ancienne langue appelait la « ménagerie », et qui survit dans un mot anglais qui es en fait du pur français : management. Par l’économie du salut, Dieu fait le ménage, met de l’ordre dans sa maison, qui est la création.

Mais l’économie, au sens où nous l’entendons maintenant, est-elle porteuse d’un salut ? Faire de l’économie, est-ce seulement faire des économies, ce que l’anglais appelle savings, et donc n’est-ce qu’« économiser » ? Tout don apparemment gratuit ne se ramènerait-il pas à un investissement en attente d’un retour ?

Nous sortons d’une année passionnante consacrée à la santé dans ses aspects sociaux. Poursuivre par des réflexions regroupées sous le titre « sauver » se situe dans la continuité de ce que nous venons d’entendre l’an passé, ne serait-ce que par la proximité sémantique, parfois attestée par l’étymologie, des deux notions de santé et de salut. Cette continuité ne nous empêchera pas d’opérer un tournant. On pourrait l’exprimer par une distinction : Ce qui est salubre précède la menace et permet de l’éviter en prenant les mesures adaptées et se situant au même niveau, ce qui est salutaire se place en revanche après la survenue du danger et y porte remède, mais non sans transposer sur un autre plan—pour faire simple, du corps à l’âme.

Devant la prolifération de théories et de pratiques qui empruntent aux religions leur style et leur gravité, voire les ridicules de leurs bigots, y aurait-il même, si un calembour est de mise en des matières aussi graves, un salut à la sauvette ? Le souci d’être bien dans sa peau, ce qu’on nous vend sous le nom de wellness, mais aussi les spiritualités alternatives, parfois confondues avec le simple confort psychologique ou intellectuel, sont-ils des méthodes de salut ? Je proposerais un critère : seul sauve, seul apporte un salut authentique, ce qui mérite d’être salué.

En politique, la recherche d’un salut qu’elle ne prétend pas garantir ne vient-elle pas parasiter la rationalité qui doit guider la recherche des moins mauvaises solutions ? L’attente d’un sauveur, de ce qu’on a pris l’habitude d’appeler un « homme providentiel », ne vient-elle pas promettre aux citoyens, et même sur celui qui s’est trouvé propulsé au premier rang, plus que qui que ce soit ne pourrait tenir, et faire peser sur eux des exigences qui, loin de les libérer, les écrasent en fait ?

Toutes ces questions devraient, je l’espère en tout cas, nous tenir en haleine, en attente d’une réponse possible, sinon probable, à la hauteur de ce qu’il nous faut affronter.

Les séances se tiennent le lundi à 15 heures sauf exception, en grande salle des séances, au Palais de l’Institut. Elles sont publiques dans le respect des mesures sanitaires en vigueur. Pour y assister, se présenter 15 minutes avant le début de la séance à l’accueil, 23 quai Conti – 75006 Paris. Le texte des communications est publié progressivement sur le site de l’Académie et un résumé en est fait chaque semaine dans la Lettre d’information diffusée par courrier électronique (s’abonner) et publiée sur le site. L’enregistrement sonore est rendu accessible sur Canal Académies.

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