Mardi 14 février 2023
Des Académiciens en Sorbonne
Grand Amphithéâtre de la Sorbonne
10h-11h30
Sauver le bien commun : l’urgence du long terme
Jean Tirole
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Les inscriptions des classes de lycée à cette conférence-débat
sont coordonnées par le Rectorat de Paris – région académique Île-de-France
en relation avec les Rectorats de Créteil et de Versailles.
Pour toute autre information, merci d’écrire à marianne.tomi@asmp.fr
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Le conférencier Jean Tirole
Après des études à Troyes et à Nancy, Jean Tirole intègre l’École Polytechnique. Il s’y intéresse aux mathématiques. Mais c’est là qu’il découvre l’économie, à 21 ans, à partir de l’enseignement de Roger Guesnerie. Il explique ainsi sa passion : « J’ai vraiment été fasciné par cette discipline car elle est à la fois positive et normative : elle analyse les comportements pour établir des recommandations de politique économique, pour finalement essayer de rendre le monde meilleur. Pouvoir se confronter à des problèmes théoriques exigeants, et donc intellectuellement passionnants, tout en contribuant à la prise de décision, c’est très attirant ». En 1978, tout en intégrant le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées, il présente son doctorat de 3e cycle en Mathématiques de la décision à l’Université de Paris IX – Dauphine. Puis il va préparer sa thèse en économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT), sous la direction du futur Prix Nobel Eric Maskin. Il obtient son PhD en 1981. Il décide de se consacrer à la recherche et revient en France en 1981, au Centre d’Études et de Recherches en Analyse socioéconomique (CERAS) de l’Ecole des Ponts et Chaussées où il travaille avec un autre économiste français avec lequel il s’était lié d’amitié pendant son doctorat : Jean-Jacques Laffont.
Le M.I.T., qui s’est rendu compte de sa valeur, le rappelle aux États-Unis fin 1982. Il y est de 1984 à 1992 Professeur d’économie associé, puis titulaire. Il aurait pu y faire toute sa carrière. D’ailleurs, il y séjourne aujourd’hui encore chaque été comme visiting Professor permanent pour y assurer un cours de doctorat. Mais en 1992, il prend une année sabbatique pour poursuivre avec Jean-Jacques Laffont une réflexion qui débouche sur un ouvrage : A Theory of Incentives in Regulation and Procurement. Son coauteur le convainc de participer à l’extraordinaire aventure dans laquelle il s’est engagé : créer à Toulouse un pôle universitaire de niveau international. Il lui confie la direction scientifique de l’Institut d’Economie Industrielle qu’il a mis en place au sein de l’Université de Toulouse I, notamment pour pouvoir rassembler des financements d’entreprises.
Après la disparition prématurée de Jean-Jacques Laffont en 2004, Jean Tirole prend la responsabilité du pôle de recherches, qui est retenu en 2006 comme l’un des treize réseaux thématiques de Recherche Avancée de notre pays. Il crée dans ce cadre Toulouse School of Economics (TSE) et assure son indépendance en organisant une partie de son financement sur la base d’un partenariat public/privé d’un type nouveau en France, avec des dotations de montants analogues apportées par l’Etat et quelques grandes entreprises. Comme dans les fondations américaines, ce ne sont pas les dotations elles-mêmes mais seulement leur revenu, qui peut être consommé chaque année : cela assure la pérennité du financement. TSE compte aujourd’hui une centaine de chercheurs de diverses nationalités. C’est un centre de recherche d’excellence, qui forme avec la London School of Economics et University College London le trio de tête de la science économique en Europe, et qui est n°1 mondial en théorie des incitations. C’est une performance exceptionnelle dans notre pays, où la discipline économique, comme d’autres champs de recherche, souffre beaucoup de la fuite vers l’étranger de ses meilleurs cerveaux.
Jean Tirole est un grand savant reconnu par ses pairs. Il collabore aux plus prestigieuses revues d’économie. Membre du Comité exécutif de l’Econometric Society de 1993 à 1999, il a présidé cette société en 1998. Il fut en 2001 président de l’European Economic Association. Il a été membre de nombreuses commissions, à l’étranger, mais aussi en France : la Commission de Tarification de l’Électricité, le Conseil d’Analyse économique, le Haut Conseil de la Science et de la Technologie, et le Comité de Suivi de la loi sur les libertés et responsabilités des universités. Il a co-présidé en 2020 la “commission Guillou-Tirole” sur l’avenir du territoire toulousain et en 2021 la “commission Blanchard-Tirole” sur les grands défis économiques.
Son œuvre est considérable, tant par sa quantité que par sa portée. Il est l’auteur de 13 livres. Il a publié plus de 200 articles en anglais, dont plus de soixante sont parus dans les revues généralistes les plus renommées à l’échelle internationale (les « top-5 »), et une cinquantaine d’articles en français. Il est l‘un des économistes les plus cités au niveau mondial. Il est classé premier économiste en Europe (y compris le Royaume-Uni) en termes de citations, de publications, et d’indice h dans les différents classements existants (Web of science, Google Scholar, Repec…).
Titulaire de 14 doctorats honoris causa à travers le monde, il est aussi membre de cinq sociétés savantes francophones (dont l’Académie des Sciences morales et politiques), et membre honoraire étranger de l’American Academy of Arts and Sciences, de l’American Economic Association, de l’American Finance Association, de l’United States National Academy of Sciences, de la British Academy, de l’Académie Royale de Belgique et de la Royal Society of Edinburgh.
Ses travaux sont pour l’essentiel consacrés à la microéconomie. Son œuvre se distingue tant par sa portée scientifique que par son utilité économique pratique. Sa partie théorique repose à la fois sur la théorie des jeux, qui représente et prédit les stratégies de différents acteurs en situation d’interdépendance, chaque acteur étant pourvu d’objectifs propres ; et sur la théorie de l’information, qui rend compte de l’utilisation stratégique d’informations privilégiées par les différents acteurs. Il a utilisé ces deux théories dans six grands domaines : la régulation des industries de réseau, la théorie des organisations et le financement des entreprises, l’économie industrielle et le droit de la concurrence, la réforme du marché du travail, la règlementation prudentielle des banques, et les crises financières internationales. Par exemple, le thème de la régulation des industries en réseau, qu’il a exploré avec Jean-Jacques Laffont à partir de 1980, a eu grand retentissement et des conséquences pratiques. Ces recherches ont en effet fourni un cadre conceptuel complet et cohérent pour guider l’organisation de la régulation à mettre en place à la suite de l’ouverture à la concurrence de ces industries.
Depuis une vingtaine d’années, Jean Tirole a développé ses travaux aux frontières entre différentes disciplines des sciences humaines et sociales. Longtemps, les économistes ont ignoré les contributions de leurs collègues des sciences sociales sur les comportements et les stratégies des individus et des groupes. En association avec Roland Bénabou, qui enseigne à Princeton, Jean Tirole démontre que les théories des jeux et de l’information trouvent en la psychologie un domaine d’application. Ils ont ensemble approfondi différents thèmes liés à la manipulation des croyances, et au problème de l’identité. Par ailleurs, convaincu que l’économie ne pouvait que s’enrichir au contact des autres sciences humaines et sociales, Jean Tirole a fondé en 2011 l’Institute for Advanced Study in Toulouse (IAST), un institut pluridisciplinaire qui s’est déjà construit une belle réputation dans le monde entier comme un lieu d’hybridation des différentes sciences sociales.
L’œuvre de Jean Tirole est riche par les domaines qu’elle aborde. Elle établit en permanence un lien entre recherche théorique et applications concrètes. Elle a valu à son auteur de nombreuses distinctions. En particulier, en 1993, le Prix Yrjö Jahnsson de l’European Economic Association, destiné au meilleur économiste européen de moins de 45 ans ; en 2002, le Prix Dargélos de l’École Polytechnique ; en 2002, la Médaille d’argent, puis, en 2007, la Médaille d’or du CNRS, distinction qu’il est le seul économiste à avoir reçue, après Maurice Allais. En 2010, le Prix Claude Lévi-Strauss. Enfin, en 2014, Jean Tirole a reçu le Prix Nemmers de l’Université Northwestern et le Prix Nobel d’économie « pour son analyse du pouvoir de marché et de la régulation ». Le communiqué de l’Académie royale des sciences de Suède l’a décrit comme « un des économistes les plus influents de notre époque. Il est l’auteur de contributions théoriques importantes dans un grand nombre de domaines, mais il a surtout clarifié la manière de comprendre et de réguler les secteurs industriels ne comptant qu‘un petit nombre d’entreprises. » Le dernier Français Prix Nobel d’économie en 1988 était Maurice Allais, prédécesseur de Jean Tirole à l’Académie des sciences morales et politiques. Le 29 mai 2020, le président de la République confia à Jean Tirole et à Olivier Blanchard, chef économiste du FMI de 2008 à 2015, la coordination de la commission de 26 experts sur les grands défis économiques – le climat, les inégalités, la démographie – chargée de proposer un cadre d’analyse fondé sur la science économique et d’en tirer des recommandations pour rendre les politiques économiques plus efficaces dans la réponse à ces défis.
La conférence
Le bien commun se réfère à une question très simple : Dans quelle société aimerions-nous vivre ? La réponse ne va pourtant pas de soi, car nous avons tous notre place dans la société, un vécu, des préjugés et des incitations, lesquelles peuvent aller à l’encontre du bien commun lorsque nous recherchons nos intérêts propres. Déchirons le voile d’ignorance pour nous demander : «Si je n’étais pas né, dans quel genre de société aimerais-je vivre ? ».
La conférence débutera donc par une définition du bien commun et une discussion de ses implications. Elle continuera par une discussion plus détaillée du défi existentiel que représente le réchauffement climatique, et des solutions économiques que nous pouvons y apporter. Enfin, l’exposé conclura par une discussion de l’avenir du débat démocratique, à travers la croissance du populisme, les attitudes vis-à-vis de la science, et le rôle des narratifs et des biais cognitifs.
En résonance avec les programmes
La notion de « bien commun », tout comme celles de « bien collectif » et d’ « intérêt général », faufile bien des questionnements liés à l’Enseignement moral et civique, aux enseignements de Sciences économiques et sociales, Droit et grands enjeux du monde contemporain, ainsi qu’à l’Éducation aux médias et à l’information
Enseignement moral et civique (EMC), Voie générale et technologique, classe de 1ère – Les enjeux moraux et civiques de la société de l’information – et classe terminale : Axe 2 : Repenser et faire vivre la démocratie
Géographie, Tronc commun, voie générale et technologique, classe de 1ère
Thème 2 – Une diversification des espaces et des acteurs de la production.
Éducation aux médias et à l’information (EMI), voie générale et technologique
Spécialité sciences économiques et sociales (SES), Voie générale, classe de 1ère.
Quelles sont les principales défaillances du marché ? Comprendre que le marché est défaillant en présence de biens communs et de biens collectifs et être capable de l’illustrer par des exemples. Etre capable d’illustrer l’intervention des pouvoirs publics face à ces différentes défaillances.
Enseignement optionnel, Voie générale, Droit et grands enjeux du monde contemporain (DGEMC), classe terminale
Spécialité histoire-géographie-géopolitique et sciences politiques, (HGGSP), classe terminale
Thème 4 – Identifier, protéger et valoriser le patrimoine : enjeux géopolitiques
Thème 5 – L’environnement, entre exploitation et protection : un enjeu planétaire
Thème 6 – L’enjeu de la connaissance
Économie- Droit et Économie – Gestion, voie professionnelle
Pour aller plus loin
- Les biens communs, page du centre de ressources en Economie-Gestion de l’Académie de Versailles
- Tirole, Jean, Économie du bien commun, 2016, Puf (édition augmentée en 2018)
Dans cet ouvrage, qui fut un best-seller et traduit dans 17 langues, Jean Tirole décrit sa vision de la discipline économique et les réformes nécessaires pour améliorer la société. La recherche du bien commun, « c’est la recherche d’institutions qui font en sorte que l’intérêt individuel ne rentre pas en conflit avec l’intérêt collectif ». Dans la première partie, il prône une économie ouverte aux autres domaines comme l’histoire, la psychologie, la sociologie, le droit. Il parle également de l’état de la recherche en économie, des limites sociales du marché, des différentes versions de l’homo economicus, du rôle de l’Etat dans l’économie, mais aussi de la gouvernance et de la responsabilité sociétale des entreprises. Selon lui, l’économie « documente et analyse les comportements individuels et collectifs, mais […] aspire aussi à rendre le monde meilleur en émettant des recommandations de politique économique ». L’objectif de la discipline est « similaire à celui de la médecine : l’économiste, comme l’oncologiste, diagnostique, propose si nécessaire le meilleur traitement adapté étant donné l’état (forcément imparfait) de ses connaissances et recommande l’absence de traitement s’il n’est pas nécessaire ».
Jean Tirole adhère au postulat d’’individualisme méthodologique, c’est-à-dire que « les phénomènes collectifs résultent des comportements individuels et, à leur tour, affectent ces derniers ». Il ne cache pas l’omniprésence de la théorie des jeux dans ses travaux. Dans la deuxième partie de son livre, il indique des ébauches de politiques économiques nécessaires pour la France selon lui, et revient sur le rôle de l’État dans l’économie. Partisan de l’économie de marché, il insiste aussi sur le fait que « dans une économie de marché, les intérêts individuels ne vont pas toujours dans le sens du bien commun ». C’est l’État qui a le rôle de « corriger ces défaillances de marchés car il responsabilise les acteurs économiques et il est responsable de la solidarité ». De son point de vue, l’État doit à la fois être fort et independant des lobbies, et se limiter à définir les règles du jeu et à corriger les dérives du marché sans interférer à l’intérieur du marché. Il souhaite également que certaines décisions politiques soient déléguées à des autorités indépendantes car elles « constituent l’un des instruments qui permettent à la démocratie de tempérer les excès de la tentation électoraliste et d’assurer l’indépendance de l’État dans la durée. »
- Cahier spécial de Challenges, “Climat – Santé – Digital – Inflation : Rebâtir le monde”, 25 mai 2022.
- « Il faut sauver le bien commun » : entretien avec Jean Tirole en marge du Common Good Summit (Le Sommet du Bien commun) paru dans Challenges, 26 mai 2021.
- Séance de clôture du Sommet « Sauver le bien commun » 27-28 mai 2021 : les leçons à retenir d’après Jean Tirole.
- Rapport rendu au Président de la République par Jean Tirole et Olivier Blanchard sur les grands défis économiques : synthèse du rapport et chapitre introductif « Les grands défis économiques », juin 2021.