Des Académiciens en Sorbonne… avec Bernard Stirn

Vendredi 18 octobre 2023
Des Académiciens en Sorbonne
Grand Amphithéâtre de la Sorbonne

Conseil constitutionnel et Conseil d’Etat
Différences et complémentarité

Bernard Stirn
Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques

Photographies : © Rectorat de Paris – Sylvain Lhermie

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La quatrième édition du cycle “Des Académiciens en Sorbonne”, annoncée par communiqué de presse du Rectorat de Paris et de la région académique Île-de-France et de l’Académie des sciences morales et politiques, a été lancée mercredi 18 octobre dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. 

Ce jour-là, les lycéens des trois académies franciliennes avaient rendez-vous avec Bernard Stirn, Secrétaire perpétuel de l’Académie, pour une séance consacrée à la connaissance des plus hautes institutions juridiques françaises : “Conseil constitutionnel et Conseil d’État, différences et complémentarité”.  

Les lycéens et leurs professeurs, dont un bon nombre réunis par l’option “Droit et grands enjeux du monde contemporain”, étaient venus, pour l’Académie de Paris, des Lycées Racine, Janson-de-Sailly, La Fontaine, Hélène Boucher, Saint-Louis de Gonzague et Saint Pierre Fourier. L’académie de Créteil était représentée par les Lycées Voillaume d’Aulnay-sous-Bois, Jacques Feyder d’Épinay-sur-Seine, Pauline Rolland de Chevilly-Larue, Olympe-de-Gouges de Noisy-le-Sec et Auguste Blanqui de Saint-Ouen. Une classe du Lycée Einstein, de Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l’académie de Versailles, était également présente.  

 

Bernard Stirn introduit son propos en évoquant l’actualité : le Conseil constitutionnel a été saisi lors de la réforme des retraites en rejetant deux propositions de référendums d’initiative partagée (RIP) ; le Conseil d’État a récemment rendu des décisions sur la dissolution de l’association Soulèvements de la Terre, les contrôles d’identité discriminatoires, le port effectif et la lisibilité du numéro d’identification individuel des forces de l’ordre, le port de l’abaya à l’école. Et pourtant, ces institutions sont assez mal connues et sont même parfois confondues.
Il se propose de faire mieux comprendre aux lycéens ce qu’elles sont de manière réaliste et de faire réfléchir au rôle qu’elles jouent dans la définition du cadre juridique de notre pays. Quoique très différentes, elles ont des missions communes et très complémentaires, ce qui pourrait être un facteur de désordre si elles ne s’écoutaient pas et n’intervenaient pas de manière cohérente. Mais Conseil constitutionnel et Conseil d’Etat ont su harmoniser leur jurisprudence pour assurer  la stabilité du cadre juridique et renforcer la garantie des droits et libertés des citoyens. 

Différences et répartition des rôles 

La première différence est d’ordre historique : 

L’origine du Conseil d’État remonte à Philippe Le Bel (1268-1314) qui a doté la France d’une administration moderne en s’appuyant sur un Conseil composé de personnes choisies dans la bourgeoisie en fonction de leurs compétences. Il accompagne toute l’histoire de France dès qu’elle s’organise comme monarchie administrative ; il est conforté par la Révolution et consacré par l’Empire puis les régimes républicains : une vingtaine de constitutions le mentionnent, toujours avec une double mission de conseil du gouvernement, et de juridiction administrative suprême. 

Le Conseil constitutionnel fête cette année son 65e anniversaire. L’idée d’une cour constitutionnelle était en effet étrangère à l’Europe avant 1945, à la différence des États-Unis d’Amérique dont la constitution de 1787 institue la Cour suprême, qui a affirmé dès 1803 sa compétence pour juger de la conformité d’une loi à la Constitution. Créé en 1958 avec des attributions réduites, le Conseil constitutionnel voit son rôle élargi en 1971 par sa propre jurisprudence (vérification de la conformité d’une loi par rapport aux principes du Préambule de   la Constitution), puis par deux révisions constitutionnelles : 1974 (saisine ouverte à 60 députés ou sénateurs) et 2008 (création de la question prioritaire de constitutionnalité ouvrant la saisine à tout justiciable).  

La seconde différence tient à leur organisation et à leurs missions 

Le Conseil d’État compte 300 membres, fonctionnaires y accédant principalement par concours et y effectuant toute leur carrière ; le Conseil Constitutionnel 9 personnes (3 nommés par le président de la République, 3 par le président du Sénat, 3 par le président de l’Assemblée nationale), avec un mandat unique de 9 ans, auxquels s’ajoutent les anciens Présidents de la République, membres à vie, même si aucun ne siège effectivement à l’heure actuelle.  

Le Conseil d’État rend plus de 1000 avis par an et est saisi de plus de 10 000 affaires contentieuses ; il est la juridiction suprême des tribunaux administratifs et des cours d’appel administratives. Le Conseil constitutionnel a vu le volume annuel de ses saisines passer de quelques dizaines à près de 150 depuis la création de la QPC. 

Les missions des deux institutions se recoupent sans se chevaucher en matière de juge des élections, de partage entre domaine de la loi et domaine du règlement, de vérification du respect des grands principes régis par la Constitution. 

Complémentarité  

Une jurisprudence conjuguée et cohérente précise le cadre juridique et contribue à la garantie des droits et des libertés, principes supérieurs inscrits dans la Constitution. 

  • Le cadre juridique

Les deux Conseils affirment ensemble trois grands principes : la suprématie de la Constitution comme norme suprême, la particularité du droit européen, la supériorité des traités sur les lois.  

Depuis 2008, la QCP permettant à tout citoyen de contester une loi au regard de la Constitution, il faut souvent combiner des exigences en tension comme le droit de grève et la continuité du service public, l’ordre public et le respect des droits et libertés des citoyens.  

Le principe de proportionnalité est la clé du contrôle exercé par les deux Conseils qui l’ont explicité à travers un triple test :  une mesure restrictive des droits et libertés doit être nécessaire, adaptée, proportionnée. 

  • Le droit européen

Depuis 1992 (Traité de Maastricht), la révision de la Constitution a introduit l’Europe dans la Constitution et les deux Conseils ont construit une jurisprudence qui s’appuie sur la Constitution visant à combiner le droit européen et la Constitution, reconnaissant la suprématie de l’un et la primauté de l’autre : le droit européen s’impose « dans la mesure où il ne vient pas mettre en question l’identité constitutionnelle de la France ». 

Pour finir, Bernard Stirn souligne que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel sont garants des libertés du citoyen au regard des autorités politiques, et qu’ils ont donné ensemble une grande portée au principe de proportionnalité, clé de l’équilibre entre deux contraintes, à travers deux outils récents, le référé liberté et la question prioritaire de constitutionnalité. 

  • Le référé liberté (loi du 30 juin 2000) pour le Conseil d’État

Le référé liberté peut être utilisé par tout citoyen en cas d’urgence si une décision administrative porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge des référés du tribunal administratif comme du Conseil d’Etat doit se prononcer dans les 48. Il a acquis une grande visibilité en se prononçant sur des affaires très médiatisées, comme sur la fin de vie de Vincent Lambert, la tenue de spectacles de Dieudonné, le port du burkini. Pendant les périodes d’État d’urgence, le juge des référés a pris prendre un très grand nombre de décisions qui ont permis d’inscrire l’état d’urgence dans l’Etat de droit.

  • La QPC (révision constitutionnelle du 23 juillet 2008) pour le Conseil constitutionnel

Depuis sa mise en œuvre, la QPC a connu un fort succès avec 75-80 décisions rendues chaque année par le Conseil constitutionnel qui a trois mois pour se prononcer, soit en déclarant la disposition contestée conforme, soit en la déclarant contraire à la Constitution, ce qui conduit à son abrogation. 

À l’issue de sa conférence, Bernard Stirn a dialogué longuement avec les lycéens en répondant à plusieurs demandes de précisions sur la PQC et à leurs nombreuses interrogations : 

  • Le Conseil d’État n’est-il pas juge et partie, lorsqu’une même institution est à la fois juge suprême et conseil du Gouvernement ?  
  • Le droit européen a-t-il une influence directe sur la Constitution ?  
  • Pourquoi le Conseil Constitutionnel comprend-il si peu de membres ?  
  • Y a-t-il conflit entre le droit européen et le droit national en matière d’immigration ? 
  • Comment le Conseil d’État s’adapte-t-il au changement de régime (exemple : Vichy) ? 
  • Pourquoi la nécessité de création d’un Conseil constitutionnel est-elle apparue en 1958 ?  
  • Les deux Conseils sont-ils suffisamment garants du cadre juridique et des droits et libertés des citoyens dans le climat politique d’aujourd’hui ?  
  • Les décisions rendues par les Conseils peuvent-elles être contournées par d’autres outils et recours ? 
  • Où en est-on de l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution ? 

Le Recteur de Paris a conclu la séance en rappelant solennellement aux lycéens combien le droit nous protège, énonce et garantit nos droits et devoirs, et que c’est là le bien le plus précieux que nous devons défendre : la République comme État de droit. 

Avant de quitter le Grand Amphithéâtre,  Bernard Stirn a donné une courte interview. Celle-ci, de même que l’entretien avec un lycéen, est à retrouver prochainement, avec l’enregistrement intégral de la séance, sur la chaîne YouTube de l’Académie et sur celle du Rectorat.

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