Question d’actualité sur le thème du droit humanitaire avec Serge SUR, Françoise BOUCHET-SAULNIER et Jean-François MATTEI

Question d’actualité du lundi 11 mars 2024 consacrée au droit humanitaire avec les académiciens Jean-François Mattei et Serge Sur et l’experte en Droit international humanitaire Françoise Bouchet-Saulnier.

Synthèse de la séance

Bruno COTTE

Le président Bruno Cotte introduit cette séance, qui prend place dans le cadre des séances thématiques d’actualité de l’Académie, consacrée au droit international humanitaire. Il rappelle que le 26 octobre 1914, lors de la séance publique annuelle des 5 Académies, Louis Renault, prix Nobel de la Paix en 1907, dont Serge Sur occupe aujourd’hui le fauteuil, traitait de « La guerre et le droit des gens au XXè siècle » en condamnant les « abominables crimes qui avaient marqué dès son début le cours de la première conflagration mondiale ». Il rappelait alors les efforts déployés durant 40 ans en vue de réglementer la conduite des belligérants et d’humaniser la guerre et la violation des lois et des coutumes de la guerre dès le début de ce premier conflit mondial. 110 ans après, alors que l’histoire et les mauvais comportements se répètent, depuis notamment l’agression russe contre l’Ukraine et le conflit israélo-palestinien, ce droit est constamment invoqué à propos de ces populations civiles plongées dans la tourmente. Or, que savons-nous de ce droit, ce qu’il autorise, ce qu’il prohibe ? Est-il respecté ou délibérément bafoué ? Les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977 dont l’objet est de faire respecter la justice pénale internationale, représentent-ils encore un espoir ?

Serge Sur : « Le droit humanitaire, enfant chéri et enfant martyr du droit international »

Serge SUR

Le droit international humanitaire (DIH) est le droit international applicable aux conflits armés. Il se distingue des droits de l’homme par une différence d’objet (ceux-ci concernent la vie civile, civique, quotidienne) mais aussi par une différence de norme (normes internes vs règles internationales) et d’instances, le DIH étant celui des juridictions internationales telles que les tribunaux pénaux internationaux, la Cour pénale internationale ou encore des organisations internationales comme le HCR ou le CICR.
Les normes qui composent le DIH constituent un ensemble composite, avec deux courants principaux : la protection de certaines cibles (les combattants hors de combat, les prisonniers de guerre, les non combattants) ou la protection de certains sites (hôpitaux, bâtiments civils, biens culturels). Les normes les plus générales reposent sur les 4 conventions de Genève de 1949 et sur les protocoles additionnels de 1977. Malgré cela, il constitue un droit transcendant tant dans son extension que dans son autorité juridique. Il a connu une ascension normative consacrée par la CIJ à partir d’une jurisprudence qui s’est développée depuis plus d’un demi-siècle. Au cours des décennies qui ont suivi la dissolution de l’URSS, il a connu des développements qui ont pu paraître prometteurs mais qui sont restés largement inaboutis. Les inaboutissements structurels tiennent aux acteurs, principalement aux États, mais surtout aux normes. On peut se demander si la meilleure solution pour faire appliquer le DIH ne serait pas la reconnaissance d’une compétence pénale universelle des États, comme le réclame notamment Amnesty International.

Les développements récents du DIH comportent aussi leurs inaboutissements. Pour l’objet, la responsabilité de protéger, promue par l’ONU après l’intervention au Kosovo en 1999, a fait long feu. Pour les normes, l’avis consultatif de la CIJ du 8 juillet 1996 conduit, involontairement, à favoriser la prolifération des armes nucléaires, voire à ignorer le droit humanitaire dès lors qu’un Etat estime que sa survie est menacée. Pour l’instance, la CPI, qui avait fait naître beaucoup d’espoirs, est un échec qui évoque celui de la SdN.

Françoise Bouchet-Saulnier : « Le droit et l’effroi humanitaire : 35 ans de compagnonnage entre Médecins Sans Frontières et le DIH sur les terrains de guerre »

Françoise BOUCHET-SAULNIER

Le droit international humanitaire est un concentré des défis fondamentaux qui sont étudiés par les sciences morales et politiques et qui questionne la notion même de survie de l’humanité dans sa dimension biologique, ontologique et politique. L’expérience vécue aux côtés des équipes de Médecins sans frontières dans les zones de guerre a montré la pertinence et l’utilité du DIH dans la défense des actions de secours sur tous les terrains de conflits. C’est un langage pour parler à l’ennemi et son efficacité ne se mesure pas au regard de la sanction pénale de ses violations mais au regard des actions de secours qu’il permet et légitime. Ce droit est souvent méconnu voire inconnu par les populations civiles, alors que les militaires le maîtrisent très bien. Enfin, il en est parfois fait un usage tordu par certains États qui anéantit l’idée même de droit humanitaire au nom de la lutte contre le terrorisme. La présence de Médecins sans frontières dans de nombreuses zones où la population vit dans la guerre depuis de nombreuses années, comme en Afghanistan, en RDC, en République centrafricaine, en Syrie, au Soudan ou à Gaza, est négociée auprès des différentes autorités nationales et régionales, étatiques ou non étatiques, militaires ou civils, officielles ou de fait et est permise grâce au cadre prévu par le droit international humanitaire, et notamment les accords spéciaux et l’article 3 commun.
Ce droit a été tissé à partir de l’expérience accumulée par l’humanité autour de tous les conflits armés de l’Histoire. C’est un droit touffu où la physique et la métaphysique se rejoignent. Le DIH a également une part modeste : il se propose seulement de poser des règles à la conduite des hostilités et de permettre la survie des civils à travers un droit au secours. Toutefois ces règles sont laissées à l’appréciation des parties et des commandants. La responsabilité des commandants repose sur des principes simples : le principe de nécessité militaire (les frappes doivent se justifier), de distinction entre les civils et les combattants, le principe de précaution, qui vise à limiter les dégâts sur les civils, et celui de proportionnalité. Toutefois, comme MSF en a fait l’expérience dans de nombreux terrains de guerre, au Nigéria, en Afghanistan, au Yémen, en Irak ou encore à Gaza, les interprétations militaires et contextuelles de ces principes sont mouvantes.
Le DIH est un patrimoine juridique de l’humanité et dans les crises les plus graves, le seul langage commun, comme le montre aujourd’hui l’attitude de la Chine, de la Turquie et de la Russie par rapport à Gaza.

Jean-François Mattei : « Les droits humanitaires sans le Droit »

Jean-François MATTEI

Le DIH (droit International Humanitaire) est indispensable et doit s’appliquer dans toutes les zones de conflits. Il s’est imposé dans l’esprit d’Henri Dunant, à l’origine de la Croix-Rouge Internationale, devant le désastre humain, toutes nationalités confondues, sur le champ de bataille de Solferino, le 24 juin 1859. Les Conventions de Genève ont été adoptées pour fixer les règles de ce DIH lors des conflits mais d’autres droits humains se sont imposés très vite, conséquences indirectes des conflits, en lien avec les conditions de la vie quotidienne des populations, mettant en jeu les droits de l’homme ce que l’on peut appeler « les droits humains sans le Droit humanitaire ».
Une conséquence du conflit du Darfour au Soudan s’est manifestée au Tchad dans l’un des villages situés près de la frontière qui accueillait des réfugiés. Les chefs de ce village ont fait remarquer au Président de la Croix Rouge Française en charge de la gestion de ces camps que les réfugiés bénéficiaient de droits et de mesures leur garantissant des conditions de vie acceptables dans ces camps (eau potable, école, centre de soins) qui leur faisaient défaut. Ce droit qui ne figure nulle part mais relève d’une obligation morale évidente a conduit à inclure les populations villageoises accueillant ces réfugiés dans le plan d’action de la CRF. De même l’exemple de l’intervention suivant le tsunami en Asie du sud-est le 26 décembre 2004 a montré qu’après avoir aidé les populations à survivre, il fallait ensuite les aider à revivre, avec une aide à la reconstruction de leur autonomie, ce que l’on peut dénommer la mise en œuvre d’un « humanitaire durable » et de la faculté de résilience qui peut se décliner en 4 étapes successives : survivre, s’adapter, rebondir, se renforcer. Ce droit à revivre ne figure lui non plus dans aucun droit écrit. Enfin, les populations qui bénéficient du droit humanitaire peuvent également revendiquer légitimement un droit à l’autonomie quant au fléchage et à l’orientation des aides. Cela relève d’un droit au respect de l’éthique, qui compose également ces droits humains qui s’imposent en dehors de tout droit écrit et que l’on peut appeler « les droits sans le Droit ».

Conclusion de Bruno Cotte

Bruno COTTE

Verbatims des communicants

Verbatim de la communication de Serge SUR

Verbatim de la communication de Françoise BOUCHET-SAULNIER

Verbatim de la communication de Jean-François MATTEI

Les verbatims des communications de Serge Sur et de Françoise Bouchet-Saulnier seront publiés prochainement.

Réécoutez l’ensemble des communications

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