Communication de Jean-Paul JEAN
La magistrature française sous le Régime de Vichy et l’épuration dans l’évolution des rapports entre politiques et magistrats au XXème siècle

Communication du lundi 26 février 2024 de Jean-Paul JEAN, président de chambre honoraire à la Cour de cassation

Thème de la communication : La magistrature française sous le Régime de Vichy et l’épuration dans l’évolution des rapports entre politiques et magistrats au XXème siècle

Synthèse de la séance

Le silence de l’institution judiciaire sur son rôle durant la période de l’Occupation, qui a longtemps prévalu tout comme au sein du Barreau de Paris ou du Conseil d’État, fait qu’il a longtemps été difficile de parler de son rôle dans l’exclusion des collègues juifs et francs-maçons en 1940 ou des étranges cohabitions qui ont suivi dans l’après-guerre. À la Cour de cassation, des résistants emblématiques, tel Maurice Rolland, Compagnon de la Libération, côtoyait des magistrats attentistes ou des collègues « vichysto-résistants » ayant évolué à partir de 1943. Deux événements marquent particulièrement les représentations de la justice sous Vichy : l’affaire de la « section spéciale », ayant abouti le 27 août 1941 à la condamnation à mort de 3 communistes sur ordre des Allemands, qui a symbolisé de manière emblématique la soumission des juges au régime de Vichy ; et le serment des magistrats à la personne du chef de l’État, le 2 septembre 1941, prononcé par tous sauf un : Paul Didier, juge au tribunal de la Seine, arrêté et interné au camp de Châteaubriant. Certains, déjà entrés dans la Résistance, tels René Parodi, ont prêté serment pour ne pas être découvert. Si l’indignation rétrospective est une posture trop facile, l’interrogation « qu’aurais-je fait sous Vichy ? » est récurrente dans la profession et la remise en contexte est nécessaire. Toutes catégories confondues, c’est près de 9% des 3 420 magistrats qui ont été exclus dès 1940 du seul fait d’être juif, franc-maçon, proche du front populaire ou simplement pour ne pas avoir un père français. Les avocats juifs n’échappent pas à l’exclusion et ce, à l’initiative des représentants de la profession. Quelques magistrats s’engagent immédiatement dans la Résistance active, tels Maurice Rolland, René Parodi ou encore Joë Nordmann qui créé le premier mouvement de résistance au Palais de justice et diffuse Le Palais libre.

À la Libération, le gouvernement provisoire du général de Gaulle doit reconstruire un État et relégitimer une justice discréditée. L’épuration rapide des magistrats les plus impliqués dans le régime de Vichy doit permettre de conduire ensuite, dans un cadre judiciaire, l’épuration des collaborateurs. Une Commission centrale d’épuration de la magistrature (CCEM), composée de magistrats et de personnalités de la Résistance, est chargée de donner un avis au ministre sur les magistrats poursuivis pour leur comportement sous l’Occupation. Plus de 300 magistrats, soit presque 10% du corps, sont sanctionnés administrativement, le plus souvent par la mise à la retraite. 33 magistrats ont été condamnés pénalement par les Cours de justice. Les premiers condamnés à la Libération sont les magistrats de l’affaire emblématique de la « section spéciale ». Trois types de juridiction spéciales sont mises en place pour juger les faits de collaboration : la Haute Cour de Justice, les Cours de Justice de la République, les Chambres civiques. Le maréchal Pétain est jugé en Haute Cour de Justice du 23 juillet au 15 Août 1945.
C’est lorsque le général de Gaulle revient au pouvoir que les réformes de la justice, pensées dans l’immédiat après-guerre, sont mises en œuvre. La réforme de la justice conduite en 1958 par Michel Debré, en 6 mois, à travers 13 ordonnances et 13 décrets, s’inscrit dans le cadre plus vaste de la réforme de l’État.

Ce que l’on a pu appeler les « Trente Glorieuses de la justice » (1970-2000), qui ont vu arriver une nouvelle génération issue de l’après-guerre, ont permis une modernisation progressive de l’institution judiciaire et une émancipation de la magistrature vis-à-vis du politique, accélérée de façon conflictuelle par la multiplication des affaires politicofinancières.

S’il existe un débat récurrent sur le gouvernement des juges, pour un magistrat en juridiction aujourd’hui, la justice est d’abord une tension entre une conception exigeante de son métier et les réalités de la pression quotidienne. Comment concilier sens et qualité de la réponse judiciaire avec la quantité des affaires à traiter, dans un environnement juridique et social de plus en plus complexe ? La nouvelle génération qui entre dans la magistrature a des références historiques, culturelles et une conception du travail nouvelles, un environnement technique totalement modifié. Il est donc toujours nécessaire de prendre le temps de la remise en perspective historique, des comparaisons internationales et de la réaffirmation des principes qui font l’essence du métier de magistrat.

Verbatim du conférencier

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