Communication du lundi 24 juin 2024 de Jean-François Ricard, Ancien chef du Parquet National Antiterroriste, Conseiller spécial du Garde des Sceaux en charge de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée
Thème de la communication : Justice et terrorisme : une institution admise : regard sur le Parquet National antiterroriste (PNAT)
Synthèse de la séance
Le président Bruno Cotte ouvre la séance en rappelant que de 1963 à 1981, la Cour de sûreté de l’État a connu des affaires judiciaires revêtant une qualification terroriste (affaires corses, basques, Front de Libération de la Bretagne). Supprimée par une loi du 4 août 1981, cette cour ne fut pas remplacée et la dispersion des affaires terroristes entre les différentes juridictions du territoire national montra très vite ses limites. C’est aussi l’époque d’une série de violents attentats (attentats de la rue Marbeuf, rue des Rosiers, Orly, Action Directe…). C’est dans ce contexte que fut élaborée la loi du 9 septembre 1986 centralisant le traitement des infractions qualifiées de terroriste comme étant « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Cette loi, toujours en vigueur, a été modifiée et complétée jusqu’à la création en 2019 du Parquet National Antiterroriste.
La fréquentation quotidienne du terrorisme, les images terribles auxquelles on est soumis et les périls bien réels pour nos démocraties pourraient inciter à la noirceur et faire le choix de certaines raideurs. Au contraire : le respect du droit, sans la moindre concession, et le contradictoire doivent interroger à chaque instant le juge et le procureur en charge de ces contentieux et constituer des remparts contre la tentation d’envisager de moyens non conformes à l’éthique du magistrat.
La lutte antiterroriste consiste avant tout en une réponse à une menace. Elle peut s’exercer dans l’activité de la justice pénale, mais elle doit également prévenir, en détectant et réprimant un crime en préparation.
Si le terrorisme jihadiste reste aujourd’hui une préoccupation majeure en France, il n’en a pas toujours été ainsi. Le premier dossier judiciaire de terrorisme de type jihadiste a été ouvert à la fin 1993. À l’époque, il se caractérise par des réseaux en place à travers l’Europe afin de profiter de la manne incroyable des arsenaux de l’ex-Europe de l’Est, une dispersion des acteurs dans toute la France et une mise en relation des acteurs sur un mode horizontal. De 1996 à 2006, une nouvelle vague apparaît dont les acteurs ont connu des scènes de guerre, multiplié les déplacements internationaux, notamment dans le Londonistan, et ont pour certains un très bon niveau universitaire. Une autre vague apparaît à partir de 2004, en lien direct avec la guerre en Irak : ce sont de jeunes hommes, peu formés religieusement mais marqués par une adhésion très forte et la volonté d’agir et de mourir en martyr. La période 2007-2012 correspond à une période de repli qui ne signifie pas inactivité. Il en résulte une implantation massive de l’idéologie jihadiste et la volonté de se dissocier totalement de notre société jugée impie et ne permettant pas de vivre sa religion. Tous les éléments sont alors réunis pour connaître la période 2012-2019.
Si la menace projetée depuis l’étranger vers la France est toujours actuelle, c’est surtout la mouvance endogène aujourd’hui qui est la principale menace. Ce sont nos principes républicains et démocratiques qui sont rejetés : la liberté d’expression, la laïcité et l’égalité entre les hommes et les femmes en particulier. C’est parce que les enseignants ont la charge de transmettre ces valeurs qu’ils ont été ciblés. Deux types de terroristes se distinguent : des individus perturbés, peu formés idéologiquement ou religieusement, dans une situation de mal-être profond ; des jeunes sans difficulté existentielle marquée mais agissant par une sorte de mimétisme.
Qu’en est-il du juge pénal face au terrorisme ? La Cour de sûreté de l’État symbolisait le face à face entre l’État, qui représentait la société tout entière, et des groupes menant des actions s’apparentant à du terrorisme. Le juge, comme la victime, n’avait qu’une place très secondaire. Après sa suppression en 1981 et les vagues d’attentats qui frappèrent la France de 1981 à 1986, la grande loi du 9 septembre 1986 a permis de refuser tout nouveau recours à une justice d’exception mais aussi toute banalisation de l’action judiciaire, qui avait entraîné les échecs des années 1981 à 1986. C’est une conception très pragmatique qui a primé et qui a permis que la gestion du crime terroriste se détache de la seule atteinte à la sûreté de l’État. Le législateur définit le terrorisme comme une criminalité spécifique en le dissociant des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, au moment même où le terrorisme jihadiste, qui vise la société entière, se met en place. Le législateur a donc rendu possible d’aborder cette nouvelle page du terrorisme en dotant le juge des outils indispensables.
Le Parquet National Antiterroriste se compose d’une section en charge du terrorisme, composée de 17 membres ; d’une autre pour l’exécution et l’application des peines (4 membres) et enfin d’une section compétente en matière de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre (5 membres). Depuis 2012, le contentieux jihadiste représente l’essentiel du contentieux terroriste (42 attentats jihadistes ont été commis en France depuis 2012, tuant 273 personnes). Si certains contentieux historiques, notamment corse et turco-kurde, ont encore une existence, l’émergence du contentieux de l’ultra-droite ne saurait être négligée.
Juger les deux attentats les plus meurtriers ayant frappé la France (ceux du 13 novembre 2015 à Saint-Denis et Paris et du 14 juillet 2016 à Nice) posait d’immenses défis : il fallait juger de la manière la plus respectueuse des droits, mais éviter de donner une tribune aux accusés ; donner aux parties civiles toute leur place mais ne pas oublier la vocation première du procès pénal qui consiste à prouver une culpabilité ; œuvrer à la manifestation publique de la vérité et requérir la juste peine. La seconde problématique pour le PNAT était, dès sa constitution, de définir, face à un événement tragique, l’exact périmètre de sa compétence.
L’autre grand défi de ces dernières années a été de juger les crimes contre l’humanité. Entre 2014 et 2018, seulement deux affaires ont été jugées en lien avec le génocide des Tutsis au Rwanda. Depuis la fin 2021, ce sont 6 procès qui se sont tenus, concernant le Rwanda mais aussi le Liberia – procès historique à plusieurs titres au cours duquel notamment la justice française a reconnu pour la première fois le viol comme un crime contre l’humanité – et 3 hauts responsables du régime syrien, illustrant ce choix de lutter contre l’impunité de ces crimes.
Verbatim du communicant
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