Alain Minc, haut fonctionnaire et chef d’entreprise, président d’A.M. Conseil et de la SANEF, est intervenu en séance le lundi 15 mai 2023.
Thème de la conférence : Réflexions sur la gouvernance des entreprises concurrentielles dans une économie capitaliste de marché
Synthèse de la séance

Alain Minc commence par dresser le panorama mondial des systèmes capitalistes qui sont en concurrence, comme des entreprises. Le capitalisme français, tout d’abord, se caractérise par trois traits spécifiques. Il est premièrement intensément capitaliste. La présence de groupes familiaux dans les entreprises du CAC 40 est extrêmement importante en France, du fait du poids de groupes récents dans le secteur du luxe mais aussi de groupes familiaux transmis de génération en génération. Ainsi, hormis la Californie, l’endroit où il y a le plus de grands capitalistes serait la France. Cet étrange paradoxe pourrait s’expliquer par l’hypothèse – provoquante – que l’on s’éduque peut-être mieux au capitalisme dans un environnement socialisant voire socialiste, même si l’on est entré aujourd’hui dans une période davantage « business friendly ». La deuxième caractéristique du capitalisme français est la présence des acteurs mutualistes et la troisième, celle des salariés comme actionnaires des entreprises capitalistes. Ceci est le produit des actionnariats salariés nés des privatisations, de l’existence d’une législation favorable à l’octroi d’avantages pour tous les plans d’actionnariats salariés et enfin d’une volonté politique « trans-courant » à l’intérieur du « cercle de la raison ». Il en résulte des entreprises où la part des salariés au capital est extrêmement importante, comme dans les groupes Bouygues, Eiffage ou Vinci par exemple. Ce principe de l’actionnariat salarié est d’ailleurs la seule manière de corriger la distorsion qui s’est creusée au cours des dernières années entre capital et travail au profit du capital, sans recourir à des hausses massives de salaires, impossibles du fait de la perte de compétitivité vis-à-vis de nos concurrents internationaux que cela induirait. Il serait bon qu’une loi fixe pour les sociétés cotées en bourse d’atteindre, dans les 3 ans, au moins 10% de leur capital détenu par les salariés, et pour les sociétés non cotées, d’émettre des actions sans droits de vote au profit des salariés.
Le capitalisme allemand se caractérise par la cogestion, la célèbre Mitbestimmung, qui fait que les conseils de surveillance sont partagés entre les représentants des actionnaires et ceux des salariés désignés par les syndicats. Contrairement à la France, qui dispose de banques exceptionnelles, le système capitaliste allemand s’accompagne de banques médiocres et ambiguës dans leur fonctionnement, mais sa richesse vient des entreprises moyennes, le Mittelstand, relevant de la propriété familiale, et non de la bourse.
Concernant le capitalisme anglo-saxon, la variante anglaise est plus pure car bâtie sur un schéma très simple : une action donne droit à un vote ; tandis que le système américain, plus ambigu, autorise d’avoir des actions avec de multiples droits de vote, des actions sans droit de vote et crée des mécanismes qui donnent un pouvoir léonin aux fondateurs des entreprises, comme on le voit pour les créateurs des GAFA dans la Silicon Valley.
En Asie du Sud-Est, et bientôt en Afrique, ce sont des oligarchies de pouvoir qui contrôlent des entreprises cotées. En Russie, on pourrait qualifier le capitalisme de capitalisme comprador, du terme employé par Marx pour désigner la bourgeoisie de rentiers.
Enfin, reste le capitalisme chinois dont la vitesse considérable de développement s’est néanmoins faite à l’ombre du Parti communiste et à la merci d’une mainmise du pouvoir politique sur le pouvoir économique.
Au cœur du capitalisme, quelle que soit sa forme, existe une matrice : l’entreprise. Qu’est qu’une entreprise ? une entité appartenant à ses actionnaires, une entité faite du capital (les actionnaires) et du travail (les salariés), une entité qui fait la synthèse entre les parties prenantes (actionnaires, salariés, clients, parties prenantes de l’environnement…). Depuis la loi PACTE de 2019, sont aussi apparues en France les entreprises à mission.
Un modèle français de la gouvernance d’entreprise gagnerait à emprunter aux règles anglo-saxonnes ce qu’elles ont de bon en termes de compliance (respect des règles) et d’accountability (transparence) et à rester très latin et attaché à un principe d’empirisme.

À l’issue de sa communication, Alain Minc a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées H. Gaymard, M. Pébereau, F. d’Orcival, G.H. Soutou, J.C. Trichet, J.R. Pitte, H. Korsia, L. Ravel, Th. Fortsakis.