Communication de Jacques de Larosière
Réflexions sur les politiques monétaires menées ces dernières années au niveau mondial, sur leurs défauts et sur les améliorations nécessaires

Conférence du lundi 18 septembre 2023 de Jacques de Larosière, membre de l’Académie, Gouverneur Honoraire de la Banque de France, Directeur général honoraire du Fonds monétaire international, ancien président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement

Thème de la conférence : Réflexions sur les politiques monétaires menées ces dernières années au niveau mondial, sur leurs défauts et sur les améliorations nécessaires

Synthèse de la séance

Lorsque l’on interroge les populations, c’est l’inflation qui apparaît comme le plus grand danger, avant même le chômage. Il s’agit donc d’un sujet qui, bien que technique, est éminemment sociétal. Comment imaginer que la monnaie, définie par Montesquieu comme « l’étalon qui permet de donner sa valeur à toute chose », puisse changer de valeur à tout moment ? La stabilité de la monnaie relève des banques centrales depuis leur apparition à la fin du XVIIè siècle. Mais depuis la fin du régime de l’étalon-or, puis du système de Bretton-Woods mis à bas par les dépenses militaires des guerres de 1914 et du Vietnam, le monde a pris l’habitude de financer les dépenses publiques par la dette, de jouer des dévaluations pour gagner des parts de marché à l’exportation et est entré dans un régime de flottement des taux de change.

Depuis la crise financière de 2007-2008, la politique monétaire des grandes banques centrales a été constamment stimulatrice. Les taux d’intérêt directeurs ont été maintenus à zéro ou en dessous, ce qui présente l’incongruité de taxer les épargnants désireux de financer l’économie. Par ailleurs, la croissance de l’émission monétaire a continuellement dépassé celle de l’économie réelle. Depuis 20 ans, le financement dépasse les besoins économiques, ce qui aboutit inévitablement à l’apparition de l’inflation, comme l’exprimait déjà en 1568 Jean Bodin, mais aussi Milton Friedman. Cette politique monétaire continuellement stimulatrice a contribué à une croissance massive de l’endettement des pays avancés. Or si l’on veut prévenir l’inflation, il est indispensable de surveiller l’évolution du crédit. En revanche, ces taux d’intérêt zéro n’ont pas soutenu l’investissement productif à long terme, les agents économiques préférant rester liquides. Il est ainsi devenu plus intéressant pour une entreprise de s’endetter à bas coût pour racheter ses actions plutôt que d’investir à long terme. Les banques centrales, quant à elles, ont inondé l’économie avec la création monétaire – ce fut le « quantitative easing » après 2008 – sous prétexte que l’objectif d’inflation (« un peu moins de 2% ») n’était pas atteint.

Quelles sont les conséquences de cette situation monétaire débridée ? La croissance exponentielle de l’endettement a entraîné la vulnérabilité du système financier, le court-termisme a envahi le système et les entreprises dites « zombies » se sont multipliées. On les estime à plus de 16% de l’ensemble des pays avancés. Enfin, la financiarisation extrême a privilégié les 10% les plus à même d’en profiter, aggravant les inégalités sociales.

Si la rapidité d’intervention et la puissance de feu des banques centrales ont par deux fois évité l’effondrement du système financier, ces crises (en particulier celle de 2008 et celle de l’euro en 2010) ont été en même temps provoquées par l’excès d’endettement lui-même, fortement encouragé par l’action des banques centrales.

Les banques centrales ont failli dans l’engagement formel qu’elles avaient pris de limiter l’inflation à « un peu moins de 2% ». L’inflation a resurgi en 2021, avant même l’invasion de l’Ukraine, à plus de 10%. Il est vital de vaincre l’inflation qui est une taxe qui frappe les plus pauvres. Relever les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation est une sage décision mais les gouvernements vont devoir payer des taux positifs pour le service de leur dette et l’atterrissage en douceur n’est pas garanti. Toutefois avec des taux directeurs réels à zéro la politique monétaire actuelle est-elle suffisamment restrictive ? La lutte contre l’inflation des banques centrales est-elle crédible ? Malgré leur indépendance, oseront-elles se saisir vigoureusement du problème et affronter le risque de la hausse des taux ?
Il est temps dans un monde gouverné par le cycle financier que les banques centrales s’occupent de la stabilité des systèmes financiers.

Présentation du conférencier

Réécoutez la conférence

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.