Communication de Pascal Lamy
La gouvernance mondiale. Le point de vue de l’ancien directeur général de l’organisation mondiale du commerce

Conférence du lundi 9 octobre de Pascal Lamy, Président du Forum de Paris sur la paix et ancien directeur général de l’OMC

Thème de la conférence : La gouvernance mondiale. Le point de vue de l’ancien directeur général de l’organisation mondiale du commerce

Synthèse de la séance

La gouvernance peut prendre trois états : le solide national, le liquide européen et le gazeux mondial. Le déficit de gouvernance mondiale est aujourd’hui aussi flagrant que déprimant : jamais le monde n’a été aussi désorganisé, dangereux et fragmenté et la paix, bien public mondial n° 1, aussi menacée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Deux grandes catégories de causes expliquent ce constat alarmant : une cause structurelle, intrinsèque à l’ordre westphalien dans lequel nous vivons, et des causes qui tiennent aux dynamiques géopolitiques négatives depuis une quinzaine d’années.

Qu’attend-on d’une bonne gouvernance internationale ? Un équilibre satisfaisant entre des rivalités et une coopération indispensable. Cela nécessité 4 qualités : le leadership, la légitimité, l’efficience et la cohérence. Toutefois, il n’y a pas d’autorité sans hégémonie, susceptible de contestation ; la légitimité est affaiblie par la distance, et implique un sentiment d’appartenance à une communauté ; l’efficience et la cohérence rencontrent l’obstacle du maintien de la souveraineté des États. Pensée avec les attributs westphaliens, la gouvernance mondiale reste une utopie – ou une dystopie pour d’autres. En outre, ce système international basé sur la volonté d’États nations souverains s’affaisse lorsque les tensions entre ces États s’accentuent, comme c’est le cas aujourd’hui avec les tensions sino-américaines et la montée des tensions Nord-Sud. La question climatique durcit ces tensions tant il est vrai que c’est globalement le Nord qui est responsable du stock de carbone actuellement dans l’atmosphère et que c’est le Sud qui en subit en premier lieu les dommages. Il y a en outre, sous la houlette de la Chine, une sorte d’agrégation des tensions Est-Ouest et Nord-Sud, avec l’extension du groupe des BRICS à l’Iran par exemple. Même s’il faut se méfier de certains narratifs, tel que celui présentant l’Ouest contre le reste du monde, il convient de reconnaître l’obsolescence du système bâti par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, comme l’atteste aujourd’hui le décalage entre la composition du Conseil national de sécurité et la liste des puissances qui y ont un droit, ce qui ne peut être interprété que comme des injustices lorsque l’on est de l’autre côté de la barrière, mais le veto américain est un verrou à toutes tentatives d’infléchissement. Cette situation présente de grands dangers : économiques mais aussi politiques.

Trois perspectives peuvent être esquissées : une perspective néo, supra et para-westphalienne. Dans l’ordre westphalien, des améliorations sont possibles : rééquilibrer les poids respectifs des 193 États, améliorer les modes de décisions des organisations internationales, ou le recrutement des dirigeants. Concernant le supra westphalien, seules l’OMC – au moins entre 1994 et 2018, durant laquelle l’État qui perdait dans un contentieux ne pouvait s’opposer au consensus – et l’Union européenne, qui est une forme de supranationalité en terme juridique, incarnent ce type de système. Quant au para westphalien, qui postule que la souveraineté est l’obstacle fondamental à une meilleure gouvernance internationale et qu’il faut dès lors la contourner, c’est le concept qui est à la base du Forum de Paris sur la paix créé en 2018. Il part de l’idée, incarnée par le terme de polylatéralisme, que les acteurs de la vie internationale aujourd’hui sont loin de n’être que les États nations, mais également des multinationales, des ONG, des villes, de grandes institutions académiques, parfois beaucoup plus puissantes que les 2/3 des membres de l’Assemblée générale des Nations Unies et qu’il s’agit de construire une gouvernance internationale avec l’ensemble de ces acteurs. Le Forum de Paris sur la paix se donne pour mission d’incuber des propositions de coalition qui cherchent à apporter des solutions à divers problèmes, notamment celui climatique et du franchissement de la limite des 1,5°C. Le rêve des Pères fondateurs de l’Europe, que l’intégration des économies produise de l’intégration politique, s’est effondré. L’invasion russe en Ukraine a mis en lumière l’inexistence de l’Union européenne comme acteur géopolitique et que le règne de la force, c’est-à-dire la dissuasion nucléaire, et non celui de la loi, est ce qui nous protège d’une guerre mondiale.

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