Installation de Dominique SENEQUIER et lecture de la notice sur la vie et les travaux de Bertrand COLLOMB

L’Académie est réunie en séance solennelle sous la coupole pour entendre la lecture de la notice sur la vie et les travaux de Bertrand Collomb (1942 – 2019) par Dominique Senequier. Dominique Senequier a été élue membre de l’Académie des sciences morales et politiques le 16 janvier 2023, au fauteuil n°4, de la section Économie politique, Statistique et Finances.

Bruno COTTE

Le président Bruno Cotte ouvre la séance en saluant les nombreuses personnalités présentes et prie d’excuser le Président de la République, protecteur de l’Institut et des Académies. Il souligne que Dominique Senequier est la première femme à intégrer cette section et que depuis 1832, date à laquelle François Guizot a rétabli l’Académie, seulement sept femmes ont occupé les rangs de la compagnie, la première élue étant Suzanne Bastid, en 1971.

Jean-Claude CASANOVA

Jean-Claude Casanova prononce ensuite le discours d’accueil de Dominique Senequier. Conformément aux coutumes et traditions de l’Académie, J.C. Casanova ne prononce pas l’éloge de la nouvelle élue – soulignant que celui-ci sera fait à titre posthume par son successeur, comme elle-même va le faire pour Bertrand Collomb – mais l’accueille en expliquant pourquoi la section a proposé sa candidature et en quoi son expérience pourra conduire l’Académie à de riches et utiles réflexions. J.C. Casanova revient tout d’abord à la pensée du grand philosophe politique anglais du XIXè siècle, John Stuart Mill, qui, en même temps qu’il défendait la liberté et le système représentatif, souhaitait l’émancipation et la fin de l’assujettissement des femmes. Pour Mill, non seulement l’émancipation des femmes était juste – la servitude dans le mariage étant en contradiction avec tous les principes du monde moderne – mais également d’utilité sociale : citant Mill, J.C. Casanova souligne que « la somme des facultés intellectuelles que l’humanité aurait à son service doublerait. Le nombre actuel des personnes, propres à faire du bien à l’espèce humaine, et à promouvoir le progrès général (…) serait alors doublé (…) le monde fait une perte extrêmement sérieuse en refusant de faire usage d’une moitié de la quantité totale des talents qu’il possède. »
Il souligne que l’Académie voulait recruter quelqu’un du nouveau monde de la finance, et non pas de l’ancien, celui des banques et des assurances. Avec Dominique Senequier, c’est ce monde nouveau du private equity qui entre à l’Académie, un monde né aux États-Unis dans les années 1980 et qui pèse aujourd’hui fortement dans le monde : les firmes de private equity gèrent aujourd’hui 12 trillions de dollars (soit douze mille milliards de dollars), valent 500 milliards de dollars sur le marché américain et ont une valeur qui a doublé depuis la crise du covid. Le private equity est une activité financière qui consiste à acheter des entreprises pour une période limitée dans le temps, à les transformer et à les revendre. Les entreprises achetées peuvent être d’une haute technicité, des start-ups qui ont besoin de capital pour grandir, ou des entreprises plus mures qui ont besoin d’être restructurées et modernisées. Les fonds de private equity disposent de ressources qui proviennent de diverses origines (compagnies d’assurance, banques, fonds de placement, fondations, familles riches) qui cherchent à faire des investissements diversifiés et de rentabilité élevée. Les entreprises ne seront pas cotées en bourse. L’objectif est de les faire grandir et prospérer. Pour cela, on pourra renouveler leur direction, les réorganiser, les diviser, les fusionner, dans le but de les rendre plus rentables et de tirer le plus de valeur possible de leur gestion et de leur vente. On mesure les qualités nécessaires à la réussite de ces opérations : trouver les ressources, savoir choisir les entreprises, remédier à leurs difficultés, sélectionner les dirigeants aptes à les gérer et les faire grandir, bien les vendre. Le private equity n’existait pas il y a quarante ans. Il domine aujourd’hui le monde de la finance. Nous sommes encore au temps de l’euphorie. Le temps de la critique des crises et des contrôles viendra.
J.C. Casanova termine en soulignant que la présence de Dominique Senequier parmi les membres de l’Académie permettra d’aborder deux questions essentielles : celles des vicissitudes de la finance et des antinomies de l’entreprise. Contrairement aux sociétés démocratiques, dominées par l’égalité, l’entreprise, comme l’armée, est hiérarchique donc inégalitaire, ce qui introduit une antinomie entre la vie dans l’entreprise et celle dans la société.

Discours d’accueil de Jean-Claude Casanova

Après la diffusion d’un film en souvenir de Bertrand Collomb, Dominique Senequier procède à la lecture de la notice sur la vie et les travaux de Bertrand Collomb.

Bertrand COLLOMB

Bertrand Collomb est né à Lyon le 14 août 1942. D’une famille de Savoyards et de Polytechniciens, il entre à l’X en 1960, après son grand-père (1891) et son père (1922). Sorti dans le Corps des Mines, il suit les cours de Maurice Allais à l’École des mines et fait un stage aux houillères de Lorraine qui lui donne l’occasion de descendre dans les puits de charbon, expérience qui le marquera tant qu’il en fera inscrire quelques symboles sur son épée d’académicien : une lampe de mineur et du charbon. Il quitte l’Est de la France pour Austin (Texas) où il fait un PHD avec Abraham Charles, découvreur de la programmation linéaire. En 1975, à 33 ans, Bertrand Collomb entre chez Lafarge. Il commence par diriger une usine en France puis devient Directeur Général de Ciment Lafarge France. En 1985, Olivier Lecerf lui confie les reines de la filiale américaine, avant de lui céder la tête de l’entreprise en 1989. Bertrand Collomb hérite d’un groupe diversifié dont il poursuit l’expansion en Europe de l’Est, en Chine, aux Philippines, en Inde et en Corée. En 1997 et 2001, il acquiert deux géants britanniques, Redland et Bleu Circle. En 2001, Lafarge devient le premier cimentier mondial avec une capitalisation boursière de 17 milliards, 83 000 collaborateurs, 200 cimenteries dans 75 pays, 300 carrières de granulats et une production de 180 millions de tonnes de ciment.
Parallèlement, Bertrand Collomb devient un pionnier du développement durable. Il créé un partenariat avec le Fonds mondial pour la Nature en 2000 et fonde et préside le Conseil mondial pour le Développement durable qui va regrouper 200 groupes industriels mondiaux. Il crée en 2008 la Fondation Olivier Lecerf pour la recherche sur la mise en œuvre d’une vision humaniste dans les grandes entreprises.
Si Bertrand Collomb appréciait peu le monde de la finance ni même « les actionnaires de référence », il eut à faire l’éloge de son prédécesseur, Gaston Défossé et fut lui-même de 2006 à 2017, conseil de la société financière américaine Clayon, Dubillier, Rice. Ce qu’il n’appréciait pas dans la finance, c’est la finance « courtermiste », avide de profits, ces analystes qui imposent une remontée centralisée d’informations inutiles aux dirigeants. Comme l’atteste la devise qu’il fit graver sur son épée : « Le temps n’épargne pas ce que l’on fait sans lui ».
Bertrand Collomb aimait la recherche. Il avait créé en 1972 le Centre de Recherche en Gestion des Organisations auquel il apporta son soutien pendant près de 40 ans. Et c’est aussi son engagement éthique qui lui fera lancer avec Bernard Esambert une Fondation Ethique et Economie dont les travaux ont duré 7 ans.

En 2003, Bertrand Collomb dissocie le rôle de Président du Conseil et de Directeur Général et Bruno Lafont lui succède en janvier 2006 à la tête de Lafarge. En 2007, l’acquisition d’Orascom par Lafarge pour un prix de 12 milliards d’euros, financé à seulement 23% en capital, et le reste en dette, fragilise le groupe et conduit à son adossement au groupe suisse Holcim. Cette opération provoqua l’affaiblissement financier de Lafarge, la fusion avec Holcim et enfin le départ de Bruno Lafont en 2015. Même s’il ne s’est jamais permis d’émettre un doute ou une critique, Bertrand Collomb a beaucoup souffert du démantèlement de Lafarge mais surtout de la disparition de sa culture et de ses valeurs.
Bertrand Collomb était un admirateur de la pensée de Teilhard de Chardin dont il partage la croyance d’une conscience collective : « Nous voyons se développer sous nos yeux cette réalité de la noosphère, cette puissance de l’esprit, cette maîtrise de l’homme sur son destin » écrit-il à l’occasion d’une conférence aux Nations Unies prononcée le 8 avril 2005 à l’occasion du 50ème anniversaire de la mort de Teilhard. Bertrand Collomb, par sa pensée et sa pratique, s’inscrit dans la lignée du courant catholique progressiste des années 1970-80.
Les mots du poète Friedrich Hölderlin lui conviennent parfaitement : « Et ouvertement, je vouai mon cœur à la terre grave et souffrante, et souvent, dans la nuit sacrée, je lui promis de l’aimer fidèlement jusqu’à la mort, sans peur, avec son lourd fardeau de fatalité, et de ne mépriser aucun de ses énigmes. Ainsi je me liai à elle d’un lien mortel. »

La vie et les travaux de Bertrand Collomb – discours de Dominique Senequier

Patrick Thomas et Maître Philippe Genestié prononcent ensuite le discours de remise de l’épée et remettent son épée d’académicien à Dominique Senequier.

Des intermèdes musicaux, interprétés par les Arts Florissants, dirigés par William Christie, membre de l’Académie des Beaux-Arts, ont ponctué la cérémonie.

Discours de remise de l’épée de Philippe Ginestié

Discours de remise de l’épée de Patrick Thomas

Galerie photos

Académiciens

Cérémonie

Temps post-cérémonie

Les académiciens visitent le Domaine de Chantilly et font un point sur sa gouvernance et ses perspectives

Les académiciens ont visité ce lundi 3 avril le Château de Chantilly et ont pu échanger sur sa gouvernance et ses perspectives avec son administratrice générale Anne Miller.

Le domaine de Chantilly est le résultat d’un legs unique du Duc d’Aumale en 1886 (sous réserve d’usufruit) à l’Institut de France, une institution qu’il caractérise ainsi : « sans se soustraire aux transformations inévitables des sociétés, échappe à l’esprit de faction, comme aux secousses trop brusques, conservant son indépendance au milieu des fluctuations politiques ». Le domaine nous plonge dans l’histoire des puissantes maisons des Montmorency et des Condé. Le constat de l’Administratrice à son arrivée en 2022 a mis en évidence le besoin d’affirmation d’un modèle économique soutenable permettant des projets d’investissement. Le domaine, pour pouvoir exister économiquement aujourd’hui appelle la mise en valeur de son offre muséale, mais également de ses évènements et de ses animations afin d’en faire une étape incontournable de tout séjour touristique national ou international. Le château a par ailleurs battu son record de fréquentation en 2022 avec près de 525 000 visiteurs !

Après avoir exposé les projets portés pour le Château et le domaine, Madame Miller a rappelé combien il était important que le développement à venir soit le garant à la fois du respect du passé  (testament,  liens avec l’Institut et les Académies) mais aussi volontairement engagé dans l’avenir (modernité de  l’offre culturelle, innovation digitale,  propositions pédagogiques stimulantes, expériences particulières pour les visiteurs, les privatisations d’espace ou les mécènes, respect de l’environnement et réduction de l’empreinte carbone…).