Communication d’Érik ORSENNA « Les matières premières de la souveraineté »

Communication du lundi 8 décembre d’Érik ORSENNA, de l’Académie française

Thème de la communication : Les matières premières de la souveraineté

 Synthèse de la séance

Érik Orsenna commence en mettant en lumière l’importance des matières premières et en soulignant le déni de réalité dont la France a fait preuve durant longtemps vis-à-vis de ces ressources essentielles. Ce déni de réalité, associé à une connotation péjorative souvent accolée aux mots tels que « matières premières », « usines » ou « production », a eu pour conséquence un puissant mouvement de délocalisation des industries.

Selon Érik Orsenna, l’eau est la plus importante des matières premières. Il illustre son propos à partir de l’analyse de trois cas. Érik Orsenna propose tout d’abord de s’intéresser aux enjeux géopolitiques liés au Nil. Depuis la construction du barrage « Renaissance » par l’Ethiopie, pays de 115 millions d’habitants, à la frontière avec le Soudan, l’avenir de l’Egypte est désormais suspendu au taux de remplissage de ce barrage. Alors que pendant longtemps, le pouvoir s’est concentré à l’aval de ce fleuve, né de la réunion du Nil bleu et du Nil Blanc à hauteur de Khartoum, les rapports de force se sont inversés et déplacés vers l’amont, accentués par l’importance des délocalisations chinoises en Ethiopie.

Érik Orsenna montre ensuite comment la Turquie est un véritable château d’eau qui alimente le Tigre et l’Euphrate, et s’intéresse ensuite au bassin hydrographique qui descend du Tibet et qui alimente un ensemble de 400 millions de personnes.

Ces exemples et les enjeux géopolitiques qui y sont liés montrent toute l’importance de l’hydro-diplomatie. Les conséquences de la construction de barrages sur les débits d’eau affectent tous les deltas et notamment un pays comme le Bangladesh.

L’importance de l’interdisciplinarité dans la gestion de l’eau est soulignée, impliquant des ingénieurs, des juristes et des historiens.

À l’issue de sa communication Érik Orsenna a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées G.H. Soutou, Th. de Montbrial, H. Korsia, X. Darcos, P. Delvolvé, E. Roussel, J.C. Trichet, J.D. Levitte, Y. Gaudemet, J. de Larosière, M. Bastid-Bruguière.

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Cérémonie d’installation de Denis MUKWEGE à l’Académie et Lecture de la notice sur la vie et les travaux de Javier PÉREZ DE CUÉLLAR (1920-2020)

Synthèse de la séance

 L’Académie est réunie en séance solennelle sous la coupole pour la cérémonie d’installation du docteur Denis Mukwege, comme membre associé étranger au fauteuil laissé vacant par le décès de Javier Pérez de Cuéllar. La cérémonie est ouverte par le président de l’Académie, Jean-Robert Pitte.

Le docteur Denis Mukwege a été élu au fauteuil 1 des membres associés étrangers le lundi 23 septembre 2024. Son élection a été approuvée par le président de la République, protecteur de l’Académie, par un décret en date du 25 novembre 2024, publié au Journal Officiel. À ce fauteuil, Denis Mukwege, dont l’action et le parcours exceptionnels en République Démocratique du Congo auprès des femmes victimes d’exactions sexuelles, ont été couronnés en 2018 par le prix Nobel de la Paix, succède à Javier Pérez de Cuéllar, lui-même élu membre associé étranger le 23 janvier 1989 au fauteuil laissé vacant par le décès de Constantin Tsatsos. Le président rappelle qu’à ce fauteuil ont siégé d’autres figures illustres, également prix Nobel pour certains d’entre eux, notamment Theodore Roosevelt, 26ème président des États-Unis (1901-1909), élu associé étranger en 1909, prix Nobel de la paix en 1906, grâce à son rôle de médiateur dans la guerre russo-japonaise, mais aussi Maurice Maeterlinck, écrivain flamand francophone, élu à l’Académie en 1937, prix Nobel de littérature en 1911.

Louis Vogel prononce ensuite le discours d’accueil de Denis Mukwege, surnommé « l’homme qui répare les femmes » du fait de son engagement auprès des femmes victimes d’exactions sexuelles et de son combat auprès des instances internationales pour que les viols collectifs soient reconnus non pas comme un simple dégât collatéral mais comme une véritable arme de guerre.

Né en 1955 à Bukavu, au bord du lac Kivu, dans l’est du Congo, dans une famille pauvre mais croyante et unie, Denis Mukwege fait très tôt l’expérience de l’injustice et de la violence. Sauvé par des femmes et marqué par l’exemple de son père pasteur, il décide de devenir « muganga », celui qui soigne, afin de s’occuper des corps comme son père s’occupe des âmes. Éduqué par une mère qui refuse les stéréotypes patriarcaux, il comprend très vite que les violences faites aux femmes plongent leurs racines dans les inégalités quotidiennes, enracinées dès le plus jeune âge, entre filles et garçons. La guerre n’invente pas la violence, elle ne fait que la déchaîner dans un terreau déjà préparé.

Devenu médecin, Denis Mukwege commence comme pédiatre à l’hôpital de Lemera, puis se forme en gynécologie-obstétrique au CHU d’Angers entre 1984 et 1989. Malgré de bien meilleures conditions de travail en France, il choisit de rentrer pour exercer la médecine dans un pays confronté à des taux dramatiques de mortalité maternelle. Témoin de l’histoire sanglante de la République Démocratique du Congo – colonisation, dictatures, guerres, génocide rwandais, convoitise des ressources, effondrement de l’État – Denis Mukwege survit au massacre de Lemera et se réfugie un temps au Kenya. C’est dans ce contexte de guerre et de prédation qu’il comprend que le viol est utilisé comme arme de guerre systématique, visant à vider une zone de sa population pour s’emparer des richesses.

En 1999, Denis Mukwege fonde l’hôpital de Panzi, près de Bukavu, qui devait d’abord être une maternité, mais devient très vite un lieu de réparation des femmes victimes de viols et de mutilations massives. Il y développe une expertise chirurgicale unique pour traiter les fistules et autres blessures gynécologiques gravissimes. Comprenant que les dégâts sont aussi psychologiques, sociaux et existentiels, il met en place un accompagnement global : accueil par des « mamans chéries », soutien psychologique, aide juridique avec la création d’une clinique intégrée, puis structures de réinsertion comme la Cité de la Joie et la Maison Dorcas. À travers ces dispositifs, les survivantes sont soignées, rééduquées, formées, accompagnées vers l’autonomie économique et la reconquête de leur dignité, malgré le rejet fréquent de leurs familles et de leurs communautés.

Peu à peu, son action se double d’un combat public et international contre les violences faites aux femmes et pour l’égalité entre les sexes. Denis Mukwege devient un « activiste » comme il se définit lui-même : il témoigne devant les parlements, les Nations Unies, les médias, dans des documentaires qui contribuent à briser la loi du silence. Son engagement s’étend au terrain juridique : certains procès en République Démocratique du Congo reconnaissent pour la première fois le viol utilisé comme arme de guerre comme crime contre l’humanité, et l’État peut être condamné pour défaut de protection. Inscrite dans un mouvement plus large de transformation du droit international et des lois nationales, cette bataille participe à la reconnaissance du viol comme crime de guerre, à l’évolution des définitions du consentement et à la mise en place de dispositifs concrets de protection des victimes, notamment en Europe.

Louis Vogel conclut en soulignant que le moteur de Denis Mukwege est une exigence d’action : pour lui, l’émotion ne vaut rien si elle n’est pas suivie d’engagement. Illustrant cette vieille expression française, « de fil en aiguille », le docteur Denis Mukwege est passé de la pédiatrie à la gynécologie réparatrice, de la création d’un hôpital à celle d’un véritable écosystème de soin, de justice et d’émancipation, et de la lutte contre le viol à un combat global pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2018, il incarne les valeurs de dignité humaine, de courage et de responsabilité qui fondent l’Académie qui l’accueille Son parcours est une invitation à agir, à refuser l’indifférence et à se laisser entraîner, à sa suite, dans un combat universel pour la justice et la dignité des femmes.

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Deux extraits du documentaire réalisé par Thierry Michel et Colette Braeckman, consacré au travail du docteur Mukwege en République Démocratique du Congo, intitulé « L’homme qui répare les femmes. La colère d’Hippocrate » ont été diffusés avant et après le discours d’accueil de Louis Vogel.

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Le président invite ensuite Denis Mukwege à prendre la parole, comme c’est l’usage, pour rendre hommage à son prédécesseur, Javier Pérez de Cuéllar.

Après avoir remercié Louis Vogel pour son soutien, Denis Mukwege souligne l’honneur d’occuper le siège de Javier Pérez de Cuéllar, figure majeure de la diplomatie internationale et cinquième Secrétaire général des Nations Unies.

Né à Lima en 1920, Javier Pérez de Cuéllar grandit dans un environnement ouvert sur le monde, marqué par la culture européenne, la passion des langues et un profond humanisme. Ses études de droit et de littérature le conduisent dès 1940 vers une carrière diplomatique exceptionnelle, débutée au ministère péruvien des Affaires étrangères. Envoyé à Paris puis délégué à la Commission préparatoire de l’ONU en 1945, il assiste à la naissance de l’organisation qui marquera toute sa vie.

Au fil des décennies, il gravit les échelons de la diplomatie péruvienne, occupant des fonctions clés : directeur au ministère, ambassadeur en Suisse, en URSS et en Pologne, puis représentant permanent du Pérou aux Nations Unies. Sa maîtrise des crises internationales lui vaut de devenir Secrétaire général adjoint avant d’être élu, en 1982, Secrétaire général de l’ONU, mandat renouvelé en 1986. Durant près de dix ans, il exerce ses responsabilités avec calme et autorité morale, dans un monde traversé par la guerre froide, les conflits régionaux et les crises humanitaires. Il renforce la diplomatie préventive, défend la neutralité de l’ONU et contribue à des dossiers majeurs : protection des civils au Liban, relance du dialogue israélo-palestinien, indépendance de la Namibie, pression contre l’apartheid, négociations en Amérique centrale et médiation dans la guerre Iran-Irak, où il obtient un cessez-le-feu historique en 1988. Son action s’étend aussi aux enjeux émergents tels que l’environnement, le sida et le trafic de drogue. Sous son impulsion, la commission dirigée par Gro Harlem Brundtland produit en 1987 le rapport « Notre avenir à tous », texte fondateur du développement durable et du sommet de la Terre de Rio en 1992. Après son second mandat, Javier Pérez de Cuéllar poursuit son engagement : UNESCO, Fondation de l’Arche de la Fraternité, puis candidature à la présidence du Pérou en 1995. En 2000, il contribue au rétablissement de la démocratie après la chute du régime Fujimori, avant de devenir ambassadeur du Pérou en France de 2001 à 2004.

Hautement décoré dans le monde entier, il laisse aussi une œuvre intellectuelle majeure, dont un Manuel de droit diplomatique (1964) et Pèlerinage pour la paix (1997). Sa pensée repose sur trois piliers : patience, neutralité et dignité. Pour lui, la paix n’est pas seulement l’absence de guerre mais le produit de la justice, du respect mutuel et de la solidarité.

Décédé en 2020 à l’âge de cent ans, Javier Pérez de Cuéllar incarne l’esprit fondateur des Nations Unies. Son héritage moral et diplomatique demeure une source d’inspiration, rappelant que la diplomatie est avant tout un devoir d’humanité et que le courage réside dans la persévérance, le compromis et le respect de l’autre. Homme discret mais influent, il demeure un modèle pour celles et ceux qui œuvrent à un monde plus juste, durable et pacifique.

La cérémonie a été ponctuée de différents intermèdes musicaux interprétés au piano par Guillem Aubry, membre de l’Académie de l’Opéra national de Paris.

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Photos de la cérémonie

Crédit photos : Candice Ferrier

Suivez en direct la séance solennelle de rentrée 2025 de l’Académie

La séance de rentrée de l’Académie des sciences morales et politiques se tient ce lundi 17 novembre à 15 heures sous la coupole.

S’exprimeront :

  • Jean-Robert Pitte, président de l’Académie, sur le thème « La terre des hommes. Diverses facettes de la géographie » ;
  • Jean-David Levitte, vice-président de l’Académie, présentera le palmarès des prix et des médailles de l’année 2025 ;
  • Bernard Stirn, secrétaire perpétuel de l’Académie, sur le thème « Pouvons-nous encore avoir des repères ? ».

Cérémonie d’installation d’Olivier GRENOUILLEAU et Lecture de la notice sur la vie et les travaux de Jean BAECHLER (1937-2022)

Cérémonie d’installation d’Olivier Grenouilleau et Lecture de la notice sur la vie et les travaux de Jean Baechler (1937-2022)

L’Académie s’est réunie en séance solennelle sous la coupole pour entendre la lecture de la notice sur la vie et les travaux de Jean Baechler (1937-2022) par Olivier Grenouilleau.

Olivier Grenouilleau a été élu au fauteuil 2 de la section Morale et sociologie, le 29 avril 2024. Cette élection a été approuvée par le décret présidentiel du 20 juin 2024.

Le président Jean-Robert Pitte ouvre la séance en accueillant les membres de la famille de Jean Baechler, ceux de celle d’Olivier Grenouilleau, ainsi que toutes les personnes présentes sous la coupole et notamment les membres de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire. Le président rappelle les nombreuses figures qui ont occupé ce fauteuil, depuis Dominique-Joseph Garat en 1832, Joseph Lakanal, Emile Boutmy, Georges Duhamel, le Grand Rabbin Kaplan, jusqu’à Alain Besançon en 1996 et enfin Jean Baechler élu le 6 décembre 1999, au fauteuil laissé vacant par le transfert d’Alain Besançon dans la section Philosophie.

Le président donne la parole à Chantal Delsol qui prononce le discours d’accueil d’Olivier Grenouilleau parmi les membres de l’Académie.

Chantal Delsol retrace le parcours d’Olivier Grenouilleau, historien dont le parcours allie rigueur scientifique et courage intellectuel. Né en 1962 en Haute-Savoie et ayant grandi à Nantes, ville marquée par la mémoire de la traite négrière, Olivier Grenouilleau a très tôt choisi d’affronter ce passé enfoui. Sa thèse, soutenue en 1994 à Rennes sur le milieu négrier nantais du XVIIIᵉ au XXᵉ siècle, a ouvert la voie à une œuvre d’une rare ampleur, où se croisent histoire économique, morale et sociale. Historien de la sociologie historique, Olivier Grenouilleau a progressivement élargi sa recherche du local au global. Inspiré par Weber, Braudel et Veyne, il pratique une histoire de la longue durée et s’interroge sur les liens entre esclavage, capitalisme et modernité. La traite devient pour lui le prisme à travers lequel comprendre les tensions de la civilisation occidentale entre économie, éthique et émancipation.

Au milieu des années 2000, ses travaux suscitent une violente controverse. Pour avoir comparé les traites atlantiques et extra-européennes, il est accusé de relativisme, dans un contexte dominé par la loi Taubira de 2001. Soutenu par de grands historiens autour du manifeste Liberté pour l’histoire, il défend avec fermeté l’indépendance de la recherche contre les pressions idéologiques. Cette épreuve, vécue comme un passage du feu, renforce sa conviction que l’historien ne doit ni juger ni moraliser, mais comprendre.

Ses réflexions s’orientent ensuite vers la modernité, qu’il définit par le concept de l’agir, cette dynamique propre à l’Occident de transformer le monde. Selon lui, la postmodernité n’est pas un dépassement, mais l’aboutissement d’un processus ancien de désencastrement des sphères religieuse, politique et économique. Face à la « grande moralisation du monde » — abolition de l’esclavage, rejet de la torture, de la guerre, de la peine de mort — il voit se dessiner une humanité cherchant à se purifier du mal, au risque d’un nouveau manichéisme.

Olivier Grenouilleau se distingue enfin par son goût de la transmission. Conscient de ce qu’il doit à ses maîtres, il a créé aux éditions du Cerf la collection Bibliothèque à remonter le temps, destinée à rendre l’histoire accessible aux jeunes lecteurs. Fidèle à son idéal d’utilité, il rappelle que la mission du chercheur est de clarifier le monde sans le simplifier.

En saluant son entrée à l’Académie, ses pairs reconnaissent en lui non seulement un grand historien de la modernité, mais un esprit libre, fidèle à la vérité et à la transmission du savoir.

Réécouter / Télécharger le discours de Chantal Delsol

Olivier Grenouilleau procède ensuite à la lecture de la notice sur la vie et les travaux de Jean Baechler.

Issu d’une famille mêlant traditions industrielles, religieuses et cosmopolites, Jean Baechler manifeste très tôt un attachement central à la notion de liberté, qu’il tient pour constitutive de la condition humaine. Ce fil directeur traverse aussi bien sa rupture précoce avec la foi que ses choix académiques, marqués par une volonté d’indépendance et de rigueur. Formé à la philosophie, aux lettres classiques et à l’histoire, Baechler développe une méthode transversale, combinant érudition philologique, analyse historique et réflexion stratégique. Lecteur insatiable, maîtrisant de nombreuses langues anciennes et modernes, il puise chez les auteurs classiques – de Marx à Weber, en passant par la tradition gréco-latine – les matériaux d’une pensée résolument autonome.

Au cœur de l’œuvre baechlérienne se trouve une ambition singulière : conceptualiser l’« aventure humaine » en tant que totalité. Pour ce faire, Baechler élabore une science du règne humain, distincte des sciences physiques (langage mathématique) et biologiques (langage systémique), fondée sur un langage stratégique : l’homme, être de liberté, poursuit des fins et résout des problèmes. Cette anthropologie stratégique structure l’ensemble de son œuvre.

Contre la compartimentation disciplinaire, il défend un programme transdisciplinaire, orienté par les grandes questions fondamentales posées par la condition humaine : comment vivre ensemble ? comment transmettre ? comment atteindre la prospérité ou la félicité ? Ces questions génèrent des ordres (politique, économique, religieux, morphologique) auxquels correspondent des formes sociales et des régimes historiques.

Le politique occupe une place nodale dans la réflexion baechlérienne. Non pas en tant qu’objet autonome, mais comme clé de lecture de la condition humaine, à la fois moteur et révélateur des tensions internes aux sociétés. C’est dans cette optique qu’il développe une « staséologie » – science des conflits sociaux – ainsi qu’une typologie des régimes et des formes de pouvoir. Dans une perspective comparatiste et évolutionniste, il analyse la démocratie comme le régime naturel de l’espèce humaine, refoulée depuis le Néolithique mais réactivée par la modernité occidentale. La démocratie moderne, selon Baechler, n’est ni un modèle universel ni un absolu normatif, mais un horizon dynamique de pacification et de justice à l’échelle globale.

L’œuvre de J. Baechler est immense (276 articles, 34 livres, 24 volumes dirigés), mais orientée par une cohérence sous-jacente : comprendre l’histoire universelle à partir des choix stratégiques des humains face à leur liberté. Il pense la modernité comme une conjonction de transformations politiques, économiques et culturelles issues de la dynamique démocratique. Enfin, J. Baechler ne sépare jamais l’analyse scientifique de la question des fins : la recherche du vrai reste liée à une exigence éthique, conçue comme socle et finalité. Il s’agit, in fine, de penser pour agir librement, et d’agir en connaissance de cause dans un monde fondamentalement ouvert.

Jean Baechler a incarné une figure singulière du penseur engagé dans le long terme, fidèle à une méthode rigoureuse et à une exigence de totalité. Refusant les cloisonnements disciplinaires comme les dogmatismes idéologiques, il a tenté, tout au long de sa vie, de penser l’Homme dans toute la complexité de ses expériences historiques, sociales et spirituelles. Son œuvre constitue ainsi une contribution majeure à la refondation des sciences sociales sur des bases stratégiques, comparatistes et éthiques.

Réécouter / Télécharger le discours dOlivier Grenouilleau

À l’issue de cette cérémonie, Xavier Darcos, Chancelier de l’Institut et membre de l’Académie des sciences morales et politiques, a prononcé le discours de remise de l’épée d’académicien de Olivier Grenouilleau, en évoquant les différents éléments qui ornent le pommeau et la lame de cette épée d’officier supérieur du Premier Empire ainsi que ceux ajoutés par Olivier Grenouilleau pour la personnaliser. Il la lui a remise sous les applaudissements.

Bernard Vandenbroucque au violoncelle et Florence Dumont à la harpe, de l’Orchestre national d’Ile-de-France ont ponctué cette cérémonie de différents intermèdes musicaux. Un intermède littéraire et poétique a été composé et lu par les professeurs Frédéric Durdon et Luis Serra-Sardinha.

La cérémonie a été suivie d’une réception dans les salons de la cour d’honneur.

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Séance solennelle de rentrée de l’Académie pour l’année 2024

Lundi 18 novembre 2024 s’est tenue, sous la Coupole de l’Institut, la séance solennelle de rentrée de l’Académie.

Synthèse de la séance

Le président Bruno Cotte a ouvert la séance en saluant les nombreuses personnalités présentes, les auteurs des communications de cette année consacrée à la justice en France ainsi que les lauréats.

Le Président a ensuite rendu hommage aux membres et correspondants disparus cette année : Bernard Bourgeois, membre de la section Philosophie, François Terré, membre de la section Législation, droit public et jurisprudence, Bertrand Saint-Sernin, membre de la section Philosophie. Nous ont également quittés : Wolfgang Schäuble et Ismaïl Kadaré, membres associés étrangers, ainsi que Tomas Calvo Martinez, correspondant de la section Philosophie, Pierre Gény, Jean Vitaux et Anne Muratori-Philip, tous trois correspondants de la section Histoire et Géographie. Le président a ensuite salué les nouveaux membres qui ont rejoint les rangs de l’Académie : Olivier Grenouilleau dans la section morale et sociologie ; en qualité de membre associé étranger, le docteur Denis Mukwege, gynécologue-obstétricien exerçant en République démocratique du Congo et prix Nobel de la paix, et trois correspondants : Jean Tarrade, dans la section Législation, Lucrezia Reichlin dans la section Économie et Constantin Sigov dans la section Philosophie.

Bruno Cotte a ensuite réalisé une rétrospective de cette année sur le thème « Regards sur la justice en 2024 ». Il rappelle tout d’abord les principales critiques dont fait aujourd’hui l’objet la justice : débordée, trop lente, inefficace, trop chère, ou encore trop féminisée, la justice est également régulièrement accusée de faire preuve de laxisme ou d’être trop syndicalisée voire politisée avec l’idée récurrente d’un « gouvernement des juges ».

Le président poursuit en présentant les interventions des différents acteurs de la justice française intervenus pour évaluer et comprendre ses défis. L’année a débuté avec François Sureau qui a analysé la situation de la justice avec des propos parfois sévères mais stimulants. Jean-Marc Sauvé a présenté les conclusions des États Généraux de la Justice, initiative lancée en 2021. Nathalie Roret, directrice de l’École nationale de la magistrature, a démystifié l’image des juges cloisonnés. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, a discuté de la responsabilité des juges et du rôle du Conseil supérieur de la magistrature. Jean-Paul Jean a évoqué l’histoire de la justice sous Vichy, tandis que Sylvie Thénault, historienne, a analysé la justice en Algérie entre 1954 et 1962. Le syndicalisme judiciaire a été discuté par Bertrand Mathieu et Valéry Turcey. Dominique Verdeilhan et Mathieu Delahousse, journalistes spécialisés, ont abordé les relations complexes entre la justice et la presse. Louis Vogel, se fondant sur son expérience de maire, a évoqué la délinquance locale et la collaboration entre les magistrats et les autorités locales. Jean-Baptiste Bladier a discuté de l’efficacité des décisions judiciaires. Les réformes de la justice pénale, en particulier la création de nouvelles cours criminelles départementales, ont été abordées par Olivier Leurent et Anne-Marie Gallen. Laure Beccuau, procureur de Paris, a évoqué les spécificités du parquet de Paris, notamment la gestion des violences sexuelles et familiales. L’état des prisons a été traité par Laurent Ridel, ancien directeur de l’Administration pénitentiaire, mettant en lumière les conditions de surpeuplement. Cécile Dangles et Véronique Sousset ont abordé le rôle de la préparation à la sortie des détenus, question cruciale pour éviter la récidive. Jean-François Ricard a communiqué sur la lutte contre le terrorisme et les crimes de guerre. Jean-François Bohnert a traité de la grande délinquance financière. La justice des mineurs a également été un sujet abordé par Édouard Durand. Xavier Leonetti a présenté la délinquance informatique. Enfin, Stéphane Noël, président du tribunal de Paris, a présenté l’état de la justice civile et Jean-Guy Huglo celui de la justice sociale. Denis Salas et Carole Daminani ont évoqué la juste place des victimes dans le procès pénal. Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État et Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, interviendront pour clôturer l’année en évoquant le rôle de ces trois juridictions. Bruno Cotte termine son discours en rappelant l’importance de redresser certaines idées préconçues et d’apprendre à considérer une institution dont la tâche est infiniment lourde et complexe.

Le vice-président Jean-Robert Pitte a ensuite procédé à la lecture du palmarès des prix, bourses et médailles décernés par les six sections de l’Académie et des jurys particuliers. Grâce au concours et à la générosité des particuliers et associations qui ont créé, par legs ou par dons, des fondations abritées au sein de l’Académie, celle-ci poursuit la mission, confiée à l’Institut par la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) : « suivre les travaux scientifiques et littéraires qui auront pour objet l’utilité générale et la gloire de la République ».

Le Secrétaire perpétuel Bernard Stirn a ensuite prononcé un discours sur le thème « Élections et vie démocratique ».

Bernard Stirn commence son discours en soulignant l’importante mobilisation électorale mondiale qui a marqué l’année 2024 : près de la moitié de la population mondiale a été appelée à voter, dans des contextes variés. Trois démocraties historiques se sont particulièrement distinguées. Au Royaume-Uni, les travaillistes ont obtenu une victoire écrasante après 14 ans de gouvernement conservateur. En France, la dissolution de l’Assemblée nationale a engendré une fragmentation politique sans majorité claire. Aux États-Unis, Donald Trump a été réélu dans un climat de polarisation extrême. D’autres scrutins majeurs ont animé la scène internationale : en Europe, les élections au Parlement européen ont orienté les priorités de l’Union, tandis qu’en Inde, au Japon et en Afrique du Sud, les votes ont reflété la vitalité démocratique dans des cadres variés. En revanche, dans des régimes autoritaires comme la Russie ou le Venezuela, les élections ont souvent été marquées par des irrégularités et des pressions. Cette effervescence appelle à réfléchir au rôle des élections dans la démocratie. Bien que fondamentales, elles ne sont qu’un des piliers nécessaires pour bâtir une société démocratique solide.

Les élections libres constituent le socle fondamental de toute démocratie. Ce droit, aujourd’hui considéré comme une évidence dans de nombreuses régions du monde, n’a pourtant été reconnu comme une norme universelle qu’après les catastrophes du XXᵉ siècle. Les horreurs des régimes totalitaires ont incité la communauté internationale à proclamer la nécessité du suffrage universel comme un droit essentiel. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dans son article 21, a affirmé que la volonté du peuple exprimée lors d’élections libres devait constituer la base de toute autorité légitime. Ce principe a été réaffirmé par les grands traités internationaux, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, et a guidé la rédaction des constitutions de nombreuses démocraties contemporaines. Le suffrage universel n’a cependant pas été acquis sans luttes. Dans de nombreux pays, son instauration a nécessité des mouvements sociaux prolongés, souvent ponctués de sacrifices humains. Même dans des démocraties bien établies, les progrès ont été lents et inégaux, notamment en ce qui concerne l’élargissement des droits de vote aux femmes, aux minorités ethniques, aux étrangers ou aux classes sociales historiquement marginalisées. Les débats actuels sur le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie, qui nécessitent l’apport de solutions constitutionnelles, le démontrent encore.

Les élections reposent sur plusieurs éléments essentiels pour garantir leur légitimité et efficacité. La fréquence des scrutins influence la stabilité politique : des élections trop espacées peuvent provoquer des bouleversements, tandis que des scrutins trop fréquents génèrent une instabilité constante. L’équilibre est crucial, comme le montre le passage au quinquennat et la réduction du mandat des sénateurs. Cependant, certaines réformes, comme l’inversion du calendrier électoral en 2002, ont affaibli l’importance des élections législatives par rapport aux élections présidentielles. Les événements imprévus, comme les démissions ou les dissolutions, peuvent perturber le calendrier. Enfin, la sincérité du scrutin dépend d’un cadre rigoureux incluant des débats ouverts, une presse libre, et un encadrement des sondages et campagnes. En France, les dépenses de campagne sont strictement régulées par la Commission nationale des comptes de campagne. Si le scrutin majoritaire domine en France, la représentation proportionnelle est utilisée pour certaines élections et des appels pour une dose de proportionnelle aux législatives se multiplient. Enfin, le découpage électoral et les résolutions de contentieux garantissent la régularité des élections, avec la nécessité du contrôle de juges impartiaux tels que le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État.

En dépit de la régularité d’élections libres, le citoyen se sent parfois désemparé, avant le scrutin comme après ses résultats. Un certain désenchantement démocratique en découle. La montée de l’abstention est à cet égard préoccupante et traduit à la fois un désintérêt pour la vie publique et un désaveu envers les partis politiques et les élus. La participation aux élections législatives, autrefois supérieure à 80% dans les années 1960 et 1970, est tombée sous la barre des 50% en 2017 et 2022. Même l’élection présidentielle, traditionnellement plus mobilisatrice, a vu l’abstention augmenter. Ce désengagement frappe particulièrement les jeunes, un signal d’alarme pour l’avenir. Cependant, les législatives de 2024 ont montré des signes encourageants avec une participation remontée à 67%, tout comme les élections européennes, où le taux a atteint la moyenne européenne. Pour lutter contre l’abstention, l’éducation joue un rôle fondamental. Une meilleure formation à la citoyenneté dans le système éducatif, incluant une explication claire des institutions locales, nationales et européennes, est indispensable. De plus, un scrutin démocratique ne peut remplir sa fonction sans un débat électoral constructif. Pourtant, ce dernier est souvent affaibli par des campagnes archaïques et des échanges violents, marqués par des outrances et des attaques personnelles. Les réseaux sociaux, en propageant fausses nouvelles, discours haineux et théories du complot, aggravent ces dérives. Ces phénomènes sapent le débat démocratique, comme l’a montré l’influence des désinformations lors du référendum sur le Brexit. Les citoyens expriment parfois un sentiment de non-écoute, notamment après des décisions perçues comme allant à l’encontre de leur vote. L’exemple des référendums de 2005, où le rejet du traité constitutionnel européen a été suivi d’une adoption partielle sous une autre forme. Des progrès notables ont été réalisés, notamment en matière de parité, avec des conseils municipaux respectant l’égalité entre hommes et femmes et plus d’un tiers de femmes à l’Assemblée nationale. Toutefois, des inégalités persistent, surtout dans les fonctions exécutives. En plus des élections, des outils participatifs comme les conventions citoyennes ou les référendums émergent, mais leur mise en œuvre reste complexe. Le référendum d’initiative partagée, introduit en 2008, n’a abouti à aucun projet. Le Secrétaire perpétuel conclut que pour préserver la démocratie, elle doit s’inscrire dans un projet collectif partagé et annonce que l’Académie des sciences morales et politiques lancera en 2025 un cycle sur « l’Avenir de la démocratie » sous la conduite d’Hervé Gaymard, ainsi qu’un un groupe de réflexion avec l’Académie des sciences sur le sujet « Expertise scientifique, décision politique et fonctionnement démocratique ».

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Verbatims des discours du président, du vice-président et du secrétaire perpétuel

Monsieur le Nonce Apostolique en France,

Monsieur l’ambassadeur,

Messieurs les premiers ministres,

Monsieur le Grand chancelier de la Légion d’honneur,

Mesdames et Messieurs les anciens ministres,

Mesdames et Messieurs les hautes personnalités, que je ne puis toutes citer car elles sont très nombreuses à nous faire l’honneur d’être ici présentes aujourd’hui,

Mesdames et Messieurs qui, vous aussi, avez répondu « oui » à notre invitation et qui êtes également à nos côtés pour cette séance solennelle,

Mesdames et Messieurs les auteurs de communications qui, tout au long de cette année, avez enrichi nos séances et nos débats,

Vous tous, votre présence nous touche !

Mes chères consœurs, mes chers confrères, membres de l’Institut, membres des cinq académies, et tout spécialement Lord Jonathan Mance, Messieurs Axel Cleermans, Dong Quian et Théodore Fortsakis, tous quatre correspondants de notre compagnie, venus respectivement de Londres, de Bruxelles, de Chine et de Grèce.

Nous voici donc réunis pour notre séance annuelle de rentrée. Cette séance, traditionnelle, revêt sans nul doute un caractère officiel, cette maison, quoique résolument moderne aime beaucoup la tradition, mais elle se veut surtout amicale. Il m’appartient de vous relater ce que fut pour nous cette année 2024 avec ses joies, ses peines, l’activité, soutenue qui fut celle de notre compagnie et le bilan ou la synthèse du programme de travail consacré à « La Justice en France en 2024 ». Ce sera aussi l’occasion de se réjouir avec la proclamation, par notre vice-président, Jean-Robert Pitte, du palmarès 2024. L’occasion, enfin, de nous instruire en écoutant un libre propos d’actualité de Bernard Stirn, notre secrétaire perpétuel.

Commençons par ce qui nous attriste : trois de nos confrères nous ont quittés cette année : Bernard Bourgeois de la section Philosophie, le 26 mars 2024, François Terre de la section Législation, droit public et jurisprudence,le 27 mai 2024 et Bertrand Saint-Sernin de la section Philosophie le 24 juin 2024. Oui, leur décès nous a profondément attristés car, outre leurs immenses qualités intellectuelles, ils étaient tous trois des humanistes et de délicieux confrères, des amis pour nombre d’entre nous. Ils laissent, chacun dans son domaine, une trace qui n’est pas près de s’effacer.

Plusieurs de nos membres associés étrangers et de nos correspondants nous ont également quittés : il s’agit de Wolfgang Schauble et d’Ismaël Kadare, membres associés étrangers, de Tomas Calvo Martinez, correspondant de la section Philosophie, de Pierre Geny, Jean Vitaux et de Anne Muratori-Philip, tous trois correspondants de la section Histoire et Géographie. Il s’impose, ne serait-ce qu’un minime instant, d’avoir une pensée pour eux en ce moment qu’ils aimaient partager avec nous.

Nous nous sommes en revanche réjouis de l’élection d’Olivier Grenouilleau au fauteuil de Jean Baechler en section morale et sociologie ; de l’élection, en qualité de membre associé étranger, et en remplacement de Javier Perez de Cuellar, du docteur Denis Mukwege, gynécologue-obstétricien exerçant en République démocratique du Congo et prix Nobel de la paix ; de l’élection de trois correspondants : Jean Tarrade, notaire, en section Législation, Droit public et jurisprudence, Lucrezia Reichlin en section Économie politique, statistique et finances et Constantin Sigov en section Philosophie.

Venons-en à présent aux activités de l’Académie.

On ne peut tout dire tant cette année a été dense. Allons donc à l’essentiel !

Elle a poursuivi et clôturé, sous la houlette de Daniel Andler, le programme TESACO qui a pour objet d’évaluer l’impact des technologies émergentes sur notre société et de réfléchir aux moyens d’en tirer le meilleur parti en évitant le pire. C’était une initiative splendide mais hardie : sa conclusion est une réussite.

Il en a été de même du passionnant travail réalisé sous la direction d’Olivier Houde, sur « La culture aujourd’hui : une question d’éducation et de pédagogie ». Travail collectif, pluridisciplinaire, impliquant des représentants des cinq Académies, de longue haleine, assortie de recommandations et tellement nécessaire. Là encore : une réussite ! Merci à tous les deux pour l’image qu’à travers les travaux qu’ils ont animés ils donnent de l’Académie !

Plusieurs colloques ont permis d‘honorer des personnalités qui ont compté dans la vie de notre pays : une soirée d’hommage a ainsi été rendue au Président Georges Pompidou, au cours de laquelle Monsieur Édouard Balladur nous a dressé un passionnant portrait du président Pompidou, une journée a été consacrée au Président Valéry Giscard d’Estaing, un colloque a été organisé sur la philosophie selon Léon Brunschvig et un autre a permis de faire revivre le grand historien et résistant Marc Bloch. Un hommage à François Guizot, « restaurateur » de notre Académie aura lieu le 10 décembre prochain.

D’autres rencontres ou colloques ont permis de traiter de questions juridiques telles que « les Libéralités philanthropiques et les Fondations », de questions de société : l’Académie a ainsi accueilli un colloque sur « L’accompagnement fraternel de la fin de vie : enjeux français et expériences étrangères » au moment où s’ouvrait devant la précédente Assemblée Nationale le débat sur la fin de vie. Elle a aussi accueilli « L’Association internationale de droit pénal » pour une journée de travail lors de son centenaire célébré en juin 2024. Et, tout récemment s’est tenu, à l’initiative et avec le concours de Chantal Delsol, Emma Durand et Joanna Nowicky, un colloque sur le thème « Sans enfant par choix. Le phénomène CHILDFREE ».

Sur le plan pédagogique, plusieurs membres de notre compagnie, Jacques de Larosière, Xavier Darcos, Chantal Delsol, Bernard Stirn, et Hervé Gaymard sont intervenus à la Sorbonne dans le cycle « Les Académiciens en Sorbonne » devant un vaste parterre de lycéens sur des sujets en lien avec les programmes des spécialités de terminale ou de portée plus générale ! Un cycle « Un semestre avec les Académiciens » a également été engagé, à l’intention des étudiants. Un académicien de chacune des cinq Académies prononce une conférence sur un thème commun, la liberté en 2024, l’égalité en 2025.

À tour de rôle avec les autres Académies, notre compagnie organise des conférences dans le cadre des « Conférences de l’Institut ». Elles se déroulent le lundi en fin d’après-midi. Notre Académie a cette année la charge d’un cycle qui vient de commencer avec Lucien Bély sur « Le Grand Siècle ».

Je rappelle également les activités des groupes de travail inter académiques et l’accueil de nombreuses délégations : militaires de l’École de guerre, membres du Conseil d’État, classes de lycées … oui, cette académie est vivante !

Le programme des séances du lundi a fait place cette année à deux journées dites « thématiques ». L’une fut consacrée au droit international humanitaire si malmené, pour ne pas dire bafoué, depuis bientôt trois ans. Il était important d’en connaître les contours juridiques exacts, les modalités de mise en œuvre pour mieux comprendre à quel point on s’éloignait actuellement de principes que l’on croyait pourtant admis sans réserve par tous. Nos confrères, les professeurs Serge Sur, juriste, et Jean-François Mattei, médecin, qui présida naguère La Croix Rouge Française, nous ont aidés dans cette démarche avec le concours de Françoise Bouchet-Saulnier de Médecins sans frontières. Il y a un mois environ c’est le général d’armée Pierre Schil, chef d’état-major de l’armée de Terre, qui est venu nous parler des « Défis actuels de l’armée de Terre ». Les théâtres de guerre se multiplient dans notre monde si tourmenté et il s’imposait de s’informer. Cette communication, passionnante, a donné lieu à de nombreux échanges.

Tout récemment, la « Nuit du Droit » a, cette année, été consacrée, en étroite liaison avec l’Académie des Beaux-Arts, à la thématique du droit moral : « Droit d’auteur, droit moral à l’heure de l’intelligence artificielle ».

Et comme il faut aussi accroitre notre culture toujours insatisfaite, nous avons visité les salles d’audience, chargées d’histoire, du palais de justice de l’Ile de la Cité et échangé, à cette occasion, avec les chefs de la Cour de cassation et de la Cour d’appel de Paris. Nous nous sommes aussi rendus à l’Opéra Garnier aux destinées duquel notre Secrétaire perpétuel a présidé durant de longues années et nous nous sommes entretenus avec ceux qui le dirigent.

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Arrêtons-nous à présent, plus longuement, sur le thème de cette année intitulé « Regards sur la justice en 2024 ».

Justice débordée, justice trop lente, justice inefficace, justice trop chère, justice sinistrée ! Magistrats trop jeunes, inexpérimentés, justice beaucoup trop féminisée, justice incapable de « s’ouvrir » sur l’extérieur et cultivant un « entre soi » mortifère ! Justice incapable de s’adapter aux évolutions de notre société ! Justice laxiste, justice « hors sol », justice syndicalisée, justice politisée le mot est « lâché » ! Pire encore : « Gouvernement des juges » ! Trois mots qui, ces jours derniers, ont été, m’a-t-il semblé, de nouveau prononcés ! Indice de satisfaction ? il est préférable de ne pas citer de chiffres ! Justice, disent certains, qui serait mal aimée par notre protecteur, le président de la République, pourtant garant de son indépendance : c’est, pour reprendre les mots du journaliste Mathieu Delahousse, « le grand malentendu » !

Face à de tels constats, à tant de critiques, à tant d’inquiétudes : « par qui vais-je bien être jugé … ? », il s’imposait de tenter d’y voir clair et, plus encore, de comprendre … C’est ce que nous nous sommes efforcés de faire tout au long de cette année en invitant des acteurs de cette justice, des « sachants », dont l’objectivité ne pouvait être critiquée, à nous faire part de leur propre diagnostic, de leur regard sur les difficultés rencontrées, les défis à surmonter, les sujets de satisfaction, les réussites qu’ils ont pu relever, sur les motifs d’espérer. 

Ils l’ont fait en y mettant le meilleur d’eux-mêmes et en nous donnant, s’agissant des magistrats, à partir d’exemples puisés dans leur vie professionnelle, une impressionnante image d’humanisme au meilleur sens de ce mot : tenir l’humain pour la valeur suprême ! « L’humanisme, comme me l’a dit si aimablement notre confrère, Jacques de Larosière, a été le fil conducteur des propos tenus par tous ces praticiens du droit. » Je les remercie du fond du cœur.

Et c’est en fanfare que nous avons commencé l’année avec François Sureau, académicien français mais aussi juriste polyvalent, qui, dans un propos, à son image, ébouriffant et flamboyant, sur l’état de la justice, mêlant l’histoire à la sociologie judiciaire, n’a, disons-le, pas « mâché » ses mots ! Propos roboratifs, parfois, peut-être, aux yeux de certains, excessifs mais tellement stimulants !

Plus mesuré dans l’expression mais tout aussi passionnant, fut Jean Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État, qui, lui aussi, après un diagnostic sans concession sur l’état de « notre » justice », tira, dans une splendide synthèse, les conclusions des « États Généraux de la Justice » convoqués à la fin de l’année 2021 par le Garde des Sceaux. Il en avait en effet présidé le Comité indépendant chargé de synthétiser les propositions formulées par les milliers de personnes consultées.

Il fallait bien sûr savoir qui sont les juges de 2024 d’où ils viennent, comment on les recrute, comment ils sont formés et où ils exercent car, contrairement à une idée reçue, tous ne sont pas claquemurés dans leurs juridictions. Beaucoup sont en détachement dans les postes les plus divers, en France et à l’étranger : oui, figurez-vous, on les recherche ! Nathalie Roret, ancienne vice-bâtonnier du barreau de Paris et actuelle directrice de l’École nationale de la magistrature nous a, à cet égard, libérés de beaucoup d’idées reçues.

Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, s’est ensuite attaché à nous parler de la responsabilité des juges, s’agit-il d’électrons libres, totalement livrés à eux-mêmes ? Il a traité du Conseil supérieur de la magistrature qu’il préside, de la manière dont on accède aux postes de responsabilité, de la déontologie qui s’impose lorsque l’on est appelé à poursuivre et à juger ses semblables et donc des procédures disciplinaires. Ce fut une découverte pour beaucoup d’entre nous.

Avant d’aborder le syndicalisme dans la magistrature, sujet ô combien sensible, Jean-Paul Jean, président de chambre honoraire à la Cour de cassation et vice-président de l’Association française pour l’histoire de la justice, a évoqué, dans une communication richement illustrée, ce qu’était la justice sous le régime de Vichy et pendant la période de l’Épuration. Il est parfois cinglant et douloureux de se voir ainsi renvoyé à son passé !

Lui succéda Sylvie Thénault, historienne et directrice de recherche au CNRS, qui nous a fait découvrir ce qu’était la justice en Algérie entre 1954 et 1962 avec un aperçu sur l’intense et singulière (sur le plan procédural) activité judicaire qui suivit le putsch d’avril 1961.

Oui, avouons-le, ces rappels étaient salutaires avant de traiter du syndicalisme judicaire et du reproche de politisation fréquemment adressé aux magistrats membres d’un syndicat. Il fut en effet des temps où la magistrature était infiniment plus politisée qu’elle ne l’est maintenant. Ne l’oublions pas ! Sur le syndicalisme, nous avons entendu une communication à deux voix : celle de Bertrand Mathieu, professeur honoraire de droit constitutionnel et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, non hostile à cette forme de syndicat mais faisant preuve d’une raisonnable et sage distance et appelant, en ce domaine, au sens de la responsabilité. Celle ensuite de Valery Turcey, conseiller à la Cour de cassation et lui aussi ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature mais surtout ancien président de l’Union syndicale des magistrats. Passionnante confrontation de points de vue, échanges nuancés, constructifs d’où il est résulté que le syndicalisme, intelligemment exercé, a bien toute sa place dans cette profession.

Deux journalistes judiciaires, Dominique Verdeilhan de la presse télévisée (France 2) et Mathieu Delahousse, de la presse écrite (Le Nouvel Observateur), tous deux fins connaisseurs de l’institution judiciaire, de ses états d’âme, de ses travers, des difficultés qu’elle rencontre mais aussi de ses réussites, nous ont fait part, également à deux voix, de leur vision du monde judiciaire et des rapports qu’entretiennent ces deux professions « Presse et Justice » si différentes et pourtant souvent fort interdépendantes !

Notre confrère Louis Vogel, aujourd’hui sénateur et qui venait de mettre fin à son mandat de maire de la ville de Melun, a posé le regard d’un maire sur le traitement de la petite et moyenne délinquance, celle qui empoisonne la vie de nos compatriotes et de nos concitoyens. Fort de son expérience de terrain, il l’a fait de la manière la plus concrète. Il nous a parlé des rapports qu’il entretenait avec les magistrats du parquet et les services de police et de gendarmerie. Il nous a montré la difficulté de la tâche confiée aux maires en matière de maintien de la sécurité et de recherche constante d’un meilleur « vivre ensemble ».

Il fut suivi par Jean-Baptiste Bladier, procureur de la République de Meaux, qui, en lui répondant, a surpris notre compagnie en énumérant les multiples responsabilités qui, depuis quelques années et au-delà du seul cadre judiciaire stricto sensu, sont confiées aux procureurs… que l’on a de plus en plus tendance, pour des raisons de rapidité et d’efficacité, à transformer en juges. Sans doute la justice est-elle souvent trop lente mais attention au culte du rendement et de la statistique ! Gardons-nous de multiplier les contentieux prioritaires sous peine de ne plus rien traiter correctement !

À deux voix, sont intervenus ensuite pour nous parler de la Cour d’assises et des toutes nouvelles cours criminelles départementales, Olivier Leurent, actuel président du tribunal de Marseille et qui fut président de la Cour d’assises de Paris, et Anne Marie Gallen, présidente des cours d’assises et des cours criminelles départementales du Nord et du Pas de Calais. Des rappels historiques étaient nécessaires, il nous fallait réaliser la possibilité qu’offrent désormais ces nouvelles cours criminelles départementales de réduire les délais d’audiencement devenus trop longs. Les explications qui ont été notamment données sur la place qu’occupent les jurés populaires, leurs réactions, les difficultés qu’ils rencontrent nous ont beaucoup appris.

Laure Beccuau, procureur de la République de Paris, leur a succédé. Ce fut l’occasion pour elle de présenter le parquet de Paris, atypique en raison de sa dimension, de la variété des contentieux qu’il traite comme de la spécificité de nombre d’entre eux. Elle s’est particulièrement arrêtée sur le traitement des violences sexuelles et des violences intra familiales, brûlant et difficile sujet d’actualité en particulier depuis ce que l’on a appelé la vague Me Too.

Il s’imposait qu’un avocat vienne exposer sa conception de la profession d’avocat pénaliste et parler des rapports qu’entretiennent les deux professions d’avocat et de magistrat, rapports étroits, complémentaires mais parfois tendus alors que, dans l’intérêt même du justiciable, qu’il soit mis en cause ou victime, la sérénité et le respect mutuel doivent être la règle. C’est François Saint Pierre, du barreau de Lyon, qui nous a entretenu avec brio et passion sur ces questions.

Les Français connaissent fort mal leurs prisons. Nombre d’entre eux considèrent que les peines prononcées par les tribunaux sont trop souvent insuffisantes alors que nos maisons d’arrêt sont surpeuplées avec, pour certaines des taux de suroccupation et des conditions de détention indignes qui font condamner la France par la Cour européenne des droits de l’homme. 79 631 détenus à la date du 31 octobre 2024 pour 62 000 places « opérationnelles » : c’est trop, c’est inadmissible ! Qui s’intéresse aux prisons, à la population qu’elles abritent, aux personnels qui s’y dévouent et qui, eux aussi, ont bien souvent honte des conditions dans lesquelles ils doivent travailler ? Bien peu de nos compatriotes. Grâce à Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire, l’Académie des sciences morales et politiques s’y est intéressée et il nous a ouvert les yeux sur un univers dont nombre d’entre nous n’avait aucune idée. Oui, il nous a beaucoup appris

Après lui, Cécile Dangles, longtemps juge de l’application des peines à Lille et actuellement membre du Contrôle général des lieux de privation de liberté, et Véronique Sousset, directrice régionale adjointe des services pénitentiaires à Strasbourg et qui fut directrice de la Maison centrale de Saint-Maur qui accueille des condamnés à de très longues peines, nous ont parlé – et cela s’imposait – de la préparation à la sortie. Car si l’on entre en prison n’oublions pas que l’on en sort un jour et qu’il faut, pour tenter d’exclure toute récidive, que cette sortie soit intelligemment préparée. Ce fut l’occasion de mieux comprendre le rôle que jouent les réductions de peines, les permissions de sortir, la libération conditionnelle … questions, sensibles, que le débat sécuritaire, lorsqu’il n’est, comme c’est trop souvent le cas, qu’étroitement politicien, a tendance à caricaturer.

Ce fut ensuite à Jean-François Ricard, alors chef du Parquet national antiterroriste également en charge de la lutte contre les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, de nous exposer l’état de la « menace terroriste » en France, les moyens dont il dispose pour y faire face, la nécessaire coopération qui doit exister entre son parquet, les juges et les services de police, de gendarmerie et de renseignements, l’importance des affaires en cours et restant à juger… Plongeon dans un monde inconnu et qui nous concerne tous. Il a également abordé les activités de la section plus spécialement chargée de lutter contre les crimes les plus graves : crimes notamment commis au Rwanda ou en Syrie et dont la France connaît sur le fondement de la « compétence universelle », il a parlé de la coopération avec la Cour pénale internationale, les autorités judiciaires ukrainiennes… là encore, beaucoup d’entre nous avaient tout à apprendre sur ces questions.

Le premier semestre s’est clos avec Jean-François Bohnert, chef du Parquet national financier, une institution mal aimée par certains qui souhaitent même sa suppression car ils la jugent trop politique. Notre communiquant a su corriger cette image négative et démontrer à quel point ses services permettaient de lutter contre la grande délinquance financière et une corruption dont la France n’est pas exempte. Surprise de constater qu’en application de dispositions procédurales nouvelles, le PNF fait rentrer chaque année dans les caisses de l’État, par les amendes prononcées, des sommes loin d’être négligeables.

La justice des mineurs a été le thème de notre séance de rentrée début septembre. Le sujet est brûlant car, chacun le sait, on constate que les auteurs d’actes de délinquance sont de plus en plus jeunes et que certains sont de plus en plus violents. Dès lors, comment réagir sans très vite tomber dans des excès répressifs ? Édouard Durand, premier vice-président chargé des mineurs au tribunal de Pontoise et ancien président de la « Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants » a communiqué sur ce point. Il a su remettre beaucoup de craintes à leur juste place et nous expliquer la tâche passionnante, mais tellement difficile, de ces juges des enfants que, là encore, on critique fréquemment alors qu’on les connaît si peu. Il a insisté sur la vigilance dont on doit constamment faire preuve pour assurer la protection d’enfants si souvent en danger et qui ont tant besoin, dans leur famille bien sûr mais aussi au-delà, de référents et de repères solides et stables.

La délinquance évolue au rythme de notre société et des découvertes techniques. Elle se diversifie aussi. L’informatique a brouillé les cartes… Il fallait que l’on nous parle de la délinquance informatique dont les formes sont désormais multiples et les nuisances considérables. Xavier Leonetti, jusqu’il y a peu chef de la mission CYBER au ministère de la justice, a évoqué ces questions.

Puis, abandonnant le domaine pénal, Stéphane Noël, président du tribunal de Paris, nous a parlé de la justice civile que l’on connaît mal alors qu’elle couvre l’ensemble de nos activités du droit de la famille au droit de la presse et de la propriété intellectuelle en passant par le droit des obligations, de la responsabilité, de la copropriété, de la construction pour ne citer qu’eux. Il a élargi son propos au rôle que pourrait jouer désormais l’intelligence artificielle.

Jean-Guy Huglo, doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation, a traité du contentieux du droit du travail, contentieux austère, aride et tellement humain. Il nous a montré les « métamorphoses » qu’il a connus au cours de ces toutes dernières années avec, d’une part, le choix qui a été opéré de privilégier désormais la détermination de la norme en droit du travail « au plus près du terrain », par la voie d’un droit négocié, de la négociation collective, entreprise par entreprise, avec les partenaires sociaux, avec d’autre part le développement constant du contrôle de conventionalité qui complexifie considérablement ce pan du droit et les litiges soumis en première instance aux conseils de prud’hommes, composés de juges non professionnels !

Enfin, Denis Salas et Carole Damiani nous ont superbement parlé de la place qu’occupent les victimes dans le procès pénal : la place qu’elles souhaitent occuper, la place que l’on doit leur donner : toute leur place mais pas plus que leur place. L’évocation des grands procès terroristes de ces dernières années, de leur préparation, de leur déroulement, nous a beaucoup appris et, plus encore, émus. Le changement d’attitude lié à ce qu’on appelle « la vague Me Too » a permis de voir à quel point s’il faut écouter, entendre et répondre, la nuance s’impose aussi et la présomption d’innocence ne doit jamais être oubliée.

Il restait à clore cette année de découverte de notre monde juridictionnel hexagonal par des interventions sur le rôle, l’évolution, les difficultés, les critiques, les sujets de satisfaction rencontrés par trois des quatre juridictions qui, avec la Cour de cassation, constituent nos juridictions suprêmes. Ce sera chose faite lors des trois prochaines séances. Nous écouterons en effet successivement : Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, car notre plus haute juridiction s’est de plus en plus judiciarisée avec le développement des questions prioritaires de constitutionnalité. Le Conseil fait l’objet de critiques, souvent les mêmes d’ailleurs et depuis longtemps. Il est dès lors bon que son président puisse y répondre ; Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, nous parlera du « Conseil d’État aujourd’hui » car lui aussi est, plus qu’auparavant l’objet d’interrogations voire de mises en cause. Enfin, Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, car il ne faut pas oublier que la Cour des comptes est une juridiction, financière certes, mais une juridiction, nous parlera de ce qu’elle est en 2024, dans un contexte où les comptes de la nation posent problème.

Cet exercice de remontée du temps à bride abattue pourrait ressembler, j’en suis confus, à une sorte d’inventaire à la Jacques Prévert. Sans doute aurais-je du le chanter comme le faisait si bien naguère Les Frères Jacques mais je n’ai pas leur talent : ils étaient quatre et je suis seul ! Tout au plus, par ma présence constante à chaque étape, pourrai-je jouer le rôle du « ratonlaveur » ! En réalité, vous avez compris que je souhaitais, avant tout, vous faire participer, un bref instant, au souci qui fut le nôtre d’entendre pour mieux comprendre, de redresser certaines idées préconçues, d’apprendre à considérer une institution dont la tâche est infiniment lourde et complexe. 

J’espère, de tout cœur, que cette année y aura contribué. Notre compagnie, en tous cas, a accepté de s’ouvrir à l’ensemble de ces questions, elle a accepté d’écouter et de questionner et je l’en remercie comme je vous remercie tous, ici présents, de m’avoir suivi dans ce long propos, parfois passionné, point trop fastidieux tout de même je l’espère, car, vous l’avez vite décelé, j’aime la profession que j’ai exercée durant 47 ans et que, même après avoir revêtu, il y a 14 ans, cet habit de lumière, je n’ai en réalité pas tout fait quittée. Une profession qui, dans le domaine du droit pénal, se doit de rester calme et sereine face aux critiques parfois fort excessives dont elle fait trop souvent l’objet.

Je vous remercie.

La tradition de notre Académie prévoit que soit proclamé sous la Coupole de l’Institut de France, au cours de la séance solennelle de rentrée académique, le palmarès des prix, bourses et médailles qu’elle a attribués au cours de l’année.

Nous avons donc, une fois encore, mené la mission qui a été confiée à l’Institut national par sa loi de fondation du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) signée par Pierre Daunou. Je cite son article 1er : « suivre les travaux scientifiques et littéraires qui auront pour objet l’utilité générale et la gloire de la République ».

Et cela, avec le concours et la générosité des particuliers et associations qui ont créé, par dons ou par legs, des fondations abritées au sein de notre Académie. Qu’ils en soient remerciés. Qu’il me soit également permis de remercier mes confrères qui, regroupés en sections et jurys particuliers, ont lu et examiné les œuvres et les dossiers qui leur étaient présentés.  Ils ont retenu ceux qui leur paraissaient convenir le mieux aux objectifs de nos prix. Puis, l’Académie, après délibération, a ratifié ces choix.

À travers nos lauréats, cette cérémonie se veut ainsi une célébration de l’excellence et elle montre combien les talents sont nombreux en sciences humaines.

Cet exercice, qui pourrait apparaître fastidieux, est en réalité un moment joyeux puisqu’il permet de saluer ces lauréats et de leur dire notre admiration. En effet, après lecture des prix décernés par chaque section, ils voudront bien se lever à l’appel de leur nom afin que nous puissions les applaudir.

SUR PROPOSITION DE LA SECTION PHILOSOPHIE

Prix Dagnan-Bouveret

Ce prix est destiné à favoriser les études de psychologie en attribuant un prix ou de toute autre manière, notamment en donnant des subventions soit à des expériences, soit à des publications.

Attribué aux magazines Sciences Humaines et Philosophie magazine pour leur diffusion, auprès du grand public et des étudiants, des recherches en sciences humaines et sociales, particulièrement en psychologie et philosophie.

Mention spéciale pour Héloïse Lhérété, et Martine Fournier, respectivement directrice de rédaction et journaliste de Sciences Humaines.

Mention spéciale pour Martin Legros et Michel Eltchaninoff, rédacteurs en chef de Philosophie magazine.

Prix Edouard Bonnefous-Institut -sur proposition de la section philosophie

Attribué à Jean GRONDIN.

SUR PROPOSITION DE LA SECTION MORALE ET SOCIOLOGIE

Prix Émile Girardeau

Ce prix annuel est destiné à récompenser un ouvrage ou mémoire ayant trait aux sciences économiques ou sociologiques.

Attribué à Laurent Bègue-Shankland pour son ouvrage Face aux animaux. Nos émotions, nos préjugés, nos ambivalences (Éditions Odile Jacob, 2022, 352 p.).

Prix Vigné d’Octon

Ce prix biennal d’humanisme sociologique et littéraire est destiné à récompenser un auteur, médecin de préférence, ayant fait la preuve par ses écrits, son comportement professionnel ou sa vie courante d’un dévouement réel et tangible à la cause du progrès dans les rapports entre humains ou groupes d’humains.

Attribué àConstance Rivière pour son ouvrage La vie des ombres (Éditions Stock, 2023, 270 p.).

Prix Edouard Bonnefous-Institut – sur proposition de la section morale et sociologie

Attribué à Régis Debray, pour l’ensemble de son œuvre.

SUR PROPOSITION DE LA SECTION LÉGISLATION, DROIT PUBLIC ET JURISPRUDENCE

Prix Charles Aubert – Droit

Par testament, Charles Aubert, ancien conseiller d’État, décédé en 1999, a fait un legs à l’Académie, afin qu’elle distribue chaque année un prix à un juriste et un prix à un historien.

Attribué à Julien Jeanneney pour son ouvrage Une fièvre américaine. Choisir les juges de la Cour suprême (CNRS éditions, 2024, 392 p.).

Prix Choucri Cardahi

Ce prix annuel est destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage ou d’une œuvre dans son ensemble, écrite en langue française, ayant traité de façon particulièrement brillante un sujet de droit international, de philosophie du droit ou de morale. Il pourra également être décerné à toute personne morale ayant œuvré dans ces domaines.

Attribué à Gaël Piette pour son ouvrage Traité de droit maritime (Éditions A. Pedone, 2023, 918 p.).

Prix Lucien Dupont

Ce prix récompense toute personne qui, par une action quelconque, aura contribué ou tendu à contribuer à la suppression des sujétions ou formalités inutiles de caractère administratif ou judiciaire qui compliquent la vie des citoyens.

Attribué à Simon Porcher pour son ouvrage La fin de l’eau (Éditions Fayard, 2024, 306 p.).

Prix Francis Durieux

Francis Durieux a donné, en 1926, une impulsion décisive aux Jurisclasseurs. Ce fut une révolution dans l’édition juridique, celle des feuillets mobiles, de la mise à jour régulière des différents Traités qui voient alors le jour. Il devient en quelques années le premier éditeur juridique français. En créant, en 2003, un prix qui récompenserait des ouvrages utiles aux praticiens du droit, son fils souhaite perpétuer cette œuvre essentielle de mise à disposition de tous des ressources juridiques.

Attribué à Suzanne Lequette pour son ouvrage Droit du numérique (Éditions Lextenso, 2024, 854 p.).

Prix Henri Texier I

Ce prix a pour vocation de subventionner toute action pratique et efficace de défense de la liberté individuelle et du droit de propriété, soit par l’attribution d’un prix à l’auteur du meilleur tract pratique faisant ressortir d’une façon simple et convaincante les fondements et justifications de ces droits, soit en subventionnant leur publication et leur diffusion.

Attribué à Camille Aynès pour son ouvrage La privation des droits civiques et politiques. L’apport du droit pénal à une théorie de la citoyenneté (Éditions Dalloz, 2022, 514 p.).

Prix Bonnefous – Académie des sciences morales et politiques de la section Législation, droit public et jurisprudence

Ce prix est destiné à récompenser alternativement une œuvre qui aura contribué à alléger le poids de l’État sur les citoyens et une œuvre consacrée à la défense de l’homme et de son environnement. Ce prix est remis en alternance par la section Législation, Droit public et Jurisprudence et par la section Générale. En 2022, il récompense une œuvre qui aura contribué à alléger le poids de l‘État sur les citoyens.

Attribué à Daniel Gutman pour son ouvrageSources et ressources de l’interprétation juridique. Étude de droit fiscal, (LGDJ, 2023, 350 p.).

Prix Edouard Bonnefous-Institut – sur proposition de la section Législation, droit public et jurisprudence

Attribué à Raphaël Doan, Si Rome n’avait pas chuté (Éditions Passés Composés, 2023, 208 p.).

SUR PROPOSITION DE LA SECTION ÉCONOMIE POLITIQUE, STATISTIQUE ET FINANCES

Prix Luc Durand-Réville

Ce prix annuel est destiné à récompenser un travail relatif à l’aide de la France ou de l’Europe au profit du développement économique du tiers-monde, qu’il s’agisse d’un travail intellectuel (thèse, rapport, traité, ouvrage de vulgarisation, etc.) ou d’une action pratique précise (enquêtes, transferts de compétence, dotation, etc.). « Le prix est remis par la section à laquelle peuvent être adjoints des membres de la compagnie appartenant à d’autres sections, mais particulièrement avertis de ces questions ».

Attribué à Pierre-Noël Giraud pour son ouvrage Du pain et des jeux. Une économie politique des usages du temps (Éditions Odile Jacob, 2024, 480 p.).

Prix Grammaticakis-Neumann

Ce prix annuel est destiné au meilleur travail scientifique compatible avec l’esprit de la philosophie pragmatique. Il est décerné alternativement par les sections Économie politique, Statistique et Finances, Morale et Sociologie, Philosophie.

Attribué à Anton Brender pour son ouvrage Les démocraties face au capitalisme. Le prix de la vie des hommes (Éditions Odile Jacob, 2024, 172 p.).

Prix Guido et Maruccia Zerilli-Marimo

Ce prix annuel, doté par la fille de Guido et Maruccia Zerilli-Marimo, est destiné à une œuvre qui met en valeur le rôle de l’économie libérale dans le progrès des sociétés et l’avenir de l’homme.

Attribué à Jacques Mistral pour son œuvre publiée.

Prix Edouard Bonnefous-Institut -sur proposition de la section Économie politique, statistique et finances

Attribué à Bruno Bensasson pour son ouvrage L’économie n’est pas qu’une affaire d’argent. Comprendre l’économie autrement, (Presses des mines, 2023, 228 p.).

SUR PROPOSITION DE LA SECTION HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE

Prix Charles Aubert – Histoire  

Par testament, Charles Aubert, ancien conseiller d’État, décédé en 1999, a fait un legs à l’Académie, afin qu’elle distribue chaque année un prix à un juriste et un prix à un historien.

Attribué à Jacques Frémeaux pour l’ensemble de son œuvre.

Prix Maurice Baumont  

Ce prix annuel est destiné à récompenser une étude historique, de préférence consacrée à l’histoire contemporaine de l’Allemagne et du monde germanique ou encore à l’histoire des deux guerres mondiales et aux périodes qui les ont précédées et suivies.

Attribué à Michèle Cointet pour son ouvrage La République assassinée – mars-juillet 1940 (Éditions Bouquins, 2023, 333 p.).

Prix Madeleine Laurain-Portemer

Ce prix annuel a été fondé en 1998 par le doyen Jean Portemer en mémoire de son épouse, spécialiste de Mazarin. Il est destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage consacré à un sujet portant sur l’histoire des Temps modernes (1492-1789), sans distinction quant à la zone de géographie étudiée.

Attribué à Mireille Touzery pour son ouvrage Payer pour le roi. La fiscalité monarchique (1302-1792) (Éditions Champ Vallon, 2024, 1 372 p.).

Prix Mauguin

Ce prix bisannuel récompense l’auteur d’une publication érudite relative à Napoléon Bonaparte ou à l’époque napoléonienne.

Attribué à Ahmed Youssef pour son ouvrage Bonabarta. Napoléon, une passion arabe ? (Éditions Passés Composés, 2024, 160 p.).

Prix Henri Texier II  

Ce prix annuel est destiné à récompenser une œuvre de défense de la beauté de la France pour son importance sociale.

Attribué à Bertrand Lemoine pour son ouvrage Une histoire des gares en France (Éditions Archibook, 2022, 402 p.).

Prix Jean Sainteny

Ce prix biennal est destiné à couronner un ouvrage concernant le développement politique, économique ou culturel ou les relations internationales, notamment en Asie du Sud-Est et en Afrique, dans l’esprit qui fut celui de l’action de Jean Sainteny.

Attribué à François Joyaux pour son ouvrage Duy Tan. Un empereur dans la France libre (Éditions Perrin, 2023, 336 p.).

Prix Edouard Bonnefous-Institut – sur proposition de la section Histoire et Géographie

Attribué à Olivier Wievorka pour son ouvrage Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale (Éditions Perrin, 2023).

SUR PROPOSITION DE LA SECTION GÉNÉRALE

Prix Corbay  

Ce prix annuel est destiné à récompenser celui qui aura produit l’œuvre la plus utile dans l’ordre des sciences, des arts, des lois, de l’agriculture, de l’industrie ou du commerce.

Attribué à David Colon pour son ouvrage La guerre de l’information. Les États à la conquête de nos esprits (Éditions Tallandier, 2023, 480 p.).

Prix Ernest Lémonon  

Ce prix annuel est destiné à un ouvrage français traitant de politique étrangère contemporaine ou de questions économiques ou sociales contemporaines, françaises ou étrangères.

Attribué à Antonio Scurati pour ses ouvrages M, L’enfant du siècle, M, L’homme de la providence, M, Les derniers jours de l’Europe (3 volumes) (Éditions Les Arènes, 2023).

Prix Louis Marin

Ce prix annuel est destiné à récompenser une œuvre de sciences humaines.

Attribué à Éric Branca pour son ouvrage L’aigle et le léopard. Les liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIème Reich (Éditions Perrin, 2023, 432 p.).

Prix Edouard Bonnefous-Institut – sur proposition de la section Générale

Attribué à Jean-Paul BOUTTES pour son ouvrage Énergie. Une enquête de la revue de la pensée écologique (Puf, 2023).

SUR PROPOSITION DE JURYS PARTICULIERS

Prix Edmond Fréville – Pierre Messmer

Ce prix annuel est décerné au meilleur travail original, livre, brochure, note ou notice, écrit en français, imprimé ou manuscrit, fait dans la période des deux années précédentes sur l’organisation, le régime ou le fonctionnement des ministères militaires (guerre ou marine) français ou étrangers (administration centrale, commandement, officiers, troupes, services divers). Il peut aussi être attribué à un ouvrage traitant de stratégie militaire.

Attribué au Général François Lecointre pour son ouvrage Entre guerres (Éditions Gallimard, 2024, 128 p.)

Prix Pierre-Georges Castex de littérature française

Ce prix annuel est destiné à couronner une étude d’histoire ou de critique littéraire, écrite dans notre langue, consacrée pour l’essentiel à une œuvre ou à des œuvres appartenant au patrimoine national, de préférence déjà publiée, ou bien en voie de publication.

Attribué à William Marx pour l’ensemble de son œuvre.

Prix Bernard Destremau

Ce prix annuel est destiné à récompenser un athlète de haut niveau qui a su concilier la pratique d’un sport de compétition avec la poursuite d’études supérieures.

Attribué à Quentin Sableau, étudiant en Bachelor Gestion et Finance et Sportif de haut niveau de Roller hockey (catégorie Elite)

Prix Thibaudet

Ce prix est remis à un ouvrage en langue française portant sur les relations internationales, ou à un recueil d’articles ou études en relations internationales.

Attribué à David Teurtrie pour son ouvrage Russie. Le retour de la puissance (Éditions Dunod Poche, 2024).

Prix Louis Cros 

En mémoire de Louis Cros, ce prix annuel, créé en 2003 par convention avec le Comité Universitaire d’Information Pédagogique, récompense des œuvres éditées ou des travaux universitaires traitant des enjeux et défis de l’éducation et de la formation.

Attribué à Marie Coasne-Khawrin pour sa thèse :

« Enseigner la philosophie avant le lycée : réinterroger le rôle et la place de la philosophie dans l’éducation au prisme de la philosophie pour enfants. »

Prix de la Fondation culturelle franco-taïwanaise

La fondation a pour mission de récompenser chaque année des œuvres artistiques ou littéraires mettant en lumière les rapports entre l’Europe et le monde chinois et/ou contribuant à l’intensification des rapports culturels entre l’Europe et Taïwan. Les lauréats pourront être issus de tous les pays européens ou de Taïwan.

Le prix de la 28ème édition est partagé entre :

  • Jean-Marc Thérouanne
  • Po-Cheng Tsai

Prix de thèse de la Fondation des travaux historiques et scientifiques

La Fondation des travaux historiques et scientifiques, qui regroupe le Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (CTHS) et l’École des Chartes, décerne chaque année des prix de thèse à de jeunes chercheurs. En 2024, un prix est attribué à des thèses en section « Sciences de l’Antiquité » 

Attribué à:

  • Louise Dorso   pour sa thèse « La rencontre de la péninsule Arabique et de l’espace mésopotamien à travers les sources cunéiformes (853-106 avant J.-C.) »
  • Morgan Belzic   pour sa thèse « Les sculptures funéraires de Cyrénaïque »

Prix des sociétés savantes de la Fondation des travaux historiques et scientifiques

La Fondation des travaux historiques et scientifiques organise chaque année un appel à projet pour aider une société savante (membre de l’annuaire du Comité des travaux historiques et scientifiques) à développer un projet en rapport avec son objet.

Attribué à :

  • La Société d’Histoire de Chinon Vienne et Loire (président Jean-François Desmazières)
  • La société historique et archéologique du Périgord (président Dominique Audrerie)

Prix Messe Frankfurt

Ce prix est attribué chaque année à une personne physique ou morale qui s’est parfaitement illustrée dans la promotion des valeurs humanistes et de l’économie sociale de marché.     

Attribué à l’association Les Étoiles d’Hestia (président Philippe Garzon)

Prix Solon

Ce prix annuel est destiné à récompenser les lauréats d’un concours de légistique, ayant rédigé sous forme de texte de loi une proposition juridique tirée des travaux du Congrès national des notaires de France. En 2021, la proposition retenue envisageait que les services administratifs prévoient systématiquement la possibilité d’un multi-accès aux comptes des majeurs placés sous un régime de protection avec la possibilité de graduer les droits de chacun des accès.

Attribué à:

  • Johan Pouvesle « Premier Solon »
  • Guillaume Tison « Deuxième Solon »
  • Hugo Lefeuvre « Troisième Solon »

Prix de la Fondation Ius & Politia

Le Prix de l’Innovation vise à récompenser une initiative pédagogique ou institutionnelle remarquable. Toutes les dimensions de la vie pédagogique et institutionnelle des facultés de droit et de science politique sont susceptibles d’être récompensées. Cette « innovation » aura été constatée dans le courant de l’année civile précédant l’appel à candidature.

Attribué à Christine Bertrand, pour son travail de coopération mené entre la faculté de droit de l’Université Clermont Auvergne et un centre pénitentiaire.

Le Prix de la Recherche est destiné à récompenser une œuvre écrite (article de doctrine, ouvrage ou tout autre type de travail scientifique) dans le domaine du droit ou de la science politique. L’œuvre aura été publiée en langue française dans le courant de l’année civile précédant l’appel à candidature.

Attribué à Johann Michel, pour son ouvrage Le Réparable et l’irréparable : l’humain au temps du vulnérable (Éditions Hermann, 2021, 363 p.).

Il nous reste à saluer les lauréats des Prix de l’Institut de France sur proposition de l’Académie des sciences morales et politiques.

Le Prix de la Fondation Delmas – Institut de France récompense un artiste. Cette année, il s’agit de Françoise Carré, notamment pour ses Madones en bronze et son « Petit peuple » réalisés avec des tissus chinés chez Emmaüs.

Ainsi se referme la longue liste des prix et des médailles décernés en 2024. Félicitations à tous les lauréats de cette année. Acteurs de l’excellence française, ils témoignent de ce que notre pays produit de meilleur dans le domaine de l’esprit. Qu’ils en soient remerciés.

Séance de rentrée de l’Académie des sciences morales et politiques

Lundi 18 novembre 2024

Discours de Bernard Stirn, secrétaire perpétuel

Elections et vie démocratique

            L’année 2024 qui va bientôt s’achever apparaît comme une année électorale particulièrement chargée, au cours de laquelle environ la moitié de la population mondiale a été appelée aux urnes.

A quelques mois d’intervalle, de la fin juin au début de novembre, les électeurs ont eu à se prononcer dans les trois grandes démocraties historiques que sont le Royaume-Uni, la France et les Etats-Unis.  Ces trois scrutins ont eu des conséquences politiques de grande portée. Les Britanniques ont élu le 4 juillet une nouvelle Chambre des communes dans laquelle, après quatorze ans de gouvernement conservateur, les travaillistes obtiennent une large majorité. En France, la dissolution de l’Assemblée nationale s’est traduite, à l’issue des scrutins des 30 juin et 7 juillet, par une absence de majorité et une forme de tripartition des forces politiques. Il en résulte une situation politique complexe et inédite.  Après une campagne marquée par de multiples péripéties, les élections américaines du 5 novembre conduisent de manière nette le président Donald Trump à retrouver la Maison Blanche.

Au sein de l’Union européenne, outre les élections au Parlement européen du mois de juin, des scrutins nationaux ont eu lieu en Autriche, en Belgique, en Bulgarie, en Croatie, en Finlande, en Hongrie, en Lituanie, au Portugal, en Roumanie et en Slovaquie. Aux confins de l’Union, des scrutins importants pour les rapports avec celle-ci viennent de se dérouler en Moldavie et en Géorgie. Hors d’Europe, des élections ont été organisées dans de très nombreux pays, en particulier en Afrique du Sud, en Inde, au Japon, en Jordanie, au Sénégal, à Taïwan. Des scrutins plus controversés au regard des exigences démocratiques se sont tenus en Biélorussie, en Iran, en Russie et au Venezuela.

Si le nombre élevé de consultations électorales est un signe encourageant de la vitalité du suffrage, force est aussi de reconnaître que l’espace des démocraties n’occupe qu’une partie de la carte du monde et que l’appel aux urnes ne garantit pas à lui seul le cours régulier et apaisé de la vie politique. De plus en plus fréquemment, des manipulations, des pressions, des intimidations mettent en cause la validité du scrutin. Même dans les démocraties les plus solidement établies, le verdict des urnes laisse place à des interrogations, à des incertitudes, parfois à des contestations. Un tel constat invite, au terme de cette année électorale si remplie, à essayer de réfléchir aux liens qui unissent aujourd’hui les élections et la vie démocratique. S’il est hors de doute que les élections sont à la fois la condition et le signe de la démocratie, la libre expression du suffrage ne suffit pas à répondre partout et pleinement à l’ensemble des aspirations démocratiques. Des efforts restent par conséquent à accomplir pour que les élections, socle de la démocratie, en assurent au mieux l’harmonie.

I/ Les élections libres : le socle de la démocratie

Des élections libres, qui permettent à tous les citoyens de s’exprimer à intervalles réguliers, sont un droit somme toute récent, dont les démocraties ne doivent ni méconnaître les bienfaits ni oublier que sa pérennité est, comme celle de tout droit, susceptible d’être mise en cause.

Aussi la libre expression du suffrage a-t-elle été proclamée à l’échelle internationale aux lendemains de la seconde guerre mondiale, comme pour exorciser le risque de retour au totalitarisme. Adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies à Paris, au Palais de Chaillot, le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme, en son article 21 : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel et au vote secret… ». Le Pacte des Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques, fait à New York le 16 décembre 1966, énonce des règles analogues à son article 25.

Ces principes sont déclinés dans le cadre européen. Si la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950, centrée sur les droits de l’individu, demeure muette sur le sujet, elle a été complétée, dès le 20 mars 1952, par un premier protocole additionnel dont l’article 3 prévoit que les Etats parties « s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Pour ce qui concerne l’Union européenne, la Charte des droits fondamentaux, adoptée en 2000 et incorporée en 2007 au traité de Lisbonne, précise à son article 39 que « les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel, direct, libre et secret » et ajoute à son article 40 que « tout citoyen de l’Union a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’Etat membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat ».

Au niveau national, une inspiration comparable se retrouve dans les textes constitutionnels.  Pour la France, l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ».

Traités internationaux, textes européens et constitutions nationales convergent ainsi pour garantir des élections libres. Sans trancher tous les débats, ils dessinent un cadre dont les trois dimensions principales concernent l’universalité du suffrage, la régularité du calendrier électoral et la sincérité du scrutin.

Fruit d’une patiente évolution historique, l’universalité du suffrage est encore l’objet de quelques interrogations relatives à la composition du corps électoral, qu’il s’agisse de l’âge de la majorité ou de la participation des étrangers à certains scrutins. La situation particulière de la Nouvelle-Calédonie soulève en outre des questions qui lui sont propres.

Si la première constitution française, du 3 septembre 1791, a introduit une distinction entre « citoyens actifs » et « citoyens passifs », elle se fondait sur un cens peu élevé, correspondant à l’impôt dû pour trois journées de travail : plus de quatre millions de Français – de sexe masculin- étaient électeurs dans un pays qui comptait alors vingt-quatre millions d’habitants. Après une première proclamation, à la fois théorique et éphémère, du suffrage universel par la constitution montagnarde du 24 juillet 1793, le suffrage redevint censitaire et fortement encadré jusqu’à l’instauration, cette fois définitive, du suffrage universel masculin par la IIème République, en vertu d’un décret du gouvernement provisoire du 5 mars 1848. Le 23 avril suivant, 7 800 000 Français sur 9 400 000 inscrits votaient pour élire l’Assemblée constituante : le taux de participation atteignait 84%. 

Il restait à étendre le droit de vote aux femmes. La Norvège l’avait fait dès 1907, suivie par le Danemark en 1915. Après la première guerre mondiale, la plupart des démocraties consacrèrent le droit de vote des femmes, le Royaume-Uni en 1918, l’Allemagne en 1919, les Etats-Unis en 1920. En France, il fallut attendre l’ordonnance du 21 avril 1944, adoptée sous l’impulsion du général de Gaulle, pour que le droit de vote fût étendu aux femmes, qui participèrent pour la première fois à un scrutin lors des élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945. Peu après une ordonnance du 17 août 1945 rétablissait le droit de vote des militaires de carrière.

Une des premières lois du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, adoptée le 5 juillet 1974, abaissa l’âge de la majorité électorale et, plus largement, civile de 21 à 18 ans. Une réforme analogue avait été réalisée au Royaume-Uni en 1969, en Allemagne et au Canada en 1970, aux Etats-Unis en 1971, aux Pays-Bas en 1972. La question d’un nouvel abaissement de l’âge de la majorité électorale est aujourd’hui posée. L’Autriche et Malte ont déjà fixé à 16 ans l’âge de la majorité électorale. La Grèce a retenu 17 ans. La Hongrie admet à voter les jeunes à partir de 16 ans, s’ils sont mariés. Plusieurs pays ont abaissé l’âge de la majorité électorale à 16 ans pour certaines élections locales. Tel est le cas en Allemagne, en Belgique, en Estonie, en Suisse et, au sein du Royaume-Uni, en Ecosse et au Pays de Galles.

Demeure ouverte la question de l’élargissement du corps électoral, au moins pour les scrutins locaux, aux étrangers qui résident régulièrement sur le territoire depuis un certain temps. Une convention du Conseil de l’Europe ouverte à la signature le 25 novembre 1991 recommande d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers, après cinq années de résidence régulière. Plusieurs pays ont déjà fait évoluer leur législation dans un tel sens. Au Royaume-Uni, les ressortissants du Commonwealth sont admis à participer aux élections locales. En revanche l’Allemagne, l’Autriche, la Grèce, l’Italie et la Pologne s’en tiennent, comme la France, à la possibilité ouverte depuis le traité de Maastricht aux ressortissants de l’Union européenne de participer aux élections municipales, sans aller au-delà. Adoptée le 25 juin 1992, la révision constitutionnelle nécessaire sur ce point a de surcroît fortement encadré le droit de vote et d’éligibilité des citoyens de l’Union : ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint au maire ni participer à l’élection des sénateurs. Il est peu probable que la France envisage de franchir sur ce sujet de nouvelles étapes qui, en dissociant partiellement nationalité et citoyenneté, n’ont pas que des avantages.

Les particularités de la Nouvelle-Calédonie entraînent aujourd’hui un débat sur la composition du corps électoral dans cette collectivité. Décidé, selon la logique de l’accord de Nouméa, par les lois constitutionnelles du 20 juillet 1998 puis du 23 février 2007, le gel du corps électoral ne saurait avoir une durée indéterminée. Il reste à définir, par une nouvelle révision constitutionnelle et dans le cadre d’un accord global sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, les voies d’une solution permanente.

Outre la composition du corps électoral, le rythme des élections est une variable importante de la libre expression du suffrage. Tocqueville l’observait déjà, qui écrivait dans De la démocratie en Amérique : « Quand l’élection ne revient qu’à de longs intervalles, à chaque élection l’Etat court risque d’un bouleversement. Lorsque les élections se succèdent rapidement, leur fréquence entretient dans la société un mouvement fébrile et maintient les affaires publiques dans un état de versatilité continuelle ».

Un équilibre est donc à trouver pour éviter tant des mandats trop longs que des retours aux urnes trop fréquents. Le passage du septennat au quinquennat, en vertu de la révision constitutionnelle du 2 octobre 2000, la réduction de neuf à six ans du mandat des sénateurs procèdent de la première préoccupation, le regroupement des élections locales, voire la fusion envisagée des conseillers départementaux et régionaux en une seule fonction de conseiller territorial participent de la seconde.

La régularité du rythme des consultations est également un facteur important de la respiration démocratique : de stricts impératifs d’intérêt général sont requis pour allonger comme pour réduire la durée d’un mandat. L’agencement des divers scrutins les uns par rapport aux autres est aussi une composante de l’équilibre. A cet égard, l’inversion du calendrier électoral qui a conduit, depuis 2002 et en tout cas jusqu’à la dernière dissolution, à ce que les élections à l’Assemblée nationale suivent immédiatement l’élection présidentielle,  n’a pas eu que des effets bénéfiques. En conduisant à regarder les élections législatives comme une simple conséquence de l’élection présidentielle, elle en affaiblissait la portée et en diminuait l’intérêt pour les électeurs.

Des imprévus peuvent venir modifier le calendrier. Des élections présidentielles anticipées ont été provoquées par la démission du général de Gaulle en 1969 et par le décès de Georges Pompidou en 1974. A tout moment, la dissolution de l’Assemblée nationale est susceptible d’entraîner des élections législatives avant le terme normal du mandat des députés. Largement pratiquée sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, la dissolution était devenue plus rare ensuite. Napoléon III n’y eut recours qu’une fois, en 1857, elle s’effaça de la IIIème République après l’unique dissolution décidée en 1877 par le Maréchal de Mac Mahon et ne réapparut qu’à une occasion également sous la IVème, en 1955, à l’initiative d’Edgar Faure. Sous la Vème République, utilisée six fois en 66 ans, elle est redevenue d’usage sinon régulier en tout cas plus fréquent. Certes Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy et François Hollande n’y eurent pas recours. Mais le général de Gaulle prononça deux fois la dissolution de l’Assemblée Nationale, en 1962, à la suite de la censure votée contre le gouvernement de Georges Pompidou, puis le 30 mai 1968. François Mitterrand décida également deux dissolutions, après chacune de ses élections à la présidence de la République, en 1981 et en 1988. Jacques Chirac choisit de dissoudre en 1997, ouvrant ainsi la voie à une cohabitation de cinq années avec le gouvernement de Lionel Jospin. Après vingt-sept ans d’éclipse, la dissolution est réapparue, le 9 juin dernier, par la décision du président Emmanuel Macron. Ces diverses expériences montrent que la perturbation du calendrier électoral par une dissolution est souvent porteuse de conséquences inattendues sur la vie politique. 

La sincérité du scrutin est la dernière exigence de la libre expression du suffrage. Elle suppose des débats ouverts, une presse indépendante, des médias audiovisuels respectueux du pluralisme, un encadrement raisonnable des sondages d’opinion. Elle appelle aussi des règles qui assurent le bon déroulement de la campagne électorale. Des limitations des dépenses, l’obligation de tenir un compte de campagne et d’en justifier les écritures constituent à cet égard des mesures protectrices, même si les contraintes qu’elles impliquent ont pu conduire la Cour suprême des Etats-Unis à refuser, par une décision du 21 janvier 2010, au nom de la liberté, tout plafonnement de la participation des entreprises aux dépenses d’un candidat. A l’inverse, notre pays s’est doté d’une législation particulièrement stricte. Au rôle général de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle s’ajoutent les interventions de la Commission des sondages.  Les exigences financières sont soumises au double contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. 

Le mode de scrutin demeure une variable importante de sa sincérité. Sans doute n’existe-t-il pas de formule idéale, qui concilie au mieux les deux objectifs d’un reflet équitable de la diversité des opinions et de l’assurance d’une majorité stable. La variété des expériences, dans l’histoire comme d’un pays à l’autre, en atteste. La combinaison des modes de scrutin est une manière d’essayer d’en conjuguer les avantages. Retenu pour les élections du Président de la République, des députés, des sénateurs dans les départements qui en comptent moins de trois et des conseils départementaux, le scrutin majoritaire à deux tours domine aujourd’hui en France. Mais la représentation proportionnelle n’est pas ignorée : elle est pratiquée pour l’élection au Parlement européen et pour les élections sénatoriales dans les départements qui comptent au moins trois sénateurs. Scrutin majoritaire et représentation proportionnelle se combinent en outre pour les élections municipales et les élections régionales. Des appels se font enfin entendre en faveur de l’introduction, selon des modalités à préciser, d’au moins une dose de proportionnelle pour l’élection des députés.

Modifier le mode de scrutin est une tentation qui dans bien des cas n’est pas dépourvue d’arrière-pensées, même si l’histoire enseigne que les changements de dernière heure des règles du jeu électoral déçoivent en général ceux qui les ont provoqués.  Aussi une mesure de sagesse est-elle inscrite à l’article L. 567-1 A du code électoral, qui interdit de procéder à une modification du régime électoral ou du périmètre des circonscriptions dans l’année qui précède le premier tour de scrutin.

Les exigences en matière de découpage électoral ont en outre été renforcées. Par sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a rappelé, à partir d’une décision du 8 août 1985, qu’un découpage des circonscriptions ne saurait procéder d’aucun arbitraire et qu’il doit reposer sur des bases essentiellement démographiques. Ces critères sont également appliqués par le Conseil d’Etat. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a renforcé les précautions pour les élections des députés et des sénateurs, en ajoutant à l’article 25 de la Constitution une disposition selon laquelle une commission indépendante se prononce par un avis public sur les textes délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs.

En cas de contestation des résultats de l’élection, l’accès à un juge impartial est la dernière exigence de la sincérité du scrutin. Aujourd’hui toute élection a un juge dans notre pays. Les élections municipales et départementales relèvent des tribunaux administratifs et, en appel, du Conseil d’Etat, celui-ci connaît en premier et dernier ressort du contentieux des élections régionales et des élections au Parlement européen, le Conseil constitutionnel est compétent pour les élections des députés et des sénateurs tandis qu’il veille à la régularité de l’élection du Président de la République et des référendums, dont il proclame les résultats.

Ces compétences du Conseil constitutionnel ont mis fin à la procédure dite de « vérification des pouvoirs » par laquelle, depuis la Révolution, les assemblées s’assuraient elles-mêmes de la régularité de l’élection de leurs membres. Le système était loin d’assurer une parfaite objectivité et sa dernière manifestation contestable avait été l’invalidation en 1956 de l’élection de nombreux députés « poujadistes ». Pour l’élection présidentielle, l’intervention du Conseil constitutionnel évite également des polémiques, comme celles qui ont entouré en 1953 l’élection, au treizième tour de scrutin, de notre confrère le président René Coty. Le président du Conseil Joseph Laniel est demeuré convaincu qu’il aurait dû être proclamé élu à l’un des tours précédents où auraient été, selon lui, injustement invalidés des bulletins qui ne mentionnaient pas son prénom et qui auraient pu de ce fait, a estimé le bureau du Parlement, prêter à confusion avec son frère René, membre du Conseil de la République.

En France comme dans les autres démocraties, le système électoral, rodé par les années, repose bien au total sur l’universalité du suffrage. Il garantit la consultation du pays à un rythme régulier et assure la sincérité du scrutin. S’il est incontestable qu’il donne ainsi à la démocratie un socle solide, il n’en est pas moins vrai qu’il laisse apparaître certaines difficultés qui restent à surmonter pour que les élections assurent l’harmonie de la vie démocratique.

2/ Les élections libres :  les efforts à accomplir pour qu’elles assurent au mieux l’harmonie de la vie démocratique

En dépit de la régularité d’élections libres, le citoyen se sent parfois désemparé, avant le scrutin comme après ses résultats. Un certain désenchantement démocratique en découle. Prenons garde à ne pas connaître ce que Montesquieu écrivait de l’Angleterre de Cromwell : « Le peuple étonné cherchait la démocratie, et ne la trouvait nulle part ».

La montée de l’abstention est à cet égard une préoccupation majeure. Elle traduit un désintérêt envers la vie publique et exprime même un certain désaveu de l’action des partis et des élus.

S’il n’est pas propre à la France, le phénomène s’y manifeste avec une acuité particulière. Supérieur à 80% de 1967 à 1978, le taux de participation au premier tour des élections législatives était encore au-dessus de 70% de 1981 à 1986, avant de décroître régulièrement pour devenir inférieur à 50% en 2017 et 2022. Dans le contexte, il est vrai de la crise sanitaire de la covid-19, le taux d’abstention a atteint des niveaux records aux élections municipales de 2020, 55% au premier tour, 58% au second. Si l’élection présidentielle demeure le scrutin le plus mobilisateur, l’abstention a été de 26% au premier tour en 2022, contre 15% en 1965 et 1974 et encore seulement 16% en 2007 et 18% en 2012. Au second tour, elle s’est élevée à 28%, chiffre le plus haut depuis celui qui avait opposé Georges Pompidou à Alain Poher en 1969. Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que ce sont les jeunes électeurs qui s’abstiennent le plus.

Un encourageant mouvement de redressement s’est toutefois engagé en 2024. Aux élections législatives de juin et juillet qui ont suivi la dissolution, une nette remontée a été observée, avec une participation de 66,7% au premier tour et de 67% au second. Une confirmation de cette tendance reste à espérer pour le futur.  Aux élections européennes, la participation, qui a de nouveau dépassé la barre des 50%, est la plus forte depuis trente ans et elle se situe exactement dans la moyenne européenne. Les écarts sont, il est vrai très importants, de 89% de participation en Belgique, où le vote est obligatoire, et 64% en Allemagne, à seulement 28% en Lituanie et 21% en Croatie. Ces pourcentages particulièrement faibles de participation dans des pays récemment entrés dans l’Union sont au demeurant les révélateurs préoccupants d’un effritement du rêve européen.

Enrayer la montée de l’abstention suppose en tout cas de mieux assurer dans le système éducatif la formation des jeunes à la vie citoyenne, en leur expliquant davantage le rôle des différentes institutions, locales, nationales et européennes. L’étude sur la Culture générale, menée durant deux ans par notre Académie, sous la direction d’Olivier Houdé, et avec le soutien de la fondation Del Duca, souligne dans ses recommandations la place que ces questions doivent aujourd’hui occuper dans les programmes et les parcours scolaires.

Pour attirer les électeurs, un scrutin démocratique doit aussi être précédé d’un débat électoral de qualité. Même le Général de Gaulle a été pénalisé, au premier tour de l’élection présidentielle de 1965, par son refus de faire campagne et il a dû se résoudre à des interventions entre les deux tours. Or le débat électoral est aujourd’hui fragilisé. Les émissions télévisées de la campagne officielle présentent un caractère archaïque et décalé au regard des moyens actuels de circulation et de partage de l’information. De manière plus grave, les outrances, les invectives, les violences parfois l’emportent sur les échanges. Des propos qui minent la démocratie sont tenus sur les candidats adverses, qui sont trop souvent traités non en concurrents mais en ennemis. Lors de la dernière campagne législative dans notre pays, les agressions physiques contre les candidats et les militants se sont multipliées de manière inquiétante.

Avec leur lot de fausses nouvelles, les réseaux sociaux aggravent ces dérives. Ils se substituent au débat, propagent la théorie du complot et appellent trop souvent à la haine. Ils peuvent être le véhicule de piratages informatiques voire d’ingérences étrangères. La désinformation qu’ils diffusent a eu sa part dans le résultat du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni. Giuliano da Empoli a décrit ces « ingénieurs du chaos », dont, nous dit-il, « les mensonges ont la cote car ils sont insérés dans une narration politique qui capte les peurs et les aspirations d’une part croissante de l’électorat, tandis que les faits de ceux qui les combattent sont insérés dans un récit qui n’est plus jugé crédible ». Comme notre confrère de l’Académie française Raphaël Gaillard l’observe dans son essai L’homme augmenté, « le débat démocratique est compromis par les effets de bulle inhérents aux réseaux sociaux ».

Un trouble supplémentaire vient de ce que les électeurs ont parfois le sentiment que leur voix n’est pas entendue. Même si le traité de Lisbonne diffère sur de nombreux points substantiels du projet de traité constitutionnel européen, l’impression est demeurée dans certains esprits que le rejet de ce projet par les référendums organisés aux Pays-Bas et en France n’avait pas été suffisamment pris en compte.   Des coalitions électorales, formées pour barrer la voie à un adversaire commun, entraînent aussi des confusions lorsqu’elles ne s’accompagnent pas d’un projet partagé de gouvernement. En 1951, le système des apparentements avait provoqué de telles incertitudes. On a pu en retrouver la marque, lors des dernières élections législatives, au travers des désistements de « front républicain » entre les deux tours.

La confiance dans les élus, s’en ressent. Trop souvent, ils sont regardés comme évoluant loin des réalités du terrain, dans un monde qui ne reflète plus celui des citoyens.

Sans doute les efforts vers la parité permettent-ils une représentation davantage à l’image de la société. De réels progrès ont été accomplis de ce point de vue depuis que la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 a introduit à l’article 3 de la Constitution une disposition selon laquelle « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Pour les scrutins de liste, une stricte parité s’impose entre candidates et candidats. Un binôme composé d’un homme et d’une femme est exigé dans les nouveaux cantons redécoupés en 2014. Pour les scrutins majoritaires uninominaux, des pénalités financières sont infligées aux partis qui s’écartent des obligations de parité. Les résultats sont significatifs, même si le processus prend du temps, en particulier pour l’accès aux fonctions de responsabilité. Ainsi si la parité s’impose nécessairement dans les conseils municipaux des communes de plus de 1000 habitants, seuls 19% des maires sont des femmes et la proportion est même seulement de 12% dans les communes de plus de 30 000 habitants. A l’Assemblée nationale, le pourcentage de femmes députées a fortement progressé. Alors qu’il il était de 1,4% en 1958 et encore seulement de 11% en 1997, il se stabilise à plus d’un tiers, en dépit d’une légère baisse lors des derniers scrutins : après avoir approché 39% en 2017, il s’établit à 37% en 2022 et à 36% à la suite des dernières élections législatives.  En outre, depuis 2022, l’Assemblée nationale a pour la première fois une femme comme présidente. Au Sénat, la part des femmes, qui n’était que de 2% en 1958 et de 6% en 1998, atteint 35% après le renouvellement de 2023. Au-delà de la parité, des efforts importants demeurent à accomplir en termes de diversité de toute nature.

 L’interdiction, édictée par la loi organique du 14 février 2014 et applicable depuis 2017, de cumuler un mandat parlementaire avec l’exécutif d’une collectivité territoriale éloigne enfin les parlementaires des réalités locales. S’il est sûr que des limites doivent être posées au cumul des mandats, l’exercice simultané d’un mandat parlementaire et d’un mandat de maire ne soulève pas de réelle difficulté et les deux fonctions s’enrichissent au contraire mutuellement, tout en rapprochant les élus nationaux des citoyens. Des voix commencent à se faire entendre pour demander un assouplissement d’une législation qui est sans doute allée trop loin et dont les inconvénients l’emportent sur les avantages.

D’autres formes d’expression que les élections sont en même temps recherchées.

Avec les référendums, elles conservent la forme d’un scrutin. Mais aucun référendum n’a été organisé en France depuis le rejet en 2005 du Traité constitutionnel européen et diverses tentatives destinées à emprunter davantage la voie référendaire n’ont jusqu’ici guère donné de résultat. L’élargissement du champ du référendum aux réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, opéré par les révisions du 4 août 1995 et du 23 juillet 2008, n’a jamais été utilisé.  Introduit par cette dernière révision, le référendum d’initiative partagée est soumis à des conditions si complexes et si restrictives qu’aucun projet n’a pu déboucher. Et aucune révision constitutionnelle préparée pour élargir encore le champ du référendum législatif ou pour simplifier la procédure de référendum d’initiative partagée n’a jusqu’à présent abouti.

Indépendamment des scrutins, d’autres formes de participation citoyenne sont recherchées. Après la crise des gilets jaunes, un « grand débat » a été organisé. Des conventions citoyennes, que le Conseil économique, social et environnemental a reçu pour mission d’animer, ont été réunies sur des sujets comme le climat et la fin de vie. Tout en permettant échanges et réflexions, ces formules ne peuvent toutefois se substituer aux délibérations d’assemblées élues ni, encore moins, prendre des décisions qui relèvent des autorités politiques investies par le suffrage.

Pouvoir se prononcer librement par le vote pour choisir entre les options politiques et désigner les dirigeants demeure la condition de la liberté et l’apanage de la démocratie. Mais les élections ne trouvent tout leur sens que si elles s’inscrivent au cœur d’un projet partagé dont elles contribuent à dessiner la continuité tout en infléchissant son chemin. Victor Hugo écrivait : « Ce qui sort du suffrage universel, c’est la liberté sans nul doute mais c’est encore plus le pouvoir que la liberté » et il ajoutait que « le suffrage universel dit à tous : soyez tranquilles, vous êtes souverains ».

L’année 2024 a été riche à cet égard d’enseignements, les uns préoccupants, les autres davantage prometteurs. Par ses travaux, notre académie cherche à éclairer les débats. Nous venons ainsi de constituer avec l’Académie des sciences un groupe de réflexion sur le sujet « expertise scientifique, décision politique et fonctionnement démocratique ». Après la Culture générale, nous ouvrirons en 2025, sous la conduite d’Hervé Gaymard, un cycle portant sur « l’Avenir de la démocratie ». Dans ces différentes recherches, nous conservons de l’année 2024 la conscience qu’il nous revient à tous de mieux conjuguer le privilège que constituent des élections libres avec les exigences d’une démocratie vivante et en mesure de répondre aux défis de notre temps.

Photos de la cérémonie

Entrée des académiciens sous la coupole

Cérémonie

Clôture de la cérémonie

Notice de la séance solennelle

Cérémonie d’installation de Lucien BÉLY et lecture de la notice sur la vie et les travaux de Philippe LEVILLAIN

Ce lundi 30 septembre à 15 heures a eu lieu la cérémonie d’installation de Lucien BÉLY et la lecture de la notice sur la vie et les travaux de Philippe LEVILLAIN (1940 – 2021) sous la coupole de l’Institut de France.

Revoir la cérémonie :

Programme


Allocution de Bruno COTTE, président de l’Académie des sciences morales et politiques


Intermède musical
Wolfgang Amadeus Mozart
Sonate en la majeur K 331, Rondo Alla Turca

Discours d’accueil de Lucien BÉLY
par Georges-Henri SOUTOU, membre de l’Académie des sciences morales et politiques

Intermède musical
Robert Schumann
Arabesque en ut majeur, op. 18

Lecture de la notice sur la vie et les travaux de Philippe LEVILLAIN
par Lucien BÉLY, membre de l’Académie des sciences morales et politiques

Intermède musical
Christoph Willibald von Gluck
Danse des Esprits Bienheureux – Orphée et Eurydice
Arrangement de Giovanni Sgambati

Discours de remise de l’épée à Lucien BÉLY
par Jean-Robert PITTE, vice-Président de l’Académie des sciences morales et politiques


Les intermèdes musicaux sont interprétés par Juliana STEINBACH

Photos


Réflexions autour du rapport annuel du Conseil d’État en cours d’élaboration sur « la souveraineté »

Afin d’alimenter la réflexion en cours de la section des études, de la prospective et de la coopération (ancienne section du rapport et des études) du Conseil d’État, sa présidente Martine de Boisdeffre et son président-adjoint Fabien Raynaud sont venus entendre des académiciens sur le sujet de la souveraineté.

Serge Sur a tout d’abord évoqué le cadre juridique de la souveraineté internationale, en soulignant que la souveraineté est un concept juridique et qu’il ne doit pas être confondu avec le concept de puissance.

Jean-David Levitte a évoqué l’évolution des différents présidents de la République quant à l’arme nucléaire et à la participation de la France au commandement intégré de l’OTAN, et l’évolution du concept de souveraineté nationale dans le contexte actuel marqué par le retour de la guerre sur le sol européen, la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine et l’émergence de ce que l’on appelle le Sud global.

Les académiciens échangent avec Martine de Boisdeffre et Fabien Raynaud (à droite de la photo)

Jean-Claude Casanova a retracé l’évolution historique du concept de souveraineté depuis les Grecs et les Romains jusqu’à J.J Rousseau en passant par Jean Bodin et Althusius. Face aux deux problèmes politiques toujours présents (à savoir le rapport de l’individu à la collectivité et celui des collectivités entre elles) il interroge la notion de souveraineté en se demandant si elle est indispensable et ne serait pas comme le jugement de Pascal à propos de Descartes, inutile et incertaine ?

Jean-Claude Trichet a indiqué qu’il semblait difficile d’éviter d’être fédéraliste, soulignant que l’euro – qui est une monnaie solide et qui inspire confiance – pâtit de l’absence d’une fédération européenne et d’une signature unique. Il regrette qu’il n’existe pas de marché unique des capitaux et des banques commerciales et indique qu’à l’horizon 2100, s’il n’existe pas de fédération politique européenne, les Européens ne figureront pas dans les 20 premiers pays, au sommet desquels seront la Chine et l’Inde et loin derrière les États-Unis.

À l’issue de ces prises de parole, un échange s’en est suivi avec Gilbert Guillaume, Yves Gaudemet, Michel Pébereau, Bernard Stirn et Jean-Robert Pitte.